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Décisions

Cass. crim., 29 janvier 2002, n° 01-81.042

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roman (faisant fonctions)

Rapporteur :

M. Béraudo

Avocat général :

M. Launay

Avocat :

Me Blondel.

Rennes, 3e ch., du 11 janv. 2001

11 janvier 2001

LA COUR: Statuant sur le pourvoi formé par L Patrick, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, 3e chambre, en date du 11 janvier 2001, qui, pour tromperie et falsification de denrées alimentaires, l'a condamné à 2 mois d'emprisonnement avec sursis et 50 000 F d'amende, a ordonné la publication de la décision, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-1, L. 213-2, L. 213-3, L. 216-1, L. 216-2, L. 216-3 et L. 216-8 du Code de la consommation, ensemble les articles 121-3, 121-4 et 121-5 du Code pénal et les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Patrick L coupable des délits de tromperie et de falsification pour avoir vendu de l'entier liquide fabriqué à partir d'oeufs incubés impropres à la consommation humaine ;

"aux motifs qu'agissant dans le cadre d'une enquête générale sur le risque d'utilisation d'oeufs impropres à la consommation dans les ovoproduits destinés à l'alimentation de l'homme, les contrôleurs de la Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) procédaient le 14 septembre 1994 aux investigations d'usage au sein de la société Avicole Distribution Cecab Distribution, dite ABCD ;que le résultat de ces investigations révélait des manquements tant sur le plan des conditions de fabrication que sur celui de la composition de l'ovoproduit fabriqué et vendu par la société ABCD ; que concernant les conditions de fabrication, la procédure dévoilait la pratique consistant à broyer en masse par centrifugation les coquilles d'oeufs afin de récupérer les restants de blancs d'oeufs ; que cette mise en contact direct des parties externes salies par les souillures fécales et les restant de blancs créait un risque certain de voir se propager salmonelles, staphylocoques et listéria alors même que se pratiquait une double pasteurisation, insuffisante selon les services pour garantir un parfait assainissement microbiologique ; que de plus, à ce produit final impropre à la consommation étaient ajoutées les eaux des canalisations de début et fin de fabrication autrement appelées "pousses-pasto" ; qu'enfin, cet ovoproduit ne correspondait pas aux exigences couramment admises par la profession comme présentant un extrait sec moyen de 17 ou 18 % alors que, pour mériter cette dénomination, le taux aurait dû être, selon les usages en cours au moins de 23 % ; qu'or sur cent prélèvements internes le contrôle effectué par le laboratoire de qualité "Générale Contrôle" révélait que seuls deux prélèvements d'ovoproduits présentaient un taux supérieur à 23 % de matière sèche ; que l'intérêt économique de telles pratiques était mis en évidence par la DGCCRF, au regard des déclarations de Daniel Laurent, responsable technique de la société ABCD ; que la technique précédemment décrite permettait, en effet, d'obtenir quotidiennement une tonne de blanc récupérée et 500 kg de "pousses-pasto" ; que quant au profit tiré par la société, il était estimé au regard du prix du point d'extrait sec 0,28 F H.T., à 1 800 000 F par an ; que si les deux principaux clients de ABCD, fabricants de gâteaux et biscuits portant la mention "Oeufs", n'avaient jusqu'alors décelé aucune anomalie, le dirigeant de la société Cadiou se déclarait "offusqué" par les procédés utilisés ; que le responsable qualité de la société Ker Cadelac révélait d'ailleurs qu'au cours de la visite des installations organisée en 1994 par ABCD, son homologue s'était bien gardé de lui présenter l'appareil "broyeur-centrifugeur", ou "essoreuse", comme d'évoquer le recours à une double pasteurisation ; que Raymond Laudrin, directeur de l'usine en 1994 et jusqu'au 1er octobre 1995, a admis ces pratiques tout en prétendant qu'elles étaient courantes voire générales en France ou en Europe ; qu'à l'automne 1995, soit un an après ce premier contrôle, des prélèvements étaient effectués chez deux des principaux clients de la société ABCD ; que les résultats des analyses réalisées à partir des prélèvements d'ovoproduits effectués les 16 et 28 novembre 1995 chez Cadiou et Ker Cadelac mettaient en évidence une concentration en acide hydroxybutyrique sensiblement supérieure au seuil toléré de 10 mg/kg de matière sèche : prélèvements effectués chez Cadiou : teneur en acide D3 hydroxybutyrique : 10,9 mg/kg et 11,6 mg/kg et chez Ker Cadelac : 12,8 mg/kg et 14,7 mg/kg ; que les résultats de l'expertise contradictoire sollicitée par Patrick L, successeur de Raymond Laudrin depuis le 1er octobre 1995, confirmaient cette forte concentration en acide D3 hydroxybutyrique ; Ech. Ker Cadelac : 12,8 et 13,2 mg/kg ; Ech. Cadiou : 12,5 et 13,8 mg/kg ; que la concentration supérieure au seuil de tolérance étant un indicateur de présence d'oeufs incubés, les ovoproduits concernés ne devaient donc pas être utilisés dans l' alimentation humaine en application de la directive 89-437 CE du Conseil du 20 juin 1989 et de l'arrêté du 15 avril 1992 ; que le directeur technique, admettant finalement sa responsabilité pénale ès qualités sans être titulaire de délégation, Daniel Laurent expliquait avoir, de octobre 1995 à février 1996, utilisé des stocks d'oeufs datant de 1989, ou en tous cas présent dans l'entreprise depuis 1991, date de sa propre embauche au sein de ABCD ; que ces oeufs congelés, d'origines diverses et n'apparaissant même plus en comptabilité, étaient selon lui, "utilisés dans des proportions de l'ordre de 10 à 15 %" ; que Daniel Laurent admettait que l'utilisation de ces stocks d'oeufs anciens se réalisait sans "auto-contrôles systématiques et nécessaires avant leur incorporation" ; qu'il avançait en particulier une raison de coût pour expliquer l'absence de contrôle systématique de ces stocks à valeur comptable nulle ; que Patrick L, directeur de l'usine depuis le 1er octobre 1995 se disait surpris par les résultats des analyses mais ne contestait pas le travail de son directeur technique ; que Raymond Laudrin fait valoir qu'il n'existe aucune définition réglementaire de "l'entier liquide" et qu'aucun texte ne fixe un pourcentage de matière sèche en dessous duquel un ovoproduit ne pourrait plus prétendre à cette appellation et que les biscuiteries Cadiou commandaient un "entier liquide" à 20 % et Ker Cadelac à 21 % ; que c'est ce qui leur a été livré et aussi il ne peut être reproché d'avoir trompé sur ce point ces entreprises ; que s'il passe aveu de l'utilisation de la centrifugeuse dont l'emploi était prohibé par l'arrêté du 15 avril 1992, il fait valoir qu'après deux pasteurisations, les produits satisfaisaient à des critères microbiologiques précis ; que quant aux "pousses-pasto", il conteste qu'il se soit agi d'eaux de lavage des canalisations s'agissant d'eau destinée à pousser le produit dans les appareils et à équilibrer les pressions ;

"et aux motifs que selon procès-verbaux, les prélèvements effectués le 15 novembre 1995 à l'usine de la biscuiterie Cadiou l'ont été sur deux cuves inox contenant des ovoproduits livrés par la société ABCD le 14 novembre 1995 soit la veille, une cuve en cours d'utilisation et l'autre intacte ; que pour les prélèvements du 28 novembre 1995 à la SA Ker Cadelac, ils ont été faits sur deux containers livrés l'un le 23 novembre et en cours d'utilisation, l'autre le 27 novembre 1995 et intact ; que les produits ainsi prélevés pour analyse correspondent à l'ovoproduit livré par la SA ABCD et n'avaient subi aucune adjonction ou traitement ; qu'après l'analyse effectuée par le laboratoire de l'administration, Patrick L a sollicité l'expertise contradictoire prévue en la matière et il a été procédé après désignation par ses soins d'un co-expert ; que cette contre analyse s'est révélée encore plus significative que la première et n'a pas été contestée lors de l'instruction ; qu'il ne s'agit pas ici de l'auto-contrôle réglementaire par le fabricant mais de prélèvements et d'analyses dans le cadre judiciaire de la recherche des preuves et ces résultats d'expertise ne peuvent être contestés ; que d'ailleurs, c'est Daniel Laurent lui-même qui, en tirant les conséquences, a admis l'usage d'oeufs anciens, datant de 1991 voire de 1989 soit âgés de 4 à 6 ans ; que même si ces oeufs étaient congelés, ils pouvaient difficilement être tenus pour frais et leur utilisation dans les proportions de 10 à 15 % était de nature à tromper les cocontractants sur la nature, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de l'ovoproduit leur permettant d'indiquer dans la composition des biscuits et gâteaux la mention : "oeufs", que les clients croient frais ; que ce produit étant destiné à l'alimentation humaine il était, pour être impropre à l'alimentation humaine, à l'évidence falsifié ; que Daniel Laurent, directeur technique et Patrick L, directeur de l'usine, doivent être déclarés tous deux coupables des faits, chacun y ayant participé pour leur part bien que Patrick L ait été à son poste de direction depuis peu lors des contrôles ;

"alors, de première part, que les juges ne peuvent légalement statuer que sur les faits dont ils sont saisis ; qu'en l'espèce, Patrick L était uniquement poursuivi, comme le constate d'ailleurs expressément la Cour, pour les délits de tromperie et de falsification pour avoir prétendument produit l'entier liquide à partir d'oeufs incubés impropres à la consommation ; que la cour ne pouvait donc déclarer Patrick L coupable des délits de tromperie et de falsification pour n'avoir pas utilisé des oeufs frais dans la confection de l'entier liquide, sans ajouter aux faits de la poursuite et excéder ses pouvoirs, ce d'autant qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier que Patrick L ait formellement accepté d'être jugé sur ce fait nouveau retenu et non compris dans la saisine ;

"alors, de deuxième part, que la cour ne pouvait déclarer Patrick L coupable du délit de falsification d'ovoproduits sans rechercher, comme elle y était invitée, si oui ou non des oeufs incubés avaient été employés pour la fabrication de l'entier liquide, ce que contestait formellement ce dernier ;

"alors, de troisième part, que la cour ne pouvait déclarer Patrick L coupable des délits de tromperie et de falsification sans se prononcer, comme elle y était expressément invitée, sur l'existence d'une délégation de pouvoir au profit de Daniel Laurent s'agissant du respect de la réglementation et de la législation applicable à l'activité de la société ABCD pour les ovoproduits et, plus particulièrement, pour la composition de ceux-ci" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à la suite de prélèvements effectués en novembre 1995 dans deux biscuiteries, il a été constaté que des ovoproduits en provenance de la société ABCD comportaient une teneur en acide D3 hydroxybutyrique supérieure au seul de tolérance fixé par l'arrêté du 15 avril 1992 et ne devaient donc pas être utilisés dans l'alimentation humaine ; que l'expertise contradictoire demandée par Patrick L, directeur de l'usine ABCD depuis le 1er octobre 1995, a confirmé cette constatation et a conclu que la concentration supérieure au seuil de tolérance était un indicateur de la présence d'oeufs incubés ; que Daniel Laurent, directeur technique, a reconnu l'utilisation, dans la proportion de 10 à 15 % du produit, de stocks d'oeufs congelés datant d'au moins quatre ans ;

Attendu que, pour déclarer Patrick L coupable de tromperie et de falsification de denrées alimentaires, l'arrêt retient que le produit, impropre à la consommation humaine, avait été falsifié et que le prévenu a participé à l'infraction, bien qu'il ait été à son poste de direction depuis peu lors des contrôles ; que les juges ajoutent qu'aucune délégation de pouvoirs n'avait été consentie à Daniel Laurent ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations procédant de son appréciation souveraine, la cour d'appel, qui n'a pas excédé sa saisine, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-1, L. 213-2, L. 213-3, L. 216-1, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 et L. 421-1 du Code de la consommation, ensemble les articles 121-3, 121-4 et 121-5 du Code pénal et les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable à se constituer partie civile les associations UFC - Que choisir - Union Fédérale des Consommateurs, Familles rurales et la Confédération syndicale des familles ;

"aux motifs que les parties civiles, associations familiales ou de consommateurs sont recevables à intervenir pour avoir comme objet, notamment la défense des intérêts des consommateurs et étant régulièrement agréés ; que l'UFC de Quimper, très impliquée dans la sécurité élémentaire, est bien fondée à obtenir réparation du préjudice subi du fait de l'introduction par des industriels de l'agro-alimentaire de produits falsifiés ou corrompus dans l'alimentation ; que ce préjudice a très justement été évalué par les premiers juges à 30 000 F ; qu'il serait inéquitable de laisser à cette association la charge des frais engagés à l'occasion de cet appel et il lui sera alloué de chef une nouvelle somme de 2 500 F ; que l'association familles rurales non appelante, si elle ne peut solliciter plus que ce qu'elle a obtenu des premiers juges, doit voir son préjudice réparé par une somme de 10 000 F et le jugement sera confirmé de ce chef ; que la Confédération syndicale des familles du Morbihan, non appelante, ne peut non plus obtenir une majoration des dommages-intérêts obtenus en première instance mais doit voir son préjudice réparé par la somme de 10 000 F ; qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais engagés à l'occasion de cet appel et il lui sera alloué de ce chef une nouvelle somme de 2 000 F ;

"alors que les associations régulièrement déclarées et ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs, peuvent, et seulement si elles ont été agréées à cette fin, exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux seuls faits portant préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs ; que la cour ne pouvait donc statuer comme elle l'a fait sans caractériser le préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs qui aurait résulter des faits reprochés à Patrick L et Raymond Laudrin" ;

Attendu que faute d'avoir été proposé devant les juges du fond, le moyen, mélangé de fait, est nouveau et, comme tel, irrecevable ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.