Ministre de l’Économie, 25 avril 2003, n° ECOC0300334Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils de la société Ebsco Industrie Inc
MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 21 mars 2003, vous avez notifié le projet d'acquisition, de la société Rowecom France SAS (ci-après Rowecom France) par Ebsco Industrie Inc. (ci-après Ebsco), dans le secteur des agences d'abonnements. Ce projet d'acquisition a été formalisé par un accord signé le 2 février 2003.
I. Les parties et l'opération
Les entreprises concernées par la présente opération sont :
- Ebsco, société acquérante de droit nord-américain, troisième agence d'abonnement en France via sa filiale Ebsco France, a réalisé, en 2001, un chiffre d'affaires supérieur à 1,4 milliards d'euros dans le monde (dont plus de 200 millions dans l'Union européenne et 21,5 en France) ;
- Rowecom France, société cible, leader français dans le secteur des agences d'abonnement, emploie plus de 160 salariés en France, et a réalisé, en 2001, un chiffre d'affaires supérieur à 118 millions d'euros en Europe (dont 109 millions en France). Rowecom France appartient à la société Rowecom USA, qui est actuellement en situation de faillite. Divine Inc constitue la tête du groupe, et est également en situation de faillite aux Etats-Unis.
Ebsco et Rowecom France sont deux sociétés simultanément et significativement actives, en France, dans le secteur de la gestion centralisée d'abonnements à des périodiques de toute origine (éditions françaises et étrangères), sur tout support (papier et électronique) et de toute nature (journaux, magazines, revues, bases de données, annuaires). Les entreprises concernées fournissent principalement, aux divers types d'abonnés (bibliothèques d'universités, instituts de recherche, services de documentation d'entités publiques ou privées...), un service de gestion centralisée des achats de périodiques et de leur paiement (facturation unique).
En vertu de l'accord précité, Ebsco s'engage à acquérir auprès de Divine la totalité du capital et des droits de vote* de la société Rowecom France. L'opération constitue ainsi une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce, en ce qu'elle entraîne le transfert du contrôle** de la société Rowecom France au profit exclusif de la société Ebsco.
Compte tenu des chiffres d'affaires précités, réalisés par le Ebsco et Rowecom France, l'opération ne revêt pas une dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Définition des marchés concernés
La partie notifiante considère qu'il convient de définir, au cas d'espèce, un marché français de la gestion centralisée d'abonnement à des périodiques de toute nature, de toute origine géographique et sur tout support.
Le marché défini par la partie notifiante comprend ainsi un ensemble de prestations fournies auprès des divers types d'abonnés, dont les deux principales constituent, d'une part, un service de gestion centralisée des achats et de la gestion de périodiques (souscription et suivi des abonnements avec mise à jour et gestion des réclamations, renouvellement des abonnements) et, d'autre part, une facturation unique et centralisée auprès des abonnés.
On pourrait s'interroger sur une segmentation plus fine du marché proposé par la partie notifiante en distinguant en particulier deux catégories de gestion centralisée d'abonnements en fonction du type de support. Il ressort en effet de l'instruction que la gestion centralisée d'abonnements papier, d'une part, et celle des abonnements électroniques, d'autre part, comportent des différences relativement importantes. Du côté de l'offre tout d'abord, on relève que les éditeurs interviennent plus largement de manière directe auprès des abonnés dans la gestion d'abonnements sur support électronique que sur support papier. Les acteurs interrogés ont également insisté sur le fait que le taux de TVA était très différent entre ces deux catégories d'abonnements, ce qui avait pour effet de modifier sensiblement le prix de l'abonnement et impactait ainsi, en dernier ressort, celui de la gestion centralisée. Il ressort en outre du test de marché que ces deux catégories d'abonnements ont et auront très probablement des perspectives d'évolution très différentes dans la mesure où les abonnements électroniques tendent à supplanter les abonnements papier.
On pourrait s'interroger également sur une segmentation plus fine du marché en fonction des diverses catégories de clients (clients publics/privés ; clients dont la demande concerne une gamme de périodiques plus étendue ...) ou en fonction de l'origine des périodiques (en distinguant notamment entre les périodiques français et les périodiques étrangers, et particulièrement les périodiques anglosaxons).
Cependant, dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées quelle que soit la définition adoptée, il n'est pas nécessaire, au cas d'espèce, de trancher de manière définitive la question de la délimitation précise du marché relatif à la gestion centralisée d'abonnements.
Compte tenu de ces éléments, l'analyse portera sur le marché global de la gestion centralisée d'abonnements, proposé par la partie notifiante.
Du côté de la demande enfin, on relève une tendance au regroupement de certains clients en consortiums (universités et instituts de recherche notamment), ce qui leur confère un pouvoir de négociation plus important à l'égard des agences d'abonnement (et des éditeurs) et leur permet de négocier le prix des abonnements, qui seront toujours gérés par l'agence d'abonnement, directement avec certains éditeurs. Selon les résultats du test de marché, cependant, cette segmentation n'est pas de nature à modifier de manière sensible les conclusions de l'analyse concurrentielle.
S'agissant de la délimitation géographique, la partie notifiante considère qu'il convient d'adopter une dimension essentiellement nationale dans la mesure où il existe, notamment, des contraintes en termes de demande. Les acteurs interrogés lors du test de marché, et particulièrement les clients, ont souligné que les agences d'abonnement devaient disposer de personnel implanté dans le pays afin, d'une part, de répondre à la demande des clients (et notamment des clients publics, qui exigent un savoir-faire et des références importantes) et, d'autre part, de pouvoir assurer le suivi adéquat des abonnements (appels téléphoniques réguliers, contraintes spécifiques...). Les différences importantes en termes de parts de marchés des concurrents entre les différents pays de l'Union européenne constituent un indice de nature à conforter cette position. Le fait enfin que certains groupes privés aient pu, et essaient encore, parfois, de lancer des appels d'offres transnationaux, n'est pas de nature à mettre en cause le caractère essentiellement national du marché de la gestion centralisée d'abonnements dans la mesure où, d'une part, ces appels d'offres restent assez rares et, d'autre part, les barrières à l'entrée sur le marché français sont relativement fortes.
Compte tenu de ces différents éléments, l'analyse concurrentielle portera sur le marché français de la gestion centralisée d'abonnements.
III. Analyse concurrentielle
1. Caractéristiques du marché avant l'opération
Le marché français de la gestion centralisée d'abonnement est caractérisé, avant l'opération, par les éléments suivants.
Ce marché est tout d'abord un marché d'appel d'offres. En effet, tant les clients soumis au Code des marchés publics (universités, collectivités locales, organismes publics...), qui concluent des marchés à bons de commandes, que les clients privés, concrétisent leur demande par des appels d'offres. La concurrence est ainsi principalement animée, sur ce type de marché, par le nombre de soumissionnaires, crédibles, répondant effectivement à la demande.
On peut constater, dans cette optique de marché d'appels d'offres, que ce marché est devenu, au gré des nombreuses concentrations intervenues ces dernières années (1), un marché oligopolistique sur lequel ne subsistent à ce jour plus que trois agences internationales -Ebsco, Rowecom, et Swets-Blackwell -, qui représentent plus de 85 % du marché français et sont les seuls opérateurs à avoir une large implantation internationale -, jouissant d'une puissance financière et commerciale sans commune mesure avec leurs concurrents locaux de taille modeste.
Ce marché se caractérise en outre par une demande relativement captive dans la mesure où, d'une part, la prestation offerte par les agences d'abonnements est considérée comme très largement incontournable par la plupart des clients interrogés (2) et, d'autre part, les coûts de changement ("switching costs") sont élevés (3). L'absence de changements fréquents d'agence d'abonnement constaté lors du test de marché tend, en outre, à conforter cette analyse. En conséquence, on peut raisonnablement considérer qu'il existe, de fait, une prime importante au sortant lors du renouvellement des appels d'offres.
Le marché français présente par ailleurs des barrières à l'entrée relativement fortes (4), dont notamment les barrières en termes d'implantation nationale et de références exigées par les clients, et apparaît peu attractif pour un entrant potentiel (5).
Les abonnés enfin, dont la demande n'est pas très concentrée et qui représentent individuellement une faible part du chiffre d'affaires des agences d'abonnements, ne bénéficient pas d'un pouvoir de négociation suffisamment significatif, de nature à contrebalancer le pouvoir de marché des agences d'abonnements.
2. Analyse des effets de l'opération
Ainsi qu'il ressort du tableau suivant, l'opération crée une position de leader renforcée pour la nouvelle entité et fait disparaître l'un des trois principaux offreurs du marché français(6) :
EMPLACEMENT TABLEAU
A l'issue de l'opération et ainsi qu'il ressort de ce tableau, le marché français sera très largement dominé par la nouvelle entité (entre 63 % et 67 % de parts de marché), numéro un mondial et numéro deux en Europe, loin devant Swets-Blackwell, numéro un en Europe et seule agence d'envergure internationale alternative.
Ces deux sociétés, et plus particulièrement la nouvelle entité, bénéficieront, en outre, de plusieurs avantages concurrentiels décisifs à l'égard de leurs concurrents, avec lesquels les écarts de parts de marché sont élevés, dont notamment : une puissance financière et commerciale et un pouvoir d'achat très significatifs, une avance technologique décisive (7), une possibilité de réaliser des économies d'échelle importantes et une implantation globale.
Les acteurs du marché interrogés, qui plébiscitent la présente opération pour les raisons qui seront évoquées ci-après, soulignent, malgré tout, que, compte tenu des caractéristiques de ce marché d'appel d'offres, cette opération, qui supprime un des trois principaux offreurs, conduira, inéluctablement, à une augmentation sensible des prix pratiqués par les agences d'abonnements, sans que la perspective de voir un nouvel entrant sur ce marché à court ou moyen terme ne puisse être raisonnablement envisagée compte tenu des éléments ci-dessus décrits.
En conclusion, la reprise de Rowecom France par Ebsco est de nature à restreindre de manière substantielle la concurrence sur le marché français de la gestion centralisée d'abonnements.
IV. Application de l'exception de l'entreprise défaillante
En s'appuyant sur la jurisprudence dégagée par la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après "la CJCE") dans l'affaire Kali + Salz (8) et la pratique décisionnelle de la Commission (9), la partie notifiante fait valoir que l'exception de l'entreprise défaillante trouve à s'appliquer au cas présent.
Conformément à cette jurisprudence de la CJCE et à la pratique nationale (10) et communautaire, l'exception de l'entreprise défaillante trouve à s'appliquer dans une situation dans laquelle la restriction de concurrence, la création ou le renforcement d'une position dominante, ne sont pas directement dus à la concentration, mais découlent de la défaillance de la cible. Dès lors, si la concentration n'avait pas lieu, la détérioration de la structure concurrentielle n'en serait pas moins importante que celle résultant de l'opération de concentration examinée.En d'autres termes, "la mise en œuvre de la théorie de l'entreprise défaillante revient à démontrer la neutralité de l'opération sur la concurrence" (11).
La CJCE a ainsi, dans l'affaire Kali + Salz, approuvé les trois critères, cumulatifs, relevés par la Commission, permettant de considérer qu'une opération de concentration n'est pas la cause de la détérioration de la structure concurrentielle. Ces trois critères sont les suivants :
1°) L'entreprise acquise disparaîtrait rapidement du marché si elle n'était pas reprise par une autre entreprise ;
2°) Il n'y a pas d'autre alternative de reprise moins dommageable pour la concurrence ;
3°) L'entreprise acquérante reprendrait rapidement la part du marché de l'entreprise acquise si celle-ci venait à disparaître.
Du point de vue du premier critère, il convient d'examiner si Rowecom France disparaîtrait rapidement en cas de non-reprise par une autre entreprise.
En l'espèce, les parties soulignent que la situation financière de Rowecom France présente, sur la base d'une simulation, certifiée, de déclaration de cessation de paiement avec une présentation des comptes sociaux au 31 mars 2003, un actif disponible de 11,7 millions d'euros, face à un passif exigible de 86,5 millions d'euros (12).
Rowecom France souligne par ailleurs que certains crédits bancaires lui ont été retirés et que le contrat d'affacturage y faisant suite a également été dénoncé.
Or, compte tenu de ces éléments d'une part, des conditions financières de son fonctionnement d'autre part (13), Rowecom France enregistre une très nette diminution de son activité, tant au niveau de son chiffre d'affaires que de ses parts de marché (14), dans la mesure, où, en l'absence de tout soutien bancaire ou autre, il n'a pas pu expédier ses commandes aux éditeurs et il n'a pas été payé par certains de ses clients.
Rowecom France souligne au surplus que la société a vécu sur un crédit consenti par les éditeurs de façon exceptionnelle jusqu'à la fin du mois de mars 2003, mais qu'elle ne pourra faire face, seule et alors que Rowecom USA et Divine Inc sont en situation de faillite, au passif échu et à échoir.
Cette opération s'inscrit en outre dans un contexte très particulier dans la mesure où Rowecom USA comme Divine, sa maison mère, sont en situation de faillite aux USA (15). Cette situation a entraîné de très graves conséquences pour les éditeurs et clients aux USA.
Les événements intervenus aux USA ont eu des répercussions importantes sur le marché français, sur lequel une crise de confiance s'est développée à l'égard de Rowecom France (16). Les acteurs du marché français craignaient (et craignent encore) que Rowecom France ne se trouve confrontée à la même situation et ne réagisse par les mêmes comportements que Rowecom USA.
Compte tenu de ces incertitudes et ainsi qu'il a été souligné par les parties, certaines banques ont décidé de retirer les crédits consentis à Rowecom France et certains éditeurs ont refusé de livrer les abonnements non payés.
Le Tribunal de commerce d'Evry, saisi par Rowecom, a prononcé, par décision du 3 février 2003, la levée de la cessation de paiements de la société Rowecom France en considérant que l'actif disponible était supérieur au passif échu. Rowecom souligne cependant qu'à cette date, elle ne disposait déjà plus des actifs suffisants pour couvrir les sommes dues aux éditeurs.En effet, les abonnements payés servaient, dès cette date, à financer les charges d'exploitation de la société Rowecom France alors que ces sommes auraient dû être affectées au paiement des commandes passées auprès des éditeurs avec lesquels la société avait négocié des délais de paiement supplémentaires. La situation financière de Rowecom France s'est enfin très largement détériorée depuis la date du jugement du tribunal.
Sur le fondement de ces éléments, il ne semble donc faire guère de doute qu'en l'absence de repreneur, Rowecom France aurait rapidement disparu du marché.
La première condition posée par la jurisprudence de la CJCE et par la pratique communautaire et nationale des concentrations apparaît donc remplie.
Du point de vue du deuxième critère, il convient d'examiner s'il n'existait pas d'autre alternative de reprise, crédible, moins dommageable pour la concurrence.
Au cas d'espèce, Ebsco et Rowecom soulignent que, lors de la mise en vente de Rowecom France, seuls deux autres repreneurs potentiels se sont manifestés : Swets-Blackwell et Chequers, un fonds d'investissements.
Swets-Blackwell s'est toutefois retiré de la négociation en raison de la mauvaise situation financière de Rowecom France. En tout état de cause, on peut raisonnablement considérer que la reprise par Swets-Blackwell n'aurait pas été moins dommageable pour la concurrence que la reprise par Ebsco, dans la mesure où, notamment, cette reprise aurait de toutes les façons fait disparaître un des trois principaux offreurs du marché, tout en aboutissant à une addition plus importante de parts de marché et à la reprise par un concurrent largement mieux implanté en France qu'Ebsco (17).
S'agissant, en second lieu, de Chequers, il est apparu que le faible taux de rentabilité de l'activité de gestion d'abonnements (2 à 3 %) et le délai de retour sur investissement (plus de 10 ans) n'étaient pas compatibles avec les critères retenus par les fonds d'investissement qui envisagent rarement des sorties en capital au-delà d'une période de cinq ans.
On peut enfin raisonnablement exclure toute possibilité de reprise par un autre concurrent (actuel ou potentiel) dans la mesure où aucun d'entre eux n'est capable d'apporter les fonds nécessaires au maintien de l'activité de Rowecom France, laquelle nécessite une trésorerie très importante, en raison notamment des avances aux éditeurs (18).
Les éléments développés ci-dessus laissent raisonnablement penser qu'il n'existait pas d'autre offre de reprise que celle d'Ebsco qui soit moins dommageable pour la concurrence.
La deuxième condition posée par la jurisprudence de la CJCE et par la pratique communautaire et nationale du contrôle des concentrations est donc remplie.
Du point de vue du troisième critère, il convient d'analyser si, en l'absence de la concentration, la structure de la concurrence se détériorerait de manière au moins aussi dommageable que postérieurement à la concentration examinée.Il convient de souligner, de manière préliminaire, que le critère du report de part de marché défini dans l'opération Kali+Salz n'est pas opératoire en l'espèce (19) et que le critère dégagé dans la décision BASF/Eurodiol/Pantochim (disparition inévitable des actifs) ne l'est pas non plus dans la mesure où les activités en cause sont très faiblement capitalistiques et qu'elles reposent essentiellement sur du "capital" humain. Il apparaît en revanche pertinent d'appliquer, au cas d'espèce, le critère adopté par la Commission dans les concentrations Deloitte & Touche/Andersen UK et Ernst&Young France/Andersen France, décisions qui par ailleurs se sont concentrées sur la question de savoir si la structure de la concurrence se serait détériorée davantage en cas de disparition de la cible que dans l'hypothèse d'une reprise par l'un de ses concurrents, et non comme dans le précédent Kali + Salz sur la question de savoir si le concurrent en question aurait été l'unique bénéficiaire de la disparition de la cible.
Dans cette perspective, il convient de considérer, conformément aux résultats unanimes du test de marché, que si l'opération ne se réalisait pas, la structure de la concurrence se détériorerait de manière au moins aussi dommageable que postérieurement à la concentration examinée.
A moyen terme, la disparition des actifs entraînerait, de toutes façons, la disparition de l'un des trois principaux offreurs et une augmentation inévitable des prix.S'agissant en effet d'un marché d'appels d'offres, il convient de s'attacher davantage au nombre d'opérateurs susceptibles de répondre à un appel d'offres qu'au niveau de parts de marché (20). Que l'opération ait lieu ou non, le nombre d'opérateurs internationaux, capables de répondre aux différentes demandes, passera inéluctablement de 3 à 2, face à des concurrents "résiduels" souvent spécialisés et bénéficiant d'une capacité financière et commerciale bien moindre que celle des deux principaux offreurs.
Compte tenu des ces éléments, on peut donc considérer que la détérioration de la structure concurrentielle ne découle pas directement de l'opération, mais de la défaillance de Rowecom France et que la troisième condition posée par la jurisprudence de la CJCE et par la pratique communautaire et nationale du contrôle des concentrations est remplie.
Par ailleurs, à court terme, la non reprise de Rowecom aurait des conséquences extrêmement préjudiciables pour les éditeurs, mais bien plus encore sur les clients, qui devraient, soit payer leur abonnement une deuxième fois ou payer au numéro, ce qui aboutirait à une augmentation des prix à court terme, soit décider, pour des raisons budgétaires, de ne pas s'abonner une nouvelle fois, ce qui serait très préjudiciable pour le lecteur final (chercheur, universitaire ...). A ce jour d'ailleurs, la situation n'a toujours pas été régularisée : (i) de nombreux éditeurs, d'une part, n'ont toujours pas été payés par Rowecom France, alors qu'ils ont accepté, pour une large partie d'entre eux, de continuer à livrer les abonnements non payés ; (ii) les clients d'autre part, n'ont pas été intégralement livrés (21), alors qu'ils ont, pour certains, déjà payé leurs abonnements afin de bénéficier de remises plus élevées sur le prix éditeur des abonnements. Si cette situation devait perdurer davantage, et a fortiori si Rowecom France devait disparaître, les éditeurs (notamment les plus petits) mais aussi et surtout les clients, pourraient subir des graves conséquences financières et commerciales. Au final, enfin, les lecteurs, chercheurs ou universitaires, qui ont déjà subi de nombreuses ruptures dans la livraison de leurs abonnements, verraient certains périodiques ne jamais leur parvenir.
L'ensemble de ces éléments permet de conclure que la reprise de Rowecom France par Ebsco relève de l'exception de l'entreprise défaillante, dans la mesure où, en l'absence de l'opération, la dégradation de la situation concurrentielle que l'on constate sur le marché retenu aurait été au moins équivalente à celle résultant de l'opération examinée.
Dans ces conditions, je vous informe que j'autorise la reprise de Rowecom France par Ebsco.
Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
NOTA : A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché remplacée par une fourchette.
Ces informations relèvent du "secret d'affaires", en application de l'article 8 du Décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence
NOTES
* Erreur matérielle : lire "une cession de fonds de commerce"au lieu de "vente de la totalité du capital et des droits de vote".
** Erreur matérielle : il s'agit du contrôle de l'activité de l'agence d'abonnement et non pas de la société.
(1) On peut relever, à cet égard, les acquisitions récentes des sociétés Europériodiques et Blackwell par Swets, et de Dawson par Rowecom.
(2) Les clients interrogés ont souligné qu'il leur était très difficile de se passer de ces agences d'abonnements, qui leur permettent de conclure un seul contrat d'abonnement, de centraliser le suivi et la facturation. Se passer de ces agences s'avère difficile au regard des moyens humains et financiers à mettre en œuvre.
(3) Le changement d'agence d'abonnement nécessite en effet une anticipation importante de la part des clients, qui subissent assez souvent, lorsqu'ils en changent, des ruptures dans leurs abonnements.
(4) Il n'y a eu, ces dernières années, qu'une seule entrée "significative" sur le marché français : Prenax SA, filiale de Prenax AB (opérateur suédois), entré depuis l'année 2000, n'est pas encore rentable et atteint, à ce jour, une part de marché inférieure à 1 %.
(5) On peut noter à cet égard que les marges sont extrêmement faibles et que le segment principal constitué par les abonnements papier est en stagnation, voire en régression.
(6) Dans la mesure où il n'existe pas de parts de marché fiables, le tableau récapitule les estimations fournies par les parties et une estimation réalisée avec les recoupements des données communiquées par les acteurs interrogés, fondées sur le chiffre d'affaires des principaux concurrents.
(7) Ebsco, Rowecom et Swets-Blackwell sont les seules agences à posséder, à ce jour, un logiciel permettant un accès rapide et simple au texte intégral des articles de certaines revues.
(8) Arrêt de la CJCE du 31 mars 1998 : République française et Société commerciale des potasses de l'azote (SCPA) et Entreprise minière et chimique (EMC) contre Commission des Communautés européennes.
(9) Voir notamment les décision de la Commission n° IV/M.308 KALI + SALZ/MDK/TREUHAND du 9 juillet 1998 ; n° COMP/M.2314 BASF/Eurodiol/Pantochim du 21 juillet 2001 ; n° M.2810 Deloitte&Touche/Andersen UK du 1er juillet 2002 et n° M2816 Ernst&Young France/Andersen France du 5 septembre 2002.
(10) Voir notamment les décisions du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie ASD/ORP du 21 janvier 2003 et SEB/Moulinex du 5 juillet 2002.
(11) Décision SEB/Moulinex précitée.
(12) A la demande du ministre, les parties ont fait certifier cette simulation par un commissaire au compte.
(13) Rowecom fonctionne de la manière suivante : il engage les commandes envers les éditeurs qui demandent à être payés comptant, avant de pouvoir facturer ces commandes à ses clients qui ne règlent, en général, que dans un délai de 60 à 90 jours.
(14) Au 31 mars 2003, Rowecom relève que les annulations de commandes ont augmenté de 314 % et représentent une perte de chiffre d'affaires de près de 3 millions d'euros, équivalent à plus de 1 % de parts de marché. La perte de chiffre d'affaires global, sur les clients de 2004, enregistrée au 31 mars 2003, s'élève, par ailleurs, à plus de 7 millions d'euros, ce qui représente une part de marché légèrement inférieure à 3 %.
(15) Rowecom USA aurait collecté en 2002 par pré-paiement au moins 46 millions d'euros auprès de 4 000 bibliothèques, somme qui n'est jamais parvenue aux éditeurs et qui aurait servi, selon le site Hoover's Online, à payer les coûts d'exploitation et les dettes de la filiale.
(16) Rowecom note à cet égard, que, depuis le 1er janvier 2003, Rowecom France n'a été retenu dans aucun des appels d'offres lancés dans le cadre des marchés publics.
(17) Ce constat a d'ailleurs été largement confirmé par le test de marché. Les acteurs du marché ont en effet noté que Ebsco était moins bien implanté en France que Rowecom et Swets-Blackell (acteur européen), jouissait d'une réputation moins bonne et pratiquait des prix plus élevés.
(18) Ce point a été également confirmé par les concurrents interrogés, qui soulignent qu'ils n'avaient pas la capacité financière suffisante pour absorber une structure si importante (160 salariés), alors qu'ils ne disposent, en France, que d'effectifs compris entre 10 et 20 salariés.
(19) L'absence de vérification du critère du report des parts de marché ne permet de conclure au rejet de l'exception de l'entreprise défaillante que dans le cas d'un duopole.
(20) Cf. sur ce point les décisions de la Commission Deloitte & Touche/Andersen et Ernst&Young France/Andersen France précitées.
(21) Les universités auraient reçu, à l'heure actuelle, un peu moins de 75 % de leurs abonnements