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Décisions

CA Nancy, 1re ch. civ., 27 septembre 1995, n° 3342-93

NANCY

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Valentin (Sté)

Défendeur :

Rouyer, CPAM de la Meuse, CMCM

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Husson

Conseillers :

MM. Magnin, Cunin

Avoués :

SCP Bonet, Leinster, Wisniewski, Me Gretère, SCP Millot, Logier, Fontaine

Avocats :

Mes Legrand, Tassigny.

TGI Bar-le-Duc, du 28 oct. 1993

28 octobre 1993

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur Rouyer a été victime d'un accident le 7 février 1992, alors qu'il sciait du bois à l'aide d'une scie circulaire fabriquée par la société Etablissements Valentin. Il expose qu'il a été déséquilibré alors qu'il évoluait autour de la machine et qu'il a tenté de se retenir en posant ses mains sur le capot. Il ajoute que le capot s'est alors ouvert et que la scie en fonctionnement a coupé sa main gauche, le pouce et une partie de sa main droite.

Monsieur Rouyer a estimé que le système de fermeture du capot de la scie circulaire mis en vente par la société Valentin est défectueux. Il a donc fait assigner, par actes d'huissier en date du 27 mai 1993, la société Etablissements Valentin, la CPAM de la Meuse et la CMCM pour voir déclarer les Etablissements Valentin responsables de l'accident dont il a été victime et les voir condamner à en réparer les conséquences. Avant dire droit sur le préjudice, il a demandé la nomination d'un médecin expert et la fixation d'une provision de 50 000 F.

Par jugement en date du 28 octobre 1993, le Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc a déclaré la société les Etablissements Valentin responsable de l'accident dont a été victime Monsieur Rouyer le 7 février 1992 et l'a condamnée à verser la somme de 20 000 F à la victime à titre de provision sur son préjudice personnel et la somme de 230 320,94 F à la CPAM de la Meuse. Le tribunal a ordonné une expertise médicale qu'il a confiée au Docteur Schmitt. Le jugement a été déclaré opposable à la CMCM Les dépens ont été mis à la charge de la société Valentin.

MOYENS DES PARTIES

La société des Etablissements Valentin a relevé appel de ce jugement et demande à la cour de l'infirmer en déboutant Monsieur Rouyer et la CPAM de la Meuse de leurs réclamations. Elle demande une indemnité de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle estime en effet que Monsieur Rouyer a commis une faute à l'origine de l'accident en ne resserrant pas les vis du capot et prétend que la machine vendue est exempte de vice et qu'aucune faute à son encontre n'est démontrée.

Monsieur Rouyer demande la confirmation du jugement, à l'exception de la disposition relative à la provision. Il réclame une provision de 50 000 F et une somme de 5 000 F au titre des frais de défense de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La CPAM de la Meuse demande la confirmation du jugement et la condamnation des Etablissements Valentin à payer 2 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Dans des conclusions ultérieures, elle a demandé la condamnation de la société Valentin à lui payer la somme de 232 399,94 F représentant le montant définitif de ses débours.

La Caisse Mutuelle Chirurgicale de la Meuse (CMCM) a été assignée à sa personne par acte d'huissier du 10 janvier 1995, mais n'a pas constitué avoué. Il sera en conséquence statué par arrêt réputé contradictoire.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu que la société Etablissements Valentin verse au dossier les notices techniques relatives à la scie circulaire, les textes réglementaires applicables et le visa d'examen technique délivré le 27 mai 1983 par l'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) ; que Monsieur Rouyer produit les photographies de la machine et les éléments de nature à justifier l'importance de son préjudice.

Attendu que Monsieur Rouyer fait valoir que la société Valentin était tenue, en sa qualité de vendeur et de fabricant, à une obligation de sécurité ; qu'il ajoute qu'elle devait livrer une machine exempte de vice de nature à créer un danger pour les personnes ; qu'il estime enfin qu'elle a commis une faute en fabriquant une machine dangereuse pour les utilisateurs, puisque l'accès à la lame était rendue possible en raison d'un défaut de conception ; que subsidiairement il fait valoir que la société, qui est restée gardienne de la structure de la chose, est responsable sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil et en outre qu'elle a manqué à son devoir de conseil.

Attendu que la société Etablissements Valentin déclare que la conception et la fabrication de la scie circulaire ont été contrôlées par l'INRS, qui a délivré un visa d'examen technique, et prétend, à supposer établies les circonstances de l'accident, que l'accident n'est dû qu'aux fautes de Monsieur Rouyer qui a mal remonté le capot.

Attendu qu'il apparaît des pièces versées au dossier, notamment des photographies de la machine et des pièces constatant les blessures de Monsieur Rouyer, que l'accident s'est produit par le fait que les mains de l'utilisateur se sont trouvées en contact avec la lame de la scie circulaire en mouvement ; que cette circonstance suppose que le capot destiné à protéger l'utilisateur a été inopinément ouvert ; que dès lors la version des faits présentée par Monsieur Rouyer doit être déclarée certaine.

Attendu que la société Valentin a fabriqué la machine et l'a vendue à Monsieur Rouyer, le père de la victime ; que cette scie était destinée autant à des professionnels qu'à des particuliers.

Attendu que la société Valentin était tenue de livrer une machine qui présente pour l'utilisateur toute garantie de sécurité et ne l'expose à aucun danger ; qu'en l'espèce le système de fermeture du capot était défectueux, puisque les lumières des pattes de blocage n'étaient pas fermées, ce qui permettait, lorsque les boulons de serrage de ces pattes se dresseraient, l'ouverture accidentelle du capot.

Attendu que le fait que la machine ait reçu un visa d'examen technique n'exonère pas la société Valentin de toute responsabilité ; que ce visa délivré par l'INRS n'implique pas que la société Valentin a respecté les prescriptions réglementaires des textes visés dans la décision.

Attendu que Monsieur Rouyer déclare que le capot s'est brusquement ouvert lorsqu'il a tenté de se rétablir après avoir perdu l'équilibre ; qu'il n'est pas démontré qu'il aurait commis une faute en ne remontant pas correctement le capot ou en ne serrant pas suffisamment les vis.

Attendu que le décret du 20 février 1981 impose la mise en place d'un capot protecteur destiné à empêcher l'accès à la partie de la lame située au-dessus de la table et non utilisée pour le sciage que ce capot protecteur doit être conçu et réalisé de manière à pouvoir interdire l'accès involontaire aux dents de la lame en dehors des périodes de sciage.

Attendu qu'il apparaît des pièces produites que la lumière de la patte du capot est constituée de deux pans formant un cercle ouvert qui vient se poser sur une vis serrée par un écrou ; que ce dispositif ne permet pas de satisfaire aux exigences de ce texte, dans la mesure où il ne peut empêcher l'ouverture soudaine du capot protecteur, notamment du fait du desserrage de l'écrou.

Attendu qu'il s'ensuit que la société Etablissements Valentin a commis une faute dont Monsieur Rouyer, tiers utilisateur, est fondé à se prévaloir ; que cette faute est à l'origine de l'accident, de sorte que la société doit en être déclarée responsable ; que le jugement attaqué sera en conséquence confirmé.

Attendu que Monsieur Rouyer, qui réclame une provision de 50 000 F à valoir sur son préjudice non soumis au recours des organismes sociaux, ne verse au dossier aucune pièce de nature à justifier cette demande ; qu'il sera en conséquence débouté de son appel incident.

Attendu que la CPAM de la Meuse se verra allouer la somme de 232 399,94 F représentant le montant définitif de ses débours ; que le présent arrêt sera déclaré opposable à la CMCM.

Attendu que la société Etablissements Valentin sera déboutée de ses demandes ; que, succombant en son appel, elle sera condamnée aux dépens outre une indemnité de 5 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de Monsieur Rouyer et une autre indemnité de 2 000 F au profit de la CPAM de la Meuse.

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire ; Déclare recevables les appels relevés par la société Etablissements Valentin et par Monsieur Rouyer contre le jugement en date du 28 octobre 1993 du Tribunal de grande instance de Bar-le-Duc ; Confirme le jugement attaqué, hormis en ce qui concerne la condamnation de la société Etablissements Valentin à payer à la CPAM de la Meuse la somme de 230 320,94 F ; Et statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Etablissements Valentin à payer à la CPAM de la Meuse la somme de 232 399,94 F avec intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance ; Déboute la société Etablissements Valentin de ses demandes ; Condamne la société Etablissements Valentin à payer à Monsieur Rouyer la somme de 5 000 F et à la CPAM de la Meuse la somme de 2 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déclare le présent arrêt opposable à la CMCM ; Condamne la société Etablissements Valentin aux dépens, dont distraction au profit de Maître Gretère, avoué, et la société Civile Professionnelle Hélène Millot, Ariane Logier & Joëlle Fontaine, avoués associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.