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Décisions

CJCE, 2 juillet 1974, n° 173-73

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République Italienne

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

Me Braguglia.

CJCE n° 173-73

2 juillet 1974

LA COUR,

1. Attendu que, par requête du 9 octobre 1973, le Gouvernement de la République italienne a demandé, en vertu de l'article 173 du traité CEE, l'annulation de la décision de la Commission du 25 juillet 1973 concernant l'article 20 de la loi italienne n° 1101 du 1er décembre 1971 visant la restructuration, la réorganisation et la conversion de l'industrie textile (JO du 11 septembre 1973, n° L. 254, p 14);

2. Que le recours est basé sur trois moyens dits "préalables" relatifs à la forme et la procédure préliminaire de la décision et trois moyens, dits subsidiaires, relatifs à son bien-fondé;

3. Que, les trois premiers moyens et les trois moyens subsidiaires étant respectivement connexes, il y a lieu de les examiner ensemble en deux groupes;

Sur les moyens préalables

4. Attendu que le Gouvernement requérant s'oppose en premier lieu à ce que la décision attaquée porte dans son article 1: "la République italienne supprime le dégrèvement temporaire et partiel des charges sociales afférentes aux allocations familiales prévu a l'article 20 de la loi n° 1101...", formule qui suggérerait que la décision serait destinée à sortir un effet direct dans l'ordre juridique interne de l'Etat membre destinataire;

5. Qu'un tel effet serait incompatible avec l'article 93, paragraphe 2, du traité selon lequel la Commission, après avoir constaté qu'un Etat membre a violé les règles prévues par l'article 92, décide que l'Etat intéressé doit supprimer l'aide visée ou la modifier dans un délai qu'elle détermine;

6. Que, par un deuxième moyen, le requérant fait grief à la décision de n'avoir prévu aucun délai d'exécution, et conclut qu'à défaut de cet élément, essentiel à la légalité de la décision, celle-ci doit être considérée comme nulle;

7. Que, par le troisième moyen il est invoqué que la procédure préliminaire prévue à l'article 93, paragraphe 1, ne se serait pas régulièrement déroulée;

8. Attendu qu'il est constant que la disposition de l'article 20 de la loi Italienne n° 1101 litigieux, quoique innovant au regard de la situation juridique antérieure des entreprises industrielles et artisanales Italiennes du secteur textile, n'a pas été préalablement portée à la connaissance de la Commission, conformément au paragraphe 3 de l'article 93;

9. Qu'estimant, après avoir recueilli les observations des autorités italiennes et des experts des autres Etats membres, que la disposition litigieuse constituait une aide au sens des articles 92 et 93, la Commission a adopté la décision attaquée;

10. Attendu que, afin d'assurer un développement progressif et un fonctionnement du marché commun conformes aux dispositions de l'article 92, l'article 93 prévoit un examen permanent des aides accordées ou projetées par les Etats membres qui présuppose une coopération constante entre ces Etats et la Commission;

11. Qu'en son deuxième paragraphe, l'article 93 vise l'hypothèse qu'au cours de cet examen la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat membre n'est pas compatible avec les dispositions de l'article 92, et en prévoit la solution par décision de la Commission sous contrôle de la Cour de justice;

12. Que l'idée de coopération dont s'inspire l'article comporte que, dans un tel cas, la Commission doit laisser à l'Etat intéressé un délai pour se conformer à la décision prise;

13. Que cependant, dans le cas prévu par le troisième paragraphe d'une aide projetée considérée comme incompatible avec l'article 92, l'imposition d'un délai serait superflue, puisque la mesure concernée ne pouvait être mise en exécution;

14. Attendu que les moyens tendent à affirmer qu'une nouvelle aide introduite par un Etat membre en violation de la procédure du paragraphe 3 serait à assimiler aux aides légitimement accordées et ne pourrait donc faire l'objet que de la procédure prévue au deuxième paragraphe, y compris la fixation obligatoire d'un délai;

15. Que cette interprétation de l'article 93 est cependant inacceptable parce qu'elle conduirait à priver les dispositions du paragraphe 3 de leur force contraignante et même à favoriser l'inobservation de celles-ci;

16. Que, par contre, l'esprit et l'économie de l'article 93 impliquent que la Commission, lorsqu'elle constate qu'une aide a été instituée ou modifiée en méconnaissance du paragraphe 3, doit pouvoir, notamment quand elle estime que cette aide n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 92, décider que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier, sans être tenue d'impartir un délai et quitte à saisir la Cour si l'Etat en cause ne se conforme pas avec toute la diligence voulue;

17. Que, dans un tel cas, les moyens d'action de la Commission ne sauraient être limités au recours à la procédure plus complexe prévue à l'article 169;

18. Que, dès lors, le moyen selon lequel la décision tendrait à exercer un effet direct dans l'ordre juridique interne de la République Italienne tombe à faux, puisque la décision stipule aux termes de son article 2 que "la République Italienne est destinataire de la présente décision", formule dont il ressort clairement qu'elle tend à imposer l'obligation énoncée a son article 1 à l'Etat intéressé;

19. Qu'enfin le troisième moyen relatif aux irrégularités de procédure a été insuffisamment explicite pour pouvoir être retenu;

20. Que ces moyens doivent donc être rejetés;

Sur les moyens subsidiaires

21. Attendu que le Gouvernement requérant soutient, en premier lieu, que la décision attaquée en empiétant sur un domaine réservé par le traité à la souveraineté des Etats membres - celui des impositions fiscales internes - serait entachée d'excès de pouvoir;

22. Que, en deuxième lieu, il fait valoir que le dégrèvement de charges sociales litigieux devrait être qualifié de mesure à caractère social, qui de ce fait ne ressortirait pas du domaine des articles 92 et 93;

23. Que, du fait du système de financement des allocations familiales précédemment en vigueur désavantageant les secteurs ayant une forte proportion de main d'œuvre féminine, la mesure litigieuse compenserait simplement un désavantage pesant sur l'industrie textile italienne;

24. Que, d'ailleurs, cette industrie serait désavantagée par rapport aux industries textiles des autres Etats membres du fait que les charges sociales incombant aux employeurs seraient sensiblement plus élevées en Italie que dans les autres Etats membres;

25. Que, enfin, le dégrèvement partiel des charges sociales ne serait pas de nature à affecter les échanges intracommunautaires ou à fausser la concurrence sur le marché commun;

26. Attendu que l'article 92 a pour objectif de prévenir que les échanges entre Etats membres soient affectés par des avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions;

27. Qu'ainsi l'article 92 ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions visées, mais les définit en fonction de leurs effets;

28. Que, dès lors, ni le caractère fiscal, ni le but social éventuels de la mesure litigieuse ne suffiraient à la mettre à l'abri de la règle de l'article 92;

29. Attendu, quant à l'argument, selon lequel la mesure incriminée ne tendrait qu'à rééquilibrer les charges découlant pour l'industrie textile du système général des contributions à la prévoyance sociale, notamment en ce qui concerne les allocations familiales, qu'il est constant que le régime Italien des allocations familiales vise, ainsi que tous les systèmes comparables, à assurer au travailleur une rémunération adaptée à ses besoins familiaux;

30. Que les contributions des employeurs étant, dans un tel système, calculées en fonction de la charge salariale de chaque entreprise, la circonstance qu'une partie relativement réduite de la main d'œuvre employée par une entreprise peut, en tant que chef de famille, prétendre au paiement effectif de ces allocations, ne saurait constituer ni un avantage, ni un désavantage spécifique pour l'entreprise en question par rapport aux entreprises, dont une proportion plus grande des employés perçoit ces allocations, la charge de leur paiement étant précisément égalisée pour toutes les entreprises;

31. Que ce qui vient d'être observé quant aux charges découlant du régime des allocations familiales pour le budget d'une entreprise, vaut au même titre pour les relations entre les différentes branches de l'industrie;

32. Que, dès lors, les chiffres invoqués par le Gouvernement requérant, selon lesquels, au cours de l'année 1971, 65,7 milliards de lires auraient été versés à titre de contributions par le secteur textile, tandis que les prestations de la sécurité sociale à titre d'allocations familiales dans ce secteur n'auraient comporté que 42,4 milliards, ne sauraient démontrer que dans ses coûts de production le secteur textile serait désavantage par rapport aux autres secteurs d'industrie;

33. Attendu qu'il faut conclure que le dégrèvement partiel des charges sociales à titre d'allocation familiale incombant aux employeurs dans le secteur textile est une mesure destinée a exempter partiellement les entreprises d'un secteur industriel particulier des charges pécuniaires découlant de l'application normale du système général de prévoyance sociale, sans que cette exemption se justifie par la nature ou l'économie de ce système;

34. Que l'argument selon lequel le dégrèvement incriminé ne serait pas une "aide d'Etat", parce que la perte de recettes en résultant serait compensée à l'aide de ressources provenant des contributions versées à titre de l'assurance chômage, ne saurait être retenu;

35. Que les fonds dont s'agit étant alimentés par des contributions obligatoires imposées par la législation de l'Etat et étant, ainsi que l'espèce le démontre, gérés et repartis conformément à cette législation, il y a lieu de les considérer comme des ressources d'Etat au sens de l'article 92, même s'ils étaient administrés par des institutions distinctes de l'autorité publique;

36. Attendu, quant à l'argument selon lequel les charges sociales incombant aux employeurs du secteur textile seraient plus élevées en Italie que dans les autres Etats membres, que dans l'application de l'article 92, paragraphe 1, il faut nécessairement partir de la situation concurrentielle existante sur le marché commun avant que la mesure litigieuse soit prise;

37. Que cette situation résulte de nombreux éléments ayant des incidences diverses sur les coûts de production dans les différents Etats membres;

38. Que, d'ailleurs, dans ces articles 99 à 102, le traité prévoit les modalités pour éliminer des distorsions génériques provenant des divergences entre les systèmes fiscaux et de sécurité sociale des différents Etats membres, en tenant compte des difficultés structurelles de certains secteurs industriels;

39. Que, par contre, la modification unilatérale d'un certain élément des coûts de production dans un secteur économique d'un Etat membre est susceptible de perturber l'équilibre existant;

40. Que, dès lors, il est sans intérêt de comparer les proportions relatives d'une certaine catégorie de coûts dans les coûts totaux de la production, l'élément décisif étant le dégrèvement lui-même et non pas la catégorie de coûts à laquelle celui-ci se rapporte;

41. Attendu, au surplus, que les charges sociales pesant sur les employeurs font partie de la catégorie la plus générale des coûts de travail;

42. Qu'il ressort du dossier que les coûts de la main d'œuvre dans le secteur textile italien sont, par rapport à ceux du secteur textile dans les autres Etats membres, relativement bas;

43. Qu'il est constant que le dégrèvement des charges sociales prévu par l'article 20 de la loi n° 1101 a pour effet de réduire les coûts de la main d'œuvre dans le secteur textile italien;

44. Attendu que l'industrie textile italienne est en concurrence avec les entreprises textiles des autres Etats membres, ainsi qu'il apparaît des exportations importantes et croissantes de produits textiles italiens vers les autres Etats membres du marché commun;

45. Que la modification des coûts de production de l'industrie textile italienne par le dégrèvement des charges sociales en cause affecte nécessairement les échanges entre les Etats membres;

46. Que dès lors les moyens subsidiaires doivent être également rejetés;

Sur les dépens

47. Attendu qu'en vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour de justice, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens;

Que la partie requérante a succombé en ses moyens;

Par ces motifs,

LA COUR,

Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête:

1°) le recours est rejeté;

2°) la partie requérante est condamnée aux dépens.