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Décisions

Cass. crim., 27 mars 1996, n° 95-80.200

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon (faisant fonctions)

Rapporteur :

Mme Verdun

Avocat général :

M. Dintilhac

Avocat :

Me Choucroy

TGI Melun, 2e ch., du 18 déc. 1991 ; 3e …

18 décembre 1991

LA COUR : Statuant sur le pourvoi formé par M Rose-Marie, épouse S, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 9e chambre, du 20 décembre 1994 qui, pour publicité de nature à induire en erreur, escroqueries, faux en écriture privée, l'a condamnée à 4 ans d'emprisonnement, dont 3 ans assortis du sursis avec mise à l'épreuve pendant 3 ans, et a prononcé sur les intérêts civils; - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 81, alinéa 2, du Code de procédure pénale, 19 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, 175, 593 et 802 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions, violation des droits de la défense, manque de base légale ;

En ce que l'arrêt confirmatif attaqué a rejeté les exceptions de nullité de la procédure d'instruction soulevées par la prévenue ;

Aux motifs : 1°) Sur l'indétermination de la datation des actes de la procédure d'instruction : que si la prescription de l'article 81 du Code de procédure pénale de caractère impératif recommande à l'évidence au greffier d'instruction de suivre l'ordre chronologique pour la cotation des actes d'instruction, elle laisse le magistrat instructeur libre de choisir un autre critère de classement de ses pièces de procédure pour une meilleure compréhension d'un dossier complexe ou volumineux ou pour tout autre motif ; qu'en l'espèce, il ne résulte d'aucun élément du dossier et il n'est pas davantage soutenu que la cotation retenue, non respectueuse il est vrai de la stricte chronologie des pièces, ait permis une quelconque atteinte aux droits de la prévenue ayant pour but de lui celer des actes ou des auditions avant l'un de ses interrogatoires, ou de mettre à la disposition de son conseil un dossier tronqué qui aurait de la sorte indiscutablement porté atteinte à ses intérêts ; que, dans ces conditions, cette exception de nullité ne sera pas retenue par la Cour;

2°) Sur l'accomplissement des actes d'instruction par un auditeur de justice : qu'en vertu de l'article 19 de l'ordonnance modifiée du 22 décembre 1958, les auditeurs de justice participent sous la responsabilité des magistrats à l'activité juridictionnelle, et peuvent assister le juge d'instruction dans tous les actes d'information ; qu'en l'espèce, l'auditrice de justice n'a établi les actes litigieux qu'en la présence et sous le contrôle du magistrat chargé de la procédure visant la prévenue qui a d'ailleurs lui-même apposé sa signature sur les procès-verbaux prétendument irréguliers à côté de celle du greffier et leur a donné de ce fait toute leur force juridique ;

3°) Sur la nullité de l'ordonnance de soit-communiqué du 29 décembre 1990 : que si la notification au conseil de la prévenue de l'ordonnance de soit-communiqué plus de six mois après qu'elle fut rendue est contraire aux prescriptions de l'article 175 du Code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi du 6 juillet 1989, force est de constater que le conseil de la prévenue a été mis en mesure par cette notification, même tardive, de faire connaître au magistrat instructeur ses observations et ses réserves éventuelles avant le règlement définitif de l'information et de déposer une demande ou une requête ; que le conseil de la prévenue a en effet eu connaissance de ladite ordonnance ; que la notification tardive était au surplus sans effet sur un prétendu contrôle des délais imposés au ministère public pour établir son réquisitoire, dès lors que leur non-respect n'est pas sanctionné par la nullité de la procédure et que le magistrat instructeur peut rendre son ordonnance de règlement après l'expiration de ces délais et en l'absence de réquisitoire ;

Alors que, d'une part, les dispositions de l'article 81, alinéa 2, du Code de procédure pénale relatives à la cotation chronologique des pièces de l'instruction, dont la Cour a reconnu le caractère impératif, sont substantielles aux droits de la défense en ce qu'elles ont pour but de permettre de contrôler que le conseil de l'inculpé a bien reçu communication de l'intégralité des pièces de la procédure dans les conditions prévues par l'article 118 dudit Code en vigueur au moment de l'information; que, dès lors, leur violation ne peut qu'être sanctionnée par la nullité de l'information dont la régularité n'est vérifiable, ni par le conseil de l'inculpé, qui n'a pu s'assurer, lors de la communication de la procédure qui lui a été faite en application de ce dernier texte, si l'intégralité des documents de celle-ci lui était transmise, ni par aucune juridiction saisie par la suite, en sorte que, l'irrégularité ayant nécessairement porté atteinte aux intérêts de la défense, la Cour de cassation ne pourra que censurer l'arrêt attaqué qui a refusé de constater la nullité de l'information au prétexte inopérant que la prévenue ne rapportait pas la preuve que l'irrégularité affectant la cotation des actes de l'instruction avait été réalisée dans le but de porter atteinte à ses intérêts;

Alors que, d'autre part, la possibilité donnée aux auditeurs de justice par l'article 19 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 d'assister le juge d'instruction dans tous les actes de l'information, ne permet pas auxdits auditeurs de se substituer au juge d'instruction au cours de l'information en procédant eux-mêmes à l'interrogatoire des inculpés, à leur confrontation, ou à l'audition des témoins; que, dès lors, en l'espèce, en invoquant ce texte pour admettre la régularité d'actes de l'information effectués par une personne incompétente, la Cour a violé l'article 81 du Code de procédure pénale ;

Alors qu'enfin, dans ses conclusions d'appel, la prévenue faisait valoir que le réquisitoire de renvoi avait, en raison du retard considérable avec lequel l'ordonnance de soit-communiqué lui avait été notifiée, été rendu plusieurs semaines avant cette notification, ce qui lui avait interdit de présenter ses observations écrites au parquet avant que celui-ci ne rende ses réquisitions; qu'en omettant de répondre à ce moyen péremptoire qui consistait à invoquer le grief causé à l'inculpé par la notification tardive de l'ordonnance de soit-communiqué, la Cour a laissé sans réponse un moyen péremptoire de défense ;

Attendu qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que les exceptions de nullité de la procédure d'instruction, reprises au moyen, ont été présentées après l'interrogatoire de Rose- Marie S sur les faits ; qu'en cet état, et dès lors que cet interrogatoire engageait la défense au fond de la prévenue, c'est à tort que les juges d'appel ont cru devoir répondre aux exceptions invoquées, pour les écarter, au lieu de leur opposer l'irrecevabilité édictée par l'article 385 du Code de procédure pénale; qu'il s'ensuit que le moyen, qui leur fait grief des motifs par lesquels ils se sont prononcés, est lui-même irrecevable, en application du texte précité ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 44-1 et 44-2 de la loi n° 73- 1193 du 27 décembre 1973, 1er de la loi du 1er août 1905, 405 et 150 de l'ancien Code pénal, L. 121-1, L. 121-6 et L. 213-1 du Code de la consommation, 313-1, 441-1 du nouveau Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

En ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré la prévenue coupable de publicité mensongère, escroquerie et faux ;

Aux motifs que les époux S ont fait paraître des annonces publicitaires relatives à l'activité du X ; qu'en dépit des autorisations et habilitations nécessaires qui leur faisaient défaut, ils ont proposé ainsi à leurs futurs élèves une préparation à des diplômes qu'ils ne pouvaient en réalité tenter d'obtenir qu'en qualité de candidats libres; qu'après avoir soutenu que le centre ne prétendait pas pouvoir inscrire ses élèves aux épreuves, mais seulement les préparer aux diplômes, la prévenue admet devant la Cour la matérialité de cette infraction ; que si les allégations figurant dans les annonces publicitaires présentaient une ambiguïté sans être totalement fausses, dès lors que le X disposait d'une infrastructure et d'un personnel donnant à croire qu'il était en mesure de préparer effectivement ses élèves aux diplômes mentionnés, elles étaient de nature à induire en erreur sur la nature des prestations des services effectivement assurés par le centre de formation, puisque celui-ci n'était pas en mesure, à défaut des habilitations nécessaires, de présenter ses élèves aux épreuves des examens et ne disposait pas des moyens matériels et pédagogiques propres à les préparer efficacement aux dites épreuves ; que l'absence de qualification des enseignants, à commencer par Jean-Pierre S lui-même qui, dépourvu de tout diplôme en comptabilité, enseignait néanmoins cette discipline, ajoutée à l'incohérence de l'organisation des cours, caractérisent l'insuffisance de la préparation offerte aux élèves dont Rose-Marie S avait parfaite conscience ; que, dans ces conditions, le délit de publicité de nature à induire en erreur se trouve en l'occurrence constitué ; que la prévenue a admis lors des débats que les escroqueries qui lui étaient reprochées étaient, en ce qui concerne les élèves et les parents d'élèves, la conséquence directe des annonces publicitaires de nature à induire en erreur ; qu'en effet lesdites annonces ont déterminé le versement des frais d'inscription et de scolarité ; que l'existence en principe de prestations de la part du X censée venir en contrepartie du paiement de ces frais n'est pas de nature à faire disparaître le délit d'escroquerie dès lors que lesdites prestations ne pouvaient que contribuer à faire croire à l'existence d'une fausse entreprise ; que la prévenue a su utiliser l'entreprise de façade que constituait le X pour obtenir de l'agence nationale pour l'emploi la signature de contrats de formation modulaires entraînant pour elle une obligation de formation qu'elle n'a pu assumer et lui ayant permis d'encaisser des fonds ; que, par ailleurs, après avoir obtenu de la Direction départementale du travail l'habilitation pour conclure des contrats de qualification, le X sous la signature de Rose-Marie S, a conclu 22 contrats de qualification et 2 contrats d'adaptation en prenant soin de faire figurer sur lesdits contrats une adresse fictive du X permettant les versements sollicités de l'IFERP ; qu'en outre, le X s'est engagé à faire suivre un enseignement théorique à ses stagiaires auprès de l'ASMFP mais devait assurer leur formation pratique dans les conditions déjà décrites en contrepartie d'avances ; que, par ailleurs, les 24 contrats de formation en alternance signés avec l'IFERP ajoutés à ceux conclus avec l'ASMFP qui constituaient des titres créateurs de droits et d'obligations susceptibles de causer eux-mêmes préjudice ont permis, après falsification, à Rose-Marie S de les utiliser pour réaliser ses escroqueries et obtenir directement de l'IFERP le versement d'une somme de 1 602 100 F et de l'ASMFP la somme de 177 300 F alors que les formations dues en contrepartie de ces versements n'ont été assurées que de manière symbolique, lorsqu'elles l'ont été ; qu'en ce qui concerne les entreprises qui ont fait appel aux services du X, la somme perçue par ce dernier au titre de ces contrats de formation en alternance s'élève à 4 505 980 F ; qu'ainsi, en définitive, se trouvent caractérisés en tous leurs éléments constitutifs, les délits d'escroquerie et les faux en écritures privées reprochés à Rose-Marie S ;

Alors que, d'une part, le délit de publicité de nature à induire en erreur suppose, pour être constitué, l'existence d'un mensonge portant sur l'un des éléments mentionnés par l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 en vigueur au moment des faits; qu'en l'espèce, où les juges du fond n'ont pas reproduit le texte de la publicité litigieuse et ont laissé incertain le point de savoir si celle-ci précisait que le centre de formation X était susceptible d'assurer l'inscription des élèves aux diplômes parce qu'il était titulaire des habilitations nécessaires, ou si la publicité se bornait à affirmer que l'établissement X dispensait des cours de formation, permettant éventuellement aux élèves d'obtenir des diplômes dans les matières enseignées, les motifs de l'arrêt, d'où il résulte essentiellement que l'enseignement dispensé était insuffisant , ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur l'existence des éléments constitutifs de l'infraction ;

Alors que, d'autre part, la Cour, qui n'a pas précisé les fonctions exercées par Rose-Marie S au sein du X, n'a pas caractérisé sa participation à l'infraction dont le coprévenu de la demanderesse a été également déclaré coupable ; qu'en outre, en l'absence de toute précision sur la nature de la publicité litigieuse, les juges du fond n'ont pas caractérisé en quoi celle-ci aurait pu présenter les caractéristiques des éléments constitutifs d'une escroquerie commise au préjudice des élèves qui en contrepartie de leurs frais d'inscription ont reçu un enseignement dont la Cour a admis l'existence ; que, de même, en admettant à titre de pure hypothèse que le X n'ait pas dispensé un enseignement de bonne qualité, il appartenait aux organismes ou employeurs qui lui ont versé des fonds pour cette prestation de s'assurer de la qualité de la formation; qu'en invoquant le caractère fictif de l'établissement d'enseignement dont les juges du fond ont pourtant dû admettre l'existence comme ils ont admis que des cours avaient été organisés, la Cour n'a pas caractérisé l'existence du délit d'escroquerie prévu par l'article 405 de l'ancien Code pénal en vigueur au moment des faits ; et qu'enfin, en se bornant à faire état d'une falsification qui aurait été commise par la demanderesse, les juges du fond qui n'ont cru devoir fournir aucune explication sur cette prétendue falsification, n'ont pas mis la Cour de cassation en mesure de contrôler l'existence du délit de faux dont ils ont, sans le caractériser, déclaré cette prévenue coupable ;

Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que Rose-Marie S est poursuivie, en sa qualité de dirigeante de fait ou de droit de l'association "X", pour publicité de nature à induire en erreur, escroqueries et faux en écriture privée ;

Attendu que, pour déclarer ces délits constitués, les juges du second degré relèvent que la prévenue a proposé, par voie d'annonces publicitaires, des formations techniques et enseignements préparatoires à divers diplômes que son association, dépourvue des équipements, personnel et agrément administratif nécessaires, n'était pas en mesure de dispenser; qu'ils ajoutent que ces annonces ont permis à Rose-Marie S de faire croire en l'existence d'un établissement d'enseignement technique purement fictif, et d'amener ainsi des élèves ou leurs parents à verser des frais d'inscription et de scolarité sans réelle contrepartie ;

Que les juges retiennent, par ailleurs, que Rose-Marie S a, sous le couvert de l'entreprise de façade que constituait le "X", conclu des "contrats de qualification et d'adaptation, de formation modulaire et de TUC" qu'elle n'a pu honorer mais qui lui ont permis, au besoin après falsification, d'obtenir de divers entreprises et organismes agréés voire publics, dont l'ANPE, le versement d'aides à l'emploi ou de fonds destinés à financer la formation professionnelle ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, caractérisant l'ensemble des délits reprochés à la prévenue, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Que le moyen ne peut, dès lors, qu'être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.