CA Reims, ch. civ. sect. 1, 8 novembre 1995, n° 2425-93
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
AXA Assurances (Cie d'Assurances), Jardin 2000 (SARL)
Défendeur :
CPAM de la Marne, Montrémy (consorts)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lambremon-Latapie
Conseillers :
MM. Gellé, Ruffier
Avoués :
SCP Thoma-Le Runigo, SCP Chalicarne-Delvincourt-Jacquemet
Avocats :
Mes Antoine, Raffin.
LA COUR,
Attendu, selon l'expert commis en première instance et selon les énonciations des premiers juges, que le 29 mai 1986 le sieur Waldruche de Montrémy a passé commande auprès de la société Jardin 2000 d'une tondeuse auto-tractée, que le 14 juin 1986 le gérant de ladite société a livré l'appareil et qu'en présence de celui-ci, dame Waldruche de Montrémy l'a utilisé dans sa propriété mais que, alors qu'elle conduisait l'engin, celui-ci s'est renversé dans une pièce d'eau et que la conductrice fut blessée par les lames de la tondeuse qui continuait à fonctionner ;
Attendu que par jugement du 22 juin 1993, le Tribunal de grande instance de Reims a déclaré la société Jardin 2000 entièrement responsable de l'accident survenu à dame Waldruche de Montrémy et, cette dernière étant décédée pour autre cause, a condamné ladite société à payer diverses sommes aux ayants droit de cette dernière ;
Attendu qu'appelantes de cette décision, la société Jardin 2000 et son assureur, la Compagnie AXA Assurances, critiquent ce jugement, contestant principalement leur responsabilité ; que subsidiairement, elles estiment excessives les indemnités décidées par le tribunal ;
Attendu qu'intimés, les consorts Waldruche de Montrémy concluent à la confirmation de la décision entreprise ainsi qu'à l'allocation de 50 000 F, de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 5 000 F, pour frais irrépétibles ;
Attendu que la Caisse de Sécurité Sociale, également intimée, a eu connaissance de l'exploit la concernant et a fait tenir à la cour une lettre indiquant le montant des prestations qu'elles a servies à la suite de l'accident dont s'agit ;
SUR QUOI,
Attendu que les appelantes, pour contester leur responsabilité, allèguent principalement que l'accident aurait pour origine un acte de malveillance constitutif d'une cause étrangère exonératoire de leur responsabilité ;
Mais attendu que la société Jardin 2000, qui était tenue de livrer un appareil conforme à sa destination et apte à garantir la sécurité du consommateur au sens de l'article 1er de la loi du 21 juillet 1983, se devait d'assumer ainsi une obligation de résultat ; que n'ayant pas atteint ce résultat, elle ne peut se dégager de sa responsabilité que si elle apporte la preuve de la cause étrangère qu'elle allègue ;
Or attendu que si l'expert commis en première instance retient comme cause plausible de l'accident le desserrage de l'écrou qui bloquait une biellette de direction dont était équité l'engin piloté par la feu dame Waldruche de Montrémy et ajoute qu'un tel desserrage, impossible après deux à trois heures de fonctionnement, ne s'explique que par une malveillance, il ne résulte cependant ni du rapport de l'homme de l'art ni des autres pièces du dossier la preuve d'un tel acte ;
Qu'en outre, l'expert relève, comme autres causes possibles de l'accident, d'une part l'insuffisance de la formation au maniement de l'engin donnée à la victime par la société Jardin 2000, d'autre par le crabotage des roues arrières qui rendit inopérant son changement de direction, puis constate que ladite société n'avait pas serré l'écrou précité au couple prescrit par le constructeur ;
Attendu qu'il suit de ces considérations que la société Jardin 2000 n'établissant pas la cause étrangère sur laquelle elle fondait son appel, elle ne peut y prospérer en son principe ;
Attendu qu'afin de répondre au moyen subsidiaire des appelantes pris du caractère excessif des indemnités allouées en première instance, il échet d'examiner ces dernières ;
Attendu que l'expert Fraisier, après avoir visité la victime, a émis l'avis que, du fait de l'accident dont s'agit, son préjudice consistait en :
- une incapacité temporaire totale de travail du 14 juin 1986 au 17 février 1988, ses blessures ayant été consolidées le 17 février 1988,
- un pretium doloris assez important,
- un préjudice esthétique allant de modéré à moyen,
- une incapacité permanente partielle de 40 %,
Attendu que les premiers juges ont fixé comme suit les divers préjudices :
1°) Préjudice de dame Waldruche de Montrémy:
a) préjudice soumis à recours :
- frais médicaux ou d'hospitalisation : 64 602,07 F.
- incapacité temporaire totale de travail : 100 000 F.
- incapacité permanente partielle : 20 000 F.
Total : 184 602,07 F.
dont à déduire la créance de la Sécurité Sociale d'un montant, frais d'hospitalisation et indemnités journalières confondues de : 137 731,07 F.
d'où un solde de : 46 871 F.
b) préjudice non soumis à recours :
- pretium doloris : 35 000 F.
- préjudice esthétique : 20 000 F.
- préjudice moral et d'agrément : 25 000 F.
Total : 80 000 F.
c°) préjudice matériel :
- bijoux perdus ou endommagés : 3 025 F.
- vêtements : 2 000 F.
- déplacements pour rééducation : 15 000 F.
Total: 20 025 F.
Total General: 146 896 F.
2) Préjudice personnel des consorts de Montrémy
a) préjudice matériel du sieur Michel Waldruche de Montrémy :
- soins à son épouse dans la mesure où ils excèdent la charge normale du devoir d'assistance : 12 000 F.
b) préjudice moral du même : 25 000 F.
c) préjudice moral de chacun des enfants : 15 000 F.
Attendu que les appelantes, sans discuter l'avis de l'expert Fraisier, soutiennent d'abord que l'incapacité temporaire totale de travail devrait être limitée au montant des indemnités journalières versées par la Caisse de Sécurité Sociale, soit à 73 544 F, ;
Que cependant, aucune règle ne limitant l'indemnisation de ce chef de préjudice au montant des indemnités journalières, c'est par une juste appréciation que le tribunal l'a compensé par une somme de 100 000 F ;
Attendu qu'il est encore fait grief aux juges du premier degré d'avoir accordé à la victime 20 000 F, au titre de l'incapacité permanente partielle alors, selon les appelantes, que celle-ci a péri huit mois après sa consolidation ;
Qu'un tel argument doit être repoussé comme exempt à la fois de sérieux et de décence dès lors que l'indemnisation de ce préjudice se calcule seulement en fonction du taux d'incapacité et de l'âge atteint pan la victime au moment de la consolidation de ses blessures, sans avoir égard à son décès prématuré et de surcroît étranger à la source du dommage ;
Attendu que l'appel tend encore à la réduction des sommes compensatrices du pretium dolons et du préjudice esthétique au prétexte que, du fait du décès de la victime, les indemnités allouées à ce double titre reviendraient à ses héritiers et que la réparation d'un préjudice ne serait pas identique pour une personne en vie qui endure le dommage et pour une personne décédée ;
Que d'emblée, il sera fait litière de cet argument sans vertu ; qu'en effet, le préjudice indemnisé est celui d'une victime dans le patrimoine de qui est né un droit à réparation et que l'estimation de ce droit ne saurait souffrir de diminution au motif que, par l'effet des règles de la dévolution successorale, il s'est trouvé transmis à ses ayants droit ; qu'au surplus, la thèse des appelantes aurait pour conséquence incohérente d'amoindrir la part héréditaire des personnes successibles du seul fait du décès de leur auteur ;
Attendu que la société Jardin 2000 et son assureur s'élèvent également contre l'indemnisation, par le tribunal, d'un préjudice moral et d'agrément, dont ils contestent le principe ;
Que toutefois, si l'expert n'a pas évoqué un semblable préjudice et si la victime n'a pu reprendre l'exercice de ses activités antérieures à l'accident en raison d'un cancer dont elle aurait été atteinte, il n'y a pas lieu pour autant de réfuter l'existence de ce préjudice dont la survenance, liée à l'accident, ne dépend point d'une autre atteinte provoquée par un événement extérieur à celui-ci ;
Attendu qu'est encore critiqué par les appelantes le chef du jugement qui a indemnisé, à hauteur de 3 025 F, les bijoux perdus ou endommagés à l'occasion de l'accident ;
Que la feue dame Waldruche de Montrémy ayant été blessée aux membres supérieurs par la lame de la tondeuse, le tribunal a pu, au vu de la facture d'une bague et du surplus des éléments de la cause, arbitrer à la somme susdite le dommage dont il avait justement retenu la réalité ;
Attendu qu'il est enfin reproché à la juridiction de première instance d'avoir alloué au sieur Michel Waldruche de Montrémy, mari de la victime, 12 000 F, au titre des soins prodigués à sa femme et 25 000 F, en réparation de son préjudice moral et d'avoir encore accordé, en compensation de ce dernier dommage, 15 000 F, à chacune des trois filles de la victime, alors d'une part, selon les parties appelantes, que le mari de la victime étant lui-même décédé, il conviendrait de réduire l'indemnisation revenant à ses héritiers, alors d'autre part que les soins prodigués par lui n'excéderaient pas le devoir d'assistance entre époux, et alors également que les ayants droit de la victime n'auraient pas subi un préjudice moral en relation avec l'accident ;
Que néanmoins, il résulte d'une fiche d'état civil récemment délivrée que le sieur Michel Waldruche de Montrémy est toujours en vie, son décès ne résultant que de la sombre imagination des appelantes ; que par ailleurs, c'est avec raison que, pour indemniser à sa juste valeur le préjudice particulier subi par le mari en raison non seulement des soins donnés à sa femme, mais aussi de la souffrance morale ressentie du fait de la contemplation d'une épouse gravement amoindrie, le tribunal a retenu qu'il y avait là un dépassement du devoir normal d'assistance ; qu'en effet, il s'évince des documents médicaux versés aux débats que la victime, qui a présenté notamment une mutilation complexe au niveau de l'avant bras droit avec perte de substance osseuse et une mutilation de la main gauche avec d'importantes plaies dorsales et plusieurs fractures des os de la main, fut longtemps privée de l'usage de ses membres supérieurs, en sorte que son époux dut assumer lui-même les soins requis par l'état de sa femme tout en la voyant douloureusement souffrir ; que de même, les enfants de la victime ayant vu quotidiennement leur mère atteinte de telles lésions et si diminuée dans ses fonctions physiques, ils ont eux-mêmes, et comme leur père, ressenti une souffrance morale admise à bon droit par les premiers juges et indemnisée équitablement par eux ;
Attendu par suite que le jugement querellé mérite entière confirmation ;
Attendu que pour mal fondé qu'il fût, l'appel, qui ne procède ni d'une intention maligne ni d'une légèreté blâmable, ne peut être qualifié d'abusif ni, partant, donner lieu à indemnité en faveur des intimés ;
Mais attendu qu'il est équitable, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, de décharger ces derniers des frais irrépétibles qu'ils durent exposer pour défendre à l'appel dans lequel ils triomphent ; qu'il échet de leur allouer 10 000 F, de ce chef ;
Par ces motifs : Reçoit mais dit mal fondé l'appel interjeté par la société Jardin 2000 et la Compagnie AXA Assurances ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; Y ajoutant, condamne les appelantes & payer aux consort Waldruche de Montrémy dix mille francs (10 000 F) pour frais irrépétibles d'appel ; Rejette toute autre demande ; Condamne les appelantes aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Chalicarne, Delvincourt et Jacquemet, Avoués associés, aux offres et sur leurs affirmations de droit.