CA Rouen, 1re ch. civ., 26 janvier 1994, n° 93-02428
ROUEN
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Association pour la Gestion du Poste de Transfusion Sanguine du Havre, Clinique du Petit Colmoulins
Défendeur :
Mauconduit, CPAM du Havre, Fonds d'Indemnisation des Transfusés Hémophiles
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Falcone
Conseillers :
Mme Valantin, M. Grandpierre
Avoués :
Me Couppey, SCP Hamel-Fagoo, SCP Gallière-Lejeune, Me Reybel
Avocats :
Mes Lenglet, Moore, Vallès, Vannier, Vallois.
FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
Madame Anne Marie Mauconduit épouse Bernage a eu connaissance par un examen sérologique pratiqué le 19 mai 1988 qu'elle était contaminée par le virus d'immunodéficience humaine (VIH);
Elle avait subi une première transfusion de sang et de plasma frais congelé le 20 mai 1983 au cours d'un premier accouchement à la clinique du Petit Colmoulins au Havre, et une 2e transfusion sanguine dans les mêmes circonstances et dans la même clinique le 9 novembre 1986 ;
Par décision du 30 juin 1992 le fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le VIH créé par la loi du 31 décembre 1991 a alloué à Madame Bernage une indemnité de 1 646 000 F en réparation de son préjudice spécifique de contamination;
Madame Bernage a accepté cette offre ;
Au mois de novembre 1992 Madame Bernage a fait assigner l'Association pour la gestion du poste de transfusion sanguine du Havre et la Clinique du Petit Colmoulins pour les voir déclarer responsables du dommage subi et condamner à lui payer une somme de 3 000 000 F en réparation de son préjudice moral et ordonner une expertise ;
Par jugement du 27 mai 1993 le Tribunal de grande instance du Havre a :
- déclaré irrecevable faute d'intérêt à agir la demande de Madame Bernage en réparation de son préjudice moral et recevable sa demande en réparation de son préjudice économique et professionnel ;
- déclaré l'Association pour la gestion de poste de transfusion sanguine du Havre et la Clinique du Petit Colmoulins responsables in solidum des dommages résultant pour Madame Bernage de la transfusion sanguine qu'elle a subie le 20 mai 1983 ;
- ordonné une expertise médicale, avant dire droit sur l'indemnisation du préjudice économique ;
- donné acte au fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles de son intervention volontaire;
- débouté le fonds d'indemnisation de sa demande de remboursement des fonds versés à Madame Bernage ;
- sursis à statuer sur les autres demandes ;
L'Association pour la gestion du poste de transfusion sanguine du Havre, ci-après le Centre de transfusion, d'une part et la clinique du Petit Colmoulins, ci-après la clinique, d'autre part, ont interjeté appel de ce jugement ;
Le Centre de transfusion demande à la cour de :
- déclarer irrecevable faute d'intérêt à agir, la demande formée par Madame Bernage du fait de la saisine du Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles qui comportait nécessairement l'intégralité du préjudice subi ;
- subsidiairement, la déclarer mal fondée, l'Association n'ayant nullement manqué à son obligation de moyen et Madame Bernage n'établissant pas l'imputabilité de sa contamination à la transfusion de 1983 ;
- débouter Madame Bernage de ses demandes ;
- encore plus subsidiairement ordonner toute mesure d'investigation utile tant sur les risques de contamination courus par Madame Bernage que pour informer la cour sur les possibilités de l'impossibilité d'une contamination en 1983 par les donneurs de produits sanguins administrés à cette époque à Madame Bernage et fournis par l'Association ;
Sur la recevabilité, il fait valoir que l'indemnisation accordée par le Fonds d'indemnisation correspond à une réparation intégrale du préjudice de la victime et que Madame Bernage, a, en acceptant l'indemnité, été intégralement indemnisée et n'a plus d'intérêt à agir ;
Quant au préjudice économique il rappelle que le Fonds d'indemnisation a rejeté la demande de ce chef et que Madame Bernage n'a pas interjeté appel de cette décision dans les deux mois de son prononcé ;
Sur le fond il soutient qu'elle n'est tenue qu'à une obligation de moyen et qu'aucune faute n'est établie à son encontre ;
Il conteste le fait qu'il y ait un contrat de vente de sang car, comme tout élément du corps humain, il est en dehors du commerce ;
Sur l'imputabilité de la contamination il expose que la charge de la preuve incombe à Madame Bernage et que l'Association démontre que tous les donneurs des produits transfusés à Madame Bernage sont VIH négatifs à l'exception du donneur de globules rouges n° 7442 qui s'est révélé séropositif en 1989 mais dont rien n'indique qu'il l'était en 1983 ;
Quant à la vie privée de Madame Bernage et sa vie professionnelle (elle était infirmière et à ce titre était en contact avec des matériels souillés), le Centre estime que ce n'est pas à lui à rapporter la preuve de la contamination de Madame Bernage dans ce cadre là ;
La clinique du Petit Colmoulins demande à la cour de :
- déclarer irrecevable faute d'intérêt à agir, la demande formée par Madame Bernage du fait de la demande formée par elle au Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles qui comportait nécessairement l'intégralité du préjudice subi de séropositivité ;
- subsidiairement la déclarer mal fondé, la Clinique n'ayant nullement manqué à son obligation de moyens et Madame Bernage n'établissant pas l'imputabilité de sa contamination à la transfusion de 1983 ;
- plus subsidiairement, débouter Madame Bernage de sa demande de préjudice économique, faute de l'existence de celui-ci ainsi que cela résulte du rapport d'expertise ;
La Clinique reprend les moyens développés par l'Association ;
Madame Bernage forme un appel incident pour voir condamner l'Association à lui payer une indemnité de trois millions de francs en réparation de son préjudice moral sauf à déduire l'indemnité reçue du Fonds d'indemnisation des transfusés et contaminés, et condamner l'Association à lui payer une indemnité de 10 000 F par application de l'article 700 du NCPC ;
Dans ses dernières conclusions elle demande à la cour d'évoquer au vu du rapport d'expertise et de condamner in solidum l'Association, la Clinique du Petit Colmoulins et le Fonds d'indemnisation à lui payer, sous déduction de la créance de la CPAM du Havre la somme de 1 083 086,50 F ;
Sur la recevabilité de l'action elle soutient d'abord qu'elle a un intérêt à faire reconnaître la responsabilité du Centre de transfusion sanguine et de la Clinique, ensuite que la juridiction de droit commun peut avoir une appréciation différente du Fonds d'indemnisation du préjudice subi par la personne contaminée et que le fait d'avoir été indemnisée par le Fonds ne la prive pas du droit d'obtenir des juridictions compétentes une indemnisation complémentaire;
Sur les règles gouvernant la responsabilité civile elle fait valoir que pèse sur le centre de transfusion une obligation de résultat concernant la livraison d'un sang exempt de vice et que ce dernier ne s'exonère pas de cette obligation ;
Sur le lien de causalité, elle rappelle qu'elle a subi des transfusions massives de produits sanguins avant 1985 et que l'un des donneurs au moins s'est révélé, par la suite, séropositif ;
Elle souligne qu'elle même ne fait pas partie d'une population à risque et n'a jamais été victime d'accident du travail ayant pu entraîner une contamination ;
Sur son préjudice économique elle expose que le rapport d'expertise démontre que sa mise à la retraite anticipée a pour unique cause sa séropositivité ;
Le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminées par le VIH demande acte qu'il s'en rapporte à justice sur la recevabilité de la demande de Madame Bernage contre le Centre de transfusion et la Clinique du petit Colmoulins et qu'il soit statué ce que de droit sur les moyens opposés par ces deux parties à la demande en reconnaissance de responsabilité présentée contre elle par Madame Bernage ;
Il demande la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté la demande de Mme Bernage tendant à l'indemnisation de son préjudice moral ;
La CPAM du Havre demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité in solidum des appelants, lui donner acte que sa créance provisoire s'élève à 44 788,95 F et condamne in solidum le Centre de transfusion et la Clinique du Petit Colmoulins à lui payer cette somme, sous réserve des débours ultérieurs ;
Le Ministère Public auquel le dossier a été communiqué par application de l'article 427 du NCPC s'en rapporte à justice ;
MOTIFS DE L'ARRET
Attendu que les procédures n° 2428-93 et 2866-93 seront jointes ;
Sur la recevabilité de l'action :
Attendu que Madame Bernage a perçu du fonds d'indemnisation une somme de 1.646.000 F en réparation de son préjudice spécifique de contamination;
Que toutefois le fonds d'indemnisation a refusé de réparer le préjudice économique invoqué par Madame Bernage ;
Attendu que l'indemnisation prévue par la Loi du 31 décembre 1991 dans son article 47 a pour fondement la solidarité et non la responsabilité ;
Que cette loi qui a pour objectif de permettre une indemnisation rapide des transfusés contaminés sans qu'ils aient à établir l'existence d'une faute ne prive pas pour autant les victimes du droit d'agir parallèlement en justice pour rechercher la responsabilité des auteurs de leur préjudice et leur en demander réparation ;
Que les travaux parlementaires sont dépourvus d'ambiguïté sur ce point ;
Que notamment Monsieur Boulard, rapporteur du projet de loi à l~assemblée nationale a dit : "Le projet de loi instaure un nouveau régime de responsabilité...Il s'agit d'un régime de responsabilité pour risque c'est-à-dire ouvrant droit à une indemnisation sans qu'il soit nécessaire d'établir l'existence d'une faute, même si, bien entendu, la loi n'interdit pas d'en rechercher une" ;
Attendu certes que le paragraphe III de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 dispose que "la réparation intégrale des préjudices définis au paragraphe I est assuré par un fonds d'indemnisation";
Mais attendu que le terme "intégral" ne signifie pas que la personne contaminée est remplie de ses droits par l'indemnité qui lui est allouée par le fonds mais seulement que le fonds ne doit pas se borner à dispenser une réparation symbolique, forfaitaire ou provisionnelle ;
Qu'ainsi après avoir été indemnisée par le fonds selon des critères qui lui sont propres, la victime conserve un intérêt à agir en justice pour soumettre à son juge naturel une demande d'indemnisation contre les personnes ou organisme qu'elle estime responsable de sa contamination ;
Attendu que la coexistence de deux actions parallèles ayant des fondements juridiques différents et qui se poursuit même après une décision positive du fonds est encore confirmée par le Décret du 12 juillet 1993 qui instaure un système d'information réciproque des juridictions de droit commun et du fonds et qui prévoit expressément que "lorsque la victime a accepté l'offre faite par le fonds, celui-ci adresse au Président de la juridiction copie des documents par lesquels ont eu lieu l'offre et l'acceptation" ;
Que cette disposition permet ainsi au juge de déduire le montant de l'offre accepté par la victime de la condamnation éventuellement prononcée contre le responsable et d'éviter une double indemnisation ;
Attendu que l'action engagée par Madame Bernage qui dispose d'un intérêt à agir est recevable ;
Que le jugement sera infirmé en ce sens ;
Sur l'imputabilité de la contamination à la transfusion du 20 mai 1983 :
Attendu que la preuve de l'imputabilité de la contamination par le virus VIH à la transfusion subie par la victime peut être rapportée par tous moyens et peut résulter notamment de présomptions graves, précises et concordantes ;
Attendu que Madame Bernage a reçu en 1983 une quantité massive de produits sanguins puisque lui ont été administrés 15 culots sanguins et 20 culots de plasmas frais congelés ;
Que cette transfusion est intervenue entre l'année 1978 début du développement de l'épidémie du SIDA aux Etats-Unis et en Europe et août 1985 date à laquelle des tests de dépistage du virus ont été systématiquement pratiqués sur les donneurs de sang ;
Qu'elle a donc été transfusée avec du sang provenant de nombreux donneurs pendant la période la plus critique ;
Attendu que Madame Bernage était âgée de 29 ans en 1983 ;
Qu'elle était mariée ;
Qu'elle est mère de 3 enfants ;
Que son mode de vie ne la fait pas rentrer dans la catégorie des personnes à risque ;
Attendu que si Madame Bernage était infirmière et, à ce titre, exposée à une contamination accidentelle dans l'exercice de son activité professionnelle, les risques présentés par une telle contamination sont infimes, mais surtout les documents produits et notamment le rapport d'expertise du Docteur Naegel montrent que Madame Bernage n'a présenté aucun autre antécédent médical que la transfusion incriminée avant la découverte de sa séropositivité en 1988, que les visites annuelles effectuées par la médecine du travail n'ont fait apparaître aucun trouble particulier et qu'elle n'a déclaré aucun accident du travail ;
Que dès lors aucune relation ne peut être établi entre la contamination de Madame Bernage par le VIH et son mode de vie ou son activité professionnelle ;
Attendu enfin que l'enquête post-transfusionnelle diligentée par le centre de transfusion a établi que le donneur du concentré de globules rouges n° 7442 transfusé à Madame Bernage s'est révélé être séropositif en 1989 ;
Que même s'il n'est pas démontré que cette séropositivité était antérieure à 1983, ce fait connu ajouté à d'autres faits connus tels que la non appartenance à une population à risque et la quantité des produits transfusés permet de conclure, en l'absence de tout autre facteur de risque, que la séropositivité n'a pas d'autre explication que les transfusions ;
Que le lien de causalité entre la transfusion et la contamination est ainsi établi ;
Sur la responsabilité :
Attendu que si le sang humain, substance hors du commerce, ne peut en application de l'article 1128 du Code civil faire l'objet de libres conventions, sa distribution "à des fins strictement thérapeutiques" est autorisée et réglementée par les articles L 666 et suivants du Code de la santé publique ;
Qu'il en résulte que si le don du sang doit être un acte bénévole, les produits sanguins ainsi recueillis qui sont conservés, transformés par séparation de leurs éléments constitutifs et conditionnés par le centre de transfusion puis redistribués, avec une contrepartie financière, même si celle-ci exclut toute notion de profit, à des établissements hospitaliers pour être administrés aux malades, deviennent une chose dans le commerce susceptible de faire l'objet d'un contrat de fourniture;
Qu'un tel contrat est alors totalement distinct de l'acte médical pour lequel il a été souscrit ;
Attendu que dans le cadre de cette convention le centre s'oblige à fournir un sang exempt de tout agent pathogène, c'est-à-dire à délivrer un produit conforme à l'usage auquel il est destiné et dont l'injection au malade doit avoir une effet bénéfique et non pas aggraver son état ;
Attendu qu'en fournissant un produit sanguin contaminé par le VIH le centre n'a pas exécuté son obligation de sécurité liée à la délivrance d'une chose conforme ;
Que s'agissant d'un vice interne du sang fourni, ne présentant pas le caractère d'extériorité de la force majeure, la nature indécelable du virus VIH à l'époque des faits ne permet pas au centre de s'exonérer de sa responsabilité ;
Que la responsabilité du centre est ainsi engagée;
Qu'il en est de même pour la Clinique du Petit Colmoulins qui, en tant que professionnel, devait administrer à son patient un produit sain ;
Attendu que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité du centre et de la clinique;
Sur le préjudice :
- Le préjudice moral
Attendu que Madame Bernage, mère de 3 enfants, a été contaminée par le VIH à l'âge de 29 ans ;
Qu'elle a connu sa séropositivité à l'âge de 34 ans et a ainsi appris, alors qu'elle était encore jeune, que son espérance de vie était fortement diminuée ;
Que sa contamination l'oblige à prendre de nombreuses précautions dans sa vie sociale, familiale et conjugale ;
Qu'elle suit un traitement qui l'oblige à se rendre tous les 15 jours dans un établissement hospitalier et présente une pathologie respiratoire chronicisée invalidante ;
Que les troubles qu'elle subit et les souffrances qu'elle endure sont très importants ;
Que s'y ajoute le fait que son troisième enfant né en 1988 a présenté des traces de séropositivité à sa naissance et n'a été contrôlé séronégatif qu'à l'âge de 18 mois ;
Que pendant toute cette période Madame Bernage a vécu avec le sentiment de culpabilité d'avoir contaminé son enfant et d'avoir donné la mort au lieu de donner la vie ;
Attendu que cet ensemble d'éléments, le dernier n'étant pas le moins important, permet de fixer à la somme de 1 800 000 F l'indemnité destinée à réparer le préjudice non économique subi par Madame Bernage ;
Que de cette somme doit être déduite l'indemnité versée par le fonds d'indemnisation soit 1 646 000 F;
Qu'il lui revient ainsi une somme de 154 000 F;
Attendu que la CPAN justifie des frais médicaux et d'hospitalisation qu'elle a supportés ;
Qu'il sera fait droit à sa demande ;
- Le préjudice économique
Attendu que, par application de l'article 568 du NCPC, il est de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive quant à l'appréciation du préjudice économique subi par Madame Bernage, au vu du rapport de l'expert missionné par les premiers juges ;
Attendu que Madame Bernage a demandé et obtenu sa mise à la retraite anticipée à compter du 1er juillet 1992 ;
Attendu que le Docteur Naegel conclut ainsi son rapport d'expertise :
1°) Bien que Madame Bernage ait été médicalement apte à poursuivre ses activités professionnelles au- delà du 1er juillet 1992, on peut raisonnablement considérer que la connaissance de son état de santé et les risques infectieux qu'elle encourait en poursuivant ses activités professionnelles ont joué un rôle important sinon unique dans sa prise de décision de mise en retraite.
2°) On peut considérer que pendant la période du 19 mai 1988 au 1er décembre 1992, la séropositivité n'a pas entraîné de gêne fonctionnelle réalisant une incapacité permanente partielle mais que depuis le 1er décembre 1992, existe une incapacité temporaire partielle personnelle de 50 % actuellement toujours en cours pour une durée indéterminée".
Qu'il précise qu'"il est certain qu'après la date du 1er juillet 1992, l'immuno déficience de l'intéressée était importante et qu'elle l'exposait aux risques de surinfection opportuniste. On peut raisonnablement considérer que le type d'activité professionnelle et le lieu de travail entraînaient une augmentation du risque de contamination" même si les complications infectieuses respiratoires ont débuté en décembre 1992 à une époque où Madame Bernage n'exerçait plus d'activité professionnelle ;
Attendu que l'expert affirme encore que "l'état de santé de Madame Bernage à compter du mois de décembre 1992 était incompatible avec la poursuite des activités professionnelles et que si elle avait encore été en activité à cette époque elle aurait été dans l'obligation d'arrêter son travail" ;
Attendu que Madame Bernage exerçait la profession d'infirmière ;
Que cette profession nécessite non seulement un bon état de santé physique mais un équilibre psychologique certain ;
Qu'au 1er juillet 1992 même si Madame Bernage était physiquement apte à poursuivre son travail, l'état d'esprit dans lequel elle se trouvait, directement lié à sa séropositivité, lui interdisait psychologiquement d'exercer une activité para médicale qui non seulement aggravait pour elle les risques de surinfection mais pouvait l'amener à contaminer accidentellement des tiers ;
Que l'évolution de l'état de santé de Madame Bernage qui, au mois de décembre 1992, était devenu incompatible avec une activité professionnelle confirme a posteriori que la demande de mise à la retraite anticipée par Madame Bernage a pour cause unique sa séropositivité ;
Que dès lors le préjudice économique qui en est résulté pour elle doit être réparé par le centre de transfusion et la clinique ;
Attendu que Madame Bernage percevait un salaire mensuel de 9 500 F ;
Que sa pension de retraite s'élève à 3 250 F par mois ;
Que compte tenu de son âge et de son espérance de vie, son préjudice économique doit être évalué à 400 000 F ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame Bernage les frais irrépétibles qu'elle a exposés ;
Par ces motifs : LA COUR, Joint les procédures n° 2428-93 et n° 2866-93 ; Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de Madame Bernage en réparation de son préjudice moral ; Déclare cette demande recevable ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable Madame Bernage en sa demande en réparation de son préjudice économique et professionnel, déclaré l'Association pour la Gestion du Poste de Transfusion Sanguine du Havre et la Clinique du Petit Colmoulins responsables in solidum des dommages résultant pour Madame Bernage de la transfusion sanguine qu'elle a subi le 20 mai 1983 ; Y ajoutant et statuant notamment par application de l'article 568 du NCPC ; Fixe à la somme d'un million huit cent mille francs (1 800 000 F) le préjudice moral subi par Madame Bernage ; Constate qu'elle a perçu de ce chef une indemnité d'un million six cent quarante six mille francs (1 646 000 F) ; Condamne in solidum l'Association pour la Gestion du Poste de Transfusion Sanguine du Havre et la Clinique du Petit Colmoulins à payer à Madame Bernage les sommes de cent cinquante quatre mille francs (154 000 F) au titre de son préjudice moral ; quatre cent mille francs (400 000 F) au titre de son préjudice économique ; huit mille francs (8 000 F) par application de l'article 700 du NCPC ; Condamne les mêmes in solidum à payer à la CPAM du Havre la somme de quarante quatre mille sept cent quatre vingt huit francs quatre vingt quinze centimes (44 788,95 F) sous réserves de ses débours ultérieurs; Condamne in solidum l'Association pour la Gestion du Poste de Transfusion Sanguine du Havre et la Clinique du Petit Colmoulins aux dépens de première instance et d'appel. Dit que ces derniers seront recouvrés par la SCP Gallière-Lejeune et Maître Reybel, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.