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Décisions

CJCE, 2 février 1988, n° 67-85

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kwekerij Gebroeders van der Kooy BV (SARL), Van Vliet, Royaume des Pays-Bas

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mackenzie

Présidents de chambre :

MM. Bosco, Due, Moitinho de Almeida

Avocat général :

M. Gordon Slynn

Juges :

MM. Koopmans, Everling, Bahlmann, Galmot, Kakouris, Joliet, Schockweiler

Avocat :

Me Braakman

CJCE n° 67-85

2 février 1988

LA COUR:

1. Par trois requêtes déposées au greffe de la Cour les 15 et 16 mars 1985, la Kwekerij Gebroeders van der Kooy BV, société à responsabilité limitée ayant son siège à Zevenhuizen, et J. W. Van Vliet, horticulteur, domicilié à Uithoorn, le Landbouwschap, organisme de droit public ayant son siège à la Haye, et le Royaume des Pays-Bas ont introduit, en vertu de l'article 173, alinéas 1 et 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision 85- 215 de la Commission, du 13 février 1985, relative au tarif préférentiel du gaz naturel à l'égard des horticulteurs néerlandais (JO L. 97, p. 49).

2. A l'article 1er de la décision précitée, la Commission a constaté que "l'aide que représente le tarif préférentiel du gaz naturel appliqué aux Pays-Bas pour l'horticulture sous serres chauffées, à partir du 1er octobre 1984, est incompatible avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité CEE et doit être supprimée". L'article 2 de la décision prévoit que "les Pays-Bas communiquent à la Commission, avant le 15 mars 1985, les mesures qu'ils ont prises pour se conformer aux dispositions de l'article 1er".

3. Dans la motivation de cette décision, la Commission exposait qu'aux Pays-Bas les tarifs du gaz naturel pour les horticulteurs sous serres font l'objet d'accords entre, d'une part, la NV Nederlandse Gasunie de Groningen, entreprise de droit privé dont le capital est détenu à 50 %, directement ou indirectement, par l'Etat néerlandais et, pour le reste, par deux compagnies pétrolières privées, et, d'autre part, le Landbouwschap, organisme de droit public institué pour assurer dans le secteur agricole la protection des intérêts communs des opérateurs dans le respect de l'intérêt général. Participe à ces accords également la Vereniging van Exploitanten van Gasbedrijven in Nederland (Vegin), association regroupant les sociétés locales de distribution du gaz.

4. Les tarifs ainsi négociés, comme tous les tarifs pratiqués par Gasunie, sont soumis, depuis 1963, conformément à une convention, à l'approbation du ministre des Affaires Economiques.

5. Déjà en 1981, la Commission avait considéré que le tarif horticole en vigueur à l'époque constituait un tarif préférentiel en prévoyant des conditions particulièrement avantageuses pour les horticulteurs établis aux Pays-Bas. Elle avait, en conséquence, constaté, par sa décision 82-73, du 15 décembre 1981 (JO L. 37, p. 29), qu'il s'agissait d'une aide incompatible avec l'article 92 du traité CEE et avait imposé aux Pays-Bas de la supprimer.

6. A la suite de cette décision, qui avait entre-temps fait l'objet de trois recours en annulation aux termes de l'article 173 du traité CEE, un nouveau tarif fut négocié. Ce tarif, qui recueillit l'approbation de la Commission, comportait un alignement du tarif horticole sur le tarif appliqué à l'industrie (et plus précisément sur le tarif industriel, dit "d") avec une majoration de 0,5 cent par m3. Il était en outre assorti d'une clause de révision trimestrielle analogue à celle en vigueur pour l'industrie et était applicable du 1er avril 1983 au 30 septembre 1984.

7. L'adoption de ce nouveau tarif entraînait l'abrogation de la décision 82-73 et le désistement des parties requérantes dans les recours introduits contre elle.

8. Le 28 septembre 1984, un nouveau contrat de tarification a été conclu entre Gasunie, Vegin et le Landbouwschap pour la période du 1er octobre 1984 au 1er octobre 1985. Le nouveau tarif prévoit essentiellement l'application à l'horticulture du prix du gaz correspondant au niveau moyen de 1983, majoré d'un pourcentage fixe de 10 %. De ce fait, le prix du gaz est plafonné à 42,5 cents/m3.

9. A l'encontre de ce nouveau tarif, que le Gouvernement néerlandais lui a notifié par lettre du 4 octobre 1984, la Commission a ouvert la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité et a finalement adopté la décision 85-215, attaquée en l'espèce.

10. Par requêtes parvenues au greffe de la Cour respectivement le 24 avril, le 25 avril et le 21 juin 1985, les Gouvernements du Royaume de Danemark, de la République fédérale d'Allemagne et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ont demandé à intervenir dans les présentes affaires, à l'appui des conclusions de la Commission. Par ordonnances des 8 mai, 26 juin et 18 septembre 1985, la Cour a admis lesdites interventions.

11. Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la recevabilité

I - affaire 67-85

12. La Commission soutient que le recours introduit par la société van der Kooy et par M. Van Vliet n'est pas recevable aux termes de l'article 173, alinéa 2. A cet effet, elle souligne que l'aide contestée dans la décision 85-215 favorise tous les horticulteurs néerlandais utilisant du gaz naturel pour chauffer leurs serres. S'agissant d'une aide bénéficiant à une catégorie très large d'opérateurs, les horticulteurs requérants ne sauraient être considérés comme concernés individuellement par la décision de la Commission demandant la suppression de cette aide.

13. En vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité, la recevabilité d'un recours en annulation introduit par un particulier contre une décision dont il n'est pas le destinataire est subordonnée à la condition que la partie requérante soit directement et individuellement concernée par cette décision. En l'espèce, la société van der Kooy et M. Van Vliet n'étant pas parmi les destinataires de la décision litigieuse, il y a lieu d'examiner s'ils sont néanmoins concernés directement et individuellement par cette décision.

14. A cet égard, il y a lieu de rappeler, ainsi que la Cour l'a déjà constaté (voir, notamment, arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann, 25-62, rec. P. 197, et du 14 juillet 1983, Spijker, 231-82, rec. P. 2559), que des tiers ne sauraient être concernés individuellement par une décision adressée à une autre personne que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire.

15. Tel n'est pas le cas en l'espèce. La décision litigieuse concerne les requérants en raison de leur seule qualité objective d'horticulteurs établis aux Pays-Bas, admis à bénéficier du tarif préférentiel de gaz au même titre que tout autre horticulteur se trouvant dans la même situation. La décision se présente donc, à leur égard, comme une mesure de portée générale qui s'applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l'égard d'une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite. Dès lors, les requérants ne peuvent pas être considérés comme individuellement concernés par la décision litigieuse.

16. Pour ces raisons, le recours dans l'affaire 67-85 doit être déclare irrecevable.

II - affaire 68-85

17. La Commission soulève également une exception d'irrecevabilité à l'égard du recours présente par le Landbouwschap.

18. A son avis, à supposer même que le Landbouwschap ait agi en tant que représentant des horticulteurs dans les négociations tarifaires avec Gasunie, un organisme constitue pour promouvoir les intérêts collectifs d'une catégorie de justiciables ne saurait être considéré comme concerné directement et individuellement, au sens de l'article 173, alinéa 2, par un acte affectant les intérêts généraux de cette catégorie (voir arrêts de la Cour du 18 mars 1975, union syndicale, 72-74, rec. P. 401, et du 28 mars 1982, groupement des agences de voyages, 135-81, rec. P. 3879).

19. Cette exception ne saurait être retenue.

20. Il y a lieu, d'abord, de constater que, contrairement à ce qui a été soutenu par la Commission, le Landbouwschap agit en matière de tarifs du gaz en tant que représentant des organisations d'horticulteurs.

21. S'il est vrai que le Landbouwschap ne saurait être considéré comme directement et individuellement concerné par la décision 85-215 en tant que bénéficiaire de l'aide litigieuse, il n'en reste pas moins que, comme cet organisme l'a fait valoir à juste titre, sa position est affectée par la décision 85-215 en sa qualité de négociateur des tarifs du gaz dans l'intérêt des horticulteurs.

22. Il y a lieu d'observer, en outre, qu'en cette qualité le Landbouwschap a participé activement à la procédure en vertu de l'article 93, paragraphe 2, en soumettant des observations écrites à la Commission et en se maintenant en contact étroit avec les services compétents tout au long de la procédure.

23. Le Landbouwschap, enfin, figure parmi les signataires de l'accord ayant établi le tarif contesté par la Commission et, à ce titre, est mentionné à plusieurs reprises dans la décision 85-215. Toujours à ce titre, il a été obligé, pour mettre à exécution cette décision, d'entamer de nouvelles négociations tarifaires avec Gasunie et de conclure un nouvel accord.

24. Il faut donc conclure que, au vu des circonstances de l'espèce, le Landbouwschap était en droit de présenter un recours en annulation aux termes de l'article 173, alinéa 2, contre la décision 85-215 de la Commission.

25. Il s'ensuit que l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission dans l'affaire 68-85 doit être rejetée.

Sur le fond

26. A l'encontre de la décision 85-215, le Landbouwschap et le Royaume des Pays-Bas développent, dans leurs recours, plusieurs moyens qui peuvent être ainsi résumés:

- violation de l'article 92 du traité;

- violation des formes substantielles;

- insuffisance de la motivation.

I - quant au moyen tiré de la violation de l'article 92

27. Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l'article 92, paragraphe 1, "sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat, sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions".

28. Il convient d'observer, à titre liminaire, que la présente affaire soulève le problème de savoir si le tarif d'une source d'énergie, fixé à un niveau inférieur à celui qui aurait été normalement choisi, peut être qualifié d'aide lorsque sa fixation est imputable à un comportement de l'Etat membre concerné et que les autres conditions posées par l'article 92 sont réunies. Dans une telle situation, l'Etat ou l'entité qu'il influence n'applique pas le tarif comme un opérateur économique ordinaire, mais l'utilise pour faire bénéficier les consommateurs d'énergie, à l'instar de certaines entreprises à qui il octroie une aide, d'un avantage pécuniaire en renonçant au profit qu'il pourrait normalement réaliser. En l'espèce, les parties requérantes ont reconnu qu'un tarif avantageux applicable à une certaine catégorie d'entreprises peut constituer une mesure d'aide, mais elles contestent que cela soit le cas du tarif litigieux.

29. A cet égard, il faut rappeler que ce tarif était uniquement applicable aux entreprises engagées dans l'horticulture sous serres chauffées. Dans cette branche d'activités, les frais de chauffage constituent un élément important des coûts de production. Si, dans de telles circonstances, le tarif applicable à ces entreprises montre une évolution à la baisse qui ne trouve pas de parallèle dans l'évolution des tarifs applicables aux entreprises ne relevant pas de la même branche d'activité, cette constatation fournit une indication de nature à emporter, en principe, la conviction que le tarif préférentiel constitue une mesure d'aide.

30. Cela ne serait pas le cas, cependant, s'il était démontré que le tarif préférentiel en cause est, dans le contexte du marché concerné, objectivement justifié par des raisons économiques, telles que la nécessité de lutter contre la concurrence exercée sur ce marché par d'autres sources d'énergie, dont le prix serait compétitif par rapport au prix de la source d'énergie considérée. Pour apprécier le caractère réel de cette concurrence, il y a lieu de tenir compte non seulement du niveau respectif des prix, mais aussi des coûts nécessaires pour se convertir à une nouvelle source d'énergie, tels que les coûts de remplacement et d'amortissement des équipements de chauffage.

31. C'est à la lumière de ces considérations qu'il y a lieu d'examiner les arguments des requérants. Ceux-ci ont contesté, en particulier, les conclusions de la Commission concernant les questions de savoir si:

- la fixation du tarif litigieux résulte d'un comportement de l'Etat néerlandais;

- ce tarif est inférieur à celui qui aurait été nécessaire pour tenir compte du risque de conversion au charbon;

- la fixation de ce tarif affecte les échanges entre Etats membres et fausse la concurrence.

1. Sur la question de savoir si le tarif litigieux résulte d'un comportement de l'Etat néerlandais

32. Les requérants soutiennent, en premier lieu, que, contrairement à ce que la Commission expose dans sa décision, le tarif litigieux n'a pas été imposé par l'Etat néerlandais et ne peut donc pas être qualifié d'"aide accordée par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat".

33. A cet égard, ils font valoir, d'une part, que Gasunie est une société de droit privé dans laquelle l'Etat néerlandais ne dispose que de 50 % du capital et, d'autre part, que le tarif est le résultat d'un accord de droit privé conclu entre Gasunie, Vegin et le Landbouwschap et auquel l'Etat néerlandais est étranger.

34. Quant au fait, relevé par la Commission, que le ministre des Affaires Economiques dispose d'un droit d'approbation sur les tarifs pratiqués par Gasunie, il ne s'agirait, selon le Gouvernement néerlandais, que d'un simple pouvoir de contrôle a posteriori, portant exclusivement sur la conformité de ces tarifs aux objectifs de la politique énergétique des Pays-Bas.

35. Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, les arrêts du 22 mars 1977, Steinike, 78-76, rec. P. 595, et du 30 janvier 1985, Commission/France, 290- 83, rec. P. 439), il n'y a pas lieu de distinguer entre les cas où l'aide est accordée directement par l'Etat et ceux où l'aide est accordée par des organismes publics ou privés que l'Etat institue ou désigne en vue de gérer l'aide. En l'occurrence, plusieurs éléments du dossier font apparaître que la fixation du tarif litigieux était le résultat d'un comportement imputable à l'Etat néerlandais.

36. Premièrement, la structure de l'actionnariat de Gasunie est telle que l'Etat néerlandais détient directement ou indirectement 50 % des actions et dispose de la moitié des commissaires siégeant au conseil des commissaires, organe qui est, entre autres, compétent pour définir les tarifs à appliquer. Deuxièmement, le ministre des Affaires Economiques dispose du pouvoir d'approbation des tarifs appliqués par Gasunie, ce qui implique, quelle que soit la façon dont ce pouvoir est exercé, la possibilité pour le Gouvernement néerlandais de faire obstacle à un tarif qui ne lui conviendrait pas. Enfin, à deux reprises, les interventions de la Commission auprès du Gouvernement néerlandais, visant à obtenir une modification du tarif pour les horticulteurs, ont reçu une suite favorable de la part de Gasunie et du Landbouwschap. Cela a été le cas, en premier lieu, suite à la décision 82-73 de la Commission, ultérieurement abrogée, et une seconde fois suite à la décision 85-215, attaquée dans la présente affaire.

37. Ces éléments, considérés dans leur ensemble, démontrent que, dans le domaine de la fixation des tarifs du gaz, Gasunie ne dispose nullement d'une pleine autonomie, mais agit sous le contrôle et les directives des pouvoirs publics. Dès lors, il est établi que Gasunie ne pouvait pas fixer ce tarif sans tenir compte des exigences des pouvoirs publics.

38. Cette constatation suffit pour conclure que la fixation du tarif litigieux résulte d'un comportement de l'Etat néerlandais et est donc susceptible de rentrer dans la notion d'aide accordée par un Etat membre aux termes de l'article 92 du traité.

2. Sur la question de savoir si le tarif litigieux est inférieur à celui qui aurait été nécessaire pour tenir compte du risque de conversion au charbon

39. Les requérants soutiennent que le tarif résultant de l'accord entre Gasunie, le Landbouwschap et Vegin était tout à fait justifié du point de vue commercial et que, dès lors, il ne contient aucun élément d'aide au sens de l'article 92.

40. Pour pouvoir apprécier le bien-fondé de ce grief, il convient de rappeler que, en plafonnant à 42,5 cents/m3 le prix du gaz pour les horticulteurs, le tarif litigieux a eu pour effet de faire baisser de plusieurs cents le prix du gaz par rapport au prix qui serait résulté de l'application du tarif en vigueur avant le 1er octobre 1984. En effet, ainsi qu'il a été expliqué à l'audience par l'agent de la Commission, le prix du gaz aurait atteint, selon l'ancien tarif, 48,5 cents/m3 en valeur moyenne pendant les trois premiers trimestres de 1985.

41. Selon les requérants, le choix de limiter la hausse du prix du gaz provoquée par la hausse du prix des produits pétroliers était essentiellement justifiée par la nécessité de parer au risque que les horticulteurs ne convertissent leurs installations de chauffage au charbon, produit dont le prix avait sensiblement baissé dans les derniers temps. Ce risque aurait obligé Gasunie à plafonner le prix du gaz à un niveau approprié pour tenir compte de la concurrence du charbon.

42. Sans contester en soi l'argument tiré du risque de conversion au charbon, la Commission relève, dans sa décision, que ce risque se poserait aussi pour d'autres secteurs fortement tributaires du gaz, tels que l'industrie. Toutefois, pour ce secteur, aucune mesure de modération du prix du gaz n'a été prise qui soit comparable au plafonnement réalisé pour les horticulteurs. Cette différence de traitement entre l'industrie et l'horticulture démontrerait que le tarif litigieux ne serait pas justifié par la volonté de lutter contre la concurrence du charbon.

43. cet argument n'est pas pertinent.

44. En effet, il faut tenir compte de ce que, aux dires mêmes de la Commission (point III.6 de la décision 85-215), à un prix du gaz se situant entre 46,5 et 47,5 cents/m3, "il est escompté que 30 % du gaz naturel consommé dans le secteur horticole serait remplacé par du charbon en moins de trois ans". Il découle de cette constatation de la Commission que, sans qu'il soit besoin d'examiner si, et dans quelle mesure, un tel risque de conversion au charbon se posait aussi dans le secteur industriel, Gasunie, en tenant compte de ce risque, n'aurait pas pu appliquer de façon généralisée un prix du gaz pour l'horticulture dépassant le seuil de 46,5- 47,5 cents/m3 indique par la Commission.

45. La Commission soutient encore, dans sa décision, que le niveau auquel le prix du gaz a été plafonné par le tarif litigieux, à savoir 42,5 cents/m3, est inférieur au niveau nécessaire pour parer au risque de conversion au charbon en horticulture.

46. A cet égard, il convient de relever que les chiffres indiqués tant dans le rapport du LEI (institut d'économie agricole), établi en janvier 1985 et annexé aux requêtes, que dans le rapport GFE (société belge de gestion d'énergie), annexe au mémoire en défense de la Commission, font apparaître que le prix de 42,5 cents/m3, choisi comme plafond par le tarif litigieux, n'était pas justifié par le risque de conversion au charbon.

47. En effet, le rapport du LEI laisse clairement entendre, dans ses conclusions, que la conversion au charbon ne représenterait une option praticable et rentable qu'à un prix du gaz supérieur à 45 cents/m3. Pour certaines catégories d'entreprises, ce prix atteint 50 cents/m3, alors qu'en moyenne, il est autour de 46-47 cents/m3. Ce n'est que pour les entreprises ne disposant pas d'un condenseur, ou encore pour celles ne disposant ni d'un condenseur ni d'un appareil pour le dosage du CO2, que le prix d'équilibre, c'est-à-dire le prix auquel les horticulteurs décideraient de ne pas se convertir au charbon, est évalué entre 40,4 et 41,2 cents/m3.

48. Quant au rapport du GFE présenté par la Commission et repris largement dans la décision attaquée, les calculs sur lesquels il se base font apparaître qu'au prix actuel de 42,5 cents/m3 la conversion au charbon reste dans des limites négligeables, alors qu'à un prix de 45 cents/m3 cette conversion toucherait 1,5 % de la consommation totale de gaz en horticulture. Ce n'est qu'à un prix situé entre 46,4 et 47,4 cents/m3 que la conversion deviendrait importante, puisqu'elle affecterait 27 % de la consommation totale de gaz en horticulture. Il est à signaler que ces prix sont calculés par le GFE en partant de l'hypothèse d'une exploitation équipée d'une chaudière à gaz avec condenseur.

49. Il ressort de ces calculs que, tout au moins pour les exploitations disposant d'un condenseur, un mouvement important de conversion au charbon ne se produirait qu'à un prix du gaz autour de 46-47 cents/m3 et, en tout cas, supérieur à 45 cents/m3.

50. Il reste à examiner le cas des exploitations horticoles ne disposant pas d'un condenseur, pour lesquelles le LEI indique des prix d'équilibre situés entre 40,4 et 41,2 cents/m3. En effet, si la position des exploitations de ce type était à considérer comme importante et représentative, la décision de Gasunie d'aligner son tarif sur les prix de conversion valables à l'égard de ces exploitations et de retenir un plafond de 42,5 cents/m3 pourrait être considérée comme commercialement justifiée.

51. A cet égard, les requérants ont exposé des données visant à démontrer que les exploitations ne disposant d'aucun condenseur représenteraient la catégorie la plus importante aux Pays-Bas. Bien que les données fournies par le Landbouwschap indiquent que, parmi les 8 174 exploitations opérant dans cet Etat, 4 502 n'auraient aucun condenseur, le Gouvernement néerlandais a précisé que tel serait le cas pour 39 % seulement des exploitations.

52. Ces données n'expliquent toutefois pas pourquoi Gasunie devrait décider d'aligner son tarif horticole général sur les prix de conversion valables à l'égard du type d'exploitation le moins performant, alors que 61 % des exploitations seraient restées au gaz, même à des prix plus élevés.

53. D'autre part, si, comme il résulte du dossier, 60 % des exploitations sont appelées à remplacer leurs équipements de chauffage dans un proche avenir, il est à prévoir que le pourcentage d'exploitations ne disposant pas d'un condenseur diminuera, étant donné que nombre d'horticulteurs s'orienteront vers un système de chauffage plus moderne et relativement plus cher que l'actuel.

54. Il s'ensuit que, tout au moins à moyen terme, la situation des exploitations non équipées de condenseur est destinée à devenir marginale, de sorte qu'il n'aurait pas été commercialement justifié pour Gasunie de fixer son tarif pour l'horticulture sur la base de la situation de ces entreprises.

55. Dans ces conditions, il faut conclure que c'est à juste titre que la décision 85-215 a considéré que le tarif litigieux était plus bas que celui qui aurait été nécessaire pour tenir compte du risque de conversion au charbon.

3. Sur la question de savoir si le tarif litigieux affecte les échanges entre Etats membres et fausse la concurrence

56. Les requérants contestent, en dernier lieu, que l'aide contenue dans le tarif litigieux affecte les échanges entre Etats membres et fausse ou menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Ils font valoir, à cet égard, que l'augmentation de la part du marché communautaire des fruits et légumes détenue par les horticulteurs néerlandais est due à d'autres facteurs, tels la spécialisation dans la production, le respect de normes de qualité très sévères, la présentation uniforme de l'emballage, le très haut niveau de connaissances, le haut degré de coopération et une offre de produits s'étalant pendant toute l'année.

57. Sans contester que les facteurs susmentionnés puissent avoir joué un rôle important dans la progression enregistrée au cours des dernières années par les exportations néerlandaises vers les autres Etats membres de la communauté, il suffit de constater que, grâce à l'aide contenue dans le tarif litigieux, une partie importante des horticulteurs néerlandais a pu bénéficier d'une réduction de l'ordre d'au moins 2,5 cents par m3 de gaz consommé, ce qui correspond à une réduction du prix du gaz d'environ 5,5 %.

58. Un avantage de cet ordre de grandeur est susceptible de fausser la concurrence à l'intérieur du marché commun, tant en raison du volume total de gaz utilisé par les horticulteurs néerlandais (2,5 milliards de m3 par an) qu'en raison du fait que, selon les informations résultant du dossier, les coûts énergétiques représentent 25 à 30 % des coûts totaux d'exploitation en horticulture sous serres. Dès lors, une réduction d'environ 5,5 % du prix du gaz accordée par les pouvoirs publics se répercute de façon sensible sur les coûts totaux d'exploitation et entraîne une baisse artificielle des prix des produits en question.

59. Quant à la question de savoir si l'aide litigieuse affecte les échanges entre Etats membres, comme l'ont soutenu tant la Commission que les parties intervenantes, il convient de relever que les chiffres exposés par la Commission dans sa décision 85-215 et non contestés par les requérants démontrent que cette condition est remplie en l'espèce. Il ressort, en effet, de ces chiffres que les Pays-Bas assurent actuellement 65 % de la production communautaire sous serres chauffées de tomates, dont 91 % sont exportées (55 % de ce chiffre vers la seule République fédérale d'Allemagne). De même, les Pays-Bas produisent 75 % de la production communautaire sous serres chauffées de cornichons et concombres, dont 68 % sont exportés (73 % de ce chiffre vers la seule République fédérale d'Allemagne).

60. Dans ces conditions, c'est à juste titre que la Commission a conclu, dans la décision 85- 215, que l'aide litigieuse affecte les échanges intracommunautaires et fausse la concurrence en faveur des horticulteurs néerlandais.

61. Des considérations qui précèdent, il résulte que le moyen tiré de la violation de l'article 92 du traité n'est pas fondé.

II -quant au moyen tiré de la violation des formes substantielles

62. Le Gouvernement néerlandais fait valoir que la décision 85-215 ne précise pas quelle partie du tarif litigieux constitue une aide et, plus précisément, n'indique pas quel prix du gaz serait, de l'avis de la Commission, commercialement justifié et, par conséquent, exempt de tout élément d'aide. Selon le Gouvernement, en omettant d'apporter ces précisions, la Commission aurait violé une forme substantielle.

63. Ce moyen ne saurait être retenu.

64. En effet, la Commission a indiqué clairement, dans sa décision, que l'aide en cause était due au niveau excessivement bas auquel avait été fixé le tarif du gaz pour les horticulteurs applicable à partir du 1er octobre 1984.

65. Dans ces conditions, le Gouvernement néerlandais n'a pu éprouver aucune difficulté pour comprendre que, pour donner exécution à cette décision, il lui fallait relever ce tarif.

66. Quant au fait que la Commission n'a pas indiqué avec précision à quel niveau le tarif devait être relevé pour que tout élément d'aide disparaisse, il suffit de constater que l'absence d'une telle précision ne comporte pas, contrairement à ce que soutient le Gouvernement néerlandais, l'impossibilité de donner exécution à la décision 85-215, mais laisse seulement ouverte la question de savoir si les mesures concrètement adoptées par le Gouvernement néerlandais en l'espèce constituent ou non une exécution suffisante de ladite décision.

67. Une telle question est toutefois étrangère à l'objet du présent litige, celui-ci étant limité au contrôle de la conformité au traité de la décision 85-215 et non pas des mesures adoptées pour son exécution.

68. Le moyen tiré de la violation des formes substantielles doit, dès lors, être rejeté.

III - quant au moyen tiré de l'insuffisance de la motivation

69. Par ce moyen, le Gouvernement néerlandais reproche à la Commission de ne pas avoir exposé les raisons pour lesquelles elle n'a pas suivi, dans sa décision, les chiffres et calculs qu'il avait fournis pour justifier le tarif litigieux.

70. En outre, le Gouvernement néerlandais, soutenu par le Landbouwschap, fait valoir que la décision 85-215 est insuffisamment motivée en ce qui concerne l'affectation du commerce intracommunautaire et le préjudice à la concurrence.

71. Il convient, à titre liminaire, de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour (voir, en dernier lieu, l'arrêt du 22 janvier 1986, Eridania, 250-84, rec. P. 134), la motivation exigée par l'article 190 du traité doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et doit faire apparaître, de façon claire et non-équivoque, le raisonnement de l'institution qui en est l'auteur, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d'exercer son contrôle.

72. Quant à la première critique formulée par le Gouvernement néerlandais, il faut admettre qu'effectivement la Commission n'expose pas les raisons l'ayant conduite à ne pas suivre les chiffres et calculs fournis par le Gouvernement néerlandais au cours de la procédure aux termes de l'article 93, paragraphe 2. Toutefois, une telle omission ne saurait s'analyser comme un défaut de motivation, du moment que la Commission, dans sa décision, a pris soin d'expliquer, avec suffisamment de détails et en indiquant les chiffres qu'elle a retenus, pourquoi elle estime que le tarif litigieux comporte un élément d'aide. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les intéressés ont été mis en mesure de connaître les justifications de la décision en cause et de faire valoir devant la Cour leur point de vue à cet égard.

73. La seconde critique émise par le Gouvernement néerlandais et par le Landbouwschap n'est pas non plus fondée.

74. En effet, comme il a été constaté ci-dessus, dans sa décision, la Commission a souligné, en citant des exemples appropriés, l'importance de la production horticole sous serres chauffées des Pays-Bas ainsi que celle des exportations néerlandaises de ces produits vers les autres Etats de la communauté. Quant au préjudice à la concurrence, la décision laisse ressortir avec clarté l'importance des coûts énergétiques dans les coûts totaux d'exploitation en horticulture, ce qui implique qu'une réduction de ces coûts est de nature à avoir des effets sur le prix de vente des produits en cause.

75. Ces explications sont de nature à renseigner de façon suffisante les intéressés sur les motifs ayant guidé la Commission dans sa décision.

76. Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation.

77. Aucun des moyens développés par les requérants n'ayant été retenu, il y a lieu de rejeter les recours dans les affaires 68 et 70-85.

Sur les dépens

78. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé en leur moyens, il y a lieu de les condamner solidairement aux dépens, y compris ceux exposés par la République fédérale d'Allemagne, seule partie intervenante à l'appui des conclusions de la Commission ayant conclu en ce sens.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1°) le recours dans l'affaire 67-85 est rejeté comme irrecevable.

2°) les recours dans les affaires 68 et 70-85 sont rejetés.

3°) les parties requérantes sont condamnées solidairement aux dépens, y compris ceux exposes par la République fédérale d'Allemagne, partie intervenante.