CJCE, 23 mai 2000, n° C-106/98 P
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Comité d'entreprise de la société française de production, Syndicat national de radiodiffusion et de télévision CGT, Syndicat unifié de radio et de télévision CFDT, Syndicat national Force ouvrière de radiodiffusion et de télévision, Syndicat national de l'encadrement audiovisuel CFE-CGC
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodríguez Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Edward, Sevón, Rapporteur : M. Schintgen
Avocat général :
M. Ruiz-Jarabo Colomer
Juges :
MM. Kapteyn, Gulmann, Puissochet, Hirsch, Jann, Ragnemalm, Wathelet
Avocat :
Me Masse-Dessen.
LA COUR :
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 15 avril 1998, le Comité d'entreprise de la société française de production, institution représentative du personnel, ainsi que le Syndicat national de radiodiffusion et de télévision CGT (SNRT-CGT), le Syndicat unifié de radio et de télévision CFDT (SURT-CFDT), le Syndicat national Force ouvrière de radiodiffusion et de télévision et le Syndicat national de l'encadrement audiovisuel CFE-CGC (SNEA-CFE- CGC), syndicats professionnels, tous organismes régis par le livre IV du Code du travail français, ont, en application de l'article 168 A du traité CE (devenu article 225 CE), formé un pourvoi contre l'ordonnance du Tribunal de première instance du 18 février 1998, Comité d'entreprise de la société française de production e.a./Commission (T-189-97, Rec. p. II-335, ci-après l'"ordonnance attaquée"), par laquelle le Tribunal a rejeté comme irrecevable leur recours tendant à l'annulation de la décision 97-238-CE de la Commission, du 2 octobre 1996, concernant l'aide octroyée par le Gouvernement français à la société de production audiovisuelle société française de production (JO 1997, L 95, p. 19, ci-après la "décision litigieuse").
Faits et procédure devant le Tribunal
2. Les faits qui sont à l'origine du pourvoi, tels qu'ils ressortent des points 1 à 9 de l'ordonnance attaquée, sont les suivants.
3. La société française de production (ci-après la "SFP") est une société contrôlée par les autorités publiques françaises, dont l'activité principale est la production et la transmission de programmes pour la télévision.
4. Par décisions des 27 février 1991 et 25 mars 1992, la Commission a autorisé deux versements d'aides par les autorités françaises à la SFP, intervenus de 1986 à 1991, portant sur un montant total de 1 260 millions de FRF.
5. Par la suite, les autorités françaises ont procédé à de nouvelles interventions en faveur de la SFP, lui versant 460 millions de FRF en 1993 et 400 millions de FRF en 1994. S'estimant pénalisées par les prix peu élevés que l'aide reçue par la SFP permettait à celle-ci de pratiquer, plusieurs sociétés concurrentes ont déposé, le 7 avril 1994, une plainte devant la Commission.
6. Par décision du 16 novembre 1994, celle-ci a ouvert la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE) en ce qui concerne les deux dernières aides versées en 1993 et 1994, et, par communication 95-C 80-04 (JO 1995, C 80, p. 7), a invité le Gouvernement français et les parties intéressées à présenter leurs observations. Elle a invité en outre le Gouvernement français à lui fournir un plan de restructuration et à s'engager à ne pas mettre d'autres fonds publics à la disposition de la SFP sans son autorisation préalable. Les autorités françaises ont présenté leurs observations par lettre du 16 janvier 1995.
7. Par décision du 15 mai 1996, ayant donné lieu à la communication 96-C 171-03 (JO C 171, p. 3), la Commission a décidé d'étendre la procédure pour couvrir de nouvelles aides publiques, d'un montant de 250 millions de FRF, dont le versement avait été annoncé par les autorités françaises le 19 février 1996.
8. Aucune observation des autres États membres ou des autres intéressés n'a été reçue par la Commission à la suite de l'ouverture de la procédure.
9. Le 2 octobre 1996, la Commission a adopté la décision litigieuse. Dans cette décision, elle a considéré que l'aide en cause, résultant des versements successifs effectués pendant la période 1993-1996, d'un montant total de 1 milliard 110 millions de FRF, était illégale, car accordée en violation de la procédure de notification préalable prévue à l'article 93, paragraphe 3, du traité. Elle a estimé que cette aide était incompatible avec le Marché commun, dès lors qu'elle ne pouvait bénéficier de l'une des dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 3, sous c) et d), du traité CE [devenu, après modification, article 87, paragraphe 3, sous c) et d), CE]. En conséquence, elle a ordonné au Gouvernement français de procéder au recouvrement de l'aide, augmentée d'un intérêt entre la date de son octroi et la date de son remboursement.
10. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 juin 1997, le comité d'entreprise de la SFP, le Syndicat national de radiodiffusion et de télévision CGT, le Syndicat unifié de radio et de télévision CFDT, le Syndicat national Force ouvrière de radiodiffusion et de télévision et le Syndicat national de l'encadrement audiovisuel CFE-CGC ont introduit un recours en annulation à l'encontre de la décision litigieuse.
11. Par acte séparé, enregistré au greffe du Tribunal le 30 juillet 1997, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, sur laquelle les requérants ont déposé leurs observations le 25 septembre 1997.
Ordonnance attaquée
12. Le Tribunal a rejeté le recours en annulation comme irrecevable au motif que les requérants n'étaient pas directement et individuellement concernés par la décision litigieuse, au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, quatrième alinéa, CE).
13. S'agissant, en premier lieu, de savoir si les requérants sont individuellement concernés par la décision litigieuse, le Tribunal a d'abord rappelé, au point 34 de l'ordonnance attaquée, la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement, au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, que si la décision attaquée les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire.
14. En réponse à l'argument des requérants tiré de ses arrêts du 27 avril 1995, CCE de la société générale des grandes sources e.a./Commission (T-96-92, Rec. p. II-1213), et CCE de Vittel e.a./Commission (T-12-93, Rec. p. II-1247), le Tribunal a ensuite souligné, au point 36 de l'ordonnance attaquée, que, si, dans ces deux arrêts, il avait considéré que les représentants reconnus des travailleurs des entreprises concernées étaient individuellement concernés par l'opération, c'était en raison de leur désignation expresse, dans le règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1), parmi les tiers justifiant d'un intérêt suffisant pour être entendus par la Commission au cours de la procédure administrative, ce qui les caractérisait par rapport à tout autre tiers.
15. Le Tribunal a en revanche constaté, au point 37 de l'ordonnance attaquée, que, à la différence du domaine relatif au contrôle communautaire des opérations de concentration, il n'existe pas, dans le domaine des aides d'État, de dispositions réglementaires analogues à celles contenues dans le règlement n° 4064-89 reconnaissant expressément aux représentants reconnus des travailleurs des prérogatives d'ordre procédural. Le Tribunal en a conclu que les requérants ne sauraient utilement se prévaloir de cette dernière qualité pour faire valoir qu'ils sont individuellement concernés par la décision litigieuse.
16. Enfin, quant à l'argument des requérants tiré de ce que, dans le domaine des aides d'État, l'action de la Commission viserait à concilier les règles de concurrence avec des considérations d'ordre politique, de sorte que le contrôle de légalité devrait être effectué au regard, également, des objectifs sociaux du traité, le Tribunal a constaté, au point 38 de l'ordonnance attaquée, qu'il n'est pas de nature à démontrer que les requérants sont individuellement concernés par la décision litigieuse.
17. D'une part, après avoir rappelé, au point 39 de l'ordonnance attaquée, que les dispositions des articles 92 et 93 du traité ont pour objectif d'éviter que les interventions d'un État membre aient pour effet de fausser les conditions de concurrence dans le Marché commun, le Tribunal a relevé, au point 40, que, en vue d'apprécier si une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité est compatible ou non avec le Marché commun, la Commission peut, le cas échéant, prendre en compte également des considérations d'ordre social. Le Tribunal a ajouté que, dans le cadre de l'article 92, paragraphe 3, du traité, dont l'éventuelle application était examinée dans la décision litigieuse, la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation, dont l'exercice implique des évaluations d'ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire (arrêts du 14 février 1990, France/Commission, dit "Boussac", C-301-87, Rec. p. I-307, point 49, et du 15 mai 1997, TWD/Commission, C-355- 95 P, Rec. p. I-2549, point 26).
18. Le Tribunal en a conclu, au point 41 de l'ordonnance attaquée, que, eu égard à l'objectif de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité, qui est de permettre à la Commission, après avoir mis en demeure les intéressés de présenter leurs observations, d'avoir une information complète sur l'ensemble des données de l'affaire et de s'entourer de tous les avis nécessaires en vue de déterminer si l'aide soumise à son examen est compatible, ou non, avec le Marché commun (arrêts du 20 mars 1984, Allemagne/Commission, 84-82, Rec. p. 1451, point 13, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225-91, Rec. p. I-3203, point 16), il n'est pas exclu que des organismes représentant les travailleurs de l'entreprise bénéficiaire d'une aide puissent, en tant qu'intéressés au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité, présenter à la Commission leurs observations sur des considérations d'ordre social susceptibles, le cas échéant, d'être prises en compte par celle-ci.
19. Le Tribunal a toutefois considéré, au point 42 de l'ordonnance attaquée, que la seule circonstance que les requérants puissent être éventuellement considérés comme des intéressés au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité ne saurait suffire à les individualiser de manière analogue à l'État membre destinataire de la décision litigieuse. À cet égard, le Tribunal a relevé que les intéressés, au sens de cette disposition, sont non seulement l'entreprise ou les entreprises favorisées par une aide, mais aussi les personnes, entreprises ou associations professionnelles éventuellement affectées dans leurs intérêts par l'octroi de l'aide, notamment les entreprises concurrentes et les organismes professionnels (arrêts du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323-82, Rec. p. 3809, point 16, et Matra/Commission, précité, point 18). Le Tribunal a ajouté qu'il s'agit, en d'autres termes, d'un ensemble indéterminé de destinataires (arrêt Intermills/Commission, précité, point 16), de sorte que la seule qualité d'intéressé ne saurait suffire à individualiser les requérants par rapport à tout autre tiers potentiellement intéressé, au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité.
20. D'autre part, le Tribunal a constaté, au point 43 de l'ordonnance attaquée, que, après la publication des avis d'ouverture de la procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, les requérants ne sont à aucun moment intervenus auprès de la Commission au cours de la procédure, afin de lui présenter leurs observations, en tant qu'intéressés, sur d'éventuelles considérations d'ordre social.
21. Le Tribunal a relevé, au point 44 de l'ordonnance attaquée, que, à supposer même que les requérants aient présenté des observations lors de la procédure administrative, cette seule circonstance ne pourrait pas non plus suffire à les individualiser de manière analogue à celle du destinataire de la décision litigieuse. Il a considéré, en effet, que, s'agissant des entreprises concurrentes du bénéficiaire de l'aide ayant joué un rôle actif dans le cadre de la procédure ouverte au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, il faut encore qu'elles démontrent, afin de pouvoir être considérées comme individuellement concernées, que leur position sur le marché est substantiellement affectée par la mesure d'aide qui fait l'objet de la décision attaquée (arrêt du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169-84, Rec. p. 391, point 25, et arrêt du Tribunal du 5 novembre 1997, Ducros/Commission, T-149-95, Rec. p. II-2031, point 34). De même, le Tribunal a rappelé que des associations professionnelles ayant participé activement à ladite procédure et regroupant les entreprises du secteur concerné ne sont individuellement concernées par une décision clôturant la procédure ouverte au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité que si leur position de négociatrice est affectée par ladite décision (arrêts du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219, points 21 à 24, et du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313-90, Rec. p. I- 1125, points 28 à 30).
22. Le Tribunal en a conclu, au point 45 de l'ordonnance attaquée, que, à défaut d'affectation substantielle d'une position concurrentielle et en l'absence d'atteinte effective à la faculté dont ils pourraient disposer, en qualité d'intéressés au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité, de présenter leurs observations lors de la procédure devant la Commission, à laquelle ils n'ont d'ailleurs pas participé, les requérants ne peuvent faire valoir une atteinte quelconque de nature à démontrer que leur situation juridique est substantiellement affectée par la décision litigieuse et qu'ils ne peuvent, dès lors, être considérés comme individuellement concernés au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité.
23. S'agissant, en second lieu, de savoir si les requérants sont directement concernés par la décision litigieuse, le Tribunal a d'abord souligné, au point 47 de l'ordonnance attaquée, qu'une décision constatant l'incompatibilité d'une aide avec le Marché commun et ordonnant son recouvrement ne saurait, à elle seule, entraîner les conséquences alléguées sur le niveau et les conditions de l'emploi dans l'entreprise bénéficiaire de l'aide en cause. Il a ajouté que la survenance de telles conséquences supposerait nécessairement l'adoption, par ladite entreprise elle-même ou par les partenaires sociaux, de mesures autonomes par rapport à la décision de la Commission. Le Tribunal en a conclu que, compte tenu de la marge de négociation existant dans le chef des partenaires sociaux quant à la nature et à l'ampleur des mesures susceptibles d'être adoptées dans le cadre d'une éventuelle restructuration de l'entreprise, la possibilité que de telles mesures ne soient pas effectivement prises n'apparaît pas comme purement théorique (arrêt du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11-82, Rec. p. 207).
24. En ce qui concerne la convention collective du secteur public sur les salaires, dont les requérants ont allégué que son application est directement mise en cause par la décision litigieuse, le Tribunal a relevé, au point 48 de l'ordonnance attaquée, qu'il ressort de l'article L. 132-8 du Code du travail français que, même dans l'hypothèse d'une dénonciation de ladite convention - laquelle émanerait, en tout Etat de cause, de l'une des parties signataires -, les salariés de l'entreprise concernée conserveraient les avantages individuels qu'ils ont acquis, en application de la convention, si celle-ci n'était pas remplacée par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans les délais précisés par la loi. Le Tribunal en a conclu qu'une cessation de l'application effective des avantages sociaux dont bénéficient les salariés de la SFP ne présente aucun caractère inéluctable et ne saurait donc découler directement de la décision litigieuse. Il a ajouté, à cet égard, que le seul fait qu'un acte soit susceptible d'avoir une influence sur la situation matérielle des requérants ne suffit pas pour que l'on puisse considérer qu'il les concerne directement (arrêt du 10 décembre 1969, Eridania e.a./Commission, 10-68 et 18-68, Rec. p. 459, point 7).
25. Le Tribunal a également relevé, au point 49 de l'ordonnance attaquée, que l'annulation de la décision litigieuse, en ce qu'elle déclare incompatible avec le Marché commun l'aide octroyée à la SFP et ordonne au Gouvernement français de procéder à son recouvrement, ne constituerait pas une garantie contre des suppressions d'emplois ou la réduction des avantages sociaux, ce qui démontre le caractère autonome des mesures susceptibles d'être adoptées à cet effet par l'entreprise ou les partenaires sociaux et, partant, l'absence d'un lien de causalité directe entre l'atteinte prétendument portée aux intérêts des salariés et la décision litigieuse (arrêts CCE de la société générale des grandes sources e.a./Commission, précité, point 42, et CCE de Vittel e.a./Commission, précité, point 55).
26. Le Tribunal a ensuite constaté, au point 50 de l'ordonnance attaquée, que son analyse est confirmée par la jurisprudence de la Cour en vertu de laquelle un syndicat ne justifie que d'un intérêt indirect et lointain au versement d'indemnités à des entreprises, même si les versements en cause sont susceptibles d'avoir un effet favorable sur la prospérité économique desdites entreprises et, par voie de conséquence, sur le niveau de l'emploi dans celles-ci (ordonnance du 8 avril 1981, Ludwigshafener Walzmühle Erling e.a./Communauté économique européenne, 197-80 à 200-80, 243-80, 245-80 et 247-80, Rec. p. 1041, points 8 et 9, et arrêt CCE de Vittel e.a./Commission, précité, point 52).
27. Enfin le Tribunal a relevé, au point 51 de l'ordonnance attaquée, que le règlement des litiges concernant des atteintes éventuelles aux intérêts des salariés, telles que celles alléguées en l'espèce, relève non pas du contrôle de légalité des décisions de la Commission prises en application des articles 92 et 93 du traité, mais des dispositions du droit interne ayant trait au contrôle, par le juge national, des mesures susceptibles d'être adoptées par les entreprises, ou par les partenaires sociaux concernés, qui sont directement à l'origine de telles atteintes.
28. Le Tribunal en a conclu, au point 52 de l'ordonnance attaquée, que la décision litigieuse n'est pas, en soi, de nature à entraîner des conséquences directes sur les intérêts des salariés de la SFP, de sorte que les requérants ne sauraient davantage être considérés comme directement concernés au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité.
Pourvoi
29. Par leur pourvoi, les requérants demandent qu'il plaise à la Cour:
- annuler l'ordonnance attaquée;
- dire recevable leur recours en première instance;
- annuler la décision litigieuse;
- condamner la Commission aux dépens et à verser à chacun des requérants une somme de 20 000 écus au titre de ses frais.
30. La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
- à titre principal, rejeter le pourvoi comme non fondé;
- à titre subsidiaire, déclarer la demande d'annulation de la décision litigieuse irrecevable ou, plus subsidiairement encore, la déclarer non fondée;
- condamner les requérants aux dépens.
31. À l'appui de leur pourvoi, les requérants font valoir que, en considérant que les représentants reconnus des travailleurs de l'entreprise concernée directement par la décision litigieuse ne sont concernés ni individuellement ni directement par cette dernière, le Tribunal a commis une erreur de droit. Ils estiment, dès lors, que le recours doit être déclaré recevable et examiné au fond.
32. Se référant aux arrêts Cofaz e.a./Commission et Van der Kooy e.a./Commission, précités, les requérants font valoir qu'ils sont individuellement concernés par la décision litigieuse au motif que la situation des travailleurs de l'entreprise concernée est substantiellement affectée par celle-ci et qu'ils sont négociateurs des aspects sociaux de ladite décision.
33. D'une part, ils soulignent que des considérations d'ordre social, et en particulier celles tenant à l'emploi, sont en général prises en compte dans le cadre de l'appréciation de la compatibilité d'une aide d'État.
34. Ils relèvent à cet égard que tel a spécialement été le cas en l'espèce, étant donné que, au point VII des motifs de la décision litigieuse, la Commission a constaté que les mesures de restructuration de la SFP mentionnées au point V desdits motifs s'avèrent insuffisantes et, en particulier, que "la convention collective du secteur public sur les salaires devrait cesser d'être appliquée, car la structure actuelle des charges salariales à la SFP n'est pas compétitive".
35. D'autre part, en leur qualité de représentants reconnus des travailleurs de la SFP, les requérants seraient affectés par la décision litigieuse en tant que négociateurs des aspects sociaux, et notamment de ceux qui concernent l'emploi et la structure salariale, au sein de l'entreprise en cause. Au demeurant, l'entreprise elle-même ne saurait assumer la défense des intérêts des travailleurs, alors que ces intérêts peuvent diverger par rapport à ceux de l'entreprise notamment au regard des règles de concurrence.
36. La Commission prétend que la jurisprudence, telle qu'elle découle des arrêts Cofaz e.a./Commission et Van der Kooy e.a./Commission, précités, ne peut être transposée dans la présente affaire dès lors que tant l'affectation de la position concurrentielle d'entreprises concurrentes que l'affectation de la position de négociateur d'associations d'opérateurs économiques impliqueraient leur participation à des rapports de concurrence que les règles sur les aides d'État visent à protéger.
37. Elle fait valoir que l'extension de la recevabilité aux recours introduits par les créanciers des entreprises concernées ou par des catégories de personnes faisant, en quelque sorte, partie intégrante desdites entreprises serait de nature à rapprocher lesdits recours d'une action populaire susceptible d'engendrer l'incertitude juridique au sujet de l'autorité de la chose décidée sans pour autant améliorer les potentialités substantielles du contrôle juridictionnel.
38. La Commission observe finalement que le Tribunal mentionne, à juste titre, que, en l'espèce, les requérants n'ont pas participé à la procédure administrative de l'article 93, paragraphe 2, du traité.
Appréciation de la Cour
39. Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d'une décision ne peuvent prétendre être concernés individuellement au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25-62, Rec. p. 197, 223; du 19 mai 1993, Cook/Commission, C-198-91, Rec. p. I-2487, point 20, et Matra/Commission, précité, point 14).
40. S'agissant plus particulièrement du domaine des aides d'État, ont été reconnues comme individuellement concernées par une décision de la Commission clôturant la procédure ouverte au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, à l'égard d'une aide individuelle, outre l'entreprise bénéficiaire, les entreprises concurrentes de cette dernière ayant joué un rôle actif dans le cadre de cette procédure, pour autant que leur position sur le marché soit substantiellement affectée par la mesure d'aide faisant l'objet de la décision attaquée (voir arrêt Cofaz e.a./Commission, précité, point 25).
41. Une entreprise ne saurait donc se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l'entreprise bénéficiaire, mais doit établir en outre, compte tenu de son degré de participation éventuelle à la procédure et de l'importance de l'atteinte à sa position sur le marché, qu'elle est dans une situation de fait qui l'individualise d'une manière analogue à celle du destinataire.
42. Par ailleurs, certaines associations d'opérateurs économiques ayant participé activement à la procédure en vertu de l'article 93, paragraphe 2, du traité ont également été reconnues comme individuellement concernées par une telle décision, dans la mesure où elles sont affectées en leur qualité de négociatrices (voir arrêts Van der Kooy e.a/Commission, précité, points 21 à 24, et CIRFS e.a./Commission, précité, points 28 et 30).
43. Dans l'affaire Van der Kooy e.a./Commission, précitée, le Landbouwschap avait négocié avec le fournisseur le tarif préférentiel du gaz contesté par la Commission et figurait, en outre, parmi les signataires de l'accord ayant établi ce tarif. De même, à ce titre, il avait été obligé d'entamer de nouvelles négociations tarifaires avec le fournisseur et de conclure un nouvel accord pour mettre à exécution la décision de la Commission.
44. Dans l'affaire CIRFS e.a./Commission, précitée, le Comité international de la rayonne et des fibres synthétiques avait été l'interlocuteur de la Commission au sujet de l'instauration de la discipline en matière d'aides dans le secteur des fibres synthétiques ainsi que de la prorogation et de l'adaptation de celle-ci et avait poursuivi activement des négociations avec la Commission pendant la procédure précédant le litige, notamment en lui soumettant des observations écrites et en se maintenant en contact étroit avec les services compétents.
45. Les affaires Van der Kooy e.a./Commission et CIRFS e.a./Commission, précitées, concernaient ainsi des situations particulières dans lesquelles le requérant occupait une position de négociateur clairement circonscrite et intimement liée à l'objet même de la décision, le mettant dans une situation de fait qui le caractérisait par rapport à toute autre personne.
46. C'est à la lumière de cette jurisprudence qu'il convient d'examiner les arguments avancés par les requérants à l'encontre de l'ordonnance attaquée.
47. S'agissant, en premier lieu, de l'argument que les requérants ont tiré du point VII des motifs de la décision litigieuse, force est de constater qu'il ressort de cette dernière, prise dans son ensemble, que la Commission n'a nullement fondé son appréciation de la compatibilité de l'aide sur l'observation qui figure au point VII des motifs.
48. En effet, la Commission a seulement relevé, audit point VII, qu'il était douteux que le nouvel accord salarial annoncé par les autorités françaises puisse être conclu.
49. Toutefois, ainsi qu'il découle du point IX des motifs de la décision litigieuse, l'aide a été déclarée incompatible en tant qu'aide à la restructuration parce qu'elle ne remplissait pas les critères définis dans la communication 94-C 368-05 de la Commission, relative aux lignes directrices communautaires pour les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté (JO 1994, C 368, p. 12), faute, en particulier, d'un plan de restructuration permettant de rétablir dans un délai raisonnable la viabilité à long terme de l'entreprise.
50. Le passage de la décision litigieuse mentionné par les requérants ne saurait donc suffire à mettre ces derniers dans une situation de fait les caractérisant par rapport à tout autre tiers potentiellement intéressé au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité.
51. En second lieu, il apparaît que leur seule qualité de négociateurs des aspects sociaux au sein de la SFP, telle la structure des effectifs et des salaires de l'entreprise, ne suffit pas à individualiser les requérants de manière analogue à celle du destinataire de la décision litigieuse.
52. Certes, lors de l'appréciation de la compatibilité d'une aide d'État, de tels aspects sociaux sont susceptibles d'être pris en compte par la Commission, mais seulement dans le cadre d'une appréciation globale qui intègre un grand nombre de considérations de nature diverse, liées notamment à la protection de la concurrence, au développement régional, à la promotion de la culture ou encore à la protection de l'environnement.
53. Cependant, au regard de la motivation de la décision litigieuse, il convient de considérer que la qualité de négociateurs des aspects sociaux au sein de la SFP invoquée par les requérants ne présente qu'un lien ténu avec l'objet même de ladite décision, en sorte que la position des requérants n'est pas assimilable à celle qui se présentait dans les affaires Van der Kooy e.a./Commission et CIRFS e.a./Commission, précitées.
54. Enfin, ainsi que l'a relevé le Tribunal au point 43 de l'ordonnance attaquée, les requérants n'ont pas participé à la procédure ouverte au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité.
55. Les requérants n'ayant apporté au soutien de leurs prétentions aucun autre élément susceptible de démontrer que la décision litigieuse les concerne individuellement, il y a lieu de conclure que le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'ils ne peuvent être considérés comme individuellement concernés par cette décision.
56. Cette conclusion étant suffisante pour justifier légalement le dispositif de l'ordonnance attaquée, le moyen du pourvoi relatif à l'affectation directe des requérants est inopérant, en sorte qu'il n'est pas nécessaire de l'examiner.
57. Dans ces conditions, le pourvoi doit être rejeté.
Sur les dépens
58. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation des requérants et ceux-ci ayant succombé en leur pourvoi, il y a lieu de les condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Déclare et arrête:
1°) Le pourvoi est rejeté.
2°) Le Comité d'entreprise de la société française de production, le Syndicat national de radiodiffusion et de télévision CGT (SNRT-CGT), le Syndicat unifié de radio et de télévision CFDT (SURT-CFDT), le Syndicat national Force ouvrière de radiodiffusion et de télévision et le Syndicat national de l'encadrement audiovisuel CFE-CGC (SNEA-CFE-CGC) sont condamnés aux dépens.