CA Paris, 4e ch. A, 11 septembre 2002, n° 2001-10975
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Distritex BVBA (Sté)
Défendeur :
Kickers International BV (Sté), Belhassen-Poiteaux (ès qual.), PAE Diffusion (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
MM. Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
SCP Garnier, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Varin-Petit
Avocats :
Mes de Lagrevol, Monin, Prouhet.
La société Kickers International BV, ci-après Kickers, est propriétaire de la marque dénominative "Kickers", déposée le 9 mars 1990, en renouvellement de précédents dépôts, enregistrée sous le n° 1.580.231, pour désigner notamment les vêtements en tous genres.
Reprochant à la société PAE Diffusion de vendre, sans son autorisation, des chaussettes revêtues de la marque "Kickers", la société Kickers après avoir fait pratiquer une saisie-contrefaçon dans ses locaux à Paris, l'a assignée ainsi que son fournisseur, la société Distritex, devant le Tribunal de grande instance de Paris, aux fins de voir constater des faits de contrefaçon et de concurrence déloyale.
Par jugement du 3 novembre 2000, le tribunal a:
- déclaré valable la saisie-contrefaçon pratiquée le 1er février 1999,
- dit qu'en important, en offrant à la vente et en vendant en France des chaussettes portant la marque Kickers, sans l'autorisation de la société Kickers, les sociétés PAE Diffusion et Distritex ont commis des actes de contrefaçon au préjudice de cette dernière,
- dit que la société PAE Diffusion a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Kickers en commercialisant des chaussettes auxquelles étaient attachées des étiquettes revêtues de la marque Macalan et offertes à la vente dans des présentoirs supportant également cette marque de même qu'en apposant la mention "Fabriqué en France",
- interdit aux sociétés PAE Diffusion et Distritex la poursuite de tels agissements sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée à compter de la signification du jugement,
- fixe à la somme de 150 000 F le montant des dommages-intérêts dus à la société Kickers en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon,
- déclaré les deux sociétés tenues in solidum au paiement de cette somme,
- fixé à 50 000 F la créance de la société Kickers au passif de la liquidation judiciaire de la société PAE Diffusion au titre de la concurrence déloyale,
- autorisé la société Kickers à faire publier aux frais in solidum des sociétés PAE Diffusion et Distritex le dispositif du jugement dans trois journaux ou revues de son choix, sans que le coût total de ces insertions n'excède la somme de 60 000 F,
- débouté la société PAE Diffusion de son appel en garantie et la société Distritex de sa demande reconventionnelle,
- fixé à la somme de 15 000 F le montant de l'indemnité due à la société Kickers sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et déclaré in solidum la société PAE Diffusion et la société Distritex tenues au paiement de cette somme.
LA COUR,
Vu l'appel de cette décision interjeté le 23 avril 2001 par la société Distritex;
Vu les dernières écritures signifiées le 10 juin 2002 par lesquelles la société Distritex, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, se prévaut à titre principal de la règle dite de l'épuisement des droits de marque faisant valoir qu'elle s'est approvisionnée en octobre 1997, auprès de la société de droit belge Cordonnier, qui fabrique de manière licite en vertu d'une convention de licence des chaussettes portant la marque Kickers Redpoint et a exporté de bonne foi ces produits au profit de la société PAE Diffusion, à titre subsidiaire soutient que la société Kickers ne justifie pas du préjudice invoqué et plus subsidiairement conclut au rejet de l'appel en garantie formé à son encontre par la société PAE Diffusion, réclamant en tout état de cause l'allocation d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les dernières écritures signifiées le 27 septembre 2001 aux termes desquelles Maître Leila Belhassen, en qualité de liquidateur de la société PAE Diffusion conclut à la réformation du jugement déféré notamment en ce qu'il a condamné la société PAE au paiement de dommages-intérêts et en ce qu'il a retenu tant des faits de contrefaçon, opposant à ce titre la règle de l'épuisement des droits de marque, que des actes de concurrence déloyale, et demande à être garantie par la société Distritex, sollicitant en outre l'allocation d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile qui devra être supportée par toute partie succombante;
Vu les dernières écritures signifiées le 19 novembre 2001 par lesquelles la société Kickers sollicite la confirmation du jugement entrepris sauf sur le montant des dommages-intérêts et demande à la cour de:
- majorer à la somme de 45 000 euros en indemnisation du préjudice résultant des actes de contrefaçon commis par la société Distritex,
- fixer sa créance au passif de la société PAE Diffusion à la somme de 72 000 euros,
- ordonner la confiscation à son profit et la destruction aux frais in solidum de la société PAE Diffusion et Distritex des articles revêtus de la marque contrefaisante,
- ordonner la publication de la décision à intervenir par extraits dans cinq journaux de son choix, aux frais in solidum de la société PAE Diffusion et de la société Distritex à concurrence de 25 000 F HT par insertion,
- condamner la société Distritex à lui payer la somme de 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- fixer sa créance à ce même titre au passif de la société PAE Diffusion à la somme de 7 500 euros;
Sur quoi,
- Sur la contrefaçon de la marque Kickers n° 1 580 231
Considérant qu'il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 1er février 1999 dans les locaux de la société PAE Diffusion que celle-ci offrait en vente des chaussettes revêtues de la marque Kickers, cette dénomination étant tissée sur la chaussette elle-même ; que l'huissier instrumentaire a procédé à la saisie de deux présentoirs cartonnés contenant chacun 48 paires de chaussettes; que sur chaque paire est agrafé un cavalier sur lequel figure la marque "Macalan" et la mention "Paris... fabriqué en France" ; que l'huissier a également saisi une chaussette dont le cavalier porte les inscriptions "Redpoint Kickers", la marque Kickers étant en outre tissée dans la chaussette;
Que le responsable de la société PAE Diffusion a transmis à l'huissier instrumentaire, qui en a dressé constat, une facture datée du 31 octobre 1997 émanant de la société de droit belge Distritex portant sur la vente à son profit de 4 926 paires de chaussettes Kickers ;
Considérant que la société Distritex et Maître Belhassen, en qualité de liquidateur judiciaire de la société PAE Diffusion se prévalent de la règle de l'épuisement du droit; que la société Distritex soutient à cet effet qu'elle a acquis les chaussettes portant l'inscription "Redpoint" auprès de la société Cordonnier bénéficiaire d'une licence d'exploitation de la marque Kickers accordée par M. Théodore Kornblum, titulaire de ce signe au Benelux, afin de les revendre à la société PAE Diffusion;
Considérant que l'épuisement du droit des marques n'intervient que pour les seuls exemplaires qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen par le titulaire de la marque ou avec son consentement;
Que cette règle ne saurait recevoir application lorsque la marque a fait l'objet d'un démembrement et n'est plus la propriété du même titulaire dans les deux pays de la Communauté économique européenne entre lesquels s'effectuent les échanges ; qu'en effet, la fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit marqué, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit de ceux qui ont une autre provenance; qu'elle doit constituer la garantie que tous les produits qui en sont revêtus ont été fabriqués sous le contrôle d'une entreprise unique à laquelle il peut être attribué la responsabilité de leur qualité ;
Considérant en l'espèce, que si la société Kickers est titulaire de l'enregistrement en France de la marque "Kickers", ce signe a été enregistré en Belgique, sous le nom de Théodore Kornblum pour désigner notamment les produits de la classe 25 ; que ce dernier a, pour le compte de la société Europ Shoes Agency, consenti une licence sur cette marque à la société Cordonnier;
Que les sociétés PAE Diffusion et Distritex ne contestent pas l'absence de lien économique entre les deux titulaires des marques;
Que dès lors chacun des titulaires de la marque est en droit de s'opposer à l'importation ou à la commercialisation dans l'Etat membre où la marque lui appartient de produits provenant de l'autre titulaire;
Qu'il s'ensuit que la société Kickers est bien fondée à s'opposer à la commercialisation en France des produits importés par la société Distritex, faute d'avoir consenti à la mise en circulation de ceux-ci en Belgique;
Considérant, par ailleurs, que toutes les chaussettes saisies ne correspondent pas aux lots qui font l'objet de la facture du 31 octobre 1997 remise à l'huissier instrumentaire ; qu'en effet, les chaussettes saisies sont revêtues de cavaliers différents, l'un portant les marques Kickers et Redpoint, l'autre la marque "Macalan" ; que la société Distritex confirme que seules les chaussettes portant l'inscription "Redpoint" proviennent de la société Cordonnier;
Que la société PAE Diffusion ne justifie pas la provenance des autres produits, revêtues de la marque "Macalan", qui auraient été fabriqués en France comme mentionné sur le cavalier; que la preuve n'est donc pas rapportée que les reventes effectuées par la société PAE Diffusion ont été réalisées avec le consentement de la société Kickers ;
Qu'il s'ensuit que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu le grief de contrefaçon;
- Sur la concurrence déloyale et parasitaire
Considérant que la société Kickers reproche à la société PAE Diffusion d'avoir offert en vente les chaussettes revêtues de la marque Kickers dans un présentoir comportant sa propre marque "Macalan" et à un prix inférieur de 25 % à celui des autres chaussettes fantaisie qu'elle commercialise;
Considérant que, par des motifs que la cour adopte, les premiers juges ont à juste titre estimé que ces faits traduisent la volonté de la société PAE Diffusion de laisser accroire à la clientèle que les deux marques sont liées économiquement, de manière à faire bénéficier sa propre marque de la renommée attachée à la marque Kickers;
Que les actes de concurrence déloyale sont donc caractérisés;
- Sur les mesures réparatrices
Considérant qu'il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon et des factures produites aux débats par la société PAE Diffusion que celle-ci a mis en vente 4 926 paires de chaussettes revêtues de la marque Kickers provenant de la société Distritex;
Que cette utilisation illicite de la marque Kickers porte atteinte à sa valeur patrimoniale et aux droits privatifs que la société Kickers détient sur celle-ci ; qu'au regard de l'ampleur des ventes réalisées, le préjudice de la société Kickers sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 35 000 euros;
Qu'en associant la marque Kickers à sa propre marque, la société PAE Diffusion a également porté atteinte au pouvoir distinctif de la marque "Kickers" particulièrement élevé s'agissant d'articles chaussants; que la cour estime, au vu de la quantité d'articles mis sur le marché, le montant du préjudice résultant pour la société Kickers de ces agissements déloyaux à la somme de 16 000 euros,
Considérant que les mesures d'interdiction prononcées par les premiers juges, justifiées pour mettre un terme aux agissements illicites, doivent être confirmées, sans qu'il soit nécessaire de faire droit à la demande de confiscation et de destruction sollicitées; que la publication fera mention du présent arrêt;
- Sur l'appel en garantie
Considérant que la société PAE Diffusion, professionnelle de la distribution, avait l'obligation de s' assurer que les produits qui lui étaient fournis étaient libres de tout droit privatif et ce d'autant que la marque Kickers qui y était apposée jouit d'une renommée certaine dans le domaine des articles chaussants;
Que son appel en garantie à l'encontre de la société Distritex doit en conséquence être rejeté;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société Kickers, la somme complémentaire de 7 500 euros devant lui être allouée à ce titre;
Que la solution du litige commande de rejeter la demande formée par la société Distritex et Maître Belhassen, en qualité de liquidateur de la société PAE Diffusion, sur ce même fondement;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant des dommages-intérêts alloués à la société Kickers ; Le réformant sur ce point et statuant à nouveau, Condamne la société Distritex à payer à la société Kickers la somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon ; Fixe à la somme de 35 000 euros et à 16 000 euros la créance de la société Kickers au passif de la liquidation judiciaire de la société PAE Diffusion, respectivement en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon et des actes de concurrence déloyale ; Dit que les condamnations prononcées par les premiers juges au titre des frais de publication vaudront à titre de fixation de créance au passif de la liquidation judiciaire de la société PAE Diffusion ; Y ajoutant, Condamne la société Distritex à payer à la société Kickers la somme de 7 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel ; Fixe à la somme de 7 500 euros la créance de la société Kickers au passif de la liquidation judiciaire de la société PAE Diffusion sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Met les dépens in solidum à la charge de la société Distritex et de Maître Belhassen en qualité de liquidateur de la société PAE Diffusion et dit qu'il seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile et dans le respect de la loi sur les procédures collectives.