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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 9 mars 1995, n° 94-03042

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Comité national contre le tabagisme, Ministère public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bertolini

Avocat général :

M. Bartoli

Conseillers :

Mmes Magnet, Marie

Avocats :

Mes Sarfati, Caballero.

CA Paris n° 94-03042

9 mars 1995

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Jean-Claude D a été relaxé des fins de la poursuite du chef de publicité illicite en faveur du tabac ;

Le tribunal a déclaré Jean-Pierre D coupable de publicité illicite en faveur du tabac infraction commise à Paris du 17 mars au 30 mars 1993, et l'a condamné de ce chef à 50 000 F d'amende, a débouté Jean-Claude et Jean-Pierre D de leurs demandes au titre de l'article 472 du Code de procédure pénale et les a déclarés irrecevables en leurs demandes au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Sur l'action civile le tribunal a condamné Jean-Pierre D à verser au Comité national contre le tabagisme (CNCT) la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, celle de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

A assujetti la décision à un droit de procédure de 600 F ;

Les appels :

Appel a été interjeté par :

D Jean-Pierre le 14 mars 1994,

M. Le procureur de la République, le 14 mars 1994, à l'encontre de D Jean-Pierre,

Le Comité national contre le tabagisme, le 21 mars 1994, à l'encontre des deux prévenus et des sociétés D et R,

Décision :

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par Jean-Pierre D, le Ministère Public et le Comité National contre le Tabagisme à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention.

Rappel des faits

Courant mars 1993, la société S, producteur de la marque C a fait réaliser une campagne d'affichage pour présenter son produit.

Ainsi un constat d'huissier a relevé des affiches apposées sur des abris-bus, station Porte Maillot de l'autobus n° 82, station Ternes-Mac-Mahon des autobus n° 93 et 43, station Pereire - Maréchal Juin de l'autobus n° 84, station Ternes-Mac-Mahon des autobus n° 92 et 93.

Les affiches présentaient un homme monté sur une falaise surplombant un paysage montagneux, comportant sur sa partie supérieure le terme " C ", le terme " Boots " étant d'un caractère plus fin, enfin une paire de souliers est représentée au bas de la publicité.

Le terme C est représenté parce que l'on appelle le logo de la marque de cigarettes C, c'est à dire par une représentation graphique particulière et originale, forme des lettres, entourage de celle-ci et couleur du mot, qui la symbolise ainsi de manière particulière et permanente, en l'espèce les lettres étaient de couleur marron foncé sur fond jaune dans un genre d'écusson.

La société S a fabriqué et commercialisé les produits " C " en vertu d'un contrat de licence de marque conclu le 15 mars 1987, avec la société W, un avenant signé le 18 février 1988 et prenant effet le 1er janvier 1988 étendant ce contrat à la France.

La société W tenait les droits d'exploiter ces marques de la société Star Coopération Geselleschaft, laquelle est actionnaire d'une société Coopération Gesellschaft Fùr Markenoperationnen, cette dernière société étant associée de R La société W. est en outre une filiale de la société N société holding de la société R company producteur de cigarettes.

Le CNCT, qui avait fait citer directement les prévenus, par voie de conclusions fait valoir :

Sur l'action publique

1°) Sur l'illicéité de la campagne

- En premier lieu,

Que l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée par la loi du 10 janvier 1991 dispose :

" Toute propagande ou publicité directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des produits du tabac, ainsi que toute distribution sont interdites ",

Que ce texte formule une interdiction de principe de toute forme de publicité indirecte en faveur du tabac, dans tous les médias, dans le but d'éviter, par une propagande insidieuse, la valorisation des marques de cigarettes ;

Que l'article 3 de la loi du 10 janvier 1991 précise en outre :

" Est considéré comme propagande ou publicité indirecte toute propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac ou un produit du tabac lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif, elle rappelle le tabac ou un produit du tabac ".

Qu'en définissant ainsi la publicité indirecte, le législateur a entendu mettre un terme définitif aux détournements constants de la législation antérieure par les cigarettiers. Ces derniers s'étant orientés d'une publicité sur les produits du tabac vers une publicité n'ayant plus rien à voir avec l'activité du tabac, mais rappelant de manière évidente ces produits.

Le CNCT estime que si, l'alinéa 2 de l'article 3 prévoit une dérogation à l'interdiction au profit " des produits mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, cette dérogation ne permet pas de préserver les droits acquis des sociétés qui diffusaient des produits autres que des produits du tabac mis sur le marché avant le 1er janvier 1990, mais a, au contraire pour but de mettre fin à toutes les précédentes tentatives de tourner la loi par les publicités indirectes.

Il soutient que, la date du 1er janvier 1990 a toujours eu pour objet d'éviter les fraudes par des cessions intempestives de marques à la veille de la loi, et non de préserver des droits acquis.

Sur le moyen des prévenus, tiré de l'interprétation stricte de la loi pénale, il prétend, que ce principe n'implique nullement une interprétation systématiquement restrictive des textes pénaux.

Sur le moyen tiré de l'absence de liens financiers de la société S avec les cigarettiers, il fait observer, que le tribunal a à juste titre décidé que la loi ne distinguait pas entre les liens juridiques et financiers qu'ils soient directs ou indirects et fait remarquer, que l'argumentation des prévenus se référant à la jurisprudence civile, en matière de chaîne de contrats, ne saurait être transposée au droit pénal spécial, dont les solutions sont traditionnellement autonomes.

Il ajoute que de toute façon, la condamnation des prévenus peut être fondée sur la notion " d'entreprise commercialisant un produit du tabac ". L'entreprise étant selon l'acceptation communément admise, une entité économique regroupant plusieurs sociétés à finalité commune.

Le CNCT estime, qu'il existe de nombreux liens juridiques et financiers entre les sociétés du groupe " R Tobacco Company " et précise que la société W fait partie de l'entreprise R, qui fabrique et commercialise la marque de cigarettes C et que la société S a un lien juridique avec la société W

Il prétend que le contrat de licence d'exploitation de la marque "C" conclu en 1987 entre la société W, filiale du groupe R et la société S a créé entre ces deux sociétés des liens juridiques et financiers.

- En deuxième lieu :

Le CNCT estime que la réglementation française interdisant la publicité indirecte des produits du tabac, est conforme au droit communautaire ;

- d'une part, parce qu'elle ne distingue pas entre les produits importés et les produits nationaux, et ne constitue pas, de ce fait, des mesures d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité de Rome ;

- d'autre part, parce qu'elle est, en tout état de cause, justifiée par le souci de l'Etat français de protéger la santé publique au sens de l'article 36 de ce même traité, et n'est pas disproportionnée par rapport à cet objectif ;

Il précise que contrairement à ce que soutient la société S, le législateur ne réglemente pas les conditions de commercialisation et d'étiquetage des chaussures, mais les diverses formes de publicités insidieuse et faveur du tabac, et n'interdit pas à la société S d'importer et distribuer en France les chaussures de la marque C.

Sur la culpabilité des prévenus :

Le CNCT soutient que M. Jean-Pierre D considéré comme complice de l'infraction par le tribunal est en réalité co-auteur de l'infraction, dès lors que celle-ci se réalise par l'acte matériel d'affichage, qui a été accompli en toutes conscience par le dirigeant de la société RP qui a signé le contrat avec la centrale d'achat d'espaces U M ;

Le CNCT fait observer que la société RP ne fournit pas à la cour copie de ce contrat, ce qui ne fait que caractériser sa mauvaise foi.

Il ajoute que M. Jean-Claude D, propriétaire des panneaux en cause n'est pas totalement étranger à la publicité effectuée sur ses matériels et que sa relaxe au bénéfice du doute n'est due qu'au fait que le conseil du CNCT s'est trouvé dans l'impossibilité de répondre aux conclusions et pièces tardivement déposées par le conseil des frères D.

Le CNCT estime que, si la complicité est retenue, M. Jean-Claude D est complice à la fois par fourniture de moyens et par abstention.

Qu'en effet il avait le pouvoir de droit de s'opposer à la campagne en tant que propriétaire des supports et commettant de RP, il précise que l'avenant n° 3 à la convention du 8 juillet 1975, prévoit dans son article 4.5°, que RP devra obtenir du client " une maquette d'affiche sur laquelle J.C. D Paris doit donner son accord "et qu'il a laissé se dérouler la campagne litigieuse sans réagir, alors qu'il avait été personnellement prévenu de son caractère illicite par lettre du CNCT de juin 1992, dans des affaires similaires.

Sur l'action civile

Après avoir relevé que le tribunal avait condamné Monsieur Jean-Pierre D, sans condamner également la société RP, civilement responsable de ses agissements, omission dont il demande la réparation, il réclame une indemnité égale au bénéfice illégalement perçu à l'occasion de cette campagne publicitaire du tabac par les sociétés dirigées par les frères D, selon les tarifs en vigueur dans la profession soit : 2 868 400 F, il ajoute que le même tribunal, le même jour, a accordé, au CNCT, pour des publicités identiques parues dans la presse écrite, une somme de 500 000 F pour des publicités moins ostantatoires et moins chères ;

En conséquence, le CNCT demande :

- la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré Monsieur Jean-Pierre D coupable, comme complice de la réalisation d'une publicité en faveur de la marque C sur les panneaux et abri- bus de D en mars 1993 ;

- l'infirmation de ce même jugement en ce qu'il a relaxé Monsieur Jean-Claude D, dirigeant de la société JC D,

- la condamnation solidaire de Messieurs Jean-Pierre et Jean-Claude D, à lui payer la somme de 2 868 400 F à titre de dommages intérêts, outre celle de 40 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

- la condamnation des sociétés JC D et RP, en qualité de civilement responsables de leurs dirigeants à payer au CNCT, la somme de 2 868 400 F à titre de dommages et intérêts, et celle de 30 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Monsieur Jean-Pierre D, appelant au principal, la société Régie publicitaire de mobilier Urbain RP, Monsieur Jean-Claude D et la société D, intimés, font valoir :

Sur l'action publique

1°) Sur la licéité de la campagne

En premier lieu,

Que, la loi du 10 janvier 1991, a modifié certaines dispositions de la loi du 9 juillet 1976 déjà modifiée par une précédente loi du 13 janvier 1989, qui a étendu l'interdiction de la publicité en faveur du tabac à certaines formes de publicités en faveur du produits autres que le tabac, tout en instituant un régime transitoire jusqu'au 31 décembre 1989, autorisant l'exécution des contrats publicitaires en cours, et ce afin de préserver les droits acquis.

Que, la loi du 10 janvier 1991 a réformé à nouveau l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976, en étendant la définition de la publicité indirecte mais en instituant une dérogation permettant de préserver de façon définitive les droits acquis au plus tard le 31 décembre 1989.

Ils ajoutent que les débats parlementaires démontrent que, Monsieur Evin n'a pas pu obtenir une rédaction de la loi conforme à ses voux et qu'il a subi le rejet d'un amendement limitant la dérogation de l'alinéa 2 de l'article 3 aux seuls cas fortuits.

Ils font observer, en outre, que la publicité en cause ne peut être perçue par le consommateur moyen comme une publicité en faveur de chaussures, sans aucune confusion avec le tabac ou un produit du tabac, nonobstant l'utilisation de la marque " C " laquelle contient en elle-même l'indication de la nature du produit promu, des " boots ".

Ils estiment qu'ils peuvent bénéficier de la dérogation prévue à l'alinéa 2 de l'article 3, les conditions posées par ce texte étant remplies en l'espèce dans la mesure où :

- il s'agit d'une publicité pour un produit autre que le tabac ou un produit du tabac ;

- les chaussures "C" ont bien été mises sur le marché avant le 1er janvier 1990 ;

- par une entreprise distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac ;

- aucun lien juridique ou financier entre ces entreprises n'a été crée pouvant rendre caduque cette dérogation au sens de la loi.

Ils précisent que le CNCT ne remet plus en cause la réalisation des trois première conditions et qu'en conséquence, tout le problème est donc de savoir quel sont les sens et la portée de la dernière phrase de l'alinéa 2, au regard du contrat de licence de marque signé entre les sociétés S et W le 15 mars 1987 avec avenant d'extension pour la France du 18 février 1988 et qu'ils n'ont connu l'existence de ce contrat que plusieurs mois après l'affichage de la campagne litigieuse lors de la procédure de première instance du fait de la communication de pièces de la société S.

Ils estiment que, cette disposition ne peut concerner que l'avenir, alors qu'en l'espèce, il n'a été créé aucun lien juridique ou financier entre les sociétés S et W B après le 10 janvier 1991, ni même après le 1er janvier 1990, en se fondant sur les termes de création et caduque, lesquels évoquent nécessairement un changement de situation à compter d'un point de départ temporel, que la création d'un lien juridique et financier entre les entreprises doit être postérieure à l'acquisition de ladite dérogation. Ils rappellent que le Conseil Constitutionnel a estimé que ladite disposition n'était contraire ni au droit de propriété, ni à la liberté d'entreprendre, parce que les limitation qu'elle apportait n'affectaient pas ces droits, et spécialement le droit à la marque, dans leur existence, mais qu'elle portaient seulement sur " certaines modalités d'exercice " de ces droits, alors que l'interprétation, du texte que réclame le CNCT, porte atteinte à toutes les modalités d'exercice du droit à la marque et réduit même à contenu purement nominal l'existence de ce droit,

En deuxième lieu

Messieurs Jean-Claude D, les sociétés JC D et RP s'associent aux moyens soulevés par S dans l'autre procédure l'opposant au CNCT sur l'incompatibilité de la loi du 10 janvier 1991 avec le traité instituant la Communauté Européenne, dont l'article 30 interdit entre les Etats membres des restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toutes autres mesures d'effet équivalent, l'interprétation retenue par le tribunal de Paris, ayant pour conséquence pratique d'interdire sur le territoire national la commercialisation des produits " C ".

Ils ajoutent que, si l'article 36 du traité CEE prévoit une exception à l'article 30, permet aux Etats membres dans certaines hypothèses et notamment pour des raisons de protection de la santé publique, encore faut-il que la restriction soit proportionnée avec les impératifs de santé publique, et qu'ainsi les obstacles à la libre circulation des produits revêtent un caractère exceptionnel.

En troisième lieu

Sur l'existence d'un lien juridique entre la société S et la société R, Messieurs Jean-Claude D, les sociétés JC D et RP font observer que l'assemblée plénière de la Cour de cassation dans un arrêt Besse du 12 juillet 1991 exclut tout lien contractuel entre les extrêmes d'une chaîne de contrats, que c'est donc en vain que le CNCT tente d'établir l'existence d'une chaîne de contrats en prétendant que les relations entre S, S C, X., N et R justifierait l'existence d'un lien, même indirect, entre S et R, alors que cette dernière n'est même pas une filiale directe de la holding N, maison mère du cocontractant de S.

Sur la responsabilité pénale des prévenus

MM. Jean-Claude D, les sociétés JC D et RP soutiennent que Monsieur Jean-Pierre D (et à titre infiniment subsidiaire Monsieur Jean-Claude D pour le cas improbable où sa relaxe ne serait pas confirmée) ne sauraient être retenus dans les liens de la prévention en l'absence d'élément intentionnel à la charge de Monsieur Jean-Pierre D compte tenu de l'attestation de la société S qui lui a été remise par son cocontractant l'agence U M, qui était de nature à lui faire croire à la parfaite licéité de la campagne ;

Ils ajoutent qu'ils ignoraient totalement l'existence du contrat de licence de marque signé entre la société S et la société W ainsi que les liens très indirects entre cette dernière et R et invoquent l'erreur de droit et même de fait.

Ils précisent :

S'agissant de Monsieur Jean-Claude D, que la société RP, assume sous sa seule responsabilité depuis 1982, la régie publicitaire du mobilier urbain appartenant à la société D, que l'avenant n° 4 du 20 décembre 1983, n'a pour objet que la commercialisation des mâts d'exploitation publicitaire appartenant à la société JC D et en aucune manière les supports utilisés pour la campagne litigieuse,

Monsieur Jean-Claude D indiquant pour sa part, qu'il n'avait pas la possibilité effective d'interrompre l'affichage, toutes les équipes d'affichage étant sous les ordres de RP, et qu'il existe une délégation parfaite de responsabilité à la charge de RP, et de Monsieur Jean-Pierre D et de la société JC D ;

S'agissant de Monsieur Jean-Pierre D, que la société RP n'est que le simple support des campagnes publicitaires qu'elle affiche sur son réseau d'abris-bus et que son devoir de vérification de la licéité des campagnes est donc plus limité que celui incombant aux annonceurs et à leurs agences de publicité qui les conçoivent.

Ils soulignent que la campagne n'a duré qu'une semaine du 17 au 23 mars 1993 en banlieue parisienne puis la semaine suivante du 24 au 30 mars à Paris intra-muros (et non pas 14 jours comme le prétend le CNCT) et prétendent que celui-ci qui a choisi la voie de la citation directe, ne saurait étendre la saisine du tribunal à d'autres faits que ceux constatés dans les deux procès-verbaux de constat qu'il produit, à savoir huit affiches dans les Hauts de Seine et quatre à Paris.

Subsidiairement Monsieur Jean-Pierre D sollicite le bénéfice d'une dispense de peine et d'une non-inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire de la condamnation qui serait éventuellement prononcée.

Sur l'action civile

Sur les condamnations à des dommages-intérêts

MM. Jean-Claude D, Jean-Pierre D, les sociétés JC D et RP font observer :

D'une part que, le tribunal a statué ultra petita en condamnant Monsieur Jean-Pierre D à verser au C.NC.T. une somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts, outre celle de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, dès lors que dans sa citation directe, le CNCT ne réclamait aucune condamnation à l'encontre de Monsieur Jean-Pierre D ou de Monsieur Jean-Claude D, se bornant à réclamer la condamnation des sociétés JC D et RP, civilement responsables de leurs préposés, à lui payer la somme de 2 868 400 F à titre de dommages-intérêts, que dans ces conditions la cour devra infirmer le jugement, si ce n'est l'annuler sur ce point.

D'autre part que, la demande de condamnation de Monsieur Jean-Claude et de Monsieur Jean-Pierre D telle qu'elle est formulée devant la cour constitue une demande nouvelle.

En outre, que les demandes présentées par le CNCT sont irrecevables et mal fondées à l'encontre des sociétés RPMU et JC D, le civilement responsable ne pouvant être tenu que d'assumer la charge d'une condamnation prononcée à l'encontre du prévenu.

Enfin que, le CNCT tente de modifier sa demande initiale pour poursuivre les sociétés RMPU et JC D non plus en leurs qualités de civilement responsables de leurs préposés, mais de leurs dirigeants, ce qui constitue également une demande nouvelle.

Subsidiairement, que le CNCT ne peut considérer qu'il a subi une agression médiatique, alors que le consommateur moyen ne peut avoir perçu les publicités incriminées que comme faisant la promotion de chaussures, et en aucun cas de cigarettes.

Sur l'évaluation du préjudice

Messieurs Jean-Claude D, Jean-Pierre D, les sociétés JC D et RP estiment que, d'une part, que le préjudice ne peut être incriminée sur 15 jours, alors que le CNCT ne peut invoquer que la campagne sur Paris, qui a duré 7 jours, dans le cadre du présent litige ;

D'autre part, que le CNCT ne produit aucun document au soutient de ses simples affirmations relatives aux nombreuses campagnes d'information et d'édition d'une publication périodique qu'il invoque à l'appui de sa demande.

Ils soulignent, que le CNCT ne fournit aucune précision ou document sur ses activités ou sur le budget qu'il consacre à sa cause, et encore moins sur l'usage qu'il a fait des importantes indemnités qui lui ont été allouées par diverses juridictions ces dernier temps, outre celles qu'il a obtenues " amiablement ".

Messieurs Jean-Claude D, Jean-Pierre D, les sociétés JC D et RP se portent demandeurs reconventionnels et réclament la condamnation du CNCT à leur verser à chacun la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale.

Sur l'action publique

1°) Sur le moyen tiré de l'illicéité de la campagne d'affichage

Considérant que, selon l'article 3 de la loi du 10 janvier 1991, devenu l'article 355-26 du Code de la santé publique :

" est considéré comme propagande ou publicité indirecte toute propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac ou le produit du tabac, lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif, elle rappelle le tabac ou un produit du tabac ".

Considérant que, le mot C, qui rappelle sans confusion possible une marque de tabac, était présenté sous la forme du logo utilisé par cette marque ; Que cette allusion, à une marque connue de tabac, s'accompagnait d'une photographie d'un homme sur une montagne, évoquant l'aventure, thème à la mode et délibérément choisi par la marque C ; Que cette présentation flatteuse d'une marque de tabac, constitue une publicité indirecte en faveur du tabac, qui est interdite par l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976;

Considérant que, les prévenus soutiennent, qu'ils bénéficient de la dérogation instaurée au bénéfice des produits autres que le tabac ou un produit du tabac, mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, la création de tout lien juridique et financier entre ces entreprises rendant caduque cette dérogation ; Que, la loi ne permet pas comme le prétendent à tort les prévenus à des entreprises ayant déjà des liens juridiques ou financiers avec des entreprises fabriquant du tabac, de faire de la publicité pour des produits commercialisés avant le 1er janvier 1990 et qui rappellent le tabac; Que, toute autre interprétation rendrait vaine, la législation prohibant la publicité en faveur du tabac, une concession de licence de marque permettant de promouvoir les produits du tabac ;

2°) Sur la compatibilité de l'article 3 de la loi du 10 janvier 1991 avec l'article 30 du Traité de Rome

Considérant que, cette réglementation a pour finalité la protection de la santé publique, une publicité rappelant un produit du tabac, étant de nature à en favoriser la consommation, dont le législateur a apprécié la nocivité; Qu'une interdiction totale de la publicité en faveur du tabac et nécessaire pour éviter, que sous le couvert de publicité en faveur de produits que le tabac, les fabricants de tabac ne parviennent à favoriser la consommation de leurs produits ; Que l'article 36 du Traité de Rome, permet au législateur national de prendre des mesures restreignant la libre circulation des marchandises pour des raisons de santé publique; Qu'il appartient aux Etats membres, à défaut d'harmonisation, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et la vie des personnes, tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la communauté;

Considérant que, les restrictions apportées à la publicité, par l'article 3 de la loi du 3 janvier 1991, s'appliquent sans distinction d'origine, aussi bien aux produits nationaux qu'aux produits importés d'autres Etats membres et fussent-ils des produits autres que le tabac qui comme en l'espèce par son nom et sa représentation symbolique rappelle un produit du tabac; Qu'il est vainement allégué que l'atteinte portée à l'exploitation d'une marque n'est pas proportionnelle au but recherché ; Qu'il est également vainement soutenu qu'il en résulterait une atteinte à la libre circulation des marchandises. Que, le texte susvisé est donc compatible avec l'article 30 du Traité de Rome; Qu'en l'absence de difficulté d'interprétation, il n'y a pas lieu de surseoir à statuer et de renvoyer la question préjudicielle à la Cour de Justice des Communautés européennes ;

Considérant que, la société W a concédé en 1987 à la société S, le droit d'exploiter la marque C, laquelle est liée à un fabricant de tabac, comme il a été rappelé dans l'exposé des faits; Qu'il existait donc entre la société S d'une part et la société R et la société R company d'autre part, des liens financiers qui la privent du bénéfice de la dérogation prévue à l'article 3 de la loi du 10 janvier 1990;

Considérant que les éléments constitutifs de l'infraction sont donc réunis ;

Considérant que la citation visait des faits commis sur l'ensemble du territoire national du mercredi 17 mars au mardi 30 mars ; que le tribunal était donc saisi pour l'ensemble de la campagne ;

3°) Sur la culpabilité de Monsieur Jean-Claude D

Considérant que, comme l'ont relevé les premiers juges, Monsieur Jean-Claude D est le Président du Conseil d'Administration de la société du même nom, laquelle est propriétaire de divers matériels urbains qui constituent des supports publicitaires ; Que, depuis 1982, elle a confié à sa filiale, la société RP dont Monsieur Jean-Pierre D est le Président du Conseil d'Administration, la responsabilité totale de la prospection, de l'organisation et de la gestion de ses contrats publicitaires; Que, les éléments constitutifs de l'infraction ne sont pas, dès lors, établis à l'encontre de Monsieur Jean-Claude Dsans qu'il soit besoin de rechercher s'il avait délégué ses pouvoirs ; Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a relaxé Monsieur Jean-Claude D des fins de poursuite.

Sur la culpabilité de Monsieur Jean-Pierre D

Considérant que, le tribunal par des motifs que la cour adopte, a retenu qu'en affichant une publicité pour un produit reprenant la marque " C " qu'il savait être une marque de cigarettes, il a sciemment procuré au responsable de la société S les moyens de commettre une infraction à la loi du 6 juillet 1976, le document intitulé " confirmation " adressé le 11 mars 1993 par la société S à la centrale d'achat d'espace U M, que celle-ci aurait ensuite communiqué, n'étant pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité personnelle. Qu'il s'est donc bien rendu coupable de l'infraction considérée.

Considérant que, comme l'a retenu le tribunal, le doute dont il fait état sur l'appréciation du texte ne pouvait conduire un professionnel de bonne foi, qu'à s'abstenir d'accepter une telle campagne publicitaire ; Qu'il a méconnu en connaissance de cause les dispositions de l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976; Que l'infraction est caractérisée dans tous ses éléments ; qu'il convient donc de confirmer le jugement tant sur la déclaration de culpabilité que sur la peine prononcée laquelle est justifiée eu égard à la gravité de l'infraction.

Sur la demande de non inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire

Considérant que Monsieur Jean-Pierre D se borne à solliciter cette mesure sans justifier des raisons pour lesquelles il devrait être dérogé au principe de l'inscription des condamnations sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire qui doit demeurer la règle.

Sur l'action civile

1°) Sur la recevabilité de l'action du CNCT

Considérant que, le CNCT qui a été créé pour lutter contre le tabagisme et qui est reconnu d'utilité publique à cet effet, subit un préjudice direct et personnel du fait d'une publicité illicite en faveur du tabac ; Qu'il est donc recevable à en demander réparation ;

2°) Sur l'évaluation du préjudice subi par le CNCT

Considérant que, la publicité incriminée a causé un préjudice au CNCT dont l'objet social est la lutte contre le tabagisme ; Qu'il est bien fondé à en demander réparation ;

Considérant que, la réparation " médiatique " réclamée par le CNCT, consiste en réalité à prétendre que le préjudice qu'il a subi ne peut être réparé qu'en lui donnant la possibilité de financer une campagne publicitaire de même ampleur que celle réalisée par la société S ;

Considérant que cependant, le CNCT avec les dommages intérêts qui lui ont été déjà alloués, n'a entrepris que des campagnes, limitées à l'insertion dans des journaux de quelques pages consacrées à souligner l'assimilation du tabagisme à la toxicomanie ; Que le tribunal a fait une exacte évaluation du préjudice résultant d'une campagne de 14 jours et que le jugement doit donc être confirmé de ce chef ; Que c'est à bon droit qu'il a condamné Monsieur Jean- Pierre D à payer des dommages intérêts au CNCT Que le jugement doit être également confirmé de ce chef ;

3°) Sur la demande de condamnation à des dommages intérêts de Monsieur Jean-Claude D

Considérant que la décision de relaxe étant confirmée, aucune condamnation à des dommages-intérêts ne saurait être prononcée à son encontre ; Que le CNCT doit donc être débouté de sa demande de ce chef ;

4°) Sur le grief tiré de l'imprécision de la citation

Considérant que le CNCT demandait au tribunal outre la condamnation pénale de Messieurs Jean-Claude et Jean-Pierre D, dirigeants respectifs des sociétés JC D et RP la condamnation de ces sociétés à payer des dommages et intérêts au CNCT en qualité de civilement responsables de leurs préposés ; Que la citation était suffisamment explicite, pour que le tribunal puisse condamner la société susvisée, en qualité de civilement responsable de son dirigeant social lequel était cité en cette qualité sans encourir le grief d'avoir statué ultra petita ; Que le moyen tiré de la modification de sa demande par le CNCT est donc inopérant ;

Considérant que, le tribunal a omis de statuer sur la demande de condamnation solidaire de la société civilement responsable de son dirigeant, au paiement de dommages intérêts et des amendes ; Qu'il convient donc d'évoquer et de réparer cette omission de statuer ;

4°) Sur la demande de non condamnation du civilement responsable ;

Considérant que, conformément aux dispositions de l'article 113, alinéas 1 et 2 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, modifiée par la loi n° 67-559 du 24 juillet 1967, le président du conseil d'administration assume sous sa responsabilité, la direction générale de la société et représente la société dans ses rapports avec les tiers ; Qu'il est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société ; Que par suite le CNCT doit être débouté de ce chef de demande à l'égard de la société RP ;

Considérant que, les prévenus, en faisant appel, ont contraint le CNCT à exposer des frais irrépétibles ; Qu'il convient donc de lui allouer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

5°) Sur les demandes reconventionnelles fondées sur l'article 472 du Code de procédure pénale :

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que Monsieur Jean-Pierre D et la société RP ne sont pas fondés à réclamer une indemnisation sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale ;

Considérant en effet, que, comme l'ont relevé les premiers juges, d'une part, la preuve n'est pas rapportée que le CNCT ait agi de mauvaise foi à l'encontre de Monsieur Jean-Claude D et de la société du même nom, d'autre part, l'article 472 du Code de procédure pénale n'ouvre d'action qu'à la personne relaxée et non au civilement responsable de cette personne ; Que le jugement doit donc être également confirmé de ce chef ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels de Monsieur Jean-Pierre D, du Comité national contre le tabagisme et du Ministère Public, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions pénales. Evoquant, Dit la société Régie Publicitaire de mobilier urbain non civilement responsable de son dirigeant social Monsieur Jean-Pierre D, Confirme le jugement en ses dispositions civiles. Y ajoutant condamne Jean- Pierre D à payer au CNCT la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Dit inopérants, mal fondés ou extérieurs à la cause, tous autres moyens, fins ou conclusions contraires ou plus amples, les rejette. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable chaque condamné.