CA Paris, 13e ch. B, 9 mars 1995, n° 94-02988
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Ministère public et Comité national contre le tabagisme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bertonini
Avocats généraux :
M. Bartoli: Avocats : SCP Coblence, Mes Vaisse, Iscovici, Caballero
Conseillers :
Mmes Magnet, Marie
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Jacques L, Pierre S et Hans W ont été relaxés des fins de la poursuite du chef de publicité illicite en faveur du tabac et le tribunal les a déboutés de leurs demandes au titre de l'article 472 du Code de procédure pénale.
Le tribunal a déclaré Gérard C et Gerhard W coupables de publicité illicite en faveur du tabac en faisant paraître dans la presse écrite, depuis le mois de mars 1993, un grand nombre de publicités en faveur de la marque "C",
Le tribunal a condamné :
- Gérard C à la peine de 50 000 F d'amende,
- Gerhard W à la peine de 300 000 F d'amende,
les a déboutés de leur demandes au titre de l'article 472 et 475-1 du Code procédure pénale.
A déclaré irrecevables les demandes au titre de l'article 472 du Code de procédure pénale faites par les civilement responsables des prévenus.
Sur l'action civile le tribunal a condamné solidairement Gerhard W et Gérard C à verser au Comité National contre le tabagisme (CNCT) la somme de 400 000 F à titre de dommages- intérêts, et chacun à verser au CNCT la somme de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code procédure pénale.
A assujetti la décision à un droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable chaque condamné ;
Les appels :
Appel interjeté par :
W Gerhard et la société S, le 16 mars 1994,
M. Le Procureur de la République, le 16 mars 1994, à l'encontre de W Gerhard,
C Gérard et la société U M, le 17 mars 1994,
M. Le Procureur de la République, le 17 mars 1994, à l'encontre de C Gérard,
Le Comité national contre le tabagisme, le 21 mars 1994, à l'encontre de tous les prévenus,
Décision :
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés par Gerhard W, Gérard C, prévenus, la société S, la société U M, civilement responsables, le ministère public, le Comité national contre le tabagisme à l'encontre du jugement déféré ;
S'y référant pour l'exposé de la prévention.
Rappel des faits
Courant mars 1993, la société S, producteur de la marque C a fait réaliser une campagne publicitaire pour présenter son produit.
Les publicités étaient parues notamment dans les journaux suivants :
Vocable n° 200 ;
Autohebdo du 10 mars 1993 ;
L'Evènement du Jeudi n° 440 ;
VSD n° 811 ;
Sciences et Avenir n° 553 ;
Spectateur mars 1993
L'Etudiant n° 129 ;
Cinéphage n° 4122 ;
L'Autojournal du 15 avril 1993 ;
Sport Auto du 15 avril 1993 ;
Les photographies parues dans ces journaux, présentaient un homme debout au bord d'une falaise surplombant un paysage montagneux, et comportant sur sa partie supérieure le terme " C ", le terme " Boots " est d'un caractère plus fin, enfin une paire de souliers est représentée au bas de la publicité.
Le terme C est représenté par ce que l'on appelle le logo de la marque de cigarette C, c'est à dire par une représentation graphique particulière et originale, forme des lettres, entourage de celle-ci et couleur du mot, qui la symbolise ainsi de manière particulière et permanente ; en l'espèce les lettres étaient de couleur marron foncé sur fond jaune dans un genre d'écusson.
La société S fabrique et commercialise les produits "C" en vertu d'un contrat de licence de marque conclu le 15 mars 1987, avec la société WB.I. un avenant signé le 18 février 1988 et prenant effet le 1er janvier 1988 étendant ce contrat à la France.
La société WB.I. tenait les droits d'exploiter ces marques de la société S C G, laquelle est actionnaire d'une société C G fur M, cette dernière étant associée de RJ. R GmbH. La société WB.I., est en outre une filiale de la société N holding de la société RJ. R company producteur de cigarettes.
Le CNCT, par voie de conclusions fait valoir :
Sur l'action publique :
1°) Sur l'illicéité de la campagne
En premier lieu,
Que l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée par la loi du 10 janvier 1991 dispose :
" Toute propagande ou publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac, ainsi que toute distribution sont interdites ",
Que ce texte formule une interdiction de principe de toute forme de publicité indirecte en faveur du tabac, dans tous les médias, dans le but d'éviter, par une propagande insidieuse, la valorisation des marques de cigarettes ;
Que l'article 3 de la loi du 10 janvier 1991, précise en outre : " est considéré comme propagande ou publicité indirecte toute propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac ou un produit du tabac lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif, elle rappelle le tabac ou un produit du tabac ".
Qu'en définissant ainsi la publicité indirecte, le législateur a entendu mettre un terme définitif aux détournements constants de la législation antérieure par les cigarettiers. Ces derniers s'étant orientés d'une publicité sur les produits du tabac vers une publicité n'ayant plus rien à voir avec l'activité du tabac, mais rappelant de manière évidente ces produits.
Le CNCT estime que si, l'alinéa 2 de l'article 3 prévoit une dérogation à l'interdiction au profit " des produits mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, cette dérogation ne permet pas de préserver les droits acquis des sociétés qui diffusaient des produits autres que des produits du tabac mis sur le marché avant le 1er janvier 1990, mais au contraire pour but de mettre fin à toutes les précédentes tentatives de tourner la loi par les publicités indirectes.
Il soutient que, la date du 1er janvier 1990 a toujours eu pour objet d'éviter les fraudes par des cessions intempestives de marques à la veille de la loi, et non de préserver des droits acquis.
Sur le moyen des prévenus , tiré de l'interprétation stricte de la loi pénale, il prétend, que ce principe n'implique nullement une interprétation systématiquement restrictive des textes pénaux.
Sur le moyen tiré de l'absence de liens financiers de la société S avec les cigarettiers, il fait observer, que le tribunal a, à juste titre, décidé que la loi ne distinguait pas entre les liens juridiques et financiers qu'ils soient directs ou indirects et fait remarquer, que l'argumentation des prévenus se référant à la jurisprudence civile en matière de chaîne de contrats, ne saurait être transposée au droit pénal spécial, dont les solutions sont traditionnellement autonomes.
Il ajoute que de toute façon, la condamnation des prévenus peut être fondée sur la notion " d'entreprise commercialisant un produit du tabac ". L'entreprise étant selon l'acceptation communément admise, une entité économique regroupant plusieurs sociétés à finalité commune.
Le CNCT estime qu'il existe de nombreux liens juridiques et financiers entre les sociétés du groupe " R T company " et précise que la société WB.I. fait partie de l'entreprise RJ. R T, qui fabrique et commercialise la marque de cigarettes C et que la société S a un lien juridique avec la société WB.I.
Il prétend que le contrat de licence d'exploitation de la marque " C " conclu en 1987 entre la société WB.I. filiale du groupe Reynolds et la société S a créée entre ces deux sociétés des liens juridiques et financiers.
En deuxième lieu :
Le CNCT estime que la réglementation française interdisant la publicité indirectes des produits du tabac, est conforme au droit communautaire ;
- d'une part, parce qu'elle ne distingue pas entre les produits importés et les produits nationaux, et ne constitue pas, de ce fait, des mesures d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité de Rome ;
- d'autre part, parce qu'elle est, en tout état de cause, justifié par le souci de l'Etat français de protéger la santé publique au sens de l'article 36 de ce même traité, et n'est pas disproportionnée par rapport à cet objectif ;
Il précise que contrairement à ce que soutient la société S, le législateur ne règlemente pas les conditions de commercialisation et d'étiquetage des chaussures, mais les diverses formes de publicité insidieuse en faveur du tabac, et n'interdit pas à la société S d'importer et distribuer en France les chaussures de la marque C.
Sur la culpabilité des prévenus :
Le CNCT soutient :
- que M. W, dirigeant de la société S, en signant un contrat de licence d'exploitation de la marque C avec WB.I. filiale du groupe R, a créé des liens juridiques et financiers entre sa société et une entreprise fabricant du tabac ;
- que M. C, Président Directeur Général de la société U M reconnaît qu'il avait des doutes sur la licéité de la campagne, dès lors qu'il affirme avoir demandé à la société S une attestation de conformité à la loi de 1991, qu'il est donc bien complice des concepteurs et auteurs des publicités litigieuses ;
- que s'agissant de MM. W, S et L, dirigeants de R T Allemagne et R T France, ils sont restés inactifs face à la commission du délit alors qu'il avaient les moyens légaux de s'y opposer ;
- que s'agissant de M. Jacques L, Directeur général de R T France, il estime qu'il a été nécessairement informé de la campagne litigieuse, et qu'il avait la possibilité de prendre contact avec M. M Directeur de la société WB.I. et Directeur des ventes de RJ. R T France, pour lui demander de mettre fin à cette campagne, étant précisé que la société WB.I. dispose d'un bureau dans un immeuble voisin du siège de RJ. R T France ;
- que s'agissant de M. Pierre S, membre du conseil d'administration de R T France, il estime que le fait qu'il réside à Genève, ne l'empêchait pas de lire la presse française, et d'avoir ainsi connaissance de la campagne en cause, qu'étant également membre du conseil de surveillance de R T GmbH, il devait alerter les dirigeants du groupe R T GmbH en Allemagne du risque du que court la distribution de leurs cigarettes en France, que son inaction coupable, alors qu'il dispose des moyens juridiques d'alerte dans les conseils d'administration des deux sociétés, le rend complice du plan de fraude ourdi par les dirigeants du groupe R, en vue de tourner les dispositions de la loi française relatives à la publicité indirecte.
- Que s'agissant de M. Hans W Président et gérant de la société de droit allemand RJ. R T GmbH, filiale de la société américaine RJ. R T Company, sa position privilégiée au sein du groupe R, ajoutée au fait que l'entreprise qu'il dirige soit à la fois productrice et propriétaire des cigarettes C vendues en France, lui donnait également les moyens juridiques de s'opposer à la campagne litigieuse en faveur de la marque C. Il souligne que la société qu'il dirige est liée à la société R T France par un contrat de prestations de service du 11 février 1991 selon lequel : " la transmission à R des informations relatives aux dispositions législatives ou réglementaires, aux procédures judiciaires, ou aux autres mesures affectant ou susceptibles d'affecter les activités de R en France " et que R T GmbH a eu pendant longtemps le contrôle de la société S C Allemagne, propriétaire de la marque C cédée à S.
En conclusion, le CNCT demande la condamnation des " exécutants " M. W, M. C, mais également de condamner ses " instigateurs " à savoir S C Allemagne, propriétaire de la marque C cédée à S.
En conclusion, le CNCT demande la condamnation des " exécutants " M. W, M. C, mais également de condamner ses " instigateurs ", à savoir les dirigeants du groupe R T, MM. W, S et L et la condamnation des sociétés S, U M, R T France, civilement responsables ;
Le CNCT prétend que M. Jacques L, Directeur Général de la société RJ R T France a déjà fait l'objet de condamnations pénales et est par conséquent en état de récidive, il demande donc en application de l'article 4 de la loi du 10 janvier 1991, modifiant l'article 12 de la loi du 9 juillet 1976 que soit prononcée l'interdiction de la vente de cigarettes C pour une durée qui ne saurait être inférieure à un an ;
Sur l'action civile
Le CNCT demande qu'il lui soit alloué la somme de 2 070 760 F à titre de dommages- intérêts, pour justifier ce montant il expose que selon le " principe de réparation médiatique ", l'indemnité doit être égale à la somme illégalement dépensée en faveur de la publicité sur le tabac dans les médias ;
Il estime que la somme qui lui a été accordée par le tribunal est insuffisance pour compenser le préjudice qu'il a subi.
Sur le moyen tiré de ce que le jugement entrepris est entaché d'une irrégularité dans la mesure où les premiers juges ont statué ultra petita, en prononçant une condamnation civile à l'encontre de M. W et de M. C, alors que la citation directe du CNCT ne contenait, ni dans ses motifs, ni dans son objectif de demande tendant à la condamnation en dommages-intérêts de ceux-ci, cette citation demandant à dire et juger, les sociétés S et U M civilement responsables de leurs préposés et de les condamner à payer des dommages-intérêts, alors que les dirigeants ne sont pas, en droit commercial des préposés ; le CNCT prétend que cette argumentation revient à soulever l'irrecevabilité de la citation, et que cette exception de nullité devait être présentée in limine litis.
Il ajoute qu'en réalité, cette insuffisance de la citation repose sur une interprétation littérale du terme " préposé " qui ne saurait prévaloir en droit pénal, où cette expression a un sens beaucoup plus général et fait observer que parmi les responsables de l'opération litigieuse on trouve des préposés au sens strict.
Le CNCT prétend que bien plus le tribunal a omis de condamner les sociétés S et U M à garantir leurs dirigeants des condamnations qu'il prononçait contre eux et qu'il convient de réparer cette omission de statuer.
Il demande donc :
- la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré MM W et C coupables d'infraction à la loi du 10 janvier 1991,
- le rejet des questions préjudicielles soulevées par M. W et la société S visant à contester devant le Cour de Justice des Communautés Européennes, la compatibilité de la loi française avec les articles 30 et 36 du Traité de Rome,
- l'infirmation du jugement en ce qu'il a relaxé MM. L, S et W,
- la condamnation solidaire, de MM. L, S, W et C à lui verser la somme de 2 070 760 F à titre de dommages intérêts et celle de 50 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,
- la condamnation des sociétés R T France, R T GmbH et U M, civilement responsables de leurs préposés et dirigeants à lui payer la somme de 2 070 760 F à titre de dommages et intérêts et celle de 50 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
M. Gerhard W Président du directoire de la société S, appelant prévenu et la société S, société de droit allemand civilement responsable, M. Gérard C, Président directeur général de la société U M appelant prévenu et la société U M civilement responsable, M. L, M. S, M. W, relaxés en première instance et intimés, la société RJ. R T France et RJ. T GmbH civilement responsables font valoir par voie de conclusions :
Sur l'action publique
En premier lieu :
Qu'il bénéficient de l'exception prévue à l'article 3 de la loi du 10 janvier 1991, qui prévoit que l'interdiction de toute publicité directe ou indirecte ne s'applique pas à la publicité en faveur d'un produit autre que le tabac ou un produit du tabac qui a été mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac ;
Ils s'appuient sur les travaux parlementaires pour prétendre que le législateur, n'a pas limité l'exception aux identités fortuites entre les produits du tabac et les marques considérées et soutiennent qu'en retenant que la société S, qui est elle-même directement liée à W B Inc, est ainsi indirectement liée à un fabriquant de tabac et ne peut bénéficier de la dérogation instituée en faveur des produits mis sur le marché avant le 1er janvier 1990, le tribunal a méconnu le principe de l'interprétation restrictive de la loi pénale.
Qu'en effet le mécanisme juridique de la dérogation est le suivant :
Il faut qu'avant le 1er janvier 1990, le produit objet de la publicité, provienne d'une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, et qu'après cette date, il n'y ait pas création entre ces dernières entreprises et l'entreprise bénéficiaire de la dérogation, d'un lien juridique ou financier quelconque qui rendrait alors ladite dérogation caduque ;
Ils font observer que la dérogation doit permettre aux entreprises de tabac la poursuite des activités de diversification déjà engagée avant le 1er janvier 1990 ;
En deuxième lieu :
- sur la conformité de la loi du 10 janvier 1991 avec le droit communautaire :
Ils soutiennent que, si l'interprétation retenue par le tribunal devait être confirmée, il y aurait une incompatibilité de cette loi avec les dispositions du traité instituant la Communauté Européenne, qu'en effet, en vertu de l'article 30 du traité sont interdites les restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent.
Ils prétendent que, si la publicité des chaussures S était considérée comme illicite, la société S serait contrainte de modifier la dénomination et la présentation sous lesquelles les produits en question sont traditionnellement commercialisés dans les autres Etats membres, en vue de leur commercialisation en France et que cela reviendrait à quasiment exclure toute promotion en leur faveur ;
Qu'ainsi sont affectées les possibilités de commercialisation en France de produits traditionnellement commercialisés dans les autres Etats membres de l'Union européenne, ce qui isole le marché français des autres marchés de l'Union ;
Ils font également valoir que si la libre circulation des marchandises ne peut être justifiée par le souci de protéger la santé publique, encore faut-il que l'obstacle aux importations qui en résulte soit proportionné à l'exigence impérative d'intérêt général, que la réglementation nationale vise à satisfaire et qu'en l'espèce il faudrait démontrer que l'usage de la marque litigieuse a pour objet d'inciter le consommateur à fumer ;
Ils demandent à titre subsidiaire que la Cour de Justice des Communautés Européennes soit interrogée ;
sur leur culpabilité :
M. W et la société S précisent, que la société S est le premier fabriquant de chaussures d'Europe occidentale et que pour organiser la commercialisation de ses productions, elle développe comme la plupart des industriels du secteur de l'habillement une politique de licence ;
Ils ajoutent que, contrairement à ce que soutient le CNCT, la société S n'est pas une société factice inféodée à R, faisant des chaussures C des alibis, et que le but de la campagne que cette société avait menée consistait uniquement à rechercher la promotion de sa gamme de chaussures C ;
Ils indiquent que, les chaussures C avaient été mises sur le marché avant le 1er janvier 1990, et qu'au 1er janvier 1990, la société S était juridiquement et financièrement distincte d'une entreprise liée au tabac et précisent, d'une part que, le seul rapport juridique existant avant la date du 1er janvier 1990 concerne la licence de marque signée entre la société S et la société W B Inc, d'autre part, qu'aucune société de tabac n'exerce un contrôle ou une influence notable dans la société ;
Ils font observer, que la société W B Inc, qui lui a concédé une licence exclusive d'utilisation de la marque C a pour activité la gestion d'un portefeuille de marque, et non pas la fabrication, l'importation ou la commercialisation du tabac, et que la société N, société mère de RJR R Company, est un groupe diversifié dont les activités vont bien au-delà de l'industrie du tabac, puisqu'elle est largement présente dans le secteur de l'agro-alimentaire ;
Ils font remarquer que la publicité litigieuse était destinée à développer davantage la vente des chaussures C et non à promouvoir un produit du tabac ou à inciter les consommateurs à fumer ;
M. C et la société U M soutiennent pour leur part, que cette dernière a reçu pour instruction de procéder à l'achat d'espaces publicitaires pour le compte de S, en vue de la diffusion de ces publicités, que dans ces conditions, elle a acheté de l'espace dans treize publications parues aux mois de mars et avril 1993, afin de diffuser une publicité pour les chaussures " C " et que la société U M a agi dans cette affaire qu'en qualité de mandataire de la société S.
Ils précisent que la société U M n'avait aucun contrôle sur le contenu des publicités et n'était liée par aucun contrat à la société R T company ;
Qu'en outre, la centrale d'achat d'espaces, comme il a été dit plus haut, n'est qu'un mandataire dont le statut résulte de l'application de la loi 93-122 du 29 janvier 1993 et qui ne peut, ni ne doit intervenir dans la création de la publicité, ne devant que rendre des services techniques consistant en la réservation et le suivi de l'exécution des ordres passés pour le compte de l'annonceur ;
Que, de plus, la société U M avait préalablement au lancement de cette campagne publicitaire, obtenu de la société S une attestation de conformité à la loi du 10 janvier 1991, qui n'était pas de pure complaisance ;
MM L, S et W, les sociétés RJ R T soutiennent pour leur part que, la société R T France est une simple société de services n'ayant aucun intérêt financier dans les ventes de cigarettes en France et qu'elle s'est bornée dès lors, conformément au contrat de prestation de service la liant à R T GmbH à la seule exécution de sa mission de surveillance de la commercialisation et de la distribution en France par la Seita de cigarettes fabriquées par la société R T GmbH ;
Ils précisent que la CNCT, a choisi de citer outre le président de la société R T GmbH, M. Hans-Joachim W, non pas le président du conseil d'administration de la société R T France, mais son directeur général, non administrateur, M. Jacques L et M. Pierre S, membres du conseil de surveillance de la société R T GmbH, désignée par celle-ci pour la représenter, comme représentant permanent, au sein du conseil d'administration de la société R T France et qui n'est donc le représentant légal d'aucune de ces deux sociétés et estiment qu'en conséquence, les publicités litigieuses ne peuvent leur être imputées.
Ils ajoutent qu'en matière de publicité illicite en faveur du tabac, une infraction ne peut être imputée à une personne qui n'a pas matériellement participé à l'infraction.
Sur l'état de récidive de M. L invoqué par le CNCT ils font remarquer, que les condamnations passées de M. L du chef de publicité illicite en faveur du tabac, ne sauraient, en quelque façon, lui donner le pouvoir aujourd'hui d'intervenir auprès de la société S, ou même de la société R T GmbH, pour empêcher la réalisation d'une campagne publicitaire qui ne le concerne aucunement ;
M. W sollicite sa relaxe, et à tout le moins une dispense de peine et la non-inscription de la condamnation sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire ;
M. C sollicite également sa relaxe ;
MM L, S et W demande la confirmation du jugement en ce qu'il les a relaxés des fins de la poursuite ;
Sur l'action civile
Sur les condamnations à des dommages-intérêts
M. W et la société S, M. C et la société U M, font observer que, les premiers juges ont statué ultra petita en prononçant une condamnation à des dommages-intérêts, alors que la citation directe du CNCT ne contient ni dans ses motifs ni sans son dispositif de demande tendant à la condamnation de M. W et M. C à payer des dommages-intérêts, et que les notes d'audience n'établissent pas que le CNCT ait modifié sa demande ;
M. W estime que sa qualité de président du directoire de la société S s'analyse comme étant celle d'un mandataire social laquelle est exclusive de celle de préposé, le président du directoire n'étant pas placé dans un lien de subordination par rapport à la société qu'il dirige avec les autres membres du directoire ;
Sur l'évaluation du préjudice
MM. L, S et W, et la société RJ R T France et R T GmbH, font observer que sur les dommages intérêts alloués en justice et obtenus au titre de transaction, le CNCT n'a pas effectué d'investissement publicitaire notable, en dehors de l'annonce de presse : " le tabac est une drogue " puisqu'il s'est borné pour le surplus à utiliser des espaces gratuits qu'il avait obtenus ils précisent que les factures précédemment versées aux débats par le CNCT pour justifier les frais de cette annonce étaient libellés le plus souvent à l'intention du C.F.E.S.
Se portant demandeur reconventionnels M. W et la société S réclament la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts sur le fondement des dispositions de l'article 472 du Code de procédure pénale.
MM. L, S, W et les sociétés R T France et R T GmbH réclament quant à eux 100 000 F à titre de dommages intérêts sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale.
Sur l'action publique
1°) Sur le moyen tiré de l'illicéité de la campagne d'affichage
Considérant que, selon l'article 3 de la loi du 10 janvier 1991, devenu l'article 355-26 du Code de la santé publique : " est considéré comme propagande ou publicité indirecte une propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac ou le produit du tabac, lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif, elle rappelle le tabac ou un produit du tabac ;
Considérant que, le mot C, qui rappelle sans confusion possible une marque de tabac, était présenté sous la forme du logo utilisé par cette marque; Que cette allusion à une marque connue de tabac, s'accompagnait d'une photographie d'un homme sur une montagne, évoquant l'aventure, thème à la mode et délibérément choisi par la marque C ; Que cette présentation flatteuse d'une marque de tabac, constitue une publicité indirecte en faveur du tabac, qui est interdite par l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976;
Considérant que les prévenus soutiennent, qu'ils bénéficient de la dérogation instaurée au bénéfice des produits autres que le tabac ou un produit du tabac, mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, la création de tout lien juridique et financier entre ces entreprises rendant caduque cette dérogation;
Considérant que, cette dérogation ne peut bénéficier, qu'à des entreprises juridiquement et financièrement distinctes d'une entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac, cet avantage étant perdu, par elles en cas de création de liens juridiques ou financiers postérieurement au 1er janvier 1990; Que la loi ne permet pas, comme le prétendent à tort les prévenus, à des entreprises ayant déjà des liens juridiques ou financiers avec des entreprises fabriquant du tabac, de faire de la publicité pour des produits commercialisés avant le 1er janvier 1990 et qui rappellent le tabac; Que toute autre interprétation rendrait vaine, la législation prohibant la publicité en faveur du tabac, une concession de licence de marque permettant de promouvoir les produits du tabac;
2°) Sur la compatibilité de l'article 3 de la loi du 10 janvier 1991 avec l'article 30 du traité de Rome
Considérant que, cette réglementation a pour finalité la protection de la santé publique, une publicité rappelant un produit du tabac, étant de nature à en favoriser la consommation, dont le législateur a apprécié la nocivité ; Qu'une interdiction totale de la publicité en faveur du tabac est nécessaire pour éviter, que sous le couvert de publicité en faveur de produits autres que le tabac, les fabricants de tabac ne parviennent à favoriser la consommation de leurs produits; Que l'article 36 du traité de Rome permet au législateur national de prendre des mesures restreignant la libre circulation des marchandises pour des raisons de santé publique; Qu'il appartient aux Etats membres, à défaut d'harmonisation, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et la vie des personnes, tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la communauté ;
Considérant que, les restrictions apportées à la publicité, par l'article 3 de la loi du 10 janvier 1991, s'appliquent sans distinction d'origine, aussi bien aux produits nationaux qu'aux produits importés d'autres Etats membres et fussent-ils des produits autres que le tabac qui, comme en l'espèce, par son nom et sa représentation symbolique rappelle un produit du tabac; Qu'il est vainement allégué que l'atteinte portée à l'exploitation d'une marque n'est pas proportionnelle au but recherché ; Que le texte susvisé est donc compatible avec l'article 30 du traité de Rome; Qu'en l'absence de difficulté d'interprétation, il n'y a pas lieu de surseoir à statuer et de renvoyer la question préjudicielle à la Cour de Justice des communautés européennes ;
Considérant que, la société WB.I. a concédé en 1987 à la société S, le droit d'exploiter la marque C, laquelle est liée à un fabricant de tabac, comme il a été rappelé dans l'exposé des faits; Qu'il existait donc, entre la société S d'une part, et la société RJ. R GmbH, la société RJ. R company d'autre part, des liens financiers, qui la privent du bénéfice de la dérogation prévue à l'article 3 de la loi du 10 janvier 1991;
Considérant que les éléments constitutifs de l'infraction sont donc réunis ;
3°) Sur la culpabilité de M. W
Considérant que, par des motifs que la Cour adopte, les premiers juges ont relevé que M. Gerhard W est le Président du directoire de la société S AG et qu'il reconnaît être l'annonceur de la publicité incriminée ; Que son attention avait été attirée par la société U M, qui lui avait indiqué le 11 mars 1993 :
la marque C a été mise sur le marché de la Communauté européenne en 1978 et livrée en France depuis 1987.
S est juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise fabricant, important ou commercialisant du tabac ou des produits du tabac.
Qu'il ne saurait invoquer la méprise qu'il a commise sur l'interprétation à donner de la loi ; Qu'il résulte de ce qui précède, qu'il a méconnu en connaissance de cause, les dispositions de l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 ; Que les éléments constitutifs de l'infraction sont caractérisés et qu'il convient de confirmer le jugement tant sur la déclaration de culpabilité, que sur la peine prononcée, laquelle est justifiée eu égard à la gravité de l'infraction ;
4°) Sur la demande de non inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire
Considérant que M. W se borne à solliciter cette mesure sans justifier des raisons pour lesquelles il devrait être dérogé au principe de l'inscription des condamnations sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire, qui doit demeurer la règle ;
5°) Sur la culpabilité de M. C
Considérant que, comme l'ont relevé les premiers juges, M. C est le Président du Conseil d'administration de la société U M, centrale d'achat d'espaces ayant comme activité déclarée " l'achat, la vente, la location et la commercialisation d'espaces destinés à la diffusion de tous messages publicitaires sur tout support et par quelque procédé que ce soit " ; Que si la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, peut-être interprétée comme ne conférant aux centrales d'achat d'espaces qu'un rôle de mandataire, celles-ci peuvent toutefois contracter une obligation de conseil ; Que la société U M promettait dans sa plaquette de présentation notamment des études adaptées aux préoccupations particulières des annonceurs, qu'elle a ainsi promis de conseiller l'annonceur ; Que comme l'ont retenu les premiers juges, M. C était nécessairement informé du sujet du message publicitaire pour remplir sa mission; Qu'il s'était d'ailleurs renseigné sur l'existence de liens financiers éventuels entre la société S et des fabricants de tabac; Qu'au surplus, il ne pouvait lui échapper, que l'utilisation de la marque C supposait une autorisation du titulaire de cette marque ; Qu'il avait le pouvoir de droit de prévenir effectivement le délit; Qu'en effet, en sa qualité de Président du Conseil d'administration de la société U M, centrale d'achat d'espaces publicitaires, il pouvait refuser le contrat qui lui était proposé et avait pour effet de valoriser une marque de tabac sous le couvert de promouvoir la vente d'objets apparemment étrangers au tabac; Qu'il résulte de ce qui précède, qu'il a méconnu en connaissance de cause, les dispositions de l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 devenu l'article 355-25 du Code de la santé publique; Que les éléments constitutifs de l'infraction sont caractérisés et qu'il convient donc de confirmer le jugement tant sur la déclaration de culpabilité, que sur la peine prononcée laquelle est justifiée eu égard à la gravité de l'infraction ;
6°) Sur la culpabilité de MM. L, S et W
Considérant que, comme l'a relevé le tribunal, l'existence d'un lien de droit entre WB.I., filiale de RJ R T GmbH, filiale de RJ R T C, elle-même filiale de N, ne suffit pas à démontrer que les responsables de RJ R T GmbH et de sa filiale RJ. R T France, avaient les moyens d'empêcher les publicités incriminées ; Que les éléments constitutifs de l'infraction ne sont donc pas réunis à l'encontre de MM. L, S et W ; Que, le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il les a relaxés des fins de la poursuite ;
Considérant que, dans ces conditions le moyen développé sur l'absence d'état de récidive de M. L est inopérant ;
Sur l'action civile
1°) Sur la recevabilité de l'action du CNCT
Considérant que, le CNCT qui a été créé pour lutter contre le tabagisme et qui est reconnu d'utilisé publique à cet effet, subit un préjudice direct et personnel du fait d'une publicité illicite en faveur du tabac ; Qu'il est donc recevable à en demander réparation ;
2°) Sur l'évaluation du préjudice subi par le CNCT
Considérant que, la publicité incriminée a causé un préjudice au CNCT dont l'objet social est la lutte contre le tabagisme ; Qu'il est bien fondé à en demander réparation ;
Considérant que, la réparation " médiatique " réclamée par le CNCT, consiste en réalité à prétendre que le préjudice qu'il a subi ne peut être réparé qu'en lui donnant la possibilité de financer une campagne publicitaire de même ampleur que celle réalisée par la société S ;
Considérant que cependant, le CNCT avec les dommages intérêts qui lui ont été alloués à l'occasion d'autres litiges, n'a entrepris que des campagnes, limitées à l'insertion dans des journaux de quelques pages consacrées à souligner l'assimilation du tabagisme à la toxicomanie ; Que le tribunal a fait une exacte évaluation du préjudice et que le jugement doit donc être confirmé de ce chef ; Que c'est à bon droit qu'il a condamné MM. W et C à payer à des dommages intérêts au C.N.T.C. Que le jugement doit être également confirmé de ce chef ;
3°) Sur la demande de condamnation à des dommages intérêts de MM L, S et W
Considérant que la décision de relaxe étant confirmée, aucune condamnation à des dommages-intérêts ne saurait être prononcée à leur encontre ; Que le jugement doit encore être confirmé de ce chef ; Que de moyen tiré de l'imprécision de la citation est inopérant ;
4°) Sur la qualité de civilement responsable de la société S
Considérant que le président du directoire d'une société par action de droit allemande, assume sous sa responsabilité, la direction générale de la société et représente la société dans ses rapports avec les tiers ; Qu'il est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société ;
Considérant que la société S ne saurait été déclarée civilement responsable du président du directoire M. W ;
Considérant que conformément aux dispositions de l'article 113, alinéas 1 et 2 de la loi 66- 537 du 24 juillet 1966 modifiée par la loi n° 67-559 du 24 juillet 1967 : le président du conseil d'administration assume sous sa responsabilité, la direction générale de la société et représente la société dans ses rapports avec les tiers ; Que pour les mêmes motifs la société U M ne saurait être déclarée civilement responsable du président du conseil d'administration M. C ; Que par suite le CNCT doit être débouté de sa demande de ce chef de demande tant à l'égard de la société S que de la société U M ;
5°) Sur les demandes reconventionnelles fondées sur l'article 472 du Code de procédure pénale
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que MM. W et C, et que les sociétés S et U M ne sont pas fondées à réclamer une indemnisation sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale ;
Considérant que, comme l'ont relevé les premiers juges, d'une part, la preuve n'est pas rapportée que le CNCT ait agi de mauvaise foi à l'encontre de MM. W, S et L, d'autre part, l'article 472 du Code de procédure pénale n'ouvre d'action qu'à la personne relaxée et non au civilement responsable de cette personne ;
Que le jugement doit donc être également confirmé de ce chef ;
Par ces motifs, LA COUR : Statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit les appels de MM. W, C, des sociétés S, U M, du Ministère public à l'encontre de MM. W et C, du Comité national de lutte contre le tabagisme ; Sur l'action publique : Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions légales ; Sur l'action civile : Infirme le jugement en ce qu'il a déclaré les sociétés S et U M civilement responsables ; Confirme le jugement en ses autres dispositions civiles ; Condamne solidairement, MM W et C, à payer au CNCT, partie civile, la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Dits inopérants, mal fondés ou extérieurs à la cause, tous autre moyens, fins ou conclusions contraires ou plus amples, les rejette. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable chaque condamné.