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Décisions

Cass. crim., 29 mars 1995, n° 94-80.334

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon (faisant fonctions)

Rapporteur :

M. Jorda

Avocat général :

M. Perfetti

Avocat :

SCP Gatineau.

TGI Lille, du 27 mars 1992

27 mars 1992

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par R Daniel, V Jean-Jacques, contre l'arrêt n° 1123 de la Cour d'appel de Douai, chambre correctionnelle, du 21 octobre 1993, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, les a condamnés respectivement à 6 et 3 mois d'emprisonnement assortis du sursis simple ainsi qu'à 30 000 et 10 000 F d'amende, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - I - Sur le pourvoi de Jean-Jacques V : - Attendu que Jean-Jacques V a comparu devant la cour d'appel le 21 juin 1993 ; - qu'à l'issue des débats le président a avisé les parties que la décision serait rendue le 5 octobre 1993 ; qu'à cette date le délibéré a été prorogé au 21 octobre 1993, date à laquelle l'arrêt a été prononcé ;

Attendu, dès lors, que le pourvoi de Jean-Jacques V, déclaré le 29 octobre 1993, plus de cinq jours F après celui où la décision attaquée a été prononcée, est tardif ;

II - Sur le pourvoi de Daniel R : - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1 du Code de la consommation, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré R coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur ;

"aux motifs que le destinataire reçoit, outre le catalogue X, plusieurs pièces où ses nom et adresse figurent à plusieurs reprises, notamment à proximité du premier prix ; que la première loterie est présentée avec plusieurs photographies en couleur de lots, dont un véhicule de marque BMW ; que le courrier personnalisé qui lui est adressé l'invite à comparer son numéro de code avec celui qui figure sous un autocollant placé sur une photographie de la BMW ; que la conclusion de cette lettre de félicitations est que le destinataire a gagné le droit d'être "candidat" ; que celui-ci doit ensuite coller une vignette détachable pour préciser s'il désire recevoir une BMW ou sa contre- valeur en espèces ; que cette vignette doit être apposée sur un bon de participation joint à un bon de commande, de telle sorte que le client potentiel peut imaginer qu'il s'agit d'une même pièce ; que la deuxième loterie a pour effet d'inciter le destinataire à retourner sa réponse avant dix jour, de façon à participer au "super-pactole" de 200 000 F ; qu'à la lecture des pièces contradictoires, X peut ne s'engager à verser un lot de 50 000 F qu'au seul gagnant de la BMW, et à la condition supplémentaire que celui-ci "réagisse" dans le court délai fixé ; que la vente avec prime (une montre à quartz) est associé à un prétendu autre code, lequel est en fait imprimé sur tous les envois ; que dans l'esprit du consommateur ces trois jeux représentent un véritable amalgame ; que le "grand jeu BMW" est intégré dans le "grand tirage du nouvel an", lequel est composé de six jeux X ; que les lots étaient affectés entre les jeux si bien que le grand jeu BMW n'était pas attributaire de tous les prix figurant sur les imprimés ; que la BMW est indiquée comme gain possible alors qu'elle ne faisait pas partie de la dotation des jeux ; que de même les troisième, quatrième, cinquième et sixième prix du grand jeu BMW ont été attribués à d'autres jeux du grand tirage ; qu'il apparaissait ainsi qu'aucun des destinataires n'avait de chance de gagner les lots indiqués ; que si le règlement précisait que : "le grand jeu BMW fait partie du grand tirage du nouvel an 1990", le lecteur ne pouvait en réalité être suffisamment informé, car une ambiguïté réside dans l'expression "faire partie" qui, en français a le double sens soit l'élément constitutif (c'est-à-dire qu'il constitue un tout qui s'ajoute à d'autres éléments), soit de partie d'un tout avec une idée de retrait ; que dès lors, les éléments constitutifs du délit de publicité mensongère ou trompeuse sont caractérisés ;

"1°) alors qu'une publicité ne peut être qualifiée de trompeuse que si elle est de nature à induire en erreur un consommateur moyen sur la portée des engagements pris par l'annonceur ; qu'en l'espèce la lettre personnalisée figurant sur le dépliant publicitaire adressé à chaque participant indiquait à plusieurs reprises que celui-ci était "candidat" au gain de la BMW et que s'il était gagnant de cette voiture, il recevrait en plus un prix en espèces de 50 000 F ; que l'encart intitulé "Voici comment réclamer votre prix" énonçait : "vérifiez sous l'autocollant jaune de votre photo si vous possédez un code BMW valable ; si tel est le cas, vous êtes candidat au premier prix et gagnant à coup sûr des prix disponibles" ; que le certificat de participation était ainsi rédigé : "je réclame mon prix (...) je réponds sous 10 jours pour recevoir 50 000 F supplémentaires s'il s'avère que j'ai gagné la BMW" ; que le document intitulé "Annonce" comportait une liste de plusieurs "candidats au premier prix" ; qu'il ressortait clairement des énonciations concordantes de ces documents que le client n'avait pas nécessairement gagné la BMW mais qu'il ne s'agissait pour lui que d'une simple possibilité ; que dès lors, la publicité litigieuse ne pouvait être considérée ni comme mensongère ni comme étant de nature à induire en erreur ; qu'en entrant néanmoins en voie de condamnation, la cour d'appel a dénaturé le sens du message publicitaire litigieux et violé les textes visés au moyen ;

"2°) alors que dans des conclusions régulièrement déposées, le prévenu avait fait valoir que le règlement du jeu indiquait expressément non seulement que le grand jeu BMW faisait partie du grand tirage du nouvel an 1990, mais encore que tous les prix mis en jeu faisaient également partie de la dotation d'autres jeux du grand tirage du nouvel an, autrement dit que la dotation de ces différents jeux était globale ; qu'en s'abstenant de répondre à ce dernier chef des conclusions d'où il résultait que la publicité litigieuse ne pouvait être tenue pour mensongère ni trompeuse, dès lors que les lots non attribués dans le cadre du jeu BMW l'avaient été dans le cadre des autres jeux faisant partie du grand tirage du nouvel an, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"3°) alors qu'en dehors des prix en nature, deux prix en espèces étaient offerts, l'un de 50 000 F, qui revenait de plein droit au gagnant du premier prix, l'autre de 200 000 F, qui était tiré au sort parmi les participants ayant renvoyé leur bulletin dans les dix jours ; que dès lors la cour d'appel, qui avait admis à deux reprises que le jeu était constitué de deux loteries, ne pouvait sans se contredire déclarer que la lecture des pièces du jeu révélait que la société X pouvait ne verser qu'un seul lot en espèces, à savoir celui de 50 000 F ;

"4°) alors que le règlement du jeu indiquait expressément que la participation n'était liée à aucune obligation d'achat ; qu'en outre, l'encart "Comment réclamer votre prix" indiquait la marche à suivre selon que le client désirait ou non passer commande ; qu'au surplus le bulletin de participation et le bon de commande étaient matériellement distincts et d'ailleurs séparés par un ligne en pointillé matérialisant l'endroit où les deux bons devaient être détachés ; que dès lors aucune confusion n'était possible entre ces deux bulletins ; qu'en déclarant néanmoins que le client pouvait imaginer qu'il s'agissait d'une seule et même pièce, la cour d'appel a une fois encore dénaturé les documents litigieux ;

"5°) alors que le demandeur avait fait valoir que tous les participants ayant passé commande ont effectivement reçu le cadeau annoncé par le document publicitaire ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef des conclusions d'où il résultait que la publicité litigieuse ne comportait aucune allégation mensongère à cet égard, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1 et L. 121-5 du Code de la consommation, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'admettre que R avait délégué ses pouvoirs à V ;

"au motif adopté des premiers juges que la décision même d'organiser des jeux en utilisant le système du pré-tirage, ne pouvait constituer un simple acte d'exécution, mais relève de l'autorité de direction de la politique de l'entreprise ;

"alors que le chef d'entreprise peut déléguer ses pouvoirs dans tous les domaines où la loi ne l'interdit pas ; qu'aucune disposition légale n'interdit au chef d'entreprise de déléguer ses pouvoirs en matière de publicité ; que dès lors en déclarant que l'organisation des jeux publicitaires ressortit à la compétence exclusive du chef d'entreprise et engage nécessairement sa responsabilité personnelle, la cour d'appel a méconnu le principe précédemment rappelé et violé les textes visés au moyen ;

"et aux motifs propres que la lettre du 1er décembre 1987 par laquelle R prétend avoir délégué ses pouvoirs à V, indique "qu'à l'intérieur des fonctions de directeur commercial (de V), figure la responsabilité de prévoir, préparer, organiser et assurer l'exécution des différents jeux promotionnels organisés dans la société, ceci dans le cadre des lois, réglementations et déontologies professionnelles existantes" ; qu'il s'agit en réalité d'une définition des fonctions (de V) et non d'une délégation réelle de pouvoirs ; qu'au surplus R n'établit pas que V disposait des moyens notamment financiers utiles à l'accomplissement de sa mission ;

"alors que le chef d'entreprise peut s'exonérer de sa responsabilité pénale en déléguant ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour veiller à l'observation des dispositions en vigueur ; qu'en l'espèce il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que par lettre en date du 1er décembre 1987, R avait confié à V la responsabilité des jeux publicitaires organisés par la société X ; qu'eu égard à sa qualité de directeur commercial, V avait la compétence requise pour recevoir une délégation de pouvoir ; qu'en outre la responsabilité d'un secteur d'activité implique nécessairement que son titulaire dispose de l'autorité et des moyens nécessaires à l'exécution de sa tâche ; qu'en déniant néanmoins à la convention intervenue le 1er décembre 1987 entre R et V le caractère d'une délégation de pouvoirs, la cour d'appel en a dénaturé le sens et la portée et a violé les textes visés au moyen ;

"alors, en outre, que dans des conclusions régulièrement déposées, le prévenu avait fait valoir que par une attestation en date du 23 novembre 1990, V avait confirmé avoir reçu une délégation de pouvoir, le 1er décembre 1987 ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen péremptoire de défense, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Les moyens étant réunis ; - Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, a, par des motifs exempts d'insuffisance et de contradiction et répondant comme elle le devait aux conclusions dont elle était saisie, après avoir écarté la délégation de pouvoirs dont se prévalait le chef d'entreprise, caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit reproché au prévenu et ainsi justifié l'allocation aux parties civiles de dommages-intérêts réparant le préjudice découlant de l'infraction ;d'où il suit que les moyens qui se bornent à remettre en discussion l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Sur le pourvoi de Jean-Jacques V : - Le déclare irrecevable ;

Sur le pourvoi de Daniel R : - Le rejette.