CA Paris, 13e ch. B, 29 janvier 1998, n° 96-07545
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Ministère public, Comité national contre le tabagisme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sauret
Avocat général :
Mme Auclair
Avocats :
Mes Dauzier, Andrieu, Antonini.
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré :
- C Alain coupable de complicité de publicité illicite en faveur du tabac, de décembre 1994 à février 1995, à Paris et territoire national, infraction prévue par les articles 1, 2, 8, 12, 15 loi 76-616 du 09-07-1976, art. 121-6 et 121-7 du Code Pénal et réprimée par l'art. 121-6 et 121-7 du Code pénal,
- C Jean Dominique coupable de publicité illicite en faveur du tabac, de décembre 1994 à février 1995, à Paris et territoire national, infraction prévue par l'article 1, 2 8, 12, 15 loi 76- 616 du 09-07-1976,
Et par application de ces articles, a condamné :
- C Alain à 100 000 F d'amende, a déclaré la S civilement responsable a assujetti la décision à un droit fixe de procédure de 600 F ;
Sur l'action civile : le tribunal a reçu le Comité national contre le tabagisme en sa constitution de partie civile et a condamné solidairement C Alain et C Jean-Dominique à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts et chacun d'eux celle de 2 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Les appels :
Appel a été interjeté par :
C Jean-Dominique, le 4 octobre 1996 contre Comité national contre le tabagisme
Monsieur le Procureur de la république, le 4 octobre 1996 contre Monsieur C Jean.
S, le 4 octobre 1996 contre Comité national contre le tabagisme
Monsieur C Alain, le 4 octobre 1996 Comité national contre le tabagisme.
Monsieur le Procureur de la république, le 4 octobre 1996 contre Monsieur C Alain
Euro RSCG (société), le 4 octobre 1996 contre Comité national contre le tabagisme
Décision :
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés par les prévenus les civilement responsables la société Euro RSCG, la S et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention ;
C Alain et la société Euro RSCG, représentés par leur conseil, sollicitent par voie de conclusions conjointes l'infirmation du jugement entrepris.
A titre principal, ils demandent à la cour de constater que l'action publique est éteinte du fait de la loi d'amnistie du 3 août 1995 et que le tribunal correctionnel était incompétent pour connaître de la demande en dommages et intérêts présentée par le Comité national contre le tabagisme.
A titre subsidiaire, de dire et juger que les faits litigieux ne constituent pas une infraction aux dispositions des articles L. 355-25 et suivants du Code de la Santé publique et de prononcer la relaxe de C Alain en conséquence de débouter le CNCT de ses demandes.
A titre encore plus subsidiaire, les concluants demandent que la société Euro SCG soit condamnée à garantir C Alain de toute condamnation prononcée à son encontre.
A cet effet, les concluants font valoir :
En premier lieu que l'infraction reprochée à C Alain a été commise avant le 18 mai 1995 et ne peut être punie selon l'article L. 355-31 du Code de la santé publique que d'une amende de 50 à 500 000 F ;
Ils soutiennent que la loi du 3 août 1995 dispose en son article 2 : "sont amnistiés les délits pour lesquels seule une peine d'amende est encourue, à l'exclusion de toute autre peine ou mesure, lorsqu'ils ont été commis avant le 18 mai 1995" et que si l'article L. 355-31 du Code de la santé publique prévoit "en cas de récidive, le tribunal peut interdire pendant une durée de 1 à 5 ans la vente des produits qui ont fait l'objet de l'opération illégale", cette sanction éventuelle n'empêche pas l'application de la loi d'amnistie.
Ils précisent que C Alain ne se trouvant pas en état de récidive n'encoure pas d'autre peine qu'une peine d'amende et que si ce texte permet au tribunal d'ordonner la suppression, l'enlèvement ou la confiscation de la publicité interdite, cette mesure ne peut plus être ordonnée compte tenu de la date de commission des faits.
En second lieu, les concluants soutiennent que le tribunal qui a estimé que chacun "des visuels" utilisés lors de la campagne de publicité litigieuse, par leur graphisme, leur présentation rappellent le tabac, produit fabriqué par la S, a dénaturé la campagne de publicité liée à la privatisation de la S, son contenu et ses objectifs ne pouvant être considérés comme une publicité en faveur du tabac.
Ils soulignent que, dans le courant de l'année 1994, il a été prévu de réaliser la privatisation de la S en 1995 et de réaliser une campagne publicitaire destinée à provoquer la souscription d'actions par le public, de manière à permettre à la privatisation d'obtenir le meilleur résultat possible, conformément à ce qui avait été entrepris pour l'ensemble des autres privatisations décidées par le gouvernement.
C Alain et la société Euro SCG font observer que la campagne a été conçue avec le double souci de rechercher la meilleure efficacité commerciale tout en respectant les dispositions légales et notamment celles résultant de la loi du 10 janvier 1991 et qu'ainsi aucun produit du tabac ou aucune marque de tabac n'est montré ou cité dans ces annonces.
C Jean-Dominique et la S demandent par voie de conclusions conjointes l'infirmation du jugement entrepris, faisant valoir d'une part, que l'action publique est prescrite en application de la loi d'amnistie du 3 août 1995, d'autre part, que les faits de la cause ne constituent pas une infraction aux dispositions des articles L. 355-25 et L. 355-26 du Code de la santé publique et débouter en conséquence le CNCT de sa demande de dommages et intérêts, enfin à titre subsidiaire, ils sollicitent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a reçu la S en son intervention volontaire en sa qualité de civilement responsable et l'a déclarée solidairement responsable du paiement des amendes et des frais de justice mis à la charge de C Jean- Dominique.
A cet effet, les concluants font valoir :
En premier lieu que l'article 2 de la loi d'amnistie du 3 août 1995, dispose, dans le chapitre "amnistie de droit" que sont amnistiés les délits pour lesquels seule une peine d'amende est encourue, à l'exception de toute autre peine ou mesure, lorsqu'ils ont été commis avant le 18 mai 1995.
Ils soulignent que l'emploi du terme "seule" excluait bien évidemment principalement en 1988 les infractions punies également de peines d'emprisonnement ainsi que celle donnant à des peines ou mesures complémentaires telles que des mesures de fermeture d'établissements ainsi que cela a été jugé de manière constante depuis la loi d'amnistie de 1974 et que c'est la raison pour laquelle le législateur de 1995 a ajouté, après les mots "sont amnistiés les délits pour lesquels seule une peine d'amende est encourue" formule identique à cette retenue par les lois d'amnistie de 1981 et 1988, les mots "à l'exception de toute autre peine ou mesure" n'ayant d'autre objet que d'entériner la jurisprudence.
Les concluants ajoutent que dans le cadre de la loi d'amnistie de 1988, la jurisprudence a estimé que les faits poursuivis en application de la loi du 9 juillet 1976 étaient amnistiés, étant précisé que cette loi comme la loi du 10 janvier 1991 prévoyait la faculté pour le juge d'ordonner l'interdiction de vente des produits ayant fait l'objet d'une publicité illicite et la suppression de la publicité incriminée.
C Jean-Dominique et la S soutiennent que la faculté de faire supprimer la publicité illicite n'est ni une mesure à caractère pénal, ni une sanction complémentaire qui seules auraient pu faire obstacle à l'amnistie de plein droit prévue par la loi du 3 août 1995.
Ils considèrent que si l'on compare la loi de 1988 qui disposait que seuls les délits punis seulement d'une peine d'amende étaient amnistiés, et que la loi de 1995 qui dispose que les délits punis d'une seule peine d'amende à l'exclusion de toute autre peine ou mesure sont amnistiés, permet de considérer qu'il n'y a aucune différence exégétique entre ces deux textes, le débat sur la nature des mesures pouvant être opposé au bénéfice de l'amnistie ayant existé de la même manière en 1988 et 1995.
Les concluants font observer que C Jean-Dominique n'étant pas en état de récidive, il n'encourt aucune autre sanction qu'une peine d'amende.
En deuxième lieu, qu'il était nécessaire pour inciter à la souscription d'action de la S de faire connaître non seulement l'entreprise : son nom et son marché, mais également sa stratégie tant au plan national que sa stratégie au regard de la recherche et de l'évolution de ses produits.
Les concluants font observer que la S est une entreprise quasiment monoproductive puisque l'essentiel de son activité est centrée sur le tabac et que l'objectif de ces campagnes était la vente des actions afin d'obtenir le meilleur résultat financier possible.
Les concluants font remarquer que la S dans l'esprit du public était avant tout perçue comme une administration, voire un service de l'administration fiscale et non pas comme une société commerciale préparée à la concurrence et qu'il convenait de corriger cette image ternie de l'entreprise soulignant qu'aucune marque de tabac n'a été citée, qu'aucun visuel ou emblème d'un produit quelconque du tabac n'a été reproduit, que chacun des visuels s'est clairement positionnée pour être attractif non pas vis-à-vis des acquéreurs potentiels d'action de la S.
C Jean-Dominique et la S soutiennent que l'article L. 355-26 du Code de la santé publique précise qu'est considérée comme propagande ou publicité indirecte toute propagande en faveur "d'un organisme d'un service, d'une activité d'un produit ou d'un article autre que le tabac lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque ou de tout autre signe distinctif elle rappelle le tabac "et font observer d'une part, que l'entreprise S n'est ni un service ni une activité, un produit ou un article au sens de ce texte, d'autre part, qu'on ne saurait considérer que la seule reproduction du mot "tabac" ou du mot "cigarettes" dans une publicité à connotation financière soit constitutive d'une publicité pour le tabac.
En troisième lieu que le tribunal s'est borné à considérer de manière simpliste les images comme des signes distinctifs rappelant indirectement le tabac sans analyser en quoi ces images seraient distinctives des produits du tabac.
Les concluants estiment qu'aucune des images incriminées ne sont au sens de la loi des graphismes, des emblèmes ou des signes distinctifs du tabac et ne rappellent pas le tabac ou un produit du tabac et font observer qu'il serait contraire à l'esprit dans lequel a été édictée la loi du 10 janvier 1991 de considérer dans le contexte présent que l'image d'une carotte de déboutant, d'une boîte d'allumettes, d'un calumet de la paix, d'une éprouvette, d'un plan de tabac ou d'origami de papillons en papier de cigarettes soient en eux-mêmes des signes rappelant le tabac ou l'un des produits du tabac fabriqué et commercialisé par la S.
Ils soulignent que le tribunal, pour deux des visuels poursuivis, a du rappeler les mentions annexes figurant sur les publicités pour caractériser l'infraction de publicité indirecte, alors même que ces mentions étaient exclues des poursuites.
Le Comité national contre le tabagisme représente par son conseil, demande outre la confirmation du jugement entrepris un somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale faisant valoir que les visuels incriminés rappelaient le tabac et constituaient de ce fait une infraction à la loi du 10 janvier 1991.
Rappel des faits
C Alain C Jean-Dominique ont fait paraître dans le cadre d'une campagne de publicité nationale cinq "visuels" occupant chacun deux pages, représentant :
-des "papillons" dans l'hebdomadaire le Point du 17 décembre 1994,
- une "carotte" d'enseigne de débit de tabac avec des mentions en japonais dans ce même hebdomadaire,
- une "éprouvette" contenant des feuilles de tabac dans le journal Le Monde du 15 décembre 1994,
- "calumet de la paix", dans l'hebdomadaire Télérama du 20 janvier 1995,
- une "boîte d'allumettes" dans l'hebdomadaire l'Express du 19 janvier 1995,
Le visuel "papillon" comportait le texte suivant : "la S est le numéro un des légères brunes et blondes en France". Les papillons étaient faits de papier à cigarettes et de papier filtres pliés, ornés d'une bague dorée semblables aux bagues des cigarettes filtre.
Le texte accompagnant le visuel éprouvette était le suivant : "Du plant de tabac au produit fini, des personnes travaillent dans les centres de recherche de la S pour mettre au point des cigarettes de plus en plus légères.
Cette campagne publicitaire avait été diffusée au cours des mois de décembre 1994 et janvier 1995 et précédait la privatisation de la société S, société nationale désignée comme "privatisable" par la loi du 19 juillet 1993 et sont les conditions de privatisation avaient été fixées par la loi du 27 décembre 1994, l'offre publique de vente débutant le 7 février 1995.
Sur ce
Sur le moyen tiré de l'amnistie
Considérant qu'aux termes de l'alinéa 1er de l'article 2 de la loi n° 95-884 du 3 août 1995 sont amnistiés les délits pour lesquels seule une peine d'amende est encourue, à l'exception de toute autre peine ou mesure, lorsqu'ils ont été commis avant le 18 mai 1995 ;
Que le législateur qui a retenu une rédaction différente de celle adoptée par les précédentes lois d'amnistie, a entendu exclure expressément du bénéfice de l'amnistie les infractions pour lesquelles une peine ou une mesure autre que l'amende peut être prononcée peu importe qu'il y eut encore une quelconque utilité les prononcer et quelqu'en soit la nature ;
Considérant que l'article 12 de la loi du 9 juillet 1976, dans sa rédaction issue de la loi du 10 janvier 1991, applicable aux faits de la cause, prévoit que le tribunal ordonne, s'il y a lieu, la suppression, l'enlèvement ou la confiscation de la publicité interdite aux frais des délinquants ;
Considérant que, dans ces conditions, les infractions à la loi du 9 juillet 1976 n'entrent pas dans le champ d'application de la loi d'amnistie susvisée ;
Que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il n'a déclaré éteinte par la loi du 3 août 1995 l'action publique ;
Sur le fond
Considérant que selon l'article L. 355-25 du Code de la santé publique, issu de la loi du 9 juillet 1976 dans sa rédaction modifiée par la loi du 10 janvier 1991, toute propagande ou publicité, directe en faveur du tabac ou des produits du tabac ainsi que toute distribution gratuite sont interdites ;
Considérant que la campagne publicitaire entreprise par la S n'avait pas pour but de promouvoir un produit du tabac ou le tabac lui-même et n'entre pas dans le champ d'application du texte précité ;
Que dans ces conditions, c'est à tort que les premiers juges ont retenu C Alain et C Jean- Dominique dans les liens de la prévention et qu'il convient donc d'infirmer le jugement déféré de ce chef et de les relaxer des fins de la poursuite ;
Considérant que par voie de conséquence, le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu'il a déclaré la société d'exploitation des tabacs et allumettes et la société Euro SCG civilement responsables de C Jean-Dominique et C Alain et que la mise en cause de ces sociétés doit être déclarée sans objet ;
Considérant que la demande du Comité national contre le tabagisme se trouve privée de fondement et que le jugement attaqué doit encore être infirmé de ce chef.
Par ces motifs LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels des prévenus, des sociétés civilement responsables et du Ministère public, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action publique éteinte par application de la loi d'amnistie du 3 août 1995, L'infirme pour le surplus, Relaxe C Alain et C Jean-Dominique des fins de la poursuite, Infirme le jugement en ce qu'il a déclaré la société d'exploitation des tabacs et allumettes et la société Euro SCG civilement responsables de C Jean-Dominique et de C Alain, Déclare la mise en cause de ces sociétés sans objet, Infirme le jugement attaqué en ses dispositions civiles, Déboute le Comité national contre le tabagisme de toutes ses demandes.