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Décisions

CJCE, 6e ch., 19 octobre 2000, n° C-15/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République italienne, Sardegna Lines - Servizi Marittimi della Sardegna SpA

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gulmann

Rapporteur :

M. Puissochet

Avocat général :

M. Fennelly

Juge :

Mme Macken

Avocats :

Mes Ferri, Caruso, Iaccarino, Carnevale

CJCE n° C-15/98

19 octobre 2000

LA COUR (sixième chambre),

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 22 janvier 1998, la République italienne a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, premier alinéa, CE), demandé l'annulation de la décision 98-95-CE de la Commission, du 21 octobre 1997, concernant une aide octroyée par la région de Sardaigne (Italie) au secteur de la navigation en Sardaigne (JO 1998, L 20, p. 30), et de la lettre du 14 novembre 1997 par laquelle la Commission l'a informée de sa décision d'engager la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE) à l'encontre d'aides au secteur de la navigation (prêts/crédits-bails à des conditions préférentielles pour l'achat, la conversion et la réparation de navires): amendement du régime d'aide couvert par C 23-96 (ex NN 181-95) (JO C 386, p. 6, ci-après la "décision du 14 novembre 1997").

2. Par requête déposée au greffe du Tribunal de première instance le 6 avril 1998 (affaire T-58-98), la société Sardegna Lines - Servizi Marittimi della Sardegna SpA (ci-après "Sardegna Lines") a, en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, demandé l'annulation de la décision 98-95.

3. Eu égard au fait que les recours dont la Cour et le Tribunal étaient respectivement saisis mettent tous deux en cause la validité de la décision 98-95, le Tribunal s'est dessaisi de l'affaire T-58-98, par ordonnance de la cinquième chambre élargie du 16 mars 1999, Sardegna Lines/Commission (non publiée au Recueil), afin que la Cour puisse statuer sur la demande en annulation de ladite décision. Cette affaire a été enregistrée au greffe de la Cour le 25 mars suivant sous le numéro C-105-99.

4. Étant donné la connexité des deux affaires, le président de la Cour a décidé, par ordonnance du 19 octobre 1999, de les joindre aux fins de la procédure orale et de l'arrêt, conformément à l'article 43 du règlement de procédure.

Les mesures de la Région de Sardaigne en faveur du secteur de la navigation en Sardaigne

5. Par la loi n° 20, du 15 mai 1951, relative à des mesures en faveur des compagnies de navigation (Bollettino ufficiale della Regione della Sardegna du 15 octobre 1952), modifiée par la loi n° 15, du 19 juillet 1954 (Bollettino ufficiale della Regione della Sardegna du 23 août 1954, ci-après la "loi n° 20-1951"), la Région de Sardaigne a mis en place un fonds destiné à financer des prêts aux compagnies de navigation ayant l'intention de construire, d'acquérir, de transformer, de modifier et de réparer des navires marchands.

6. Ces prêts étaient initialement réservés aux compagnies dont le siège social, le domicile fiscal ainsi que le port d'enregistrement étaient situés en Sardaigne (article 2). Ils sont plafonnés à 60 % du coût de l'opération. Toutefois, dans le cas de travaux de construction, de transformation ou de réparation pour lesquels le demandeur a déjà reçu une aide en vertu du droit national en vigueur, ils ne peuvent dépasser 20 % de l'investissement (article 5).

7. Les intérêts, commissions et autres charges liées aux prêts ne peuvent dépasser, pour l'emprunteur, 3,5 % du montant du prêt. Ce taux est porté à 4,5 % en cas d'octroi parallèle d'une aide en vertu du droit national (article 6). Le capital doit être remboursé en douze tranches annuelles au maximum, à partir de la troisième année suivant la mise en service du navire pour lequel le prêt a été consenti (article 9).

8. La loi n° 20-1951 a été modifiée par les articles 99 et 100 de la loi régionale n° 11, du 4 juin 1988, portant dispositions relatives à l'établissement du budget annuel de la Région de Sardaigne (loi de finances 1988, supplément ordinaire au Bollettino ufficiale della Regione della Sardegna du 6 juin 1988, ci-après la "loi n° 11-1988").

9. Conformément à l'article 99 de la loi n° 11-1988, qui remplace l'article 2 de la loi n° 20- 1951, l'entreprise souhaitant bénéficier d'un prêt doit remplir les conditions suivantes:

- l'entreprise doit avoir son siège principal et effectif, son siège administratif et son port d'enregistrement, ainsi que, le cas échéant, ses principaux entrepôts, dépôts et équipements accessoires dans l'une des villes maritimes de la région;

- tous les navires que possède l'entreprise doivent être inscrits dans les circonscriptions maritimes de la région;

- l'entreprise doit utiliser les ports de la région comme centre de ses activités de transport maritime en y faisant normalement escale; en cas d'exploitation de services réguliers, ceux-ci doivent avoir leur tête de ligne ou comporter une ou plusieurs escales périodiques dans l'un de ces ports;

- l'entreprise s'engage à radouber dans les ports de la région dès lors que les chantiers navals sardes disposent des capacités nécessaires, sauf cas de force majeure, exigences inévitables en matière d'affrètement ou raisons d'économie ou de rapidité évidentes;

- pour les navires jaugeant plus de 250 tonnes brutes, l'entreprise constitue un équipage particulier comprenant toutes les catégories de marins nécessaires à la bonne marche du navire en ne faisant appel qu'à des marins inscrits au rôle de service général du port d'immatriculation; elle choisit le personnel d'équipage tant général que spécialisé sur ce rôle, les seules limitations à cet égard étant celles prévues par les règles nationales sur l'emploi des gens de mer.

10. L'article 100 de la loi n° 11-1988 habilite les autorités sardes à accorder une subvention, sous forme de bonification d'intérêts, aux compagnies de navigation qui choisissent de financer l'acquisition d'un navire par le biais d'un crédit-bail plutôt que d'un emprunt. Cette subvention est égale à la différence entre le coût actuel de l'emprunt d'une somme correspondant à la charge du remboursement annuel, calculée au taux de référence pour le crédit naval, et la charge des intérêts afférents à un prêt d'un montant identique, calculé au taux de 5 %. À l'expiration du contrat, les navires pour lesquels une subvention a été octroyée peuvent être achetés par le locataire pour une somme égale à 1 % de leur prix d'achat.

11. La loi n° 11-1988 a été modifiée par l'article 36 de la loi n° 9, du 15 février 1996, portant dispositions relatives à l'établissement du budget annuel et pluriannuel de la Région de Sardaigne (loi de finances 1996, supplément ordinaire au Bollettino ufficiale della Regione autonoma della Sardegna du 17 février 1996, ci-après la "loi n° 9-1996").

12. La loi n° 9-1996 prévoit notamment que, en vue de rendre compatible la loi n° 20-1951 avec le droit communautaire et les directives applicables en la matière, l'article 2 de cette dernière loi et l'article 99 de la loi n° 11-1988 sont abrogés. La nouvelle loi modifie également certaines modalités financières des prêts et des crédits-bails et privilégie les opérations visant à introduire des moyens de transport nouveaux et de technologie avancée.

Les faits de l'espèce

Dans l'affaire C-15-98

13. La Commission a appris, à la suite d'une plainte, l'existence du régime d'aides aux armateurs sardes établi par la loi n° 20-1951, telle que modifiée par la loi n° 11-1988. Bien que ce régime ait été institué avant l'entrée en vigueur du traité CE, la Commission a estimé qu'il avait été substantiellement amendé après l'entrée en vigueur de ce dernier et l'a considéré dès lors comme une aide nouvelle non notifiée.

14. Par lettres en date des 10 septembre et 23 novembre 1993, la Commission a invité les autorités italiennes à lui fournir des renseignements sur le régime en question. Celles-ci lui ont alors transmis des informations et une réunion avec les services de la Commission s'est tenue à Rome le 18 janvier 1994. Toutefois, après cette date, les autorités italiennes n'ont plus répondu aux lettres de la Commission.

15. Par lettre du 24 juin 1996, la Commission a informé le Gouvernement italien de sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité et l'a invité à lui transmettre ses observations. Dans cette lettre, la Commission, d'une part, indiquait qu'elle considérait le régime d'aides aux armateurs sardes comme une aide nouvelle qui, dès lors qu'elle ne lui avait pas été notifiée, était illégale. D'autre part, sur la base des informations transmises, elle émettait des doutes sérieux sur la compatibilité de cette aide avec le marché commun.

16. Les États membres et les autres intéressés ont été informés de l'ouverture de cette procédure par la publication d'une communication de la Commission au Journal officiel des Communautés européennes (JO 1996, C 368, p. 2).

17. Le Gouvernement italien, par lettre du 31 octobre 1996, et les autorités sardes, par lettres des 11 octobre 1996 et 22 janvier 1997, ont présenté leurs observations. Ils ont fait valoir, en particulier, que le régime d'aides aux armateurs sardes avait, entre-temps, été modifié par la loi régionale n° 9-1996 en vue de répondre aux objections soulevées par la Commission. Les autorités sardes ont par ailleurs informé la Commission que le montant des prêts consentis à des entreprises du secteur de la navigation sur le fondement de la loi n° 20-1951, telle que modifiée par la loi n° 11-1988, s'élevait à la somme de 12 697 450 000 ITL.

18. Le 21 octobre 1997, la Commission a adopté la décision 98-95.

19. Dans cette décision, la Commission a constaté essentiellement les points suivants:

- la loi n° 11-1988 ayant modifié considérablement le régime d'aides aux armateurs sardes mis en place en 1951, le régime d'aides modifié constitue une aide nouvelle qui aurait dû être notifiée à la Commission conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité;

- ce régime d'aides constitue une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE) dès lors que "les entreprises bénéficiaires sont exonérées d'une charge financière qu'elles devraient normalement supporter (taux d'intérêt du marché et autres frais accessoires pour les prêts et les crédits-bails)", que "cette charge est financée par des ressources d'État (provenant en particulier des autorités sardes)", que "l'aide est sélective (et réservée au secteur de la navigation)" et que "l'aide a un effet sur les échanges entre États membres". Sur ce dernier point, la décision relève que plus de 90 % des marchandises échangées entre les États membres et la Sardaigne sont transportées par mer et que 65 % des transports touristiques (passagers avec véhicules) entre le continent et la Sardaigne sont assurés par des compagnies de navigation;

- le régime d'aides ne saurait bénéficier des dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 3, du traité dès lors qu'il viole les droits fondamentaux de la liberté d'établissement [article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE)] et de l'interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité [articles 6 et 48, paragraphe 2, du traité CE (devenus, après modification, articles 12 CE et 39, paragraphe 2, CE)];

la violation de la liberté d'établissement réside dans l'exclusion du bénéfice dudit régime d'aides des compagnies établies en Sardaigne, mais dont le siège est situé ailleurs ou dont les navires sont immatriculés ailleurs. L'obligation, dans le cas des navires jaugeant plus de 250 tonnes, d'employer un contingent minimal de marins figurant au rôle d'équipage du port sarde d'immatriculation du navire constitue, quant à elle, une violation du principe de non-discrimination;

- en tout état de cause, le régime d'aides ne répond pas aux conditions de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et c), du traité:

d'une part, bien que la Sardaigne soit éligible à une aide régionale au titre de l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité, l'aide en cause n'a pas été octroyée au titre d'un régime d'aides destiné à promouvoir le développement régional, car elle se limite au secteur de la navigation. Au demeurant, cette disposition ne saurait autoriser une aide qui ne respecte pas les orientations communautaires sur les aides à des secteurs sensibles spécifiques tels que le transport maritime;

d'autre part, en ce qui concerne les dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, ledit régime d'aides ne respecte pas l'obligation de transparence aux fins de l'application de la législation communautaire sur les aides à la construction navale [règlement (CE) n° 3094-95 du Conseil, du 22 décembre 1995 (JO L 332, p. 1), modifié par le règlement (CE) n° 1904-96 du Conseil, du 27 septembre 1996 (JO L 251, p. 5)] qu'imposent les orientations communautaires de 1989 sur les aides d'État aux compagnies de navigation [SEC(89) 921 final, du 3 août 1989] et celles de 1997 sur les aides d'État au transport maritime (JO 1997, C 205, p. 5). S'agissant des aides à la location de navires, elles constituent des aides à l'exploitation prohibées par lesdites orientations;

- le Gouvernement italien n'a contesté, au cours de la procédure administrative, ni le caractère d'aide nouvelle du régime d'aides aux armateurs sardes ni la violation des principes fondamentaux de la liberté d'établissement et de non-discrimination en raison de la nationalité;

- la décision 98-95 ne porte pas sur les récentes modifications apportées audit régime d'aides, en particulier par la loi n° 9-1996, qui feront l'objet d'un examen distinct.

20. La Commission a, par conséquent, considéré que les prêts et crédits-bails, d'un montant total de 12 697 450 000 ITL, octroyés à des entreprises du secteur de la navigation en vertu de la loi n° 20-1951, modifiée par la loi n° 11-1988, contiennent des éléments qui constituent des aides d'État à la fois illégales et incompatibles avec le traité (article 1er de la décision 98-95). Elle a également ordonné à la République italienne de récupérer auprès de chaque bénéficiaire des prêts et crédits-bails un montant correspondant à la différence entre, d'une part, le total des intérêts ou des autres charges que le bénéficiaire aurait dû supporter selon les conditions normales du marché et, d'autre part, ceux réellement acquittés par ce dernier (article 2 de la décision 98-95).

21. En outre, par décision du 14 novembre 1997, la Commission a engagé la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité à l'encontre du régime d'aides aux armateurs sardes, tel que modifié par la loi n° 9-1996. Cette décision a fait l'objet d'une communication de la Commission au Journal officiel des Communautés européennes (JO C 386, p. 6).

Dans l'affaire C-105-99

22. Au mois de juillet 1992, Sardegna Lines a bénéficié, sur le fondement de la loi n° 20-1951, modifiée par la loi n° 11-1988, d'un financement d'un montant de 9 600 000 000 ITL pour l'acquisition d'un navire destiné au transport de passagers, baptisé Moby Dream, d'un coût de 16 000 000 000 ITL.

23. Ce financement, égal à 60 % du montant de l'investissement, a pris la forme d'un prêt au taux de 3,5 %, remboursable en douze tranches annuelles d'un même montant, à partir de la troisième année suivant la mise en service effective dudit navire.

Sur la recevabilité des recours

Sur la recevabilité du recours de la République italienne

24. La Commission soulève une exception d'irrecevabilité à l'encontre de l'ensemble du recours introduit par la République italienne. Elle considère, en effet, qu'une requête doit normalement viser l'annulation d'un seul acte. Certes, la Cour a admis que, dans certains cas exceptionnels, un même recours poursuive l'annulation de plusieurs décisions. Ainsi en serait-il quand les décisions en cause sont parallèles d'un point de vue procédural, temporel et matériel (arrêt du 21 décembre 1954, France/Haute Autorité, 1-54, Rec. p. 7), ou quand l'une d'elles est la conséquence de l'autre (arrêt du 2 mars 1967, Simet et Feram/Haute Autorité, 25-65 et 26-65, Rec. p. 39), ou encore lorsque les décisions litigieuses relèvent d'une procédure administrative complexe (arrêt du 31 mars 1965, Ley/Commission, 12-64 et 29-64, Rec. p. 143). Toutefois, les deux décisions attaquées par la République italienne n'entreraient dans aucune de ces exceptions.

25. La Commission relève également que la requête de la République italienne ne distingue à aucun moment les moyens invoqués à l'encontre de la décision 98-95 et celle du 14 novembre 1997. Or, comme celles-ci portent sur deux régimes d'aides substantiellement différents, ces moyens ne sauraient être les mêmes et leur confusion devrait également conduire à l'irrecevabilité du recours dans son ensemble.

26. À titre subsidiaire, la Commission soutient que le recours de la République italienne est partiellement irrecevable en tant qu'il vise la décision du 14 novembre 1997. En effet, les moyens de la République italienne se réfèreraient uniquement à la décision 98-95.

27. La République italienne fait valoir, quant à elle, que le régime d'aides aux armateurs sardes aurait dû faire l'objet d'une procédure unique et que ce vice affecte tant la décision 98-95, qui a mis fin à la première procédure, que la décision du 14 novembre 1997 portant ouverture d'une seconde procédure. En outre, les deux décisions, qui portent sur le même régime d'aides, retiennent à l'encontre de celui-ci des griefs analogues. C'est la raison pour laquelle la demande d'annulation de la décision du 14 novembre 1997 n'a pas été fondée sur des moyens spécifiques. La République italienne souligne cependant que son recours vise, à titre principal, l'annulation de la décision 98-95 à laquelle tous les moyens soulevés se rapportent.

28. Il convient tout d'abord de relever que, à supposer même qu'un recours ne puisse viser l'annulation de plusieurs actes que si ceux-ci présentent un lien de connexité suffisant et que la décision 98-95 et celle du 14 novembre 1997 ne remplissent pas cette condition, ce défaut de connexité ne pourrait aboutir à l'irrecevabilité de la requête qu'en tant que celle-ci vise l'annulation de la seconde décision désignée.

29. Il y a lieu ensuite de rappeler que, conformément aux articles 19 du statut CE de la Cour de justice et 38, paragraphe 1, du règlement de procédure, la requête doit contenir, notamment, un exposé sommaire des moyens invoqués. Or, ainsi que la Commission l'a relevé dans son mémoire en défense et que la République italienne l'a elle-même admis dans son mémoire en réplique, l'ensemble des moyens et arguments soulevés par la requérante se rapportent en réalité à la seule décision 98-95.

30. Il en résulte que le recours de la République italienne est, en tout état de cause, irrecevable en tant qu'il vise l'annulation de la décision du 14 novembre 1997.

Sur la recevabilité du recours de Sardegna Lines

31. Sardegna Lines considère, sans être contredite par la Commission, qu'elle est directement et individuellement concernée par la décision 98-95 et que son recours est dès lors recevable. En effet, bien qu'elle soit adressée à la République italienne, cette décision l'affecterait substantiellement en tant qu'armateur sarde ayant bénéficié du régime d'aides mis en cause par la Commission, dès lors qu'elle devra procéder au remboursement de l'aide versée. La Cour aurait, au demeurant, déjà admis la recevabilité du recours d'une entreprise placée dans une situation analogue (arrêt du 13 avril 1994, Allemagne et Pleuger Worthington/Commission, C-324-90 et C-342-90, Rec. p. I-1173).

32. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les sujets autres que les destinataires d'une décision ne peuvent prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire (voir, notamment, arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25-62, Rec. p. 197, et du 2 avril 1998, Greenpeace Council e.a./Commission, C-321-95 P, Rec. p. I-1651, points 7 et 28).

33. La Cour a ainsi jugé qu'une entreprise ne saurait, en principe, attaquer une décision de la Commission interdisant un régime d'aides sectoriel si elle n'est concernée par cette décision qu'en raison de son appartenance au secteur en question et de sa qualité de bénéficiaire potentiel dudit régime. En effet, une telle décision se présente, à l'égard de l'entreprise requérante, comme une mesure de portée générale qui s'applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l'égard d'une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite (arrêts du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219, point 15, et du 7 décembre 1993, Federmineraria e.a./Commission, C-6-92, Rec. p. I-6357, point 14).

34. Toutefois, Sardegna Lines se trouve dans une position différente. En effet, elle n'est pas seulement concernée par la décision 98-95 en tant qu'entreprise du secteur de la navigation en Sardaigne, potentiellement bénéficiaire du régime d'aides aux armateurs sardes, mais également en sa qualité de bénéficiaire effective d'une aide individuelle octroyée au titre de ce régime et dont la Commission a ordonné la récupération.

35. Il s'ensuit que Sardegna Lines est individuellement concernée par la décision 98-95.

36. Par ailleurs, dans la mesure où l'article 2 de la décision 98-95 oblige la République italienne à récupérer auprès de chaque bénéficiaire des prêts et des crédits-bails l'élément d'aide qu'ils contiennent, Sardegna Lines doit être considérée comme directement concernée par cette décision.

37. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le recours de Sardegna Lines est recevable.

Sur le fond

Les moyens invoqués par les requérantes

38. La République italienne reproche, en premier lieu, à la Commission d'avoir soumis le régime d'aides aux armateurs sardes à deux procédures distinctes au lieu d'une procédure unique et d'avoir modifié l'objet de la procédure qui a abouti à l'adoption de la décision 98-95. Elle conteste, en second lieu, que cette dernière ait déclaré le régime incompatible avec le marché commun en raison de la violation des articles 6, 48, paragraphe 2, et 52 du traité et dénie, en tout état de cause, à la Commission toute compétence pour constater une telle violation dans le cadre de la procédure d'examen des aides d'État.

39. Sardegna Lines invoque, quant à elle, la violation par la Commission de la directive 90-684-CEE du Conseil, du 21 décembre 1990, concernant les aides à la construction navale (JO L 380, p. 27). Elle soutient également que la décision 98-95 viole l'article 92, paragraphe 1, du traité.

40. Pour le reste, les autres moyens soulevés par la République italienne et Sardegna Lines sont communs à celles-ci. Ils sont tirés respectivement de la qualification erronée d'aide nouvelle du régime d'aides aux armateurs sardes, d'une insuffisance de motivation de la décision 98-95 au regard de l'article 92, paragraphe 1, du traité, d'une violation de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et c), du traité et d'un défaut de motivation à l'égard des dispositions qu'il contient, ainsi que de l'illégalité de l'obligation de récupération des aides imposée par la décision 98-95.

Sur l'absence de procédure administrative unique (affaire C-15-98)

41. La République italienne soutient que les modifications apportées en 1988 et en 1996 au régime d'aides aux armateurs sardes n'ont pas affecté celui-ci en profondeur et que rien ne justifiait dès lors que ce régime fît l'objet de deux procédures administratives distinctes (voir, en ce sens, arrêt du 9 octobre 1984, Heineken Brouwerijen, 91-83 et 127-83, Rec. p. 3435). La prise en compte de la loi n° 9-1996 aurait, en revanche, permis à la Commission d'adopter une position définitive à l'égard dudit régime d'aides et d'aboutir, le cas échéant, à des conclusions différentes.

42. La Commission fait valoir, au contraire, que l'article 93, paragraphe 2, du traité lui faisait obligation d'ouvrir une nouvelle procédure à l'égard de ce régime d'aides, tel que modifié par la loi n° 9-1996. Au demeurant, si elle était tenue de prendre en compte les modifications apportées à un régime d'aides au cours de la procédure administrative, les États membres seraient en mesure de retarder indéfiniment l'adoption d'une décision finale.

43. À cet égard, il convient de relever que, lorsque la Commission a ouvert, à l'encontre d'un régime d'aides déjà mis en œuvre, la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité, elle ne saurait être tenue d'étendre cette procédure lorsque l'État membre concerné modifie ledit régime. En effet, dans le cas contraire, cet État serait effectivement en mesure de prolonger, à sa guise, ladite procédure et de retarder ainsi l'adoption d'une décision finale.

44. Cette solution n'est pas contredite par l'arrêt Heineken Brouwerijen, précité, dans lequel la Cour a dit pour droit que l'obligation, prévue à l'article 93, paragraphe 3, première phrase, du traité, d'informer la Commission des projets tendant à instituer ou à modifier des aides ne s'applique pas uniquement au projet initial, mais s'étend également aux modifications apportées ultérieurement à ce projet, étant entendu que ces informations peuvent être fournies à la Commission dans le cadre des consultations auxquelles a donné lieu la notification initiale. En effet, cet arrêt se réfère aux modifications qu'un projet d'aides peut subir au cours de son adoption et sa solution n'est, dès lors, pas transposable à une situation dans laquelle le régime d'aides était déjà en vigueur lorsque la Commission en a pris connaissance.

45. Au surplus, à supposer même que, ainsi que le prétend la République italienne, la loi n° 9-1996 ait effectivement rendu le régime d'aides aux armateurs sardes conforme au droit communautaire, la prise en compte de cette loi par la Commission aurait, en tout état de cause, été sans conséquence sur l'appréciation par cette dernière des aides accordées au titre dudit régime dans sa version antérieure.

46. Le moyen de la République italienne tiré du défaut de procédure administrative unique doit, dès lors, être rejeté.

Sur la modification de l'objet de la procédure (affaire C-15-98)

47. La République italienne estime cependant que la Commission, en décidant de ne pas tenir compte de la loi n° 9-1996 dans sa décision 98-95, a substantiellement modifié l'objet de la procédure ouverte en 1996. En effet, tandis que celle-ci concernait initialement un régime d'aides prétendument en vigueur, la décision qui y a mis fin porte sur un régime dont l'application a cessé. Or, le contrôle de la Commission ne pourrait s'exercer que sur un régime d'aides en cours d'application. Quand un régime a pris fin, ce contrôle devrait porter non plus sur le régime en tant que tel, mais sur les aides qui ont été effectivement versées sur le fondement de ce dernier.

48. Selon la République italienne, c'est d'ailleurs précisément ce qu'a fait la Commission en l'espèce lorsque, après avoir ouvert la procédure à l'encontre du régime d'aides dans sa version résultant de la loi n° 11-1988, elle a conclu, dans sa décision 98-95, à l'incompatibilité avec le marché commun des prêts et crédits-bails d'un montant total de 12 697 450 000 ITL octroyés à des compagnies de navigation sardes. Toutefois, sauf à porter atteinte au principe du contradictoire, une telle modification de l'objet de la procédure aurait dû être portée à la connaissance du Gouvernement italien et des intéressés, afin que ceux-ci pussent être en mesure de présenter des observations pertinentes et de défendre leurs intérêts.

49. La Commission conteste, en premier lieu, la prémisse de la République italienne selon laquelle son contrôle ne peut s'exercer sur un régime d'aides qui a cessé d'être applicable. En effet, il serait constant qu'elle est en droit, en vue de rétablir la situation antérieure, d'exiger la récupération des aides versées sur le fondement de tout régime contraire au traité (arrêt du 29 janvier 1998, Commission/Italie, C-280-95, Rec. p. I-259).

50. La Commission dénie, en second lieu, avoir modifié l'objet de la procédure. Elle rappelle que, selon son intitulé même, sa communication de 1996 informant les intéressés de l'ouverture de la procédure à l'encontre du régime d'aides litigieux visait les aides que les autorités sardes ont accordées aux armateurs sardes. La communication rappelait en outre l'obligation, pour la République italienne, de rétablir la situation antérieure en procédant à la récupération des aides illégalement versées. Il ne pouvait dès lors y avoir de doute que la procédure ne portait pas sur un régime conçu de manière abstraite, mais sur des aides concrètes octroyées au mépris du droit communautaire.

51. Il y a lieu de rappeler, d'une part, que, dans le cas d'un régime d'aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques générales du régime en cause, sans être tenue d'examiner chaque cas d'application particulier (voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 1987, Allemagne/Commission, 248-84, Rec. p. 4013, point 18, et du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C-75-97, Rec. p. I-3671, point 48). Or, cette faculté ne saurait être affectée par la circonstance que le régime d'aides concerné a cessé d'être en vigueur. En effet, dans cette hypothèse également, la Commission doit être en droit d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire dudit régime sur la base de ses caractéristiques générales.

52. Il convient de relever, d'autre part, que, contrairement à ce que prétend la République italienne, la Commission n'a pas modifié l'objet de la procédure qui a toujours porté sur le régime d'aides aux armateurs sardes mis en place par la loi n° 20-1951, telle que modifiée par la loi n° 11-1988. Ainsi, la Commission indique, au point VII de sa décision 98-95, que, en conclusion, le régime d'aides en cause est illégal et incompatible avec le marché commun et c'est à la lumière de cette conclusion que doit être lu le dispositif de ladite décision (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2000, Commission/Portugal, C-404-97, non encore publié au Recueil, point 41).

53. Le moyen de la République italienne tiré de la modification de la procédure doit dès lors être rejeté.

Sur l'insuffisance de motivation en ce qui concerne les conditions d'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité et la violation de cette disposition

54. La République italienne relève tout d'abord que la décision 98-95 ne précise nullement la raison pour laquelle le régime d'aides aux armateurs sardes est de nature à fausser ou à menacer de fausser la concurrence.

55. En ce qui concerne la condition tenant à l'incidence sur les échanges entre États membres, cette décision se bornerait ensuite à indiquer que le transport de marchandises entre ces derniers et la Sardaigne s'effectue à plus de 90 % par mer et que 65 % des transports touristiques (passagers avec véhicules) entre le continent et la Sardaigne sont assurés par des compagnies de navigation. Or, d'une part, ces pourcentages élevés ne seraient que la conséquence normale de l'insularité de la Sardaigne. D'autre part, ils n'impliqueraient pas nécessairement une incidence sur les échanges entre États membres dans la mesure où les liaisons extérieures de petites îles peuvent très bien dépendre entièrement du transport maritime sans que ces échanges soient pour autant affectés. Enfin, le volume des échanges entre la Sardaigne et les autres États membres serait, en tout état de cause, minime puisque 89 % des marchandises et 97 % des passagers en provenance ou à destination de cette île transitent par les ports italiens.

56. La République italienne en conclut que la décision 98-95 est insuffisamment motivée en ce qui concerne l'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité.

57. Sardegna Lines soutient tout d'abord que la Commission a violé cette dernière disposition.

58. À cet égard, elle relève que, contrairement à ce qu'exige la jurisprudence, la décision ne comporte aucune indication sur la situation du marché considéré, la part des entreprises intéressées sur ce marché, leurs exportations et les courants d'échanges des produits entre les États membres.

59. Cette circonstance serait d'autant plus grave que le marché concerné serait non pas celui des marchandises ou des services touristiques, mais celui des transports en provenance et à destination de la Sardaigne. Or, en vertu de l'article 6, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 3577-92 du Conseil, du 7 décembre 1992, concernant l'application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l'intérieur des États membres (cabotage maritime) (JO L 364, p. 7), le cabotage avec les îles de la Méditerranée n'aurait été libéralisé que depuis le 1er janvier 1999. Jusqu'à cette date, il n'aurait existé dès lors aucun risque que le régime d'aides aux armateurs sardes faussât ou menaçât de fausser la concurrence entre opérateurs italiens ni qu'il affectât les échanges entre États membres.

60. En invoquant les mêmes arguments, Sardegna Lines prétend également que la Commission a insuffisamment motivé, à cet égard, la décision 98-95.

61. La Commission soutient tout d'abord que les aides aux compagnies maritimes sardes sont accordées de manière sélective et qu'elles faussent donc nécessairement la concurrence. Elle fait valoir ensuite que la Sardaigne est l'une des trois plus grandes îles de la Méditerranée, qu'elle est accessible par mer aussi bien de la péninsule italienne que de la France et de l'Espagne qui ont, elles aussi, des compagnies maritimes et que, par conséquent, l'incidence sur les échanges entre ces États membres est certaine.

62. Enfin, selon la Commission, le règlement n° 3577-92 serait dépourvu de pertinence en l'espèce. En effet, celui-ci ne porterait pas, par définition, sur les transports maritimes entre États membres qui sont seuls concernés par la condition de l'article 92, paragraphe 1, du traité tenant à l'incidence sur les échanges. Or, les compagnies sardes bénéficiaires des aides pourraient aussi opérer sur les lignes maritimes avec la France ou l'Espagne. En outre, le règlement n° 3577-92 n'exclurait pas l'existence d'une concurrence entre entreprises sur le marché des transports maritimes entre la Sardaigne et la péninsule italienne. Ainsi, avant même le 1er janvier 1999, les compagnies non italiennes étaient en droit d'effectuer des services de cabotage maritime en Italie en enregistrant leurs navires dans cet État membre, sans bénéficier pour autant du régime d'aides aux armateurs sardes. En tout état de cause, ce dernier continuerait à produire ses effets au-delà du 1er janvier 1999.

63. À titre liminaire, il y a lieu de relever que, sous couvert d'une violation de l'article 92, paragraphe 1, du traité, Sardegna Lines reproche également à la Commission de ne pas avoir suffisamment motivé la décision 98-95 au regard de cette disposition.

64. Il convient ensuite de rappeler que l'article 92, paragraphe 1, du traité déclare incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

65. Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE) doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. L'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait ou de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 190 du traité doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, notamment, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367-95 P, Rec. p. I-1719, point 63).

66. S'agissant plus particulièrement d'une décision en matière d'aides d'État, la Cour a jugé que, s'il peut ressortir, dans certains cas, des circonstances mêmes dans lesquelles l'aide a été accordée qu'elle est de nature à affecter les échanges entre États membres et à fausser ou à menacer de fausser la concurrence, il incombe à tout le moins à la Commission d'évoquer ces circonstances dans les motifs de sa décision (arrêts du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296-82 et 318-82, Rec. p. 809, point 24, et du 24 octobre 1996, Allemagne e.a./Commission, C-329-93, C-62-95 et C-63-95, Rec. p. I-5151, point 52).

67. Or, en l'espèce, ainsi que l'a relevé la République italienne, la décision 98-95 est dépourvue de motivation en ce qui concerne l'atteinte à la concurrence par le régime d'aides aux armateurs sardes. En effet, une telle motivation ne saurait résulter de la simple affirmation selon laquelle l'aide est sélective et réservée au secteur de la navigation en Sardaigne. Au demeurant, ces aspects de ladite décision se rapportent moins à la condition de distorsion de la concurrence qu'à la condition de spécificité qui constitue l'une des autres caractéristiques de la notion d'aide d'État (voir arrêt Belgique/Commission, précité, point 26).

68. S'agissant de la condition tenant à l'incidence sur les échanges entre États membres, la Commission a indiqué, dans la décision 98-95, que les aides aux armateurs sardes ont un effet sur les échanges entre États membres dans la mesure où le transport de marchandises entre ceux-ci et la Sardaigne s'effectue à plus de 90 % par mer et où 65 % des transports touristiques (passagers avec véhicules) entre le continent et la Sardaigne sont assurés par des compagnies de navigation.

69. Ce faisant, la Commission a certes souligné l'importance du transport maritime pour les échanges entre la Sardaigne et le reste de la Communauté. Elle n'a toutefois pas fourni le moindre élément concernant la concurrence que se livreraient les compagnies maritimes sardes et celles établies dans les États membres autres que la République italienne. La Commission a ainsi omis de prendre en compte, à cet égard, la circonstance que, jusqu'au 1er janvier 1999, le cabotage avec les îles de la Méditerranée était exclu de la libéralisation des services de transport maritime à l'intérieur des États membres.

70. Certes, au cours de la procédure devant la Cour, la Commission a fait valoir un certain nombre d'éléments tendant à démontrer que cette dernière circonstance n'était pas de nature à exclure une incidence sur les échanges de services de transport maritime entre la Sardaigne et certains États membres autres que la République italienne, en particulier le Royaume d'Espagne et la République française. Toutefois, cette motivation ne figure pas dans la décision 98-95.

71. La Commission a également soutenu, devant la Cour, que le régime d'aides aux armateurs sardes affecte d'autant plus les échanges entre États membres que plusieurs des conditions supplémentaires introduites par la loi n° 11-1988 violeraient les principes fondamentaux de la liberté d'établissement et de l'interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité.

72. Il convient cependant de relever que, aux points I et VI de la décision 98-95, la Commission ne se fonde sur ces prétendues violations que pour écarter toute éventualité d'application des dérogations prévues à l'article 92, paragraphes 2 et 3, du traité.

73. Au vu de ce qui précède, il y a lieu d'accueillir le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision 98-95 au regard des conditions d'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité.

74. Par conséquent, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens invoqués par la République italienne et Sardegna Lines, il convient d'annuler la décision 98-95.

Sur les dépens

75. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 3 de la même disposition, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels.

76. En l'espèce, le recours de la République italienne dirigé contre la décision du 14 novembre 1997 est rejeté comme irrecevable. En revanche, les recours de la République italienne et de Sardegna Lines à l'encontre de la décision 98-95 sont accueillis.

77. Par conséquent, il convient de décider que, dans l'affaire C-15-98, la République italienne et la Commission supporteront chacune leurs propres dépens, tandis que, dans l'affaire C-105- 99, la Commission supportera l'ensemble des dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre)

déclare et arrête:

1°) Le recours de la République italienne dirigé contre la lettre du 14 novembre 1997, par laquelle la Commission l'a informée de sa décision d'engager la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE) à l'encontre d'aides au secteur de la navigation (prêts/crédits-bails à des conditions préférentielles pour l'achat, la conversion et la réparation des navires): amendement du régime d'aide couvert par C 23-96 (ex NN 181-95), est rejeté comme irrecevable.

2°) La décision 98-95-CE de la Commission, du 21 octobre 1997, concernant une aide octroyée par la région de Sardaigne (Italie) au secteur de la navigation en Sardaigne, est annulée.

3°) Dans l'affaire C-15-98, la République italienne et la Commission des Communautés européennes supporteront chacune leurs propres dépens.

4°) Dans l'affaire C-105-99, la Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.