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Décisions

TPICE, 2e ch., 8 juin 1995, n° T-459/93

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Siemens SA

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vesterdorf

Juges :

MM. Barrington, Saggio

Avocats :

Mes Piessevaux, van Raemdonck, Lagasse, Wissel.

TPICE n° T-459/93

8 juin 1995

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

Vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 23 novembre 1994, rend le présent arrêt:

Faits et procédure

1. Par sa décision 92-483-CEE, du 24 juin 1992, relative à des aides accordées par la région de Bruxelles-Capitale (Belgique) en faveur de Siemens SA dans le domaine de l'informatique et des télécommunications (JO L 288, p. 25, ci-après "décision"), la Commission a constaté l'incompatibilité avec le marché commun d'une partie de ces aides.

2. La décision concerne 17 dossiers de demande d'aides introduits par Siemens SA (ci-après "Siemens") auprès de la région de Bruxelles-Capitale entre juillet 1985 et août 1987, en application de la loi belge du 17 juillet 1959, "loi instaurant et coordonnant des mesures en vue de favoriser l'expansion économique et la création d'industries nouvelles" (ci-après "loi de 1959"). Par plusieurs décisions s'étalant de novembre 1985 à janvier 1988, l'exécutif de la région de Bruxelles-Capitale (ci-après "exécutif") a fait droit à ces demandes pour un montant total de 335 980 000 BFR, dont 290 921 000 BFR avaient déjà été versés à la date d'introduction du recours.

Cadre juridique du litige

3. La loi de 1959 établit un régime d'aides générales en faveur des opérations, visées à son article 1er, sous a), "contribuant directement à la création, l'extension, la conversion, la modernisation d'entreprises industrielles ou artisanales, que lesdites opérations soient effectuées par ces entreprises elles-mêmes, ou par d'autres personnes physiques ou morales, de droit privé ou public, mais pour autant qu'elles répondent à l'intérêt économique général". En son article 3, sous a), elle précise que des subventions peuvent être accordées aux organismes de crédit agréés à cette fin pour leur permettre de consentir en faveur des opérations visées à l'article 1er des prêts à taux d'intérêt réduit, à la condition que ces prêts servent à l'une des fins qui y sont énoncées, parmi lesquelles figurent notamment le financement direct des investissements en immeubles bâtis ou non bâtis et en outillages ou matériels, nécessaires à la réalisation desdites opérations.

4. Par la décision 75-397-CEE, du 17 juin 1975, concernant les aides accordées par le Gouvernement belge en application de la loi belge du 17 juillet 1959 instaurant et coordonnant des mesures en vue de favoriser l'expansion économique et la création d'industries nouvelles (JO L 177, p. 13, ci-après "décision 75-397"), la Commission a considéré que ce régime d'aides générales était incompatible avec le marché commun. Toutefois, la Commission a estimé, à l'article 1er de sa décision, qu'étaient compatibles avec le marché commun et ne devaient donc pas être notifiées préalablement en application de l'article 93, paragraphe 3, du traité CE, les aides octroyées sur la base du régime général qui s'insèrent dans un programme de caractère sectoriel ou régional, communiqué préalablement à la Commission, ou qui ne sont pas significatives. Les seuils à partir desquels les aides deviennent significatives et doivent être notifiées sont fixés par l'article 2 de la décision 75-397 et par la lettre SG (79) D10478 du 14 septembre 1979 de la Commission aux États membres, relative à la "notification des cas d'application des régimes d'aides généraux à l'investissement".

5. En ce qui concerne la forme des aides, la loi de 1959 prévoit notamment des bonifications d'intérêts sur les emprunts contractés avec les organismes de crédit agréés. De son côté, l'article 176 de la loi du 22 décembre 1977, relative aux propositions budgétaires 1977-1978 (ci-après "loi de 1977"), permet, en combinaison avec l'arrêté royal du 24 janvier 1978 (ci-après "arrêté royal de 1978"), l'octroi de primes en capital non récupérables d'un montant équivalant aux bonifications d'intérêts lorsque les opérations visées à l'article 1er de la loi de 1959 sont financées par les fonds propres de l'entreprise. Par lettre du 25 mai 1978, adressée aux autorités belges, la Commission a autorisé ces mesures. Dans le cas d'espèce, les aides octroyées sont des primes en capital non récupérables.

Contenu de la décision attaquée

6. Par lettre du 18 juillet 1991, la Commission a ouvert la procédure, prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité, à la suite d'informations publiées dans la presse belge sur le fait que la Cour des comptes belge avait soulevé des objections quant à la légalité des aides en cause. Après avoir entendu les autorités belges en leurs observations, elle a adopté la décision attaquée.

7. La décision, qui porte sur plusieurs mesures d'aide, opère une distinction entre sept catégories d'opérations bénéficiant de ces aides, à savoir la location de matériel aux clients, l'achat de matériel pour usage interne, les coûts de développement de logiciels, les coûts de formation, l'acquisition d'un bâtiment, les campagnes de publicité et les études de marché.

8. La Commission considère que les aides destinées au matériel pour usage interne ont été octroyées légalement, étant donné, d'une part, que ces dépenses correspondent aux types d'investissements expressément admis au bénéfice de l'aide en vertu de la loi de 1959 et, d'autre part, que le volume de ces investissements est constitué par des programmes individuels indépendants, qui n'excèdent pas les seuils de notification fixés dans la lettre aux États membres du 14 septembre 1979.

9. En revanche, la Commission estime que les coûts de formation, les campagnes de publicité et les études de marché ne figurent pas parmi les postes admissibles au bénéfice des aides prévues par la loi de 1959 et que l'octroi des aides les concernant constitue une intervention ad hoc qui aurait dû lui être notifiée en application de l'article 93, paragraphe 3, du traité. Néanmoins, la Commission considère que les aides destinées aux coûts de formation bénéficient de la dérogation prévue par l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité CE, du fait qu'elles sont destinées à faciliter le développement de certaines activités économiques et n'altèrent pas de manière préjudiciable les conditions de concurrence.

10. Enfin, les dépenses pour le matériel loué aux clients ne remplissent pas, selon la Commission, les conditions prévues par les articles 1er et 3, sous a), de la loi de 1959 et approuvées par la Commission, du fait qu'elles ne contribuent pas à la création, l'extension, la conversion ou la modernisation de la structure de Siemens. En outre, les aides au financement de ces opérations ne seraient pas non plus des aides en faveur des entreprises clientes, puisque celles-ci paieraient l'intégralité des loyers fixés de manière discrétionnaire par Siemens. Ces aides auraient donc la nature d'aides permanentes au fonctionnement de cette société. La Commission ajoute que, même si la loi de 1959 avait été applicable à ces dernières subventions, celles-ci auraient dû être notifiées, en application de l'article 93, paragraphe 3, du traité, à cause du dépassement des seuils établis par la lettre aux États membres du 14 septembre 1979.

11. La Commission estime, par ailleurs, que les aides, qui sortent du champ d'application de la décision 75-397, ne peuvent bénéficier d'aucune dérogation prévue par l'article 92 du traité. D'une part, le paragraphe 2 de cet article ne serait pas applicable en l'espèce, du fait que les aides ne poursuivent pas les objectifs visés par cette disposition du traité. D'autre part, les aides en question n'auraient pas une finalité régionale ou sectorielle et, partant, ne pourraient bénéficier des dérogations prévues aux points a) et c) du paragraphe 3 de ce même article. De même, ne seraient pas applicables au cas d'espèce les dérogations prévues au point b) du même paragraphe, étant donné que ces aides n'étaient pas destinées à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt commun ou à remédier à une perturbation grave de l'économie belge.

12. Sur la base de ces considérations, la Commission a décidé, à l'article 1er de la décision, ce qui suit:

"Sur le montant total des aides considérées, qui est de 335 980 000 BFR, accordées sous la forme de subventions par l'exécutif dans le cadre du régime d'aides instauré par la loi d'expansion économique du 17 juillet 1959, en faveur de dépenses de Siemens s'élevant à 2 647 294 000 BFR:

c) l'aide d'un montant de 256 445 000 BFR pour des dépenses consacrées à du matériel fourni en location-financement à des clients, à des campagnes de publicité et des études de marché a été accordée illégalement en violation des dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité et, après examen, ne remplit pas les conditions nécessaires pour que s'applique l'une des dérogations prévues à l'article 92, paragraphes 2 et 3, du traité; par conséquent, cette aide est incompatible avec le marché commun au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité."

13. Par l'article 2 de la décision, la Commission interdit à l'exécutif de procéder au paiement des aides accordées illégalement et non encore versées et l'oblige à demander le recouvrement des sommes versées pour les aides jugées incompatibles avec le marché commun, en suivant les procédures et les dispositions de la législation nationale, notamment celles qui concernent les intérêts de retard sur les créances de l'État. Ces sommes produisent des intérêts, d'après la décision, à partir de la date d'octroi des aides illégales.

Procédure

14. Par requête déposée au greffe de la Cour le 9 novembre 1992, Siemens a demandé l'annulation des articles 1er, sous c), et 2 de la décision.

15. Par demande déposée au greffe de la Cour le 10 février 1993, la République fédérale d'Allemagne a demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la partie requérante. Par ordonnance du 23 mars 1993, le président de la Cour a admis l'intervention.

16. Par ordonnance du 27 septembre 1993, la Cour a renvoyé la présente affaire devant le Tribunal, en application de l'article 4 de la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993, modifiant la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom instituant le Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 144, p. 21).

17. Au cours de la procédure écrite, le Tribunal a invité la Commission à répondre par écrit à certaines questions. En outre, à la demande de la partie requérante, le Tribunal a invité la Commission à produire les courriers échangés avec les autorités belges dans le cadre de la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité. Il a également invité les parties à présenter leurs observations sur les documents déposés par la Commission.

18. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. La procédure orale s'est déroulée le 23 novembre 1994.

Conclusions des parties

19. La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler l'article 1er, sous c), et subsidiairement l'article 2 de la décision;

- condamner la Commission aux dépens.

La partie intervenante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler l'article 2, troisième alinéa, de la décision.

La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours comme non fondé;

- condamner la requérante aux dépens.

Sur la recevabilité de l'intervention du Gouvernement allemand

20. La Commission s'interroge sur la recevabilité de l'intervention du Gouvernement allemand au soutien des conclusions de la requérante relatives à sa demande subsidiaire, au motif que ce soutien est fondé sur une interprétation du droit tout à fait opposée à celle proposée par la requérante. En particulier, le Gouvernement allemand soutient que la Commission, en imposant le versement des intérêts à compter de la date d'octroi des aides, a outrepassé ses compétences, alors que la requérante reproche à la défenderesse de ne pas avoir réglé la question des intérêts de manière exhaustive.

21. Le Tribunal rappelle que, selon l'article 37, troisième alinéa, du statut (CE) de la Cour, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d'autre objet que le soutien des conclusions de l'une des parties et que, selon l'article 116, paragraphe 3, du règlement de procédure, l'intervenant accepte le litige dans l'état où il se trouve lors de son intervention. A cet égard, il découle de la jurisprudence de la Cour que ces articles ne s'opposent pas à ce que l'intervenant présente des arguments différents de ceux de la partie qu'il soutient, dès lors que l'intervention vise toujours au soutien des conclusions présentées par cette dernière (arrêt de la Cour du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, 30-59, Rec. p. 1).

22. Or, en l'espèce, le Gouvernement allemand a conclu, comme la partie requérante, à ce que l'article 2, troisième alinéa, de la décision soit annulé.

23. Par conséquent, la différence entre les arguments présentés par la partie intervenante et ceux invoqués par la partie requérante ne peut conduire à l'irrecevabilité de la présente intervention.

Sur le fond

24. La requérante demande l'annulation de l'article 1er, sous c), de la décision en ce qu'il déclare illégales et incompatibles avec le marché commun les aides relatives aux campagnes de publicité et aux études de marché, ainsi que celles relatives à l'achat de matériel à louer. Subsidiairement, elle demande l'annulation de l'article 2 de la décision en ce qu'il ordonne la restitution des aides déjà versées, y compris les intérêts imposés à partir du jour de leur octroi.

I°) Quant à la légalité de l'article 1er, sous c), de la décision en ce qu'il porte sur les aides relatives aux campagnes de publicité et aux études de marché, ainsi que sur celles relatives à l'achat de matériel à louer

25. A l'appui de sa demande en annulation des dispositions susvisées de l'article 1er, sous c), de la décision, la requérante invoque une violation des formes substantielles. Par ailleurs, elle soutient, d'une part, que les aides en faveur des campagnes de publicité, des études de marché et de l'achat de matériel à louer relèvent du champ d'application du régime général autorisé et, d'autre part, que l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité est applicable auxdites aides.

A°) En ce qui concerne la violation des formes substantielles

26. La requérante invoque deux moyens tirés de la violation des formes substantielles. Ils sont pris respectivement d'un défaut de motivation de la décision et de la violation des droits de la défense pendant la procédure administrative.

1. Sur le défaut de motivation

Argumentation des parties

27. La requérante invoque un double défaut de motivation. D'une part, la Commission n'aurait pas expliqué pourquoi les investissements pour les campagnes de publicité et les études de marché n'entrent pas dans le champ d'application du régime d'aides générales en cause. D'autre part, la Commission serait arrivée "par induction" à la conclusion que Siemens avait fractionné artificiellement ses demandes d'aides, sans justifier l'existence de ce fractionnement par des données concrètes et spécifiques, sans en démontrer le caractère artificiel et sans prendre en considération les observations présentées à cet égard par les autorités belges pendant la procédure administrative.

28. Lors de la procédure orale, la défenderesse a répondu que ces arguments n'avaient pas été avancés au stade de la procédure écrite et qu'ils allaient au-delà du moyen tiré du défaut de motivation, énoncé de manière extrêmement brève dans la requête. Elle a ajouté que, en tout état de cause, selon la jurisprudence, la Commission n'est pas tenue de prendre position, dans ses décisions, sur tous les arguments invoqués au cours de la procédure administrative (arrêt du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, T-44-90, Rec. p. II-1).

Appréciation du Tribunal

29. Pour ce qui est de la recevabilité du moyen en cause, il convient de rappeler que l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure prévoit que la requête doit contenir l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués et que son article 48, paragraphe 2, interdit, en règle générale, la production de moyens nouveaux en cours d'instance.

30. En l'espèce, le Tribunal constate que, dans sa requête, Siemens a fait valoir le défaut de motivation et qu'en cours de procédure elle n'a fait que développer et approfondir ce moyen. Il s'ensuit qu'un tel moyen est recevable.

31. Quant au fond, il convient de souligner qu'il ressort de la jurisprudence que l'obligation de motivation des actes énumérés à l'article 189 du traité, inscrite à l'article 190 du traité, ne répond pas seulement à un souci formel, mais vise à donner aux parties la possibilité de défendre leurs droits, au juge communautaire d'exercer son contrôle et aux États membres, comme à tout ressortissant intéressé, de connaître les conditions dans lesquelles la Commission a fait application du traité (voir, notamment, l'arrêt de la Cour du 4 juillet 1963, Allemagne/Commission, 24-62, Rec. p. 129). Toutefois, il résulte également de la jurisprudence du Tribunal que, dans la motivation des décisions qu'elle est amenée à prendre pour assurer l'application des règles de concurrence, la Commission n'est pas obligée de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les intéressés et qu'il lui suffit d'exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de la décision (arrêt La Cinq/Commission, précité, point 41).

32. En l'espèce, le Tribunal constate que, pour ce qui est de la nature des campagnes de publicité et des études de marché, la Commission affirme, à la partie IV de la motivation de la décision (p. 29), qu'elles "ne figurent pas ... parmi les postes admissibles au bénéfice des aides prévues par la loi". Elle explique, par la suite (p. 31 de la décision), qu'elles "sont des aides au fonctionnement, puisque ces dépenses correspondent au type même des frais généraux d'exploitation qu'une entreprise doit supporter dans le cadre de ses activités normales".

33. De même, en ce qui concerne le prétendu fractionnement des demandes d'aides destinées à l'achat de matériel à louer, la Commission constate, à la partie IV de la motivation de la décision (p. 30), que "certains programmes d'investissements étaient fractionnés en plusieurs demandes, qui, en raison de l'homogénéité de la dépense et de la simultanéité de sa réalisation, auraient dû être traitées globalement par l'exécutif, comme un programme unique de dépenses". Elle en apporte, par la suite, des exemples. A cet égard, il convient d'observer que les aides pour l'achat de matériel à louer sont considérées par la Commission comme des aides permanentes au fonctionnement, échappant, par leur nature même, au régime général d'aides, institué par la loi de 1959 (voir la partie IV de la motivation, p. 29 de la décision).

34. Il résulte de ce qui précède que, sur les deux points mentionnés par la requérante, la Commission a exposé les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de la décision.

35. Il s'ensuit que la décision n'est entachée d'aucune insuffisance de motivation et que ce moyen doit être rejeté.

2. Sur la violation des droits de la défense

Argumentation des parties

36. La requérante fait valoir que, pendant la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité, la Commission a modifié son argumentation relative à l'illégalité des aides en cause, mais sans donner aux autorités belges la possibilité de présenter leurs observations sur ces nouveaux arguments. En effet, la Commission se serait approprié, pendant la procédure administrative, des appréciations de la Cour des comptes belge, selon lesquelles, d'une part, les aides étaient destinées à la constitution de stocks et profitaient à une entreprise très performante ne relevant pas de la catégorie des entreprises industrielles et artisanales, qui seules peuvent bénéficier d'aides sur la base de la loi de 1959 et, d'autre part, une partie des aides en cause aurait dépassé les seuils de notification fixés par la lettre du 14 septembre 1979, puisqu'elles auraient été supérieures à 3 millions d'écus et auraient constitué les 12 à 13 % du capital nécessaire à l'opération concernée. Par conséquent, la Commission, en basant sa décision finale sur le fait que les aides étaient destinées à subventionner le fonctionnement de l'entreprise bénéficiaire ainsi que sur le prétendu fractionnement artificiel des demandes d'aides, aurait violé les droits de la défense.

37. Lors de la procédure orale, la Commission a contesté la recevabilité du moyen en affirmant que la partie requérante ne pouvait se prévaloir d'une violation des droits de la défense des autorités belges à la place de celles-ci, étant donné qu'elles n'avaient pas attaqué la décision.

Appréciation du Tribunal

38. Sans qu'il soit nécessaire de statuer sur la recevabilité du moyen invoqué par la requérante, le Tribunal constate que, en l'espèce, la requérante se plaint du fait que, dans la décision, la Commission a justifié l'illégalité des aides en faisant valoir des éléments que les autorités belges ne connaissaient pas ou sur lesquels elles n'avaient pas eu la possibilité de présenter leur point de vue au cours de la procédure administrative. Ces prétentus éléments nouveaux porteraient sur la nature d'aides au fonctionnement des subventions attribuées à Siemens ainsi que sur le fractionnement artificiel des demandes d'aides.

39. Or, il ressort du dossier que les autorités belges ont été en mesure de connaître, lors de la procédure administrative, les éléments essentiels sur lesquels la Commission s'est fondée pour adopter la décision et d'exprimer leur point de vue à cet égard, notamment en ce qui concerne la nature des aides en cause et le prétendu fractionnement des dossiers. En effet, dans la lettre d'ouverture de la procédure administrative, la Commission s'est référée tant au but des opérations financées, qui consisterait en l'amélioration de "la position concurrentielle de la société Siemens, qui n'a pas eu à supporter l'intégralité du coût de (ses) investissements" (voir p. 4, deuxième paragraphe, de la lettre d'ouverture), qu'au dépassement du seuil de 3 millions d'écus fixé par la lettre du 14 septembre 1979, déjà citée, pour des aides "dont l'intensité se situe entre 10 et 15 %" (voir p. 3, deuxième paragraphe, de la lettre d'ouverture). Par le biais desdites références et observations, la Commission a incontestablement mis les autorités belges en mesure de faire connaître leur point de vue sur les éléments essentiels qui ont été à la base de sa décision. Le bien fondé de cette analyse est corroboré par la teneur de la correspondance échangée entre les autorités belges et la Commission pendant la procédure administrative. En effet, dans une lettre du 21 novembre 1991, ces autorités ont exprimé leur avis sur le prétendu fractionnement artificiel des demandes d'aides, en affirmant qu'un tel fractionnement n'avait pas pu avoir lieu étant donné "la spécificité des investissements en question, qui sont répartis sur toute la durée de l'exercice comptable et sur plusieurs exercices comptables". De même, dans une lettre du 13 mars 1992, les autorités belges ont présenté leurs observations sur le dépassement des seuils, en affirmant que les dossiers n'avaient "pas été considérés comme des cas significatifs", étant donné que, "au contraire, il s'agissait pour chaque dossier d'une globalisation d'un ensemble de dossiers individuels". Dans cette même lettre, les autorités belges se sont également prononcées, de manière indirecte, sur la nature des aides en cause, en affirmant que celles-ci n'avaient "jamais porté sur la constitution de stocks", ce qui implique que, d'après ces autorités, les aides en cause ne pouvaient pas être considérées comme des aides destinées au fonctionnement.

40. Il ressort de tout ce qui précède que les autorités belges ont eu connaissance, dans le cadre de la procédure administrative, des éléments essentiels qui sont à la base de la décision et que, partant, il n'y a pas eu de violation des droits de la défense.

41. Il s'ensuit que le moyen en cause n'est pas fondé et doit donc, en tout état de cause, être rejeté.

B°) En ce qui concerne l'encadrement, dans le régime général autorisé, des aides en faveur des campagnes de publicité, des études de marché et de l'achat de matériel à louer

42. Selon la requérante, les aides à l'élaboration de concepts de marketing et aux études de marché ainsi que les aides à l'achat de matériel à louer relèvent du champ d'application de la loi de 1959 et ne dépassent pas les seuils fixés par la lettre de la Commission du 14 septembre 1979. La Commission aurait donc commis une erreur de droit, une erreur d'appréciation des faits, ainsi qu'une violation de la décision 75-397, de la lettre du 14 septembre 1979 et de l'article 92, paragraphe 1, du traité.

1. Sur la nature des aides couvertes par les décisions d'autorisation de la Commission

Argumentation des parties

43. La requérante soutient que, contrairement à ce qui ressort de la décision (voir partie IV de la motivation, p. 29 et 30), les aides mentionnées au point 42 relèvent du régime général institué par la loi de 1959, mais ne sont pas soumises aux dispositions de son article 3, sous a). En effet, ces aides seraient octroyées, sous la forme de primes en capital non récupérables, sur la base des articles 176 de la loi de 1977 et 1er de l'arrêté royal de 1978, tandis que ledit article 3, sous a), se référerait uniquement à des subventions destinées aux organismes de crédit, pour leur permettre d'octroyer des prêts à des taux d'intérêts réduits. Étant donné que les dispositions précitées ne contiendraient aucune énumération des actions pouvant bénéficier de l'aide ni aucune référence à l'article 3, sous a), précité, les aides en cause relèveraient du régime général d'aides autorisé par la Commission. Par conséquent, elle estime que la Commission a commis une erreur de droit.

44. La Commission répond que l'article 3, sous a), de la loi de 1959 est applicable au cas d'espèce. En effet, les aides en question auraient été octroyées sous la forme de primes en capital non récupérables, sur la base de l'article 176, deuxième alinéa, de la loi de 1977, qui prévoirait cette forme de financement, destinée aux mêmes opérations que celles visées par la loi de 1959 et notamment par son article 3, sous a). Or, lorsque la Commission a, par sa lettre du 25 mai 1978, communiqué aux autorités belges qu'elle ne s'opposait pas à l'octroi des aides sous la forme de primes en capital, prévues par l'article 176 de la loi de 1977 et par l'article 1er de l'arrêté royal de 1978, c'était en considération du fait que les opérations concernées étaient soumises aux conditions de fond et aux objectifs fixés par la loi de 1959.

Appréciation du Tribunal

45. Il convient d'examiner si les dispositions en cause permettaient l'octroi d'aides destinées à des finalités autres que l'investissement. A cette fin, il faut interpréter les dispositions nationales concernant le régime général autorisé à la lumière des règles communautaires en la matière. Plus précisément, la loi de 1959 et l'article 176 de la loi de 1977, mis en œuvre par l'arrêté royal de 1978, doivent être interprétés conformément au contenu de la décision 75-397 et de la lettre du 25 mai 1978 ainsi qu'aux termes des dispositions pertinentes du traité.

46. A cet égard, le Tribunal rappelle que, en son article 1er, sous a), la loi de 1959 prévoit "une aide générale en faveur des opérations contribuant directement à la création, l'extension, la conversion, la modernisation d'entreprises industrielles ou artisanales ... pour autant qu'elles répondent à l'intérêt économique général" et, en son article 3, sous a), précise que ces aides sont octroyées sous la forme de bonifications d'intérêts sur les emprunts contractés auprès d'organismes de crédit agréés et qu'elles sont réservées au financement d'opérations d'investissement. La Commission a considéré, dans la décision 75-397, que le régime institué par la loi de 1959 était un système d'attribution "d'aides en faveur des investissements que les entreprises réalisent à ... divers titres" (p. 13 de la décision 75-397). Par cette décision, la Commission a autorisé ces aides à l'investissement à condition soit qu'elles s'inscrivent dans des programmes sectoriels ou régionaux soit que, en raison de leur montant, elles ne soient pas susceptibles d'avoir des conséquences significatives au regard de la concurrence et des échanges au sein de la Communauté (article 1er de la décision 75-397). Ensuite, par l'article 176 de la loi de 1977 mis en œuvre par l'arrêté royal de 1978, le Royaume de Belgique a prévu l'attribution d'une aide générale, sous la forme de primes en capital à fonds perdu, pour les opérations visées à l'article 1er de la loi de 1959. Par sa lettre du 25 mai 1978, concernant l'arrêté royal de 1978, la Commission a autorisé ces aides attribuées pour des "opérations d'investissement" dans le respect de la "procédure de contrôle" prévue par la décision 75-397 (p. 2 de la lettre).

47. Il découle de ce qui précède que, si les aides, attribuées par les autorités belges dans le cadre du régime général en cause, ne sont pas destinées aux investissements, elles ne peuvent bénéficier des décisions d'autorisation de la Commission et doivent, de ce fait, être notifiées en application de l'article 93, paragraphe 3, du traité.

48. Au surplus, il convient d'ajouter que, comme le soutient à juste titre la Commission, les aides au fonctionnement, à savoir les aides qui visent à libérer une entreprise des coûts qu'elle-même aurait dû normalement supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités normales, ne relèvent en principe pas du champ d'application de l'article 92, paragraphe 3, précité, et ne peuvent donc pas être considérées comme ayant été autorisées par la décision 75-397 et par la lettre du 25 mai 1978. En effet, selon la jurisprudence, ces aides, en principe, faussent les conditions de concurrence dans les secteurs où elles sont octroyées sans pour autant être capables, par leur nature même, d'atteindre un des buts fixés par les dispositions dérogatoires susmentionnées (voir, à ce propos, les arrêts de la Cour du 6 novembre 1990, Italie/Commission, C-86-89, Rec. p. I-3891, et du 14 février 1990, France/Commission, C-301-87, Rec. p. I-307).

49. Sur la base de ces considérations, l'argument de la requérante, tiré de la non-applicabilité, dans le cadre de l'arrêté royal de 1978, de l'article 3, sous a), de la loi de 1959, lequel énumère les opérations d'investissement pouvant bénéficier des aides générales, doit être écarté. Partant, ledit arrêté royal ne peut être interprété comme autorisant l'octroi d'aides générales autorisées qui ne sont pas destinées à une opération d'investissement.

2. Sur la nature des opérations en cause

Argumentation des parties

50. La requérante soutient que, même si l'article 3, sous a), de la loi de 1959 avait été applicable en l'espèce, la Commission aurait commis une erreur d'appréciation des faits, en considérant que tant les opérations d'élaboration de concepts de marketing et d'études de marché que celles d'achat de matériel à louer ne constituaient pas des opérations d'investissement, au sens de cette disposition. En effet, lesdites opérations auraient pour but d'obtenir des rendements futurs et, de ce fait, feraient l'objet d'amortissements sur les plans comptable et fiscal. En particulier, les opérations d'élaboration de concepts de marketing et d'études de marché auraient permis à la requérante de lancer de nouveaux produits, de pénétrer de nouveaux marchés et de renforcer sa présence sur des marchés existants. Quant à l'achat de matériel à louer, il figurerait dans son bilan sous la rubrique "actifs immobilisés" et lui permettrait de développer une nouvelle activité. En outre, la requérante conteste l'objection de la Commission, figurant dans la décision, selon laquelle l'acquisition du matériel à louer ne contribue pas à la création, l'extension, la conversion ou la modernisation de la structure de Siemens mais de celle des entreprises qui louent le matériel en question. En effet, l'article 1er, sous a), de la loi de 1959 prévoirait explicitement que les opérations bénéficiaires de l'aide peuvent être effectuées soit par les entreprises industrielles ou artisanales destinataires de l'aide générale, soit par d'autres personnes physiques ou morales de droit privé ou public, comme les locataires du matériel en cause. La Commission aurait donc apprécié les faits de manière inexacte et aurait violé en même temps la décision 75-397 et l'article 92, paragraphe 1, du traité.

51. La Commission répond, d'une part, que les aides destinées à des campagnes de publicité et à des études de marché constituent manifestement des aides au fonctionnement de Siemens. En effet, les opérations ayant trait "à des études qui précèdent le lancement de nouveaux produits ou la pénétration de nouveaux marchés", comme celles ici en cause, seraient des activités de commercialisation qui relèvent des activités normales de fonctionnement et qui ne peuvent donc pas bénéficier des aides générales en application de l'article 3, sous a), de la loi de 1959.

52. La Commission souligne, d'autre part, que l'activité de mise en location concerne essentiellement la commercialisation des produits et qu'elle ne peut donc pas moderniser la structure de Siemens. En effet, la commande de matériel aurait été effectuée après la signature du contrat de location et les aides allouées auraient été en "proportion directe" avec les revenus produits par la location puisque le prix de location du matériel dépendait nécessairement, d'après la Commission, du prix de son acquisition, lequel était, en l'espèce, subventionné. Ces aides constitueraient donc une subvention permanente à l'activité commerciale de Siemens et renforceraient ainsi artificiellement sa situation financière au risque de fausser la concurrence. Le fait que les dépenses d'achat de matériel feraient l'objet d'amortissements sur le plan comptable et fiscal, conformément à la législation nationale, serait sans pertinence pour apprécier la compatibilité des aides octroyées avec l'article 92, paragraphe 1, du traité, compte tenu du fait que la notion d'aide relève exclusivement du droit communautaire.

Appréciation du Tribunal

53. Comme la lettre du 25 mai 1978 n'autorise l'octroi d'aides sous la forme de primes en capital que pour le financement d'investissements, il y a lieu d'examiner si les aides qui font l'objet de la présente procédure sont destinées au financement d'investissements. A cet égard, il importe de rappeler qu'un tel examen implique des appréciations qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire (arrêt du 17 septembre 1980, Philip Morris Holland/Commission, 730-79, Rec. p. 2671, point 24) et que, partant, les arguments de type comptable et fiscal que la requérante tire du droit national ne sont pas pertinents en l'espèce.

54. Pour ce qui est des aides pour les campagnes de publicité et les études de marché, il ressort de la demande introduite par la requérante auprès des autorités belges, le 30 septembre 1985, intitulée "Programme d'investissement d'une valeur de 113 600 000 BFR pour Siemens à Bruxelles", que des "investissements immatériels pour un montant de 37 600 000 BFR sont prévus pour la commercialisation et la promotion de nouveaux produits. L'ordinateur individuel et le système de communication de bureau 'HICOM' en sont deux exemples". De même, il ressort du commentaire relatif au programme d'investissement annexé à la demande d'aides du 29 septembre 1986 que "le marché belge de la bureautique, de l'informatique et de l'automatisation des procédés de fabrication connaît une croissance spectaculaire", et que "afin de conserver, voire d'accroître (sa) part de marché dans ces secteurs, (elle intensifierait), au cours des années à venir, (ses) activités de commercialisation".

55. Il résulte de ce qui précède que ces aides étaient destinées à la commercialisation des produits de Siemens, qui constitue une activité courante de celle-ci. Partant, elles ne peuvent être considérées comme des aides à l'investissement et bénéficier de la décision de la Commission du 25 mai 1978 autorisant l'octroi de primes en capital aux aides à l'investissement.

56. Quant aux aides destinées à une opération d'achat de matériel devant être loué, qui consiste pour Siemens à acheter du matériel au sein de son groupe et à le placer sur le marché par le biais d'une location, il ressort des documents justificatifs annexés aux demandes d'aides du 19 juillet 1985, du 30 juin 1986, du 15 juillet 1986 et du 12 août 1987 que Siemens elle-même assimile l'opération en cause à la "vente classique" et affirme que, "grâce à cette méthode de vente", elle a "pu élargir fortement (sa) part de marché dans le secteur de l'informatique et de la bureautique" (voir, notamment, le document justificatif annexé à la lettre du 12 août 1987).

57. Le Tribunal constate que cette opération n'implique aucune modification technique ou structurelle et ne favorise aucun développement de Siemens autre qu'exclusivement commercial. Comme l'a affirmé la défenderesse, ces aides lui ont, en effet, permis, pendant une certaine période, d'offrir à ses clients des conditions artificiellement favorables et d'augmenter sa marge bénéficiaire sans aucune justification.

58. Enfin, la requérante ne saurait prétendre que les aides en cause contribuent à la création, l'extension, la conversion ou la modernisation des entreprises tierces auxquelles le matériel est loué et relèvent donc du régime général des aides autorisées. En effet, ces entreprises paient un loyer qui est fixé tout à fait librement par Siemens, laquelle reste donc la seule bénéficiaire desdites aides, qui lui permettent de réduire le loyer appliqué et de fausser ainsi la concurrence avec les entreprises concurrentes.

59. Il découle de ce qui précède que tant les aides pour les campagnes de publicité et les études de marché que celles pour l'achat de matériel à louer ne peuvent bénéficier, en raison de leur nature, de la décision 75-397 et de la lettre du 25 mai 1978.

3. Sur le dépassement des seuils relatifs à la notification des aides générales

Argumentation des parties

60. La requérante fait valoir que c'est à tort que la Commission a considéré que les aides pour l'achat de matériel à louer dépassaient les seuils de notification. Elle conteste, notamment, avoir fractionné artificiellement ses demandes d'aides, étant donné que, comme l'ont soutenu les autorités belges pendant la procédure administrative, chaque demande d'aides résultait de la globalisation d'investissements distincts, opérée uniquement à des fins de simplification administrative. La décision méconnaîtrait donc, d'une part, les règles fixées, pour la notification des aides, dans la lettre de la Commission du 14 septembre 1979, qui actualise les seuils prévus par la décision 75-397 et, d'autre part, l'article 92, paragraphe 1, du traité.

61. La Commission relève, en ce qui concerne le dépassement des seuils, qu'il est contradictoire d'affirmer que chaque demande d'aides était la globalisation d'investissements distincts et que chaque système informatique ou de télécommunications constituait un investissement séparé, sans expliquer précisément les critères de fractionnement des programmes d'investissement et justifier la globalisation des dossiers.

Appréciation du Tribunal

62. Il convient de relever que les objections de la requérante quant au dépassement des seuils de notification sont dépourvues de pertinence. En effet, dès lors qu'il a été jugé que les aides en cause ne pouvaient bénéficier de l'autorisation du régime général approuvé par la décision 75-397 et par la lettre du 25 mai 1978, en raison de leur nature d'aides au fonctionnement de l'entreprise, il n'y a pas lieu d'examiner si les conditions imposées par ces décisions, comme celle relative aux seuils de notification, ont été respectées.

4. Sur la qualification de certaines opérations comme étant relatives à des campagnes de publicité ainsi que sur la qualification des contrats de location comme des contrats de location-financement

Argumentation des parties

63. La requérante reproche à la Commission d'avoir considéré que ces investissements étaient relatifs à des campagnes de publicité alors qu'ils étaient destinés à l'amélioration de concepts de marketing.

64. Elle lui reproche également d'avoir parfois qualifié les contrats de location comme des contrats de location-financement et d'en avoir déduit, dans la décision, que les opérations en question étaient des opérations de fonctionnement et non des opérations d'investissement.

65. La Commission objecte que la qualification des aides en faveur des "campagnes de publicité" repose sur la description des actions entreprises par Siemens, figurant dans les annexes à la note transmise à la Commission par les autorités belges le 26 novembre 1991, où il est question de publicité, de promotion, de lancement de nouveaux produits et, donc, de commercialisation.

66. En outre, quant à la référence à la location-financement, elle relève qu'il y a eu une erreur de traduction, mais qu'elle n'a pris en considération que le fait que du matériel, appartenant à la requérante, a été mis en location.

Appréciation du Tribunal

67. En ce qui concerne la qualification de certaines opérations comme étant relatives à des campagnes de publicité, il convient de rappeler que c'est la partie requérante elle-même qui, dans ses demandes d'aides, a décrit ces opérations comme ayant pour objet "la commercialisation" et "la promotion de nouveaux produits" (voir les lettres du 30 septembre 1985 et du 29 septembre 1986) par la mise en place d'une "campagne publicitaire en vue de promouvoir l'intégration d'ordinateurs, d'ordinateurs individuels, de centraux téléphoniques, de serveurs et de terminaux" (voir le "commentaire relatif au programme d'investissement" annexé à la lettre du 29 septembre 1986).

68. Par ailleurs, le Tribunal constate que la qualification des contrats de location comme contrats de location-financement figure dans la décision ainsi que dans la correspondance échangée entre les autorités belges et la Commission (voir la lettre des autorités belges du 13 mars 1992), mais que, étant donné que, dans son appréciation sur la nature desdites opérations, la Commission, dans le cas concret, n'a jamais pris en considération l'aspect financier des opérations dites de location-financement, cette qualification est restée sans incidence sur l'appréciation desdites activités de Siemens. Il s'ensuit que la décision n'est entachée d'aucune contradiction ou confusion.

69. Il s'ensuit que le grief de la requérante est de nature purement terminologique et qu'il ne met pas en cause la nature d'aides au fonctionnement des subventions en cause.

70. Sur la base de toutes ces considérations, le Tribunal conclut que les aides en faveur des campagnes de publicité et des études de marché ainsi que celles en faveur de l'achat de matériel destiné à être loué ne relèvent pas du régime d'aides générales autorisé par la Commission et que, partant, il y a lieu de rejeter l'ensemble des moyens invoqués par la requérante.

C°) En ce qui concerne l'applicabilité de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité aux aides en faveur des campagnes de publicité, des études de marché et de l'achat de matériel à louer

Argumentation des parties

71. La requérante fait valoir que la Commission a opéré une appréciation inexacte des faits en considérant que les aides en cause ne pouvaient bénéficier des dérogations prévues par l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, et qu'elle a, de la sorte, violé cette disposition.

72. En premier lieu, elle affirme que c'est à tort que la Commission considère les investissements d'élaboration de concepts de marketing et d'études de marché comme des frais généraux d'exploitation qu'une entreprise doit supporter dans le cadre de ses activités normales. En effet, d'après elle, il s'agirait d'investissements immatériels qui font l'objet d'amortissements sur les plans comptable et fiscal et qui lui ont permis de lancer de nouveaux produits, de pénétrer de nouveaux marchés ou de renforcer sa présence sur des marchés existants. Ils auraient donc eu pour but de développer ses activités et d'améliorer ses structures.

73. En second lieu, la requérante conteste que les opérations d'achat de matériel à louer puissent être qualifiées d'activités de fonctionnement. Ces opérations feraient, en effet, partie de l'actif immobilisé de la société et seraient des investissements au sens du droit fiscal et comptable belge. De même, le matériel donné en location ferait-il l'objet d'une affectation durable, puisque les clients ne rachèteraient pas le matériel loué à la fin de leur contrat de location, mais concluraient un nouveau contrat portant sur du matériel plus moderne. Par conséquent, les opérations en cause seraient destinées à encourager une activité d'investissement.

74. La Commission réaffirme que les aides en faveur des campagnes de publicité et des études de marché sont destinées à permettre à une entreprise de lancer de nouveaux produits, de pénétrer de nouveaux marchés ou de renforcer sa présence sur des marchés existants et qu'elles doivent donc s'analyser comme des dépenses de commercialisation qui relèvent des activités normales d'une entreprise et constituent donc des dépenses de fonctionnement. De même, les aides en faveur de l'achat de matériel à louer, seraient destinées à une activité de caractère purement commercial, le matériel n'étant destiné à moderniser ni Siemens ni les entreprises qui sont ses clientes. La Commission souligne, en outre, que le loyer est fixé de manière discrétionnaire par Siemens et fait valoir que cette circonstance confirme que les entreprises tierces n'étaient pas les bénéficiaires des aides en cause.

75. Enfin, elle ajoute que l'éventuel amortissement comptable sur plusieurs années des dépenses en cause ou leur classification au regard du droit fiscal national ne sauraient remettre en cause l'appréciation de la nature des aides qui est liée aux effets économiques de l'intervention considérée.

Appréciation du Tribunal

76. Le Tribunal rappelle qu'il est de jurisprudence constante que les aides au fonctionnement ne peuvent en aucun cas être déclarées compatibles avec le marché commun, en application de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, dans la mesure où elles risquent, par leur nature même, d'altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun (voir les arrêts Italie/Commission, précité, point 18, et France/Commission, précité, point 49).

77. En l'espèce, comme il a déjà été jugé (voir les points 53 à 59), tant les aides en faveur des campagnes de publicité et des études de marché que celles en faveur de l'achat de matériel à louer sont destinées à la commercialisation des produits Siemens. La commercialisation étant une activité normale et courante des entreprises, ces aides constituent des aides au fonctionnement de l'entreprise qui, d'une part, ne facilitent le "développement" d'aucun secteur économique et, d'autre part, procurent à la requérante un support financier artificiel qui fausse de façon durable le jeu de la concurrence et affecte les échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.

78. Il s'ensuit que la dérogation au principe d'interdiction des aides, prévue par l'article 92, paragraphe 3, sous c), n'est pas applicable en l'espèce. Le moyen n'est donc pas fondé.

II°) Quant à la légalité de l'article 2, deuxième et troisième alinéas, de la décision en ce qu'il ordonne le recouvrement des aides et exige le paiement d'intérêts

79. Selon la requérante, la Commission, en ordonnant la restitution des aides versées, "majorées des intérêts calculés à partir de la date d'octroi des aides", ne rétablit pas la situation antérieure, mais place la requérante dans une situation moins favorable que celle de ses concurrents en lui infligeant un désavantage financier. Ce faisant, la Commission aurait, d'une part, violé l'article 92, paragraphe 1, du traité, qui impose le rétablissement de la situation antérieure à l'octroi de l'aide, et, d'autre part, pénalisé la requérante sans disposer de base légale à cet effet. Les griefs de la requérante ont trait tant à l'absence de prise en compte des effets des impôts versés par Siemens dans la fixation du montant des aides à recouvrer qu'au paiement des intérêts.

A°) En ce qui concerne la prise en considération, lors du recouvrement des aides, des impôts versés par la requérante

Argumentation des parties

80. Selon la requérante, la Commission, en imposant le recouvrement complet des aides illégales, n'a pas respecté le principe du rétablissement du status quo ante, mais a infligé à la requérante un désavantage financier qui résulte du fait que Siemens avait versé l'impôt des sociétés sur le montant des aides octroyées. La Commission aurait dû, sans même aller jusqu'à calculer les implications fiscales et le coût net du remboursement, prévoir la possibilité, pour l'autorité nationale qui doit procéder au recouvrement de l'aide, de tenir compte de l'incidence des règles de droit fiscal pour déterminer le montant à rembourser.

81. La Commission répond que la procédure relative au recouvrement des aides échappe à sa compétence et est régie par les dispositions nationales. C'est pourquoi elle se limiterait à calculer le montant brut à rembourser indépendamment de la situation fiscale du bénéficiaire. Ce serait donc aux autorités belges qu'il appartiendrait de calculer l'incidence de leurs règles fiscales et d'appliquer leurs dispositions relatives au recouvrement des créances de l'État en veillant au respect de l'intérêt de la Communauté. L'inexistence en droit belge, alléguée par la requérante, de dispositions spécifiques en la matière ne serait pas de nature à remettre en cause ce renvoi à la législation nationale et à autoriser la Commission à se substituer aux autorités nationales.

Appréciation du Tribunal

82. Il convient de rappeler qu'il est de jurisprudence établie que, étant donné l'absence de dispositions communautaires portant sur la procédure de recouvrement des montants indûment versés, la récupération des aides irrégulièrement octroyées doit être effectuée selon les modalités prévues par le droit national. Toutefois, l'application du droit national ne doit pas porter atteinte à la portée et à l'efficacité du droit communautaire. En d'autres termes, l'application des dispositions nationales, d'une part, ne doit pas rendre la récupération des sommes irrégulièrement octroyées pratiquement impossible et, d'autre part, ne doit pas être discriminatoire par rapport à des cas comparables régis uniquement par la législation nationale (voir les arrêts de la Cour du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor e.a., 205-82 à 215-82, Rec. p. 2633, points 18 à 25, et du 2 février 1989, Commission/Allemagne, 94-87, Rec. p. 175, point 12).

83. Il en résulte que la Commission ne doit pas, dans ses décisions ordonnant le recouvrement d'aides d'État, calculer les effets de l'impôt sur le montant des aides à récupérer puisque ce calcul entre dans le champ d'application du droit national, mais doit se limiter à indiquer le montant brut à recouvrer. Cela n'empêche pas que, lors du recouvrement, les autorités nationales déduisent, le cas échéant, du montant à récupérer certaines sommes en application de leurs règles internes, à condition que l'application de ces règles internes ne rende pas pratiquement impossible ledit recouvrement ou ne soit discriminatoire par rapport à des cas comparables régis par le droit interne.

84. En l'espèce, étant donné que l'article 2 de la décision fixe le montant brut à recouvrer et renvoie "aux procédures et dispositions de la législation nationale" en la matière, les modalités d'exécution de la décision restent expressément régies par le droit interne. La circonstance que la Commission n'a pas fait référence explicitement, dans la décision attaquée, à l'éventuelle déduction du montant à recouvrer des impôts versés sur les aides octroyées ne peut faire obstacle à ce que les autorités belges prennent en considération, au moment de l'exécution de la décision, des impôts payés par Siemens sur le montant de l'aide à recouvrer.

85. Il s'ensuit que, conformément aux termes de la décision, la requérante pourra, le cas échéant, faire valoir devant les autorités nationales compétentes tous les éventuels désavantages financiers ou discriminations auxquels pourrait donner lieu le remboursement du montant nominal des aides accordées.

86. Il ressort de ce qui précède que l'article 2 de la décision n'a infligé aucun désavantage financier à la requérante et que, partant, il ne saurait être question d'une violation de l'article 92, paragraphe 1, du traité.

B°) En ce qui concerne l'imposition d'intérêts lors de la restitution des aides

Argumentation des parties

87. La requérante conteste l'application d'intérêts sur les sommes à recouvrer à partir du jour de l'octroi des aides en cause. En effet, un délai relativement long s'écoulerait souvent entre cette date et celle du paiement effectif des aides. Par ailleurs, elle soutient que le montant à récupérer devant être calculé non sur la base du montant total des aides accordées mais sur la base de celui dont la requérante a effectivement bénéficié après le paiement de l'impôt sur les sociétés, les intérêts ne seraient dus que sur ce dernier montant. La requérante souligne que la législation belge, à laquelle la Commission renvoie dans sa décision, ne prévoit le paiement d'intérêts de retard sur les créances de l'État que lorsque ceux-ci sont relatifs à un indu perçu de mauvaise foi.

88. La Commission répond à la requérante qu'il lui appartient uniquement de calculer le montant brut à recouvrer sans prendre en considération la situation fiscale du bénéficiaire, laquelle varie d'un État membre à l'autre. Elle explique que, n'ayant pas compétence pour déterminer la procédure de recouvrement des aides indûment octroyées, elle devait renvoyer "à l'application de procédures et dispositions de la législation belge et notamment à celles qui concernent les intérêts de retard sur les créances de l'État". Par conséquent, la question de l'incidence de la fiscalité dans le calcul des intérêts relèverait exclusivement de la compétence des autorités nationales. Quant à la prétendue absence en droit belge de procédures et dispositions spécifiques en matière de recouvrement par l'État de sommes indûment versées, ainsi qu'en matière d'intérêts de retard sur les créances de l'État, la Commission rappelle qu'elle ne serait pas de nature à remettre en cause le renvoi à la législation nationale et à permettre à la Commission de se substituer aux autorités nationales pour déterminer l'incidence de la fiscalité dans le calcul de la base sur laquelle des intérêts doivent être perçus.

89. La partie intervenante, pour sa part, affirme, en premier lieu, que l'article 2, troisième alinéa, de la décision, portant sur les intérêts, est dépourvu de base légale, étant donné que le droit communautaire ne contiendrait pas de prescriptions en la matière. Or, il serait de jurisprudence établie que, en l'absence de réglementation communautaire, le recouvrement d'aides illégales, y compris les intérêts, doit s'effectuer exclusivement en application des règles de forme et de fond définies par le droit national. Par ailleurs, le Gouvernement allemand conteste que le paiement des intérêts soit nécessaire pour rétablir la situation antérieure. Il fait observer que l'arrêt de la Cour du 21 mars 1990, Belgique/Commission (C-142-87, Rec. p. I-959), dont se prévaut la décision, n'est pas pertinent. Il ne ferait, en effet, aucunement référence au paiement, par le bénéficiaire des aides, d'intérêts sur les aides illégalement perçues, mais établirait uniquement, en termes très généraux, que la récupération des aides n'est pas, en principe, une mesure disproportionnée. De plus, cet arrêt ne ferait pas non plus mention de la date à partir de laquelle ces intérêts doivent être calculés.

90. Elle fait valoir, en deuxième lieu, que, dans sa demande de recouvrement, la Commission devait prendre en compte la position du bénéficiaire de l'aide en application des principes de la confiance légitime et de proportionnalité. Or, dans un cas comme celui de l'espèce où les aides ont été accordées dans le cadre d'un régime notifié et autorisé par la Commission, celle-ci ne pourrait adopter de sanctions supplémentaires, comme "le versement rétroactif d'intérêts".

91. La partie intervenante soutient, en troisième lieu, que l'imposition du paiement des intérêts serait en contradiction avec la pratique de la Commission en la matière.

92. La Commission conteste les thèses de la partie intervenante. Elle souligne, tout d'abord, que le droit communautaire impose le versement d'intérêts à compter de la date de l'octroi des aides. A cet égard, elle rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, la récupération des aides est la conséquence logique de la constatation de leur illégalité en ce qu'elle permet le rétablissement du status quo ante, au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité (arrêt Belgique/Commission, précité). En ce sens, la base légale de l'obligation de verser les intérêts serait exactement la même que celle de l'obligation de récupérer les aides illégales. Le fait de ne pas réclamer le paiement des intérêts reviendrait à maintenir, dans le chef de l'entreprise considérée, une partie des avantages financiers liés à l'octroi de l'aide en cause.

93. La Commission relève, en outre, qu'il incombe, le cas échéant, à l'entreprise concernée d'apprécier, dans le cadre des moyens offerts par l'ordre juridique interne et compte tenu des circonstances exceptionnelles qui pourraient légitimement fonder sa confiance en la régularité de l'aide, si elle peut réclamer devant le juge national le versement de dommages et intérêts aux autorités qui lui ont versé les aides en cause.

94. Enfin, la Commission relève que sa décision est conforme à sa pratique administrative. En effet, depuis sa "communication aux États membres, concernant les modalités de notification des aides et les modalités de procédure au sujet des aides mises en vigueur en violation des règles de l'article 93, paragraphe 3, du traité CEE", du 4 mars 1991, ses décisions relatives aux aides illégales et incompatibles avec le marché commun imposeraient systématiquement aux bénéficiaires le versement d'"intérêts de retard" à compter de la date d'octroi de l'aide, à l'exception de quelques dossiers qui présenteraient des éléments particuliers.

Appréciation du Tribunal

95. Le Tribunal considère qu'il y a lieu de statuer d'abord sur les griefs soulevés par la partie intervenante qui ont trait à la compatibilité, avec le droit communautaire et la pratique antérieure de la Commission, de l'imposition d'intérêts sur les sommes à recouvrer au titre d'aides versées illégalement. Si le Tribunal arrive à la conclusion que de tels griefs ne sont pas fondés, il faudra examiner les griefs, soulevés par la requérante, concernant les modalités d'exécution de l'obligation de l'État d'imposer au bénéficiaire des aides le paiement des intérêts.

96. Il y a lieu de rappeler que l'article 93, paragraphe 2, du traité prévoit que, lorsque la Commission constate qu'une aide d'État est incompatible avec le marché commun aux termes de l'article 92 du traité ou que cette aide est appliquée de façon abusive, "elle décide que l'État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine". Il découle de la jurisprudence de la Cour que cette suppression ou modification, pour avoir un effet utile, peut comporter l'obligation d'exiger le remboursement d'aides octroyées en violation du traité (voir, notamment, l'arrêt de la Cour du 12 juillet 1973, Commission/Allemagne, 70-72, Rec. p. 813, point 13). Partant, dans la mesure où la récupération d'une aide étatique incompatible avec le marché commun a pour but le rétablissement de la situation antérieure, elle ne saurait, en principe, être considérée comme une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité en matière d'aides d'État (voir l'arrêt Belgique/Commission, précité, point 66).

97. Il résulte de cette jurisprudence que, en principe, le rétablissement de la situation antérieure au versement de l'aide illégale suppose que tous les avantages financiers résultant de l'aide, qui ont des effets anticoncurrentiels sur le marché commun, aient été éliminés. Il s'ensuit qu'une décision de la Commission, portant restitution d'aides illégales en application de l'article 93, paragraphe 2, du traité, peut imposer le recouvrement d'intérêts sur les sommes octroyées aux fins d'éliminer les avantages financiers accessoires auxdites aides.

98. Or, comme la Commission l'a affirmé pendant la présente procédure, le fait de ne pas réclamer, lors de la récupération, les intérêts sur les sommes octroyées illégalement reviendrait à maintenir, au bénéfice de l'entreprise destinataire de ces sommes, des avantages financiers dus à l'octroi de l'aide illégale, ces avantages consistant dans l'octroi d'un prêt sans intérêts. Il s'agirait donc, en soi, d'une aide qui fausserait ou menacerait de fausser la concurrence.

99. Le Tribunal souligne cependant que, conformément aux principes rappelés aux points précédents, le recouvrement des intérêts ne peut être opéré que pour compenser les avantages financiers découlant effectivement de la mise à disposition du bénéficiaire des aides et doit être proportionnel à ceux-ci.

100. En l'espèce, Siemens a bénéficié d'un avantage en disposant gratuitement d'une certaine somme pendant une période déterminée. Il s'ensuit, dans ces circonstances, que le paiement des intérêts qui lui est imposé répond à l'exigence d'éliminer un avantage financier, qui est accessoire par rapport au montant des aides initialement octroyé et trouve donc sa justification dans l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité.

101. Pour ce qui est de la détermination de la date à partir de laquelle ces intérêts doivent être calculés, il découle de ce qui précède que, contrairement à ce qu'affirment les parties, ces intérêts ne sont pas des intérêts moratoires, c'est-à-dire des intérêts dus au retard dans l'exécution de l'obligation de restitution, mais représentent l'équivalent de l'avantage financier provenant de la mise à disposition gratuite du capital en cause pour une certaine période. En conséquence, lesdits intérêts ne peuvent courir qu'à compter de la date à partir de laquelle le bénéficiaire de l'aide a effectivement disposé dudit capital.

102. Il s'ensuit que la fixation d'une telle date n'est pas une modalité d'exécution de l'obligation de l'État de réclamer les intérêts, comme le soutient le Gouvernement allemand, mais constitue un paramètre permettant de mesurer l'ampleur des avantages anticoncurrentiels dont a bénéficié l'entreprise. Par conséquent, aux termes de l'article 93, paragraphe 2, du traité, en principe, il appartient à la Commission et non aux autorités nationales de fixer la date de départ de ces intérêts.

103. En l'espèce, l'article 2, troisième alinéa, de la décision dispose que les intérêts courent "à partir de la date d'octroi des aides illégales". Contrairement à ce qu'affirme la requérante, une telle disposition doit être interprétée en ce sens que ces intérêts courent à compter du jour de la mise à disposition effective desdites aides. Il s'ensuit que cette disposition est conforme aux règles de droit communautaire applicables en la matière.

104. Pour ce qui est de la prétendue violation de la confiance légitime de Siemens dans la régularité des aides, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que la législation nationale prenne en considération la protection de la confiance légitime lors de la récupération des aides indûment versées, sous réserve toutefois que les conditions prévues soient les mêmes que celles appliquées à la récupération des prestations financières purement nationales et que l'intérêt de la Communauté soit pleinement pris en considération. Par conséquent, d'une part, les bénéficiaires d'aides d'État indûment perçues ne peuvent invoquer, au moment de la restitution, que des circonstances exceptionnelles qui ont pu légitimement fonder leur confiance dans la régularité de l'aide et, d'autre part, il appartient uniquement aux juridictions nationales d'apprécier, le cas échéant après avoir posé à la Cour des questions préjudicielles en interprétation, les circonstances de la cause (voir les arrêts de la Cour Deutsche Milchkontor/Commission, précité, point 33, et du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne, C-5-89, Rec. p. I-3437, points 13 à 16).

105. Il s'ensuit que, en l'espèce, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement allemand, la requérante ne peut invoquer sa confiance légitime que devant les juridictions nationales.

106. De même, la partie intervenante ne saurait prétendre que la décision, en ce qu'elle porte sur les intérêts, n'est pas conforme à la pratique de la Commission dans ce domaine. En effet, il ressort des décisions publiées en matière d'aides d'État que cette institution a imposé le recouvrement des intérêts appliqués au montant des aides illégales, à partir de la date d'octroi de ces aides, dans plusieurs décisions antérieures à la décision attaquée. Cette pratique a été confirmée par la Commission dans sa communication du 4 mars 1991, précitée, par laquelle elle a informé les États membres des modalités de récupération des aides déclarées incompatibles avec les règles du traité et leur a demandé de recouvrer auprès des bénéficiaires d'aides illégales non seulement le montant de celles-ci mais également des intérêts sur ce montant à compter de l'octroi des aides. Une telle pratique est, en tout état de cause, conforme aux dispositions de l'article 93, paragraphe 2, du traité.

107. Enfin, en ce qui concerne le montant par rapport auquel les intérêts doivent être calculés, il convient de renvoyer aux points 82 à 84 du présent arrêt, dans lesquels il a été précisé que l'éventuelle prise en considération des implications fiscales dans le calcul du montant à restituer, qui constitue l'assiette des intérêts, relève de l'exécution de l'obligation de recouvrement qui pèse sur les autorités nationales. Il s'ensuit que, en l'espèce, il appartient aux autorités nationales de tenir compte des éventuelles implications fiscales dans le calcul de ladite assiette "conformément aux procédures et dispositions de la législation nationale", ainsi que l'a indiqué la Commission à l'article 2, deuxième alinéa, de la décision.

108. Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

109. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens.

110. Aux termes du paragraphe 4 du même article, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République fédérale d'Allemagne supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1°) Le recours est rejeté.

2°) La requérante est condamnée aux dépens.

3°) La République fédérale d'Allemagne supportera ses propres dépens.