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Décisions

CJCE, 6 novembre 1990, n° C-86/89

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République italienne

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, O'Higgins, Moitinho de Almeida, Díez de Velasco

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Schockweiler, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn

Avocat :

Me Fiumara.

CJCE n° C-86/89

6 novembre 1990

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 mars 1989, la République italienne a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CEE, demandé l'annulation de la décision 89-228-CEE de la Commission, du 30 novembre 1988, relative au décret-loi n° 370-87 du Gouvernement italien, du 7 septembre 1987, converti en loi n° 460, du 4 novembre 1987, relative à la production et à la commercialisation et portant notamment nouvelles normes en matière de production et de commercialisation des produits viti-vinicoles. Cette décision, notifiée au Gouvernement italien par lettre du 6 janvier 1989, a été publiée au Journal officiel le 7 avril 1989 (JO L 94, p. 38).

2. L'article 45 du règlement (CEE) n° 822-87 du Conseil, du 16 mars 1987, portant organisation commune du marché viti-vinicole (JO L 84, p. 1), a institué un régime d'aides en faveur des moûts de raisins concentrés et des moûts de raisins concentrés rectifiés, produits dans la Communauté, lorsqu'ils sont, conformément à l'article 18 du règlement, utilisés pour augmenter le titre alcoométrique volumique naturel des raisins frais, du moût de raisins et de certains types de vin. L'article 18 du règlement précise les conditions et les modalités de cette augmentation. Le paragraphe 3 de l'article 45 prévoit que le montant de l'aide est fixé en fonction de la différence entre les coûts de l'augmentation du titre alcoométrique obtenue par l'adjonction de saccharose et ceux de l'augmentation obtenue par l'adjonction de moût de raisins concentré ou de moût de raisins concentré rectifié.

3. Par règlement (CEE) n° 2287-87, du 30 juillet 1987 (JO L 209, p. 26), la Commission a fixé le montant de l'aide à l'utilisation en vinification de moûts de raisins concentrés et de moûts de raisins concentrés rectifiés pour la campagne 1987-1988.

4. Estimant que l'aide communautaire était insuffisante, le Gouvernement italien, après avoir tenté en vain d'obtenir une aide complémentaire de la Commission, a institué un régime d'aide supplémentaire national.

5. A cet effet, le décret-loi italien n° 370-87 du 7 septembre 1987 (GURI n° 211 du 10.9.1987), converti en loi n° 460 le 4 novembre 1987 (GURI n° 262 du 9.11.1987), prévoit que, pendant les campagnes viti-vinicoles pour lesquelles l'augmentation du titre alcoométrique est autorisée en vertu de l'article 18 du règlement n° 822-87, précité, les producteurs de moût concentré rectifié peuvent bénéficier d'une aide fixée par décret du ministre de l'Agriculture et des Forêts. Cependant, pour la campagne viti-vinicole 1987-1988, le décret prévoit que l'aide est octroyée directement aux producteurs de vin, lorsque l'utilisation de moût concentré rectifié aux fins d'augmentation du titre alcoométrique a été établie. Le montant de l'aide pour cette campagne a été fixé par décret du ministre de l'Agriculture en date du 21 novembre 1987.

6. Par lettre du 14 septembre 1987, le Gouvernement italien a notifié à la Commission le décret-loi n° 370-87. Par lettre du 11 décembre 1987, la Commission a communiqué au Gouvernement italien qu'elle avait décidé d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE. Celle-ci a abouti à la décision qui fait l'objet du présent recours.

7. Il résulte des considérants de cette décision que l'aide supplémentaire italienne donne un avantage particulier aux producteurs de moût de raisins, en facilitant de façon artificielle son utilisation pour la fabrication de moût concentré rectifié, ainsi qu'aux producteurs de vins qui utilisent le moût pour l'augmentation du titre alcoométrique. L'aide favorise ainsi, directement et indirectement, la production italienne de moûts de raisins et de vin et fausse la concurrence entre les producteurs italiens et les autres producteurs de ces mêmes produits dans la Communauté. Comme l'indiquent les données chiffrées sur l'exportation et l'importation de moûts de raisins et de vin en Italie, cette aide affecte également les échanges communautaires de ces différents produits.

8. Selon cette même décision, les dérogations à l'interdiction de l'article 92, paragraphe 1, du traité, prévues à l'article 92, paragraphes 2 et 3, ne s'appliquent pas. En particulier, l'aide en cause, en tant qu'aide au fonctionnement, ne peut pas bénéficier de l'une des dérogations prévues au paragraphe 3 qui soumettent l'octroi des aides à des conditions spécifiques.

9. Enfin, il résulte des considérants de la décision attaquée que l'aide italienne a été mise en œuvre avant la clôture de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité.

10. Sur la base de ces considérations, la Commission constate que l'aide italienne a été instituée en violation de l'article 93, paragraphe 3, du traité, qu'elle est incompatible avec le Marché commun et doit être supprimée.

11. Pour un plus ample exposé des faits et antécédents du litige ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

12. Le Gouvernement italien invoque deux moyens par lesquels il conteste les motifs de la décision litigieuse. Il soutient, d'une part, que la Commission aurait fait une application erronée des dispositions de l'article 92 et, d'autre part, que la violation, alléguée par la Commission, des dispositions de l'article 93, paragraphe 3, ne serait ni établie ni suffisamment motivée.

13. A l'appui du premier moyen, le Gouvernement italien fait valoir, en premier lieu, que la Commission a, à tort, considéré que l'article 92, paragraphe 1, était applicable. Il soutient que l'aide en cause ne favorise pas les producteurs italiens et n'affecte pas les échanges entre les États membres. Cette aide viserait à rééquilibrer des distorsions de concurrence, résultant du niveau insuffisant de l'aide communautaire, entre les régions où l'augmentation du titre alcoométrique est réalisée par l'adjonction de saccharose et celles où cette augmention est effectuée par l'utilisation de moûts concentrés rectifiés. En outre, le montant de cette aide supplémentaire serait minime et n'aurait engendré aucune variation importante des prix des vins sur le marché italien.

14. A cet égard il y a lieu de relever tout d'abord que, selon l'analyse contenue dans la décision attaquée, l'aide en cause donne un avantage particulier notamment aux producteurs italiens de moûts de raisins. Pour autant qu'elle est octroyée directement aux utilisateurs de moût concentré rectifié, l'aide fournit un avantage financier direct aux producteurs de vins. En outre, elle encourage artificiellement la production de moût de raisins en Italie. Une telle mesure est, dès lors, susceptible de fausser la concurrence entre les producteurs italiens et les producteurs d'autres États membres, dont notamment la France et la Grèce, où certains viticulteurs procèdent à l'augmentation du titre alcoométrique des produits en cause en utilisant également du moût de raisins concentré.

15. Il convient d'observer ensuite que, selon les données chiffrées, contenues dans la décision attaquée, sur la production de vin en Italie, les exportations de vin italien vers les autres États membres, les importations en Italie de vin provenant des autres États membres, ainsi que des exportations de moûts de raisins à partir de l'Italie et les importations en Italie de moûts de raisins en provenance d'autres États membres, l'aide litigieuse est susceptible d'affecter les échanges de moûts de raisins et de vins entre États membres. Il y a lieu de constater que le Gouvernement italien n'a contesté aucune des indications ainsi fournies par la Commission.

16. Par conséquent, la Commission a, à juste titre, considéré l'aide italienne supplémentaire comme une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité.

17. Le Gouvernement italien fait valoir, en second lieu, que l'article 92, paragraphe 3, sous c), aurait pu être appliqué, car l'aide en cause doit être regardée comme une mesure qui facilite le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, notamment le développement économique du secteur viti-vinicole des régions qui présentent un fort excédent de vin.

18. Cet argument doit être écarté. Il convient, en effet, de souligner que la Commission a démontré que l'aide en cause, qui est accordée sans condition spécifique et uniquement en fonction des quantités utilisées, devrait être considérée comme une aide de fonctionnement pour les entreprises concernées et que, en tant que telle, elle altérerait les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Le Gouvernement italien n'a apporté aucun élément pertinent pour démentir cette thèse.

19. Il y a lieu de rappeler également, que, selon une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt du 14 juillet 1988, Zoni, 90-86, Rec. p. 4285), dès lors que la Communauté a établi une organisation commune de marché dans un secteur déterminé, c'est à la Communauté qu'il incombe de chercher des solutions aux problèmes, tels que ceux posés par les excédents de vin, dans le cadre de la politique agricole commune. Dès lors, les États membres sont tenus de s'abstenir de toute mesure unilatérale, même si celle-ci est de nature à servir de soutien à la politique commune de la Communauté.

20. Il ressort des développements qui précèdent que le motif de la décision litigieuse relatif à l'incompatibilité de l'aide avec les dispositions de l'article 92 du traité est fondé. Ce motif essentiel est, à lui seul, suffisant pour justifier légalement la décision de la Commission. Dans ces conditions, les vices dont pourrait être entaché l'autre motif de la décision, tiré de la méconnaissance, par le Gouvernement italien, des dispositions de l'article 93, paragraphe 3, sont, en tout état de cause, sans influence sur la légalité de cette décision. Le moyen invoqué par le Gouvernement italien par lequel celui-ci conteste ce dernier motif est en conséquence inopérant et doit, dès lors, être rejeté.

21. Il en résulte que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

22. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République italienne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1°) Le recours est rejeté.

2°) La République italienne est condamnée aux dépens.