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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 5 janvier 2000, n° 99-02649

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ministère public, France Télécom (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauret

Conseillers :

Mmes Marie, Darbeda

Avocats :

Mes Michel, Michau.

TGI Paris, 12e ch., du 18 mars 1999

18 mars 1999

RAPPEL DE LA PROCÉDURE:

LA PREVENTION:

V Stéphan est poursuivi pour avoir à Paris, courant 1997, par quelque moyen ou procédé que ce soit, y compris par l'intermédiaire de tiers, trompé plusieurs contractants sur la nature d'une prestation de service, en l'espèce des services en incitant des abonnés au téléphone à rappeler ces services par un message alarmiste infondé ;

LE JUGEMENT:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a relaxé V Stéphan du chef de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, (faits commis courant 1997, à Paris, infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation) a débouté la société France Télécom de sa constitution de partie civile à titre de dommages et intérêts et au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, ainsi que des autres chefs de demandes ;

LES APPELS:

Appel a été interjeté par :

- France Télécom, le 26 mars 1999 contre Monsieur V Stéphan

- M. le Procureur de la république, le 26 mars 1999 contre Monsieur V Stéphan

DÉCISION:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels de la partie civile et du ministère public interjetés à l'encontre du jugement entrepris auquel il est fait référence pour l'exposé des faits et de la prévention ;

France Télécom demande à la cour:

- d'infirmer la décision du tribunal correctionnel,

- de reconnaître que les faits réels n'ont pas été pris en compte par le tribunal du fait de la présentation trompeuse des faits par Monsieur V,

- de constater l'existence d'une tromperie,

- de dire que les faits qualifiés de tromperie peuvent éventuellement être requalifiés en escroquerie,

- de déclarer recevable la constitution de partie civile de France Télécom,

- de constater que les faits reprochés à Monsieur V ont entraîné un préjudice direct et personnel de France Télécom d'atteinte à son image et à ses services Audiotel,

- de condamner Monsieur V à réparer le préjudice de France Télécom par le paiement d'un franc symbolique à titre de dommages et intérêts,

- de condamner également Monsieur V à verser à France Télécom la somme de 20 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ainsi qu'aux dépens ;

Que la tromperie reprochée à M. V Stephan consiste à laisser des messages sur un répondeur téléphonique, invitant des personnes à rappeler de toute urgence un numéro de téléphone censé les concerner directement. En composant ce numéro de téléphone, la personne était dans l'ignorance complète du contenu du message auquel elle allait accéder du fait du caractère personnel du message et surtout de son caractère urgent. Elle n'avait pas conscience de composer un numéro Audiotel surtaxé ;

Qu'il faut souligner que de nombreux téléphones permettent le rappel d'une ligne appelante par simple pression sur une touche, sans même avoir à composer ni lire le numéro appelé ;

Que les faits ci-dessus décrits semblent pouvoir être qualifiés de tromperie, mais ils pourraient également être qualifiés d'escroquerie ; qu'il convient de rappeler à cet égard que la plainte initiale de France Télécom était fondée sur l'existence d'une escroquerie, puisqu'en effet les critères de l'escroquerie semblent tous être réunis en l'espèce :

- les manœuvres frauduleuses sont constituées par le fait d'avoir laissé un message sur le répondeur des utilisateurs en leur laissant penser que c'était personnel et urgent,

- le préjudice pour la personne victime de ces manœuvres : les utilisateurs se trouvent facturés pour un service audiotel surtaxé,

- la remise de fonds au bénéficiaire, Monsieur V qui tire directement profit de ses manœuvres par les reversements de France Télécom au titre de services Audiotel surtaxés. En l'occurrence, Monsieur V a perçu, pour la période de mai 1997 à janvier 1998, près de quatre millions de francs pour l'ensemble des services "d'engueulade avec un ordinateur" qu'il a fournis y compris les numéros Audiotel ci-dessus visés,

Que le préjudice de France Télécom résulte de l'atteinte portée à son image et l'image des services Audiotel de France Télécom puisque les victimes des agissements de Stephan V ont reçu une facture de cette dernière pour l'utilisation des services Audiotel de Stéphan V ;

Le ministère public requiert de la cour l'infirmation du jugement entrepris. Il expose que ces faits ont duré près de huit mois, que de nombreuses plaintes ont été adressées à différents parquets, que les utilisateurs de téléphone ont été surpris par des appels urgents les invitant à rappeler les services permanents de France Télécom ; que la plupart d'entre eux ont été surpris par le caractère désagréable et intempestif de la communication qu'ils recevaient ; il demande en conséquence une sévère peine d'amende à l'encontre de V Stephan ainsi que la publication de l'arrêt ;

V Stephan sollicite la confirmation du jugement entrepris. Il sollicite en conséquence sa relaxe et expose qu'un contrat se serait formé entre lui et les abonnés de France Télécom ; que par ailleurs les reversements audiotels ne peuvent en aucun cas consacrer la preuve d'une relation entre lui et les abonnés; que l'offre doit être suffisamment précise et complète, contenir et indiquer les éléments essentiels du contrat proposé. Il n'est donc pas pénalement responsable des appels anonymes de tiers avec lesquels il n'a ni complicité, ni concertation frauduleuse ; que par ailleurs France Télécom autorise l'exploitation de ces services Audiotels sur lesquels il perçoit des redevances ;

Qu'il y a donc lieu de déclarer France Télécom mal fondé dans sa constitution de partie civile. Il demande en conséquence sa relaxe et demande à la Cour de déclarer la constitution de partie civile de France Télécom recevable mais infondée ;

Sur ce, LA COUR,

V Stephan est le gérant des sociétés F et les A, qui toutes deux offrent des services audiotel surtaxés accessibles à tout public par les numéros suivants :

08.36.68.11.09

08.36.68.27.26

08.36.69.10.07

08.36.68.01.38

dont le contenu, qui est rigoureusement identique, est une verte engueulade de la personne qui appelle le numéro, cette personne se trouvant facturée par France Télécom au prix d'environ 7 F, soit 2,23 F/minute, à chaque appel;

Aucune publicité n'a été diffusée concernant l'un de ces services ;

Les personnes qui ont été amenées à composer ce numéro sont toutes des personnes qui ont reçu sur leur répondeur téléphonique un message les invitant à composer ce numéro d'urgence, de la manière suivante : "j'ai découvert sur mon répondeur un message autoritaire et agressif m'enjoignant à rappeler sans tarder un certain M. Galard au numéro 08.36.68.27.26" ou autre exemple: "j'ai trouvé un message sur mon répondeur me demandant de rappeler d'urgence le numéro 08.36.68.27.26" ;

Les éléments de l'enquête démontrent que c'est Stephan V lui-même (ou les sociétés dont il est responsable) qui a déposé les messages invitant les utilisateurs à composer d'urgence les numéros surtaxés ;

Ces utilisateurs se sont plaints entre autre, auprès de France Télécom, qui a déposé plainte auprès du Procureur de la république, en engageant en parallèle une procédure civile fondée sur les relations contractuelles entre les deux sociétés de Stephan V et France Télécom;

Stephan V prétend que ce ne serait pas lui qui aurait laissé les messages sur les répondeurs, invitant à composer les numéros Audiotel surtaxés, au motif que ses services sont destinés à permettre aux utilisateurs qui le souhaitent de faire "une blague" à d'autres personnes en les invitant à composer ces numéros Audiotel;

En l'absence de toute publicité, personne ne pouvait connaître les numéros Audiotel surtaxés aux fins de déposer des messages sur des répondeurs invitant d'autres personnes à les composer à leurs frais ;

L'enquête a permis de démontrer que c'est Stephan V lui-même qui a déposé ces messages, ainsi que cela résulte de ses déclarations : "j'ai simplement fait la farce à tous mes amis en leur disant de rappeler ce numéro, que quelqu'un voulait leur parler" ;

Stephan V a également déclaré: "j'ai simplement contacté quelques amis (une trentaine) au début de l'exploitation de mes services pour lancer le système" ;

Stephan V, pour tromper la cour, a produit une publicité qui tend à démontrer que ce sont les utilisateurs eux-mêmes qui ont fait des blagues à d'autres personnes. En réalité, la publicité, qui n'est pas datée et dont on ne connaît pas les conditions de diffusion, doit être écartée car, en tout état de cause, elle ne concerne aucun des quatre numéros Audiotel, objet du litige ;

En outre, les personnes ayant composé, à leur insu, les numéros des services Audiotel litigieux, en ne disposant d'aucune information sur l'origine de ces services, se sont directement retournées vers France Télécom ;

L'atteinte à l'image du service public est flagrante et doit être condamnée ;

En réalité, Stephan V seul déposait les messages sur les répondeurs. Il a tiré profit de ces opérations ayant perçu de mai 1997 à janvier 1998 près de quatre millions de francs ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit France Télécom et le ministère public en leurs appels ; Infirme le jugement déféré ; Déclare V Stephan coupable d'avoir à Paris, courant 1997, par quelque moyen ou procédé que ce soit, y compris par l'intermédiaire de tiers, trompé plusieurs contractants sur la nature d'une prestation de service, en l'espèce des services en incitant des abonnés au téléphone à rappeler ces services par un message alarmiste infondé faits prévus et punis par les articles L. 231-1 et L. 216-1 du Code de la consommation ; Le condamne à 100 000 F d'amende ; Ordonne la publication du présent arrêt, par extraits, dans : Le Parisien un samedi, France Soir un samedi ; Le condamne à payer à France Télécom, partie civile, la somme de 5 000 F en application des dispositions de l'article 475-1 du CPP ; Dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.