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Décisions

CJCE, 6e ch., 24 février 1987, n° 310-85

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Deufil GmbH & Co. KG

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Kakouris

Avocat général :

M. Darmon

Juges :

MM. Higgins, Koopmans, Due, Bahlmann

Avocat :

Me Beisken.

CJCE n° 310-85

24 février 1987

LA COUR,

1. Par requête deposée au greffe de la Cour le 14 octobre 1985, la Deufil GmbH & Co. KG, ayant son siège social à Bergkamen-Ruenthe (République fédérale d'Allemagne), a introduit, en vertu de l'article 173, alinea 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision 85-471 de la Commission, du 10 juillet 1985 (JO L 278, P. 26 ), par laquelle celle-ci a constaté que l'aide d'un montant de 2 945 000 DM, accordée à la requérante en 1983 en application de la loi allemande relative aux subventions à l'investissement et du programme conjoint du gouvernement fédéral et des Länder dans le domaine des aides régionales, est illégale, n'ayant pas été notifiée préalablement à la Commission, et incompatible avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité CEE, et doit être restituée par le bénéficiaire.

2. Il est constant que la somme en cause a été octroyée par les autorités allemandes sur la base d'une demande, présentée par la firme Deufil, en vue d'obtenir une subvention d'investissement à l'occasion du remplacement d'une installation permettant la production annuelle de 3 000 tonnes de fils de polyamide par une nouvelle installation d'une capacité annuelle de 5 000 tonnes de fils de polyamide ou de polypropylène aux termes de cette demande, il était prévu, grâce à de nouvelles technologies de production, de remplacer partiellement les fils de polyamide par des fils de polypropylène.

3. Il ressort cependant des informations fournies par la requérante en réponse à des questions posées par la Cour que la capacité de la nouvelle installation est de 6 000 tonnes et que la reconversion prévue n'était pas encore effectuée en 1985, la production de cette année étant de 4 191 tonnes de fils de polyamide et de 1 546 tonnes de fils de polypropylène.

4. Il ressort en outre du dossier:

- que, contrairement aux fils de polyamide, les fils de polypropylène, produit relativement récent, n'ont été inclus dans le "code des aides", à savoir les règles indicatives notifiées aux Etats membres par la Commission pour les aides dans le secteur des fibres et des fils synthétiques, qu'à partir de 1985;

- que le marché communautaire des fils de polyamide et de polypropylène est partagé entre un grand nombre d'entreprises de petite ou moyenne importance, de sorte que la requérante, même avec une part de la production communautaire de 2 à 3 % seulement, compte au nombre des producteurs majeurs et

- que le taux d'utilisation des capacités de production dans la Communauté en 1983 était de 72 % pour les fils de polyamide et de 64 % pour les fils de polypropylène.

5. A l'appui de sa demande en annulation, la requérante fait valoir, en substance, les trois moyens suivants:

- violation de l'article 92, paragraphe 1, du traité, en ce que la somme litigieuse ne constitue pas une aide au sens de cette disposition et qu'elle n'affecte pas la concurrence et les échanges entre Etats membres;

- violation de l'article 92, paragraphe 3, en ce que ladite somme remplit les conditions d'exemption prévues aux lettres a) et c) de ce paragraphe et

- atteinte à la confiance légitime de la requérante, en tant que la décision de la Commission enjoint à la République fédérale d'Allemagne d'ordonner la restitution du montant.

6. Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, de la politique de la Commission relative aux aides dans le secteur des textiles et de l'argumentation des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur l'application de l'article 92, paragraphe 1

7. En premier lieu, la requérante soutient que la somme litigieuse a été octroyée conformément aux règles nationales qui prévoient des mesures de politique de conjoncture au sens de l'article 103 du traité contribuant au développement économique général et à l'amélioration des structures. De telles mesures ne constitueraient pas des aides au sens de l'article 92, paragraphe 1.

8. Cet argument doit être écarté. Ainsi que la Cour l'a souligné dans son arrêt du 2 juillet 1974 (Italie/Commission, 173-73, rec. p. 709), l'article 92 a pour objectif de prévenir que les échanges entre Etats membres soient affectes par des avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Cet article ne distingue donc pas selon les causes ou les objectifs des interventions visées, mais les définit en fonction de leurs effets. En l'espèce, le montant octroyé a diminué les coûts d'investissement à supporter par la requérante, la favorisant ainsi par rapport aux autres producteurs dans ce secteur. Les objectifs généraux poursuivis par les réglementations nationales qui ont fourni la base légale pour cet octroi ne sauraient suffire à le mettre à l'abri de la règle de l'article 92.

9. En second lieu, la requérante soutient que, même en admettant qu'il s'agisse d'une aide, celle-ci n'a pu fausser la concurrence, ni affecter les échanges entre Etats membres. A cet égard, la requérante souligne que la majeure partie de sa production de fils de polyamide est vendue à l'extérieur de la Communauté. Le reste de cette production serait livré notamment à d'autres entreprises qui appartiennent au même groupe d'entreprises et qui, simultanément, auraient réduit leur propre production, de sorte que la quantité de ces fils qui est parvenue sur le marché libre de la Communauté ne représenterait qu'une part négligeable de ce marché. En outre, le marché des fils de polyamide et de polypropylène serait caractérisé par une constante amélioration des taux d'utilisation et des prix.

10. Dans les considérants de la décision attaquée, la Commission a motivé son application de l'article 92, paragraphe 1, notamment par l'existence d'une vive concurrence entre les producteurs communautaires de polyamide et de polypropylène et des échanges commerciaux considérables de ces produits. Si le taux d'utilisation pour les fils de polyamide s'est effectivement amélioré après l'octroi de l'aide en cause, cette évolution s'expliquerait essentiellement par un démantèlement des capacités de production communautaires, le niveau de la production n'ayant pas varié. Egalement pour les fils de polypropylène, le taux d'utilisation se serait amélioré, mais, selon la Commission, les capacités existantes resteront, pour les deux produits, tout à fait disproportionnées par rapport à la demande pendant de nombreuses années et beaucoup de producteurs communautaires continuent à perdre de l'argent du fait du niveau déprimé des prix, qui ne dépasse toujours pas celui atteint en 1974.

11. En ce qui concerne la situation de la requérante en particulier, la Commission constate, toujours dans les considérants de la décision litigieuse, que sa capacité de production représente respectivement 3,2 et 5,6 % de la capacité totale de production de polyamide et de polypropylène dans la Communauté et qu'elle exporte 30 % de sa production de polyamide et 70 % de celle de polypropylène vers d'autres Etats membres.

12. Ces considérants, que la requérante n'a pas été en mesure de réfuter, justifient pleinement la conclusion tirée par la Commission dans sa décision et selon laquelle l'aide en cause est de nature à affecter les échanges et à fausser ou à menacer de fausser la concurrence entre Etats membres.

13. En ce qui concerne, par ailleurs, la prétendue réduction de la production d'autres entreprises appartenant au même groupe que la requérante, il suffit de relever que cette affirmation, qui n'a été faite qu'au cours de la procédure devant la Cour, n'a été étayée par aucune preuve. Selon les statistiques produites par la Commission, les autres entreprises de ce groupe détenaient toujours en 1984 9,2 % du marché des fils de polyamide.

14. Il convient donc de rejeter le premier moyen de la requérante.

Sur la non-application de l'article 92, paragraphe 3

15. La requérante soutient que l'aide litigieuse contribue à favoriser le développement économique de la zone de Bergkamen, région dans laquelle le niveau de vie serait anormalement bas et dans laquelle sévirait un grave sous-emploi. Comme l'investissement aurait pour but de restreindre et, en fin de compte, de supprimer la production de fils de polyamide au profit de celle des fils de polypropylène dont la fabrication n'était pas à l'époque soumise au code des aides, il s'agirait d'une restructuration conforme à l'intérêt commun. L'aide remplirait donc les conditions d'exemption prévues à l'article 92, paragraphe 3, sous a ) et c).

16. Dans les considérants de sa décision, la Commission a souligné que les machines installées grâce à l'aide présentent des avantages économiques importants par rapport aux unités de fabrication traditionnelles. Ces machines se trouveraient sur le marché depuis plusieurs années, si bien que l'investissement en cause ne serait qu'une modernisation normale destinée à maintenir la compétitivité et devrait donc être financée sur les ressources propres de l'entreprise. Compte tenu des surcapacités de production aussi bien pour les fils de polypropylène que pour les fils de polyamide, tout allègement artificiel des coûts d'investissement d'un producteur de ces produits affaiblirait la situation concurrentielle des autres producteurs et aurait pour effet, si elle conduit à une augmentation des capacités, de réduire l'utilisation de ces capacités et de faire baisser les prix. L'aide en question affecterait donc indéniablement les échanges commerciaux dans une mesure contraire à l'interêt commun au sens de la lettre c) de l'article 92, paragraphe 3.

17. En ce qui concerne plus particulièrement la lettre a) de cette disposition, la Commission conteste que le niveau de vie dans la région de Bergkamen soit anormalement bas et qu'il y sévisse un grave sous-emploi. Etant donne la situation dans laquelle se trouverait actuellement et se trouvera encore dans un avenir prévisible le secteur des fils de polyamide et de polypropylène, l'aide en question n'aurait, de toute manière, pas apporté à cette région une augmentation durable des revenus ni une réduction du chômage et elle ne serait donc pas de nature à favoriser le développement économique de la région au sens de la lettre a).

18. Ainsi que la Cour l'a rappelé dans son arrêt du 17 septembre 1980 (Philip Morris/Commission, 730-79, rec. p. 2671), l'article 92, paragraphe 3, confère à la Commission un pouvoir discrétionnaire dont l'exercice implique des appréciations d'ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire. En estimant que l'octroi d'une aide à un investissement qui augmente les capacités de production dans un secteur déjà largement excédentaire est contraire à l'intérêt commun et qu'une telle aide n'est pas de nature à favoriser le développement économique de la région en cause, la Commission n'a d'aucune manière dépasse les limites de son pouvoir d'appréciation.

19. Il s'ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté.

Sur la protection de la confiance légitime

20. A titre subsidiaire, la requérante fait valoir que l'injonction faite par la Commission à la République fédérale d'Allemagne d'ordonner la restitution de l'aide est incompatible avec le principe de protection de la confiance légitime la requérante aurait perçu cette aide sur la base de décisions définitives et d'indications exactes et elle l'aurait utilisée en vue de reconvertir sa production à un produit non encore soumis au code des aides.

21. En substance, ce moyen pose la question de savoir si la non-inclusion des fils de polypropylène dans le code des aides peut éventuellement fonder, auprès des entreprises ayant procédé à une reconversion à la production de ce produit, une confiance légitime qui pourrait s'opposer à une injonction faite par la Commission aux autorités nationales d'ordonner la restitution d'une aide accordée à ces fins.

22. Tel n'est toutefois pas le cas. Le code des aides constitue des règles indicatives définissant les lignes de conduite que la Commission entend suivre et qu'elle demande aux Etats membres de respecter dans le domaine d'aides au secteur des fibres et des fils synthétiques. Il n'a pas dérogé aux dispositions des articles 92 et 93 du traité et ne pouvait pas le faire.

23. Par ailleurs, il ressort du dossier que la situation du marché ne justifiait pas un traitement des fils de polypropylène différent de celui des fils de polyamide et que la seule raison pour laquelle les fils de polypropylène n'ont été inclus dans le code des aides qu'a partir de 1985 était la nouveauté de ce produit.

24. La somme litigieuse constituant indubitablement une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, l'intention de l'octroyer aurait du être notifiée conformément à l'article 93, paragraphe 3, et l'aide n'aurait pas du être effectuée avant la fin de la procédure entamée par la Commission. Selon l'article 93, paragraphe 2, la Commission décide que l'état intéressé doit supprimer ou modifier l'aide, si elle constate que celle-ci n'est pas compatible avec le Marché commun. Lorsque, contrairement aux dispositions du paragraphe 3, la subvention projetée a déjà été versée, cette décision peut prendre la forme d'une injonction aux autorités nationales d'en ordonner la restitution.

25. Il s'ensuit que la non-inclusion des fils de polypropylène dans le code des aides n'a pu fonder, chez la requérante, une confiance légitime de nature à empêcher la Commission, dans la décision où elle constate l'incompatibilité de l'aide avec le Marché commun, d'enjoindre aux autorités allemandes d'en ordonner la restitution.

26. Il y a donc lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

Sur les dépens

27. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR ( sixième chambre )

déclare et arrête:

1°) le recours est rejeté.

2°) la requérante est condamnée aux dépens, y compris ceux relatifs à la procédure de reféré.