CJCE, 20 septembre 1990, n° C-5/89
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République fédérale d'Allemagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents de chambre :
MM. Schockweiler (faisant fonction de président), Zuleeg
Avocat général :
M. Darmon.
Juges :
MM. Mancini, O'Higgins, Moitinho de Almeida, Rodríguez Iglesias
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 6 janvier 1989, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant à faire constater que la République fédérale d'Allemagne, en ne se conformant pas à la décision 88-174-CEE de la Commission, du 17 novembre 1987, concernant une aide accordée par le Land Baden-Wuerttemberg de la République fédérale d'Allemagne à BUG-Alutechnik GmbH, entreprise fabriquant des produits semi-finis et finis en aluminium (JO 1988, L 79, p. 29), a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE.
2. L'aide en cause n'avait pas été notifiée à la Commission. Sur la base de certains articles parus dans la presse, la Commission a, par lettre du 21 mai 1985, demandé au gouvernement fédéral s'il était exact que le Land Baden-Wuerttemberg avait accordé à l'entreprise BUG-Alutechnik GmbH des subventions et garanties de crédit aux fins de son rachat par l'entreprise Kaiser Aluminium Europe Inc. Par note du 24 juin 1985, le gouvernement fédéral a confirmé l'octroi de cette aide à l'entreprise susmentionnée et, à la suite d'une autre demande de la Commission, a complété les informations ainsi données par deux notes des 8 août et 2 octobre 1985.
3. Après le déroulement de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE, la Commission a, par lettre du 22 décembre 1987, notifié la décision 88-174-CEE, précitée, à la République fédérale d'Allemagne. L'article 1er de cette décision dispose que l'aide en question "est illégale, étant donné qu'elle a été octroyée en violation de l'article 93, paragraphe 3, du traité CEE" et que, "de plus, elle est incompatible avec le marché commun ".
4. Aux termes de l'article 2 de la même décision, "ladite aide est à récupérer et le Gouvernement allemand informera la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures qu'il a prises pour s'y conformer ".
5. Le Gouvernement allemand n'a pas attaqué cette décision. Par note du 19 avril 1988, il a transmis à la Commission une communication datée du 13 avril, dans laquelle il exprimait diverses critiques concernant certaines constatations et appréciations sur lesquelles la décision était fondée. Considérant que ces arguments n'étaient pas pertinents, la Commission a, par lettre du 11 juillet 1988, invité la République fédérale d'Allemagne à mettre en œuvre la décision.
6. Par note du 9 décembre 1988, le Gouvernement allemand a transmis à la Commission une communication, en date du 2 décembre, proposant d'attendre que soit rendu l'arrêt dans l'affaire "Alcan" (94-87, Commission/Allemagne), juridiquement similaire. Par lettre du 23 décembre 1988, la Commission a indiqué au Gouvernement allemand qu'elle n'estimait pas approprié de prolonger ainsi la procédure et elle a introduit le présent recours.
7. Pour un exposé plus complet des antécédents du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
8. Il est constant qu'aucune mesure n'a été prise par la République fédérale d'Allemagne en vue d'obtenir la restitution de l'aide, exigée en vertu de la décision 88-174-CEE.
9. Le gouvernement défendeur invoque, toutefois, l'impossibilité absolue de mettre en œuvre cette décision pour des raisons tenant au principe de la confiance légitime, qui a trouvé son expression notamment dans l'article 48 du Verwaltungsverfahrensgesetz (loi sur la procédure administrative) du Land Baden-Wuertemberg, applicable en l'espèce.
10. Il fait valoir en particulier que, en vertu de cet article et des principes constitutionnels allemands, une autorité publique ne peut pas procéder au retrait d'un acte administratif irrégulier, générateur de droits, sans une appréciation préalable des différents intérêts en cause. Dans les circonstances de l'espèce, l'autorité nationale compétente serait ainsi tenue de faire prévaloir la protection de la confiance légitime de l'entreprise bénéficiaire de l'aide sur l'intérêt public communautaire à la voir récupérer.
11. Le gouvernement défendeur relève enfin que la récupération de l'aide se heurterait, par ailleurs, à l'interdiction, prévue à l'article 48, précité, de retirer un acte administratif générateur de droits après un délai d'un an à compter du moment où l'autorité administrative a eu connaissance des circonstances justifiant le retrait.
12. Ainsi que la Cour l'a jugé notamment dans l'arrêt du 21 mars 1990, Belgique/Commission (C-142-87, Rec. p. 0000), la récupération d'une aide illégalement accordée doit avoir lieu, en principe, selon les dispositions pertinentes du droit national, sous réserve toutefois que ces dispositions soient appliquées de manière à ne pas rendre pratiquement impossible la récupération exigée par le droit communautaire (point 61).
13. La Cour a également reconnu que, le principe de la confiance légitime faisant partie de l'ordre juridique communautaire, cet ordre juridique ne saurait s'opposer à une législation nationale qui assure le respect de la confiance légitime et de la sécurité juridique dans un domaine comme celui de la répétition d'aides communautaires indûment versées (arrêt du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor, point 30, 205 à 215-82, Rec. p. 2633).
14. La même solution s'impose en ce qui concerne la récupération d'aides nationales contraires au droit communautaire. Il y a lieu de relever toutefois que, compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides étatiques opéré par la Commission au titre de l'article 93 du traité, les entreprises bénéficiaires d'une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l'aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue par ledit article. En effet, un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s'assurer que cette procédure a été respectée.
15. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, par communication publiée au Journal officiel des Communautés européennes, la Commission a informé les bénéficiaires potentiels d'aides d'État du caractère précaire des aides qui leur seraient octroyées illégalement, en ce sens qu'ils pourraient être amenés à les restituer (JO 1983, C 318, p. 3).
16. La possibilité, pour le bénéficiaire d'une aide illégale, d'invoquer des circonstances exceptionnelles, qui ont légitimement pu fonder sa confiance dans le caractère régulier de cette aide, et de s'opposer, par conséquent, à son remboursement ne saurait certes être exclue. Dans un tel cas, il appartient au juge national, éventuellement saisi, d'apprécier, le cas échéant après avoir posé à la Cour des questions préjudicielles d'interprétation, les circonstances en cause.
17. En revanche, un État membre, dont les autorités ont octroyé une aide en violation des règles de procédure prévues à l'article 93, ne saurait invoquer la confiance légitime des bénéficiaires pour se soustraire à l'obligation de prendre les mesures nécessaires en vue de l'exécution d'une décision de la Commission lui ordonnant de récupérer l'aide. Admettre une telle possibilité reviendrait, en effet, à priver les dispositions des articles 92 et 93 du traité de tout effet utile, dans la mesure où les autorités nationales pourraient ainsi se fonder sur leur propre comportement illégal pour mettre en échec l'efficacité des décisions prises par la Commission en vertu de ces dispositions du traité.
18. Enfin, le gouvernement défendeur n'est pas fondé à invoquer, comme cause d'impossibilité absolue de mettre en œuvre la décision de la Commission, les obligations qui découlent pour l'autorité administrative compétente des modalités particulières de protection de la confiance légitime prévues par l'article 48 de la loi de procédure administrative (Verwaltungsverfahrensgesetz) en ce qui concerne l'appréciation des intérêts en cause et le délai prévu pour le retrait d'un acte administratif générateur de droits. En effet, selon une jurisprudence constante, un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour se soustraire à l'exécution des obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire.
19. En particulier, une disposition prévoyant un délai pour le retrait d'un acte administratif générateur de droits doit être appliquée, comme toutes les dispositions pertinentes du droit national, de manière à ne pas rendre pratiquement impossible la récupération exigée par le droit communautaire et à prendre pleinement en considération l'intérêt communautaire.
20. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de constater le manquement dans les termes résultant des conclusions de la Commission.
Sur les dépens
21. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La République fédérale d'Allemagne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête:
1°) La République fédérale d'Allemagne, en ne se conformant pas à la décision 88-174-CEE de la Commission, du 17 novembre 1987, concernant une aide accordée par le Land Baden-Wuerttemberg de la République fédérale d'Allemagne à BUG-Alutechnik GmbH, entreprise fabriquant des produits semi-finis et finis en aluminium, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE.
2°) La République fédérale d'Allemagne est condamnée aux dépens.