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Décisions

CCE, 15 septembre 1980, n° 80-932

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Système de fiscalisation partielle des contributions patronales au système d'assurance contre la maladie en Italie

CCE n° 80-932

15 septembre 1980

LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

I. Considérant que, par décret-loi n° 353 du 6 juillet 1978 (1), transformé en loi n° 502 du 5 août 1978 (2), le Gouvernement italien a introduit une fiscalisation partielle des cotisations patronales que les entreprises industrielles et certaines entreprises du secteur des services doivent acquitter pour leurs salariés au titre de l'assurance contre la maladie; que, d'abord prévue pour une période transitoire de six mois se terminant le 31 décembre 1978, cette fiscalisation partielle a été prorogée par décret-loi n° 20 du 30 janvier 1979 (3), transformé en loi n° 92 du 31 mars 1979 (4), jusqu'au 30 juin 1979, puis par loi n° 375 du 13 août 1979 (5) jusqu'au 31 décembre 1979, et a été rendue définitive par décret-loi n° 633 du 30 décembre 1979 (6);

Considérant que les entreprises bénéficiaires de cette fiscalisation sont les entreprises industrielles manufacturières et extractives ainsi que certaines branches du secteur des services, pour l'essentiel le tourisme et les entreprises commerciales exportatrices réalisant plus de 40 % de leur chiffre d'affaires à l'exportation;

Considérant que cette fiscalisation partielle entraîne pour les entreprises bénéficiaires une réduction de leurs contributions au système d'assurance contre la maladie; qu'avant l'instauration définitive du système, la réduction était d'un montant forfaitaire de 24 500 lires par mois pour chaque salarie masculin, mais que, en revanche, en ce qui concerne les salariés féminins, l'employeur était exempte de tout paiement au titre de l'assurance contre la maladie sur les premières 400 000 lires de salaire par mois et par personne, ce qui pouvait représenter une réduction de 64 000 lires compte tenu du fait que la cotisation patronale à l'assurance contre la maladie est de 16 % du salaire;

Considérant que l'instauration définitive du système de fiscalisation partielle a introduit une modification des modalités en ce sens que le taux de la cotisation patronale au système d'assurance contre la maladie est désormais réduit de 4 points/pourcentage pour les salariés masculins et de 10 points/pourcentage pour les salariés féminins;

II. Considérant que, dans ses observations présentées à la Commission dans le cadre de la procédure de l'article 93 paragraphe 2 du traité instituant la Communauté économique européenne, engagée le 21 décembre 1979, le Gouvernement italien a fait valoir que ce système de fiscalisation partielle des charges d'assurance contre la maladie ne représente qu'une première étape dans la voie d'un remaniement fondamental du système de sécurité sociale en Italie visant à exonérer à terme toutes les entreprises de l'intégralité de ces charges; que, en raison des disponibilités budgétaires, la fiscalisation intégrale ne pourra être réalisée que progressivement et que, dans une première étape, le système actuel n'a pas pu être étendu à l'ensemble de l'économie mais a dû être limité aux entreprises industrielles et à certaines entreprises du secteur des services;

Considérant que les autorités italiennes ont fait valoir que la différenciation dans le taux de la réduction pour les salariés masculins, d'une part, et les salariés féminins, d'autre part, était justifiée par des considérations tenant à l'absentéisme plus important en Italie de la main-d'œuvre féminine que de la main-d'œuvre masculine et à la législation sociale très avancée en Italie qui a pour objectif de protéger le travail féminin; que cette mesure était finalement destinée à réduire les charges sociales dont le niveau en Italie est plus élevé que dans les autres Etats membres et que les moyens budgétaires disponibles actuellement ne permettaient pas non plus un alignement du taux de la réduction pour la main-d'œuvre masculine sur celui qui est prévu pour la main-d'œuvre féminine;

Considérant que la décision du Gouvernement italien de réduire de 2 % supplémentaires les contributions patronales au système d'assurance contre la maladie pour les travailleurs masculins, communiquée à la Commission par lettre de sa représentation permanente du 24 juillet 1980, atténue mais n'élimine pas la différenciation faite entre main-d'œuvre féminine et masculine;

Considérant que d'autres Etats membres et d'autres intéressés ont présenté de nombreuses observations dans le cadre de la procédure de l'article 93 paragraphe 2 du traité instituant la Communauté économique européenne, et exprime les préoccupations de leurs industries à l'égard de cette mesure;

III. Considérant que, en excluant de son application certains secteurs de l'activité économique, le système de fiscalisation actuel, tel que décrit ci-dessus, pourrait être susceptible de perdre son caractère général, qui seul en l'espèce permet de ne pas le considérer comme une aide au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne; que, cependant, dans l'optique d'un rééquilibrage général qui a pour objectif d'étendre à terme le système de fiscalisation à l'ensemble des secteurs de l'économie italienne, la Commission reconnaît qu'une réalisation par étapes peut se révéler nécessaire et que le système actuel présente déjà un caractère suffisamment général étant donné qu'il s'applique à l'ensemble de l'industrie;

Considérant que, en revanche, en ce qui concerne la réduction plus importante des charges patronales de l'assurance contre la maladie pour les salariés féminins, le système actuel est de nature à favoriser "certaines productions" italiennes où la main-d'œuvre féminine est particulièrement importante, telles que notamment celles des secteurs du textile, de l'habillement, de la chaussure et du cuir, et de ce fait est constitutif d'une aide d'Etat au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne;

Considérant en effet que, dans les quatre secteurs précités, les femmes représentent 70 % du total des salariés alors que ce taux n'est que de 25 % pour l'ensemble de l'industrie italienne et que la réduction plus importante des charges patronales de l'assurance contre la maladie pour la main-d'œuvre féminine influence des lors de manière importante et directe les coûts de production des entreprises de ces secteurs, et partant leur compétitivité vis-à-vis de leurs concurrents dans les autres Etats membres; qu'un tel objectif a été d'ailleurs clairement exprime par les autorités italiennes lors des délibérations du Comité interministériel pour la coordination de la politique industrielle (CIPI) du 21 décembre 1978, qui, à propos d'un programme d'intervention pour le secteur de la mode (1), a recommandé de "rendre les coûts par unité de production compétitifs par une harmonisation de la structure des coûts du facteur "travail" avec celle des autres pays européens, en tenant compte en premier lieu de la nécessité de rendre permanent l'actuel régime de fiscalisation des charges sociales pour la main-d'œuvre féminine";

Considérant que, si les conditions générales dans lesquelles les entreprises exercent leurs activités sont susceptibles de varier d'un pays de la Communauté à l'autre, un Etat membre ne peut cependant isoler tel élément particulier de ces conditions générales et compenser par des aides les coûts supplémentaires qui en résultent à ce titre pour ses entreprises par rapport à leurs concurrentes dans les autres Etats membres;

Considérant qu'il est notoire que les secteurs du textile, de l'habillement, de la chaussure et du cuir, qui sont plus particulièrement bénéficiaires de l'aide en cause, sont des secteurs qui connaissent une situation difficile dans toute la Communauté et dans lesquels la concurrence est très vive entre Etats membres;

IV. Considérant que, dans le contexte analysé ci-dessus, une telle aide est donc de nature à affecter les échanges entre Etats membres et à fausser ou menacer de fausser la concurrence au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne;

Considérant que les dispositions du traité instituant la Communauté économique européenne prévoient l'incompatibilité avec le marché commun des aides remplissant les critères énoncés à l'article 92 paragraphe 1; que les dérogations à cette incompatibilité prévues au paragraphe 3 dudit article, seules dérogations concernées dans le cas d'espèce, précisent des objectifs qui doivent être recherchés dans l'intérêt de la Communauté et pas seulement dans celui de secteurs particuliers de l'économie nationale; que ces dérogations doivent être interprétées strictement lors de l'examen aussi bien de projets d'aides régionales ou sectorielles que de cas concrets d'application de systèmes généraux d'aides; qu'elles ne peuvent notamment être accordées que dans les cas ou la Commission peut établir que l'aide est nécessaire pour la réalisation de l'un des objectifs mentionnés dans ledit article;

Considérant qu'accorder le bénéfice desdites dérogations à des aides qui n'impliqueraient pas une telle contrepartie reviendrait à permettre des atteintes aux échanges entre Etats membres et des distorsions de la concurrence dépourvues de justification au regard de l'intérêt communautaire, et corrélativement des avantages indus pour certains Etats membres;

Considérant que, dans le cas d'espèce, le système de l'aide ne permet pas de constater l'existence d'une telle contrepartie;

Considérant, en effet, que le Gouvernement italien n'a pu donner, ni la Commission déceler, aucun élément établissant que l'aide envisagée remplit les conditions justifiant la mise en jeu de l'une des dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 du traité instituant la Communauté économique européenne;

Considérant qu'il ne s'agit manifestement ni d'une mesure destinée à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi, ni d'une mesure destinée à promouvoir la réalisation d'un projet d'intérêt européen commun, ni même d'une mesure tendant à remédier à une perturbation grave de l'économie de l'Etat membre concerne, et que par conséquent l'article 92 paragraphe 3 sous a) et b) du traité instituant la Communauté économique européenne n'est pas applicable;

Considérant que, en outre, la réduction plus importante pour la main-d'œuvre féminine constitue une aide au fonctionnement pour les entreprises concernées de caractère strictement conservatoire;que, d'une manière générale, la Commission s'est toujours opposée à de telles aides, étant donné qu'habituellement ces aides ne remplissent pas en elles-mêmes les conditions qui les rendraient susceptibles de bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92 paragraphe 3 sous c) du traité instituant la Communauté économique européenne, en ce sens qu'elles ne sont pas de nature à faciliter le "développement" tel que prévu dans cette même disposition;

Considérant par ailleurs que, compte tenu des difficultés d'adaptation que connaissent notamment les secteurs du textile, de l'habillement, de la chaussure et du cuir dans l'ensemble de la Communauté, et de la forte concurrence intra-communautaire dans lesdits secteurs, cette aide est de nature à altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun;

Considérant que, notamment dans le secteur textile, cette aide est de nature à remettre en cause les principes de l'encadrement sur le plan communautaire des aides à l'industrie textile, que la Commission a communiqué aux Etats membres en 1971 et en 1977;

considérant, enfin, que, dans les activités tertiaires, l'aide est accordée aux "entreprises commerciales exportatrices" et que, sous cet aspect, il s'agit d'une aide à l'exportation, catégorie d'aides à considérer comme incompatibles avec le marché commun lorsqu'elles bénéficient aux ventes intra-communautaires;

Considérant que, en conséquence, il n'existe aucun élément qui puisse fonder la Commission à exonérer la mesure considérée de l'incompatibilité des aides en la faisant bénéficier de la disposition dérogatoire prévue à l'article 92 paragraphe 3 sous c) du traité instituant la Communauté économique européenne;

Considérant que l'insuffisance des disponibilités budgétaires dont les observations du Gouvernement italien font état peut constituer un argument pour accepter que le système actuel de fiscalisation ne s'applique pas encore à tous les secteurs de l'économie italienne, mais ne peut cependant justifier la différenciation faite entre main-d'œuvre féminine et masculine dans le taux de la réduction des contributions patronales au système de l'assurance contre la maladie, différenciation qui est de nature à altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun;

Considérant que cette conclusion ne peut être infirmée par l'argumentation selon laquelle l'absentéisme de la main-d'œuvre féminine en Italie est plus important que celui de la main-d'œuvre masculine, étant donné qu'une situation similaire en cette matière se retrouve dans d'autres Etats membres,

A arrêté la présente décision:

Article 1er

La République italienne supprime dans un délai de six mois la différenciation dans le taux de la réduction des cotisations patronales au système d'assurance contre la maladie, selon qu'il s'agit de la main-d'œuvre masculine ou de la main-d'œuvre féminine commune à l'article 22 du décret-loi n° 663 du 30 décembre 1979.

Article 2

La République italienne communique à la Commission les dispositions législatives, réglementaires ou administratives adoptées pour se conformer à la présente décision au plus tard à l'expiration du délai fixé à l'article 1er.

Article 3

La République italienne est destinataire de la présente décision.