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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 7 février 2003, n° 2000-17239

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Billon Frères (SA)

Défendeur :

Kenzo (SA), Tessiture Meccaniche Seterie Giovanni Ones (Sté), Cifra SPA (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pézard

Conseillers :

Mmes Schoendoerffer, Regniez

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, SCP Narrat-Peytavi, SCP Dauthy-Naboudet, SCP Moreau

Avocats :

Mes Champagner-Katz, Bessis, de Lacroix, Regnier.

T. com. Paris, 15e ch., du 30 juin 2000

30 juin 2000

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Billon Frères, d'un jugement rendu, le 30 juin 2000, par le Tribunal de commerce de Paris, 15e chambre, dans un litige l'opposant à la société Kenzo ainsi que sur l'appel provoqué de la société Kenzo à l'encontre de la société de droit italien Tessiture Meccaniche Seterie Giovanni Ones et de cette dernière société à l'encontre de la société de droit italien Cifra SpA;

La société Billon Frères a pour activité la création et la fabrication de textiles extensibles, en toutes matières, ainsi que la diffusion, l'achat, la vente, l'importation, l'exportation desdits articles.

Le 21 avril 1993, elle a fait déposer plusieurs dessins de tissus en l'étude de Maître Dodet, huissier de justice à Lyon.

Estimant que la société Kenzo contrefaisait ses dessins sur certains articles commercialisés par elle, la société Billon a fait pratiquer une saisie-contrefaçon dans les locaux de cette société, le 16 avril 1998.

Par acte d'huissier du 29 avril 1998, elle a fait assigner la société Kenzo en contrefaçon, concurrence déloyale et paiement de dommages et intérêts, ainsi qu'aux fins de mesures d'interdiction, de confiscation, de destruction et de publication.

La société Passiflore est intervenue volontairement aux débats, avant d'être absorbée par la société Kenzo.

Par acte du 12 mai 1998, les sociétés Kenzo et Passiflore ont appelé en garantie leur fournisseur, la société Tessiture Meccaniche Seterie Giovanni Ones, dite ci-après Ones.

Par acte du 3 juillet 1998, la société Ones a appelé en garantie la société Cifra.

Ces sociétés ont fait valoir que la société Billon Frères ne rapportait pas la preuve de la date de création des modèles de dessin litigieux qu'elle situe en 1970 sans l'établir, alors que Cifra commercialise depuis 1990 le tissu utilisé par Kenzo, d'ailleurs différent du tissu revendiqué;

Par jugement rendu le 30 juin 2000, le Tribunal de commerce de Paris a:

- donné acte à la SA Kenzo de ce qu'elle a absorbé la société Passiflore,

- dit que le dessin 14 190 de la société Billon Frères n'est pas protégeable au titre du droit d'auteur,

- dit nulles les saisies contrefaçon effectuées le 16 avril 1998 et le 7 mai 1998,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:

- la société Billon Frères à payer la somme de 50 000 F à la société Kenzo,

- la société Kenzo à payer la somme de 16 000 F à la société Tessiture Meccaniche Seterie Giovanni Ones,

- la société Tessiture Meccaniche Seterie Giovanni Ones à payer la somme de 8 000 F à la société de droit italien Cifra SpA,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires de ce chef,

- condamné la société Billon Frères aux dépens.

La société Billon Frères a interjeté appel de cette décision le 1er août 2000 à l'encontre de la société Kenzo.

Par acte d'huissier du 28 février 2001, la société Kenzo a formé appel provoqué à l'encontre de la société Tessiture Meccaniche Seterie Giovanni Ones. Cette société a elle-même interjeté un appel provoqué à l'encontre de la société Cifra, par acte d'huissier du 16 janvier 2002.

La société Billon Frères, par ses dernières écritures signifiées le 10 mai 2002, conclut en ces termes:

Vu les procès verbaux de saisie-contrefaçon versés aux débats,

Vu les articles L. 111-1 et suivants et L. 331-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle,

Vu l'article 1382 du Code civil,

Il est demandé à la présente cour de:

- infirmer le jugement rendu le 30 juin 2000 par la 15e chambre du Tribunal de grande instance de Paris (sic) en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Kenzo en sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive,

- dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Billon,

Statuant de nouveau et faisant usage de son pouvoir d'évocation

- valider la saisie-contrefaçon effectuée le 16 avril 1998 au siège de la société Kenzo, sis 3 place des Victoires à Paris (75001);

- valider la saisie-contrefaçon effectuée le 7 mai 1998 au siège de la société Kenzo Logistique, sis 1, allée des Vergers à Montbazon (37);

- dire et juger que le dessin 14 190, ainsi que ses différentes déclinaisons, appartenant à la société Billon est original et protégeable au sens des dispositions des Livres I à III du Code de la propriété intellectuelle,

- dire et juger que les sociétés Kenzo, Ones et Cifra se sont dès lors rendues coupables:

- d'actes de contrefaçon en faisant fabriquer et en commercialisant des modèles de chemises et de robes reproduisant, sans autorisation, les caractéristiques de la référence 14 190, ainsi que l'ensemble de ses déclinaisons, dont la société Billon est propriétaire,

- d'actes graves de concurrence déloyale et parasitaire distincts à l'encontre de la société Billon notamment en faisant fabriquer des vêtements dans un tissu contrefaisant, et ce après avoir référencé auprès de la société Billon la qualité 14 190 au mois de février 1992,

En conséquence,

- interdire aux sociétés Kenzo, Ones et Cifra ainsi qu'à l'ensemble de leurs sous-traitants, grossistes, détaillants et autres revendeurs respectifs de fabriquer et faire fabriquer et/ou commercialiser, faire commercialiser, importer et/ou exporter des modèles de chemises et de robes contrefaisant le dessin 14 190, ainsi que ses déclinaisons, revendiqué et ce, sous astreinte définitive de 5 000 F par infraction constatée et par jour à compter de la date du jugement à intervenir, le tribunal se réservant le droit de liquider l'astreinte directement.

- ordonner la confiscation de l'ensemble des vêtements confectionnés (notamment chemises et robes) dans le tissu contrefaisant, et ce tant au siège social respectif des sociétés Kenzo, Ones et Cifra qu'à l'ensemble de leurs établissements secondaires, succursales, usines, sous-traitants, grossistes et détaillants respectifs.

- ordonner la destruction des vêtements (notamment chemises et robes) en cause par tel Huissier au choix de la société Billon, à ses frais avancés qui lui seront remboursés in solidum par les sociétés Kenzo, Ones et Cifra sur simple présentation des factures justificatives.

- condamner les sociétés Kenzo, Ones et Cifra à verser in solidum à la société Billon:

- la somme de 400 000 F pour l'atteinte portée aux investissements de la société Billon: marketing, frais de création,

- la somme de 300 000 F pour l'atteinte portée à l'image de marque de la société Billon, l'avilissement des modèles et la perte de confiance de sa clientèle,

- condamner in solidum les sociétés Kenzo, Ones et Cifra à verser à la société Billon la somme de 800 000 F pour le manque à gagner subi par la demanderesse, cette somme étant à parfaire au vu des informations complémentaires obtenues en cours de procédure,

- condamner in solidum les sociétés Kenzo, Ones et Cifra à verser à la société Billon, la somme de 1 500 000 F en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis par la société Kenzo,

- ordonner la publication du jugement à intervenir dans 10 journaux ou publications professionnels, au choix de la société Billon et aux frais in solidum des sociétés Kenzo, Ones et Cifra sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 40 000 F HT, soit la somme globale de 400 000 F HT,

En tout état de cause,

- condamner in solidum les sociétés Kenzo, Ones et Cifra à verser à la société Billon la somme de 100 000 F, au titre de l'article 700 NCPC, dont distraction au profit de la SCP Bernabe-Chardin-Cheviller en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile (sic),

- condamner in solidum les sociétés Kenzo, Ones et Cifra, aux entiers de première instance et d'appel (...).

La société Kenzo, par conclusions signifiées le 3 décembre 2002, demande à la cour de:

"Vu les articles L. 111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, Vu les articles L. 332-3 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, Vu les antériorités produites et notamment celles de la société Cifra,

Il plaira à la cour de:

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 30 juin 2000 en ce qu'il a débouté Billon de ses demandes et en ce qu'il a condamné cette société à une somme de 50 000 F, soit 7 622,45 euros au titre des frais irrépétibles à verser à la SA Kenzo ainsi qu'aux entiers dépens.

L'infirmer en ce qu'il a condamné Kenzo à verser une somme de 16 000 F, soit 2 439,18 Euros au titre des frais irrépétibles à Ones.

- débouter la société Billon Frères de son appel et de l'ensemble de ses demandes.

- ordonner la mainlevée de la seconde saisie pratiquée à la requête de la société Billon à Montbazon le 7 mai 1998, la demanderesse n'ayant pas assigné dans le délai légal et la demande étant de plus manifestement abusive comme ci-dessus exposé.

- condamner la société Billon Frères à la somme de 500 000 F soit 76 224,51 euros à titre de dommages et intérêts pour saisie et procédure abusives et du fait du préjudice commercial subi ainsi qu'à la somme de 100 000 F soit 15 244,90 euros sur le fondement de l'article 700 du NCPC devant la cour et aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SGP Narrat et Peytavi, avoués.

A titre infiniment subsidiaire,

- condamner la société Ones à garantir les SA Kenzo et anciennement Passiflore de toutes condamnations qui pourraient éventuellement être prononcées à quelque titre que ce soit à leur encontre.

- condamner en conséquence dans cette hypothèse, la société Ones à payer aux SA Kenzo et anciennement Passiflore la somme de 100 000 F, soit 15 244,90 euros au titre de l'article 700 du NCPC et aux entiers dépens de première instance et d'appel (...). "

La société Tessiture Meccaniche Seterie Giovanni Ones, par des écritures en date du 26 novembre 2002 conclut en ces termes:

" Vu les articles L. 111-1 et suivants, L. 332-3 et suivants du Code de la propriété intellectuelle,

Il est demandé à la cour:

recevant la société Tessiture Meccaniche Seterie Giovanni Ones en ses conclusions d'appel incident et les déclarant bien fondées,

- de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 30 juin 2000 en ce qu'il a débouté la société Billon Frères de ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens et en ce qu'il a condamné la société Kenzo à payer à la société Tessiture Meccaniche Seterie Giovanni Ones la somme de 16 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Ones à payer la somme de 8 000 F à la société Cifra au titre de l'article 700 du NCPC,

- de débouter la société Billon Frères de la totalité de ses demandes en ce qu'elles sont irrecevables et mal fondées,

- de débouter la société Kenzo de son appel en garantie,

- le cas échéant, de condamner la société Cifra SpA à garantir et indemniser la société Tessiture Meccaniche Seterie Giovanni Ones de toutes condamnations,

en principal, intérêts et frais qui viendraient à être prononcées contre elle, le cas échéant, condamner la société Cifra SpA aux entiers dépens, lesquels comprendront en ce cas tant ceux de la demande principale que ceux des demandes en intervention et garantie, condamner la société Kenzo au paiement d'une somme de 6 100 euros, au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'en tous les dépens de première instance et d'appel (...)";

La société Cifra, par conclusions signifiées le 4 décembre 2002, demande à la cour de:

" Confirmer le jugement rendu le 30 juin 2000 par le Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions.

En tout état de cause, mettre hors de cause la société Cifra.

Condamner in solidum la société Billon Frères et Cie et la société Tessiture Meccaniche Seterie Giovanni Ones à payer à la société Cifra une somme complémentaire de 4 000 euros, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Condamner la société Billon Frères et Cie, et subsidiairement la société Tessiture Meccaniche Seterie Giovanni Ones, en tous les dépens de l'instance (...). "

Ceci exposé, LA COUR,

Sur les dates de création des dessins qui sont opposés:

Considérant que la société Billon Frères fait valoir que le dessin 14 190 est une déclinaison d'un dessin plus ancien qu'elle a créé dès 1970 sous la référence 5087 et qu'elle a commercialisé depuis sous différentes références;

Considérant que les sociétés Kenzo, Ones et Cifra soutiennent que la société Billon n'établirait pas avoir créé le dessin litigieux avant 1993, alors que la société Ones justifierait avoir commercialisé ce dessin dès 1990;

Considérant, cependant, que la société Billon démontre par l'ensemble des pièces concordantes et attestations précises et circonstanciées qu'elle verse aux débats que le dessin litigieux a été créé par ses salariés en 1970, puis régulièrement utilisé sur des tissus qu'elle établit avoir commercialisés notamment au début de l'année 1990 puis en 1992, étant observé, en premier lieu, que les sociétés Kenzo, Ones et Cifra ne démontrent nullement que le registre ancien présenté à l'huissier le 18 mai 1998 serait le résultat d'un montage, et, en second lieu, que les collaborateurs de la société Billon Frères ont précisé dans une attestation annexée au procès-verbal du dépôt des divers dessins, en l'étude de l'huissier Dodet, en avril 1993, que certains des dessins déposés étaient des reprises de dessins antérieurs, tous leurs droits de créateurs ayant été cédés à leur employeur;

Que les sociétés intimées n'établissent pas que le dessin incriminé aurait été commercialisé par la société Cifra avant la fin de l'année 1990, étant relevé que s'il résulte bien des factures produites que le tissu référencé Orchidea par Ones correspond à la référence 223 de Cifra, l'indication de la création en 1989 de ce dessin par la société Cifra ne ressort que d'une mention manuscrite portée sur la photocopie d'un échantillon de tissus qui n'est nullement corroborée par les factures produites qui démontrent que les machines permettant la fabrication des tissus n'ont été montées qu'au quatrième trimestre 1990, les premiers métrages de tissus n'ayant été facturés qu'en novembre 1990, postérieurement de plus de six mois aux factures les plus anciennes produites par Billon Frères;

Considérant qu'il est donc suffisamment établi que le dessin de Billon Frères est antérieur à celui de Cifra;

Sur le caractère protégeable au titre du droit d'auteur du dessin revendiqué par la société Billon Frères:

Considérant que le tribunal a jugé qu'au vu des antériorités produites notamment des mitaines qui comportent l'association d'une rangée de losanges et d'une frise, le fait d'avoir utilisé une double rangée de losanges ne caractérise pas la personnalité de l'auteur et que le dessin invoqué ne pouvait pas être considéré comme une œuvre de l'esprit;

Considérant que la société Billon critique cette décision en faisant valoir que l'originalité de son dessin référencé 14 190, déclinaison d'une création de 1970, sous une référence 5 087 réside dans la combinaison de:

- l'agencement d'une double rangée de losanges et d'une frise,

- la répétition mécanique de cet agencement,

- le caractère extensible de la matière dans laquelle est reproduit cet agencement;

Considérant que la société Kenzo relève que la société Billon ne critique pas la décision entreprise en ce qu'elle a jugé que l'utilisation d'une rangée supplémentaire de losanges ne caractérisait pas la personnalité de l'auteur mais seulement en ce que le tribunal n'a pas retenu que la combinaison des éléments dont elle se prévaut caractérisait l'originalité de son modèle;

Que la société Ones fait également valoir que le dessin revendiqué est banal et n'est pas, selon elle, protégeable au titre du droit d'auteur;

Considérant, cependant, que c'est à juste titre que la société Billon Frères fait valoir que la combinaison d'une double rangée de losanges et d'une frise, la répétition de cet arrangement et l'apparence résultant de l'emploi d'une matière extensible est originale, une telle combinaison portant l'empreinte de la personnalité de son auteur et étant dès lors protégeable au titre du droit d'auteur, étant observé, d'une part, que cette société ne revendique que la protection de la combinaison ci-dessus et, d'autre part, qu'aucune des reproductions de dentelles versées aux débats ne reproduit cette combinaison;

Que le jugement sera réformé en ce qu'il a jugé que le tissu de la société Billon Frères n'était pas protégeable au titre du droit d'auteur;

Sur la validité des saisies contrefaçon:

Considérant que le tribunal de commerce a annulé les saisies contrefaçon auxquelles la société Billon Frères a fait procéder les 16 avril et 7 mai 1998, au motif que cette société ne justifiait pas de sa qualité d'auteur d'une œuvre protégée;

Que la société Billon Frères, pour demander la réformation du jugement sur ce point argue de ses droits et de l'assignation délivrée à sa requête le 29 avril 1998;

Considérant que la société Kenzo conclut à la confirmation du jugement entrepris, en faisant valoir que les saisies contrefaçon pratiquées auraient un caractère abusif, celle pratiquée à Montbazon le 7 mai 1998, n'ayant été suivie d'aucune assignation;

Considérant, cependant, que le Tribunal de commerce de Paris étant d'ores et déjà saisi à la date de la saisie-contrefaçon, il ne peut être reproché à la société Billon Frères de n'avoir pas délivré une nouvelle assignation à la société Kenzo;

Que, par ailleurs, la cour ayant jugé que le dessin de la société Billon Frères méritait protection au titre des droits d'auteur, la société Kenzo sera déboutée de ses demandes tendant à la nullité des saisies contrefaçons des 16 avril et 7 mai 1998, le jugement étant encore réformé sur ce point;

Sur la contrefaçon:

Considérant que la société Billon Frères fait valoir que les sociétés Kenzo, Ones et Cifra ont repris les caractéristiques qui font l'originalité de son tissu que la société Kenzo connaissait parfaitement puisqu'elle lui en avait passé commande en 1992;

Considérant que la société Kenzo relève à juste titre que le tissu qu'elle emploie est une dentelle et non un tissu tricoté comme celui de la société Billon Frères;

Qu'il convient de constater que le tissu de dentelle utilisé par la société Kenzo ne reproduit pas l'apparence particulière donnée par la matière extensible mise en œuvre par la société Billon Frères et ne reproduit donc nullement la combinaison qui est seule revendiquée, la reprise des éléments géométriques reproduits mécaniquement pour lesquels, en eux-mêmes, l'appelante ne revendique aucune originalité ne pouvant constituer une contrefaçon;

Que la société Billon Frères sera donc déboutée de toutes ses demandes au titre de la contrefaçon;

Sur la concurrence déloyale:

Considérant que la société Billon Frères fait valoir que la société Kenzo, qui avait d'abord fait l'acquisition de son tissu en février 1992 pour s'adresser ensuite à la société Ones pour l'acquérir à moindre coût et a fait une grande publicité aux articles fabriqués dans le tissu qui reproduit le sien, s'est rendue coupable de concurrence déloyale;

Considérant cependant que les tissus en présence sont, du fait de leur matière respective, très différents et ne peuvent être confondus, s'agissant pour l'un d'un tissu tricoté épais et élastique et pour l'autre d'une dentelle très ajourée en fil non extensible;

Qu'au demeurant, le fait de s'adresser à un fournisseur concurrent vendant à meilleur prix n'est pas en soi une pratique déloyale; que le fait d'accompagner ses ventes d'une campagne de publicité n'est pas constitutif d'une faute;

Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Billon Frères de ses demandes au titre de la concurrence déloyale;

Considérant que les demandes en garantie de la société Kenzo à l'encontre de la société Tessiture Meccaniche Seterie Giovanni Ones et de la société Ones à l'encontre de la société Cifra sont sans objet en l'absence de toute condamnation;

Sur les demandes reconventionnelles de la société Kenzo:

Considérant que la société Kenzo demande le paiement d'une somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la procédure abusive qu'aurait selon elle diligentée la société Billon Frères et qui l'aurait amenée à cesser la commercialisation des produits en litige;

Considérant cependant que la société Billon Frères a pu se méprendre sur ses droits et que la société Kenzo n'établit pas que les saisies contrefaçon ont été pratiquées, que l'action a été introduite et l'appel interjeté avec une volonté de nuire, une intention malicieuse ou une erreur équivalente au dol; qu'elle sera donc déboutée de ce chef de demande, le jugement étant réformé de ce chef;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire droit aux demandes des sociétés Kenzo, Ones et Cifra sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; que le jugement sera réformé sur ce point;

Par ces motifs: Réforme le jugement en ce qu'il a dit que le dessin 14 190 de la société Billon Frères n'était pas protégeable au titre du droit d'auteur, en ce qu'il a annulé les saisies contrefaçon des 16 avril 1998 et 7 mai 1998, en ce qu'il a condamné la société Billon Frères au paiement de dommages-intérêts au profit de la société Kenzo et en ce qu'il a alloué diverses sommes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Statuant à nouveau et ajoutant, Dit que les tissus référencés 5 087 et 14 190 sont protégeables au titre du droit d'auteur; Déboute la société Billon Frères de ses demandes tendant à l'annulation des saisies contrefaçon des 16 avril et 7 mai 1998; Déboute la société Billon Frères de ses demandes au titre de la contrefaçon; Déboute la société Kenzo de ses demandes en paiement de dommages et intérêts; Dit n'y avoir lieu de faire droit aux demandes sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Confirme le jugement en ses autres dispositions; Condamne la société Billon Frères aux entiers dépens d'appel, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.