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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 7 mars 2003, n° 2001-13521

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Idéal Sanitaire (Sté)

Défendeur :

American Standard Inc (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pézard

Conseillers :

Mmes Schoendoerffer, Regniez

Avoués :

SCP d'Auriac-Guizard, SCP Bommart-Forster

Avocats :

Mes Jaidi, Cousté.

TGI Paris, 3e ch., du 22 juin 2001

22 juin 2001

LA COUR est saisie d'un appel interjeté par la société Idéal Sanitaire à l'encontre d'une décision rendue le 22 juin 2001 par le Tribunal de grande instance de Paris dans un litige l'opposant à la société American Standard Inc.

American Standard est titulaire de la marque semi-figurative Idéal Standard déposée le 27 mars 1979, enregistrée sous le n° 1 520 225, régulièrement renouvelée, en dernier lieu le 7 juin 1999, pour désigner des produits des classes 6 à 12, 17, 20 et 21 et notamment les appareils de distribution d'eau, les installations sanitaires et les meubles. Cette marque est exploitée par la société Sanifrance, licenciée, qui commercialise, sous cette marque, du matériel destiné aux salles de bains.

Ayant pris connaissance de la participation de la société Idéal Sanitaire au salon de la Salle de Bains, porte de Versailles à Paris, du 6 au 11 juin 2000, American Standard a mis en demeure cette société de renoncer à exposer des produits sous l'appellation Idéal Sanitaire et a fait procéder, le 8 juin 2000, à une saisie-contrefaçon.

Elle a assigné, par acte du 23 juin 2000, Idéal Sanitaire aux fins de constatation de la contrefaçon de sa marque et de concurrence déloyale, réclamant, outre des mesures d'interdiction sous astreinte, de publication, la condamnation au paiement de 300 000 F pour l'atteinte portée à sa marque et de 500 000 F au titre de la concurrence déloyale ainsi que paiement de la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Idéal Sanitaire avait conclu au débouté, estimant qu'il n'existait aucun risque de confusion entre les signes en présence, et avait demandé paiement de la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts.

Par le jugement déféré, le tribunal a:

- dit qu'en utilisant la dénomination Idéal Sanitaire pour désigner des produits sanitaires, sans l'autorisation de la société American Standard, propriétaire de la marque Idéal Standard n° 1 520 225, Idéal Sanitaire a commis des actes de contrefaçon,

- interdit à Idéal Sanitaire la poursuite de ces agissements sous astreinte de 3 000 F par infraction constatée à compter de la signification de la présente décision,

- ordonné l'exécution provisoire de cette mesure,

- condamné Idéal Sanitaire à payer à American Standard la somme de 30 000 F pour réparer les atteintes à ses droits de marque et une indemnité de 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- autorisé American Standard à faire publier le dispositif du présent jugement aux frais de la société Idéal Sanitaire dans deux publications de son choix, le coût de chaque insertion à la charge de cette dernière ne pouvant excéder la somme de 20 000 F,

- rejeté la demande en concurrence déloyale.

Appelante, Idéal Sanitaire, par ses dernières écritures du 23 janvier 2003, invoque un jugement rendu par le Tribunal de première instance de Ben Arous en Tunisie le 10 mars 1999, et demande à la cour de:

- "réformer le jugement entrepris,

- dire qu'il a été bien appelé et mal jugé sur l'exception de procédure tirée de la Convention franco-tunisienne du 28 juin 1972, article 15,

- constater qu'une instance opposant les mêmes parties pour le même litige est pendante devant la Cour d'appel de Tunis, après que le Tribunal de première instance de Ben Arous ait débouté la société intimée de toutes ses demandes,

- en conséquence,

- déclarer irrecevable l'action engagée par l'intimée au motif qu'elle heurte les dispositions de l'article 15 de la Convention franco-tunisienne du 28 juin 1972,

- subsidiairement, si par impossible la cour ne faisait pas droit à l'exception soulevée,

- surseoir à statuer sur le présent appel en attendant la décision de la Cour d'appel de Tunis,

- plus subsidiairement,

- dire et juger que le terme "Idéal" terme générique n'est pas assez distinctif et original même associé à un autre mot pour justifier une action en contrefaçon,

- en conséquence,

- débouter l'intimée de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'égard de l'appelante,

- condamner l'intimée à 5 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- constater le préjudice commercial et financier subi par l'appelante estimé à 457 347,05 euros,

- condamner l'intimée au paiement de dommages et intérêts à hauteur de 457 347,05 euros pour procédure abusive et vexatoire".

American Standard, par ses dernières écritures du 23 janvier 2003, demande à la cour de:

- "vu les dispositions des articles L. 713-1, L. 713-3 et L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle,

vu les articles 1351 et suivants et l'article 1382 du Code civil,

- dire et juger irrecevable et mal fondée l'exception de procédure soulevée par Idéal Sanitaire, l'en débouter,

- dire et juger irrecevable et mal fondée la demande de sursis à statuer formulée par Idéal Sanitaire, l'en débouter,

- débouter Idéal Sanitaire en toutes ses demandes, fins et conclusions,

- dire et juger qu'en utilisant la dénomination Idéal Sanitaire pour désigner des produits sanitaires, Idéal Sanitaire a commis des actes de contrefaçon de la marque Idéal Standard déposée à l'INPI le 27 mars 1979, renouvelée le 21 mars 1989 puis le 7 juin 1999 et enregistrée sous le n° 1520 225, propriété de la société American Standard Inc et de concurrence déloyale,

- faire interdiction à Idéal Sanitaire de reproduire et de faire usage de quelque manière et à quelque titre que ce soit de la dénomination Idéal Sanitaire ou Idéal, seule ou en combinaison avec d'autres signes pour désigner des produits sanitaires, et ce sous astreinte de 800 euros par infraction constatée,

- condamner Idéal Sanitaire à payer à American Standard la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts pour son manque à gagner sur les ventes des produits sanitaires Idéal Standard,

- condamner Idéal Sanitaire à verser à titre de dommages et intérêts du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire de la marque Idéal Standard à American Standard la somme de 50 000 euros,

- ordonner l'insertion de la décision ou d'extraits de la décision dans dix publications au choix d'American Standard et aux frais d'Idéal Sanitaire, sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser 4 600 euros,

- condamner Idéal Sanitaire à payer à American Standard la somme de 16 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile".

Sur ce, LA COUR:

Sur les exceptions de procédure:

Considérant, selon l'appelante que la procédure diligentée en Tunisie par American Standard en contrefaçon de la marque Idéal Standard est identique à la présente procédure, puisqu'elle porte sur les mêmes faits et causes et qu'en application de la Convention franco-tunisienne du 28 juin 1972 et de son article 15, lorsqu'une juridiction de l'un des deux Etats a été saisie la première d'un litige, l'autre juridiction ne peut plus être saisie; qu'elle ajoute qu'en omettant de révéler l'existence de la procédure tunisienne lorsqu'elle a demandé l'autorisation de procéder à une saisie-contrefaçon, en juin 2000, American Standard a agi en "fraude et à l'escroquerie au jugement tunisien"; qu'elle fait, en outre, valoir qu'American Standard n'a pas répondu à la sommation de communiquer la marque n° E941 158 déposée auprès de l'Office tunisien des marques alors que cette communication lui est nécessaire pour savoir si les deux marques sont identiques et portent sur les mêmes produits, qu'il doit être tiré toutes conséquences de ce refus;

Considérant, cela exposé, que le jugement rendu par le Tribunal de Ben Arous portait sur des faits qui se sont produits sur le territoire tunisien, au regard d'un dépôt de marque effectué en Tunisie alors que la procédure actuelle est relative à des faits qui ont eu lieu sur le territoire français en juin 2000 au regard d'une marque déposée en France; qu'il en résulte que les deux procédures ne procèdent ni des mêmes faits ni des mêmes causes, n'ayant en commun qu'un fondement juridique identique, la contrefaçon; que l'appelante ne peut en conséquence se prévaloir utilement des dispositions de la Convention franco-tunisienne; que les procédures étant indépendantes, il n'existe aucune fraude et aucune escroquerie à ne pas avoir signalé l'existence du jugement tunisien; que par ailleurs, American Standard invoquant en France une marque française, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir répondu à la sommation de communiquer la marque tunisienne qu'elle n'oppose pas dans la présente procédure; que la demande de sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour d'appel de Tunis n'est pas justifiée, cette décision n'ayant aucune incidence sur la procédure introduite en France;

Sur la contrefaçon:

Considérant que l'appelante expose que, contrairement à ce qu'a dit le tribunal, la contrefaçon par reproduction du terme Idéal ne peut être retenue, au regard de la jurisprudence communautaire qui, lorsqu'il y a une modification apportée à la marque antérieure, exclut la contrefaçon par reproduction et exige la recherche d'un risque de confusion;

Considérant qu'elle ajoute que de ce point de vue, suivant l'appréciation globale qui doit être faite des signes en litige, il n'existe aucun risque de confusion entre la marque Idéal Standard et Idéal Sanitaire; qu'en effet, selon elle,

- le terme Idéal est un terme banal utilisé comme "la désignation générique" de perfection, qu'il est faiblement arbitraire pour les produits ou services en cause,

- il n'a d'existence qu'associé avec d'autres éléments de la marque formant un tout indivisible servant à mettre les autres termes en valeur, et ne peut être analytiquement séparé de l'ensemble de l'expression, contrairement à ce qu'a fait le tribunal,

- du fait des termes adjoints dans les signes en litige au terme Idéal, les différences entre les deux expressions sont aisément décelables par le consommateur d'attention moyenne, la marque opposée ne renseignant nullement le consommateur sur la nature du produit à la différence de "Idéal Sanitaire",

- si, comme l'a dit le tribunal, Idéal est le terme essentiel, alors ce terme est déceptif dans la mesure où il renvoie à une idée de perfection absolue et American Standard ne peut monopoliser ce mot, et priver ainsi tous les fabricants ou commerçants de son usage pour caractériser ou définir leurs produits,

Considérant, cela exposé, que le tribunal ayant fondé sa décision sur les dispositions de l'article L. 713-3 du CPI, c'est-à-dire sur la contrefaçon par imitation illicite et non pas sur les dispositions de l'article L. 713-2 du CPI, l'argumentation développée par l'appelante sur la référence erronée à la contrefaçon par reproduction partielle (la reprise du terme Idéal) est dénuée de pertinence;

Considérant, sur le risque de confusion, que l'appelante fait observer à juste titre que la comparaison entre les signes doit être effectuée de manière globale; que l'appréciation du risque de confusion dépend de nombreux facteurs et notamment de la connaissance de la marque sur le marché, de l'association qui peut en être faite avec le signe utilisé ou enregistré, du degré de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services désignés;

Considérant qu'il n'est pas contesté en l'espèce que les produits visés par la marque antérieure et ceux distribués par l'appelante sont, pour partie, identiques en ce qu'ils désignent du matériel sanitaire pour salles de bains, et, pour partie, similaires (accessoires de salles de bains); qu'il existe donc une grande proximité entre les produits dont il doit être tenu compte pour apprécier le risque de confusion;

Considérant que, si, contrairement à ce qu'a dit le tribunal, il importe peu de savoir si le terme Idéal est à lui seul protégeable, puisqu'il s'agit d'une reproduction par imitation et non pas d'une reproduction partielle, il subsiste que dans la comparaison d'ensemble qui doit être effectuée entre "Idéal Standard" et "Idéal Sanitaire", les signes ont:

- visuellement une même architecture d'ensemble (deux mots), une longueur très proche (13 lettres dans la première, quatorze dans la seconde), une accroche identique par le même mot Idéal,

- phonétiquement, l'expression d'attaque est identique,

- intellectuellement, les deux expressions se réfèrent pareillement à une idée de perfection

Considérant que la substitution du terme "Sanitaire" qui est descriptif des produits proposés, au terme "Standard" qui est dénué d'un haut pouvoir distinctif, ne suffit pas à éviter un risque de confusion entre les signes pour un consommateur d'attention moyenne qui ne les a pas en même temps sous les yeux ou dans un temps rapproché à l'oreille; que le consommateur pourra, en effet, être amené à croire, au regard des ressemblances ci-dessus relevées, que le signe second est une déclinaison du signe antérieur et que les produits proposés ont une même origine;

Qu'ainsi, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la dénomination Idéal Sanitaire était la contrefaçon par imitation de la marque Idéal Standard; que le jugement sera en conséquence confirmé;

Sur la concurrence déloyale:

Considérant que l'intimée reprend sa demande en concurrence déloyale, en faisant valoir que l'appelante utilise la dénomination Idéal Sanitaire pour se placer dans son sillage, les articles sanitaires commercialisés sous la marque Idéal Standard étant dotés d'une haute réputation, et que pour renforcer les similitudes visuelles entre les signes, l'appelante fait figurer le terme "Idéal", sur ses produits et documents publicitaires, en caractères d'imprimerie plus importants que le terme "Sanitaire";

Mais considérant que les agissements ainsi reprochés à Idéal Sanitaire ne se distinguent pas des actes de contrefaçon ci-dessus retenus, étant observé que le terme "Idéal", bien que dans des caractères un peu plus importants que ceux de "Sanitaire" n'est pas mis particulièrement en valeur, ce dernier mot étant lui aussi souligné, en étant inscrit dans un cartouche; que le jugement sera donc confirmé en ce que la demande en concurrence déloyale a été rejetée;

Sur les mesures réparatrices:

Considérant sur les mesures réparatrices, que l'intimée réclame des dommages et intérêts bien supérieurs à ceux qui lui ont été alloués par les premiers juges, exposant que les salons constituent le point d'orgue d'une politique commerciale, que c'est à cette occasion que se prennent les commandes des grossistes pour l'année; qu'elle a subi de ce fait, selon elle, une perte réelle de bénéfices sur les ventes manquées; qu'elle ajoute que Idéal Sanitaire aurait continué après le jugement du 22 juin 2001 à faire usage de cette dénomination dans la presse périodique française;

Mais considérant que l'intimée ne verse aux débats, à l'appui de son appel incident, aucun document qui serait de nature à modifier l'exacte appréciation du préjudice subi par elle du fait de l'atteinte portée à sa marque tant en raison de sa dépréciation que du préjudice commercial, par la perte de redevances versées par sa licenciée; qu'il n'est notamment produit aucun document comptable de nature à prouver la perte de bénéfices alléguée; qu'il est, par ailleurs, versé aux débats un numéro d'une revue "Le Moniteur du Commerce International" (MOCI) de novembre 2001 avec un supplément sur la Tunisie contenant une publicité pour Idéal Sanitaire; que toutefois, cette seule publicité, postérieure à la décision critiquée ne modifie pas l'appréciation du préjudice de l'intimée; que le jugement sera confirmé;

Qu'il sera également confirmé en ce qu'il a prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte;

Considérant que les mesures de publication ordonnées par les premiers juges ne sont pas nécessaires, le préjudice subi par American Standard étant suffisamment réparé par les dommages et intérêts alloués;

Considérant que l'équité commande d'allouer à American Standard la somme complémentaire de 2 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges: Confirme la décision en toutes ses dispositions sauf en ce que des publications de la décision ont été ordonnées; Réformant de ce chef, statuant à nouveau et ajoutant, Condamne la société Idéal Sanitaire à payer à la société American Standard Inc la somme de 2 500 euros au titre des frais d'appel non compris dans les dépens; Rejette toutes autres demandes; Condamne la société Idéal Sanitaire aux entiers dépens; Autorise la SCP Bommart-Forster, avoué, à recouvrer les dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.