CA Paris, 13e ch. A, 6 juin 2000, n° 99-06931
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guilbaud
Conseillers :
MM. Ancel, Nivose
Avocats :
Mes Montenot, Raskin.
RAPPEL DE LA PROCÉDURE:
LA PREVENTION:
E Emile est poursuivi pour avoir à Rungis (94),
- le 18 juin 1997, trompé le contractant sur la nature et les qualités substantielles de marchandises vendues, en l'espèce en vendant des colis de nectarines mentionnant qu'elles étaient du calibre A, c'est-à-dire qu'elles présentaient un diamètre égal ou supérieur à 67 millimètres alors que la totalité de ces fruits présentaient un diamètre inférieur,
- le 4 juillet 1997, trompé le contractant sur la nature et les qualités substantielles de marchandises vendues, en l'espèce en vendant des colis de nectarines mentionnant qu'elles étaient du calibre A, c'est-à-dire qu'elles présentaient un diamètre égal ou supérieur à 67 millimètres alors que 66% de ces fruits présentaient un diamètre inférieur,
T Gérard est poursuivi pour avoir à Rungis (94),
- le 18 juin 1997, tenté de tromper le contractant sur la nature et les qualités substantielles de marchandises offertes à la vente, en l'espèce en mettant en vente des colis de nectarines mentionnant qu'elles étaient du calibre A, c'est-à-dire qu'elles présentaient un diamètre égal ou supérieur à 67 millimètres alors que la totalité de ces fruits présentaient un diamètre inférieur,
- le 4 juillet 1997, tenté de tromper le contractant sur la nature et les qualités substantielles de marchandises offertes à la vente, en l'espèce en mettant en vente des colis de nectarines mentionnant qu'elles étaient du calibre A, c'est-à-dire qu'elles présentaient un diamètre égal ou supérieur à 67 millimètres alors que 66% de ces fruits présentaient un diamètre inférieur,
- le 11 juillet 1997, tenté de tromper le contractant sur la nature et les qualités substantielles de marchandises offertes à la vente, en l'espèce en mettant en vente des colis de pêches mentionnant qu'elles étaient du calibre A, c'est-à-dire qu'elles présentaient un diamètre égal ou supérieur à 73 millimètres alors que 24,7 % de ces fruits présentaient un diamètre inférieur,
LE JUGEMENT:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré :
E Emile :
coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, faits commis de juin 1997 à juillet 1997, à Rungis (94), infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation ;
T Gérard :
coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, faits commis de juin 1997 à juillet 1997, à Rungis (94), infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation ;
Et par application de ces articles, a condamné :
E Emile à une amende délictuelle de 30 000 F. T Gérard à une amende délictuelle de 40 000 F.
a dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable chaque condamné.
DÉCISION:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels d'Emile E, prévenu et du ministère public, contre Emile E et Gérard T, interjetés à l'encontre du jugement entrepris auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention,
Emile E, présent, assisté de son avocat, demande par voie de conclusions à la cour :
- de saisir la Cour de Justice des Communautés européennes, en application des dispositions de l'article 234 du Traité de Rome, de la question préjudicielle suivante :
"les dispositions de l'article L. 213-1 du Code de la consommation français, relatives aux tromperies sur les qualités substantielles de la marchandise et l'application qui en est faite par la Cour de cassation française (arrêts du 9-3-99 et 7-12-99), qui retiennent la responsabilité délictuelle d'un opérateur de la filière Fruits et Légumes pour tromperie, au motif qu'il ne s'est pas assuré de la conformité d'un produit régulièrement mis sur le marché dans l'Union européenne, ne sont-elles pas contraires aux dispositions des articles 28 et suivants du Traité, dès lors que les marchandises dont s'agit sont normalisées en application d'un règlement spécifique (n° 3596-90 du 12-12-90 pour les pêches nectarines) lui-même pris par application d'un règlement portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes (n° 10-35 du 18-5-72) et qu'un règlement 2251-92 du 29-7-92 détermine les conditions dans lesquelles les marchandises normalisées sont mise en marché sous la responsabilité d'organismes compétents désignés par l'Etat membre ou d'organismes privés agréés ou d'entreprises agréées pour effectuer un autocontrôle, ce qui les dispense de notifier une mise en marché ?"
- de transmettre à la Cour de Justice des Communautés européennes l'intégralité des pièces remises par l'avocat du prévenu et de surseoir à statuer au sort de l'arrêt qui sera rendu par la Cour européenne,
- subsidiairement au fond, le prévenu demande l'infirmation du jugement dont appel, en l'absence d'élément intentionnel et sa relaxe,
- il soutient aussi que l'élément matériel tel qu'il a été retenu par le Tribunal correctionnel de Créteil, constitue une violation du principe de la légalité des poursuites et des dispositions des articles 6 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales,
Le ministère public relève qu'il n'y a pas de contestation de l'élément matériel de l'infraction mais pose la question de savoir si les faits constituent un délit ou plutôt une contravention, visée à l'article R. 214-2 du Code de la consommation;
Gérard T, présent, assisté de son avocat, précise à la Cour que son entreprise a été dévastée par un incendie en 1995 et que c'est la raison pour laquelle il n'a pas pris le temps de relever appel de sa condamnation; il soutient que le délit de tromperie n'est pas constitué, car le calibre n'est pas une qualité déterminante du fruit et indique qu'il se fie aux certificats de contrôle établis lors de la mise des produits sur le marché ; il avoue regarder la maturité, l'apparence du fruit, tester son goût mais ne pas vérifier le diamètre et se demande autrement quelle est l'utilité des certificats de conformité ;
RAPPEL DES FAITS:
Le 18 juin 1997, les agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont contrôlé les Etablissements T Gérard, grossiste en fruits et légumes à Rungis, et ont constaté que des nectarines importées d'Espagne, calibrées en catégorie A, correspondaient en réalité au calibre B ; pour les 10 colis pris au hasard, aucun n'était conforme ;
Un deuxième contrôle, le 4 juillet 1997, faisait ressortir que des nectarines importées d'Espagne, calibrées en catégorie B, correspondaient en réalité au calibre C ; sur 10 colis pris au hasard, 66 % des fruits n'étaient pas conformes;
Un troisième contrôle le 11juillet1997 permettait de constater que des pêches françaises calibrées en catégorie AA, correspondaient en réalité au calibre A; sur 7 colis pris au hasard, 24,67 % des fruits présentaient un calibre inférieur à celui annoncé ;
Gérard T invoque un manque de temps pour effectuer les contrôles et sollicite l'indulgence, suite à un incendie de son établissement ;
Emile E, représentant légal de la société I, soutient qu'il n'a pas eu l'intention de frauder, que le calibre n'est pas une qualité substantielle du fruit et il demande que la Cour de Justice soit saisie d'une question préjudicielle sur la validité des poursuites engagées sur le fondement de l'article L. 213-1 du Code de la consommation avec l'article 30 du traité de Rome,
Le bulletin n° 1 du casier judiciaire de chacun des prévenus ne mentionne aucune condamnation.
Sur ce,
Sur la demande de question préjudicielle :
Considérant que la législation française et particulièrement l'article L. 213-1 du Code de la consommation, en ce qu'elle incrimine celui qui aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers :
1°) soit sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises,
2°) soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d'une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l'objet du contrat,
3°) soit sur l'aptitude à l'emploi, les risques inhérents à l'utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d'emploi ou les précautions à prendre,
est justifiée par la loyauté des transactions commerciales et la protection des consommateurs ; que celle-ci s'appliquant à tous les produits commercialisés en France, sans distinction de leur origine, elle n'institue aucun régime discriminatoire, ni en faveur, ni au détriment de la production nationale, par rapport aux produits concurrents importés d'autres Etats membres ;
Considérant qu'en l'état actuel du droit communautaire, une disposition imposant au responsable de la première mise sur le marché national d'un produit de vérifier, sous peine d'engager sa responsabilité pénale, la conformité de ce produit aux prescriptions en vigueur sur ledit marché et relatives à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté des transactions commerciales et à la protection des consommateurs, est compatible avec les articles 30 et 36 du Traité instituant la Communauté Economique européenne, à la condition que son application aux produits fabriqués dans un Etat membre ne soit pas assortie d'exigences qui dépassent ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé, compte tenu, d'une part, de l'importance de l'intérêt général en cause et d'autre part, des moyens de preuve normalement disponibles pour un importateur ;
Que dès lors, les contrôles pour la vérification des informations sur la composition d'un produit, fournies aux consommateurs lors de la mise en vente de ce produit, imposés à l'importateur et au grossiste, ne dépassent pas ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé à l'égard des consommateurs et ne masquent aucune restriction interdite dans le commerce entre les Etats de la Communauté, d'autant plus qu'ils visent tant les productions nationales que les fruits importés ;
Considérant par conséquent qu'il n'y a pas lieu à poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes, et la demande présentée de ce chef doit être rejetée ;
Sur l'action publique :
Considérant qu'il résulte du jugement déféré que lors de trois contrôles effectués en juin et juillet 1997, sur les marchandises mises en vente par Gérard T, grossiste en fruits et légumes du marché d'intérêt national de Rungis, les agents de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont constaté qu'une part importante des nectarines importées d'Espagne et des pêches provenant de France, présentait un calibre inférieur à celui indiqué sur l'emballage en application de la réglementation communautaire ;
Que les colis de nectarines lui avaient été fournis par Emile E, dirigeant la société It, importateur en fruits et légumes, qui les avait reçus d'une société espagnole ;
Considérant que les deux prévenus sont poursuivis, aux termes de la citation, pour avoir trompé le consommateur sur les qualités substantielles de la marchandise, en mettant sur le marché des fruits d'un calibre inférieur à celui annoncé ;
Que contrairement aux affirmations des prévenus, et en comme l'ont justement relevé les premiers juges, il y a lieu de considérer que le calibre du fruit, qui conditionne aussi son prix, est une qualité substantielle au sens de l'article L. 213-1 du Code de la consommation, susvisé ;
Considérant qu'Emile E qui ne conteste pas les constatations des agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, ne peut, en sa qualité d'importateur, invoquer sa bonne foi en soutenant que son commettant étranger est seul responsable de la première mise sur le marché unique européen au sens de l'article L. 212-1 du Code de la consommation, alors que sa mauvaise foi se déduit du fait qu'il n'a pas, avant la vente du bien importé, vérifié que celui-ci présentait les caractéristiques essentielles indiquées à l'acquéreur ;
Considérant que Gérard T, commissionnaire en fruits et légumes, qui met à la disposition des consommateurs français, des marchandises non conformes à l'étiquetage effectué par le producteur, en application de la réglementation européenne, est tenu comme tel de vérifier la conformité des produits aux prescriptions en vigueur et de s'assurer de la conformité des produits aux prescriptions relatives au calibre et concernant la loyauté des transactions commerciales ;
D'où il suit que le délit de tromperie, caractérisé dans tous ses éléments, est imputable à chacun des prévenus Emile E, importateur et Gérard T, commissionnaire et il convient par conséquent de confirmer le jugement déféré pour chacun des prévenus, sur la déclaration de culpabilité et sur la peine, qui constitue une juste application de la loi pénale ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu Emile E et du ministère public ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et déboute Emile E et Gérard T de leurs demandes formées en cause d'appel ; Dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable chaque condamné.