Cass. crim., 23 mars 1994, n° 92-86.351
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Souppe
Rapporteur :
Mme Ferrari
Avocat général :
M. Perfetti
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan.
Rejet du pourvoi formé par R Alain, la société X, civilement responsable, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon, 7e chambre, du 18 novembre 1992, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, a condamné le premier à une amende de 20 000 francs, a déclaré la seconde civilement responsable, et a ordonné la cessation de la publicité ainsi qu'une mesure de publication.
LA COUR : - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen pris de la violation des articles 63 a et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 34 et 37 de la Constitution et 4 du Code pénal, 44 de la loi du 27 décembre 1973, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de publicité de nature à induire en erreur pour avoir adressé à des entreprises une offre d'abonnement à l'annuaire privé européen édité par la société X avec indication du coût annuel de cet abonnement ;
"aux motifs que la présentation et les indications du document litigieux et notamment l'emploi des mots juxtaposés "Télécom", "Télex" et "Télécopie" étaient de nature à faire croire à tout lecteur d'une intelligence moyenne qu'il s'agissait d'une facture à payer pour bénéficier du service de la télécopie assuré par l'entreprise publique France Télécom ;
"alors que l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pose que nul ne peut être condamné pour une action ou omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international ; qu'au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, toute infraction doit être définie par la loi en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire et permettre au prévenu de connaître exactement la nature et la cause de l'accusation portée contre lui ; que la loi française qui réprime la publicité "de nature à induire en erreur" n'est ni claire ni précise et que cette notion qui n'est définie par aucun texte favorise l'arbitraire puisque l'infraction s'apprécie au regard du comportement du "consommateur moyen" lequel n'est pas lui-même autrement défini ; qu'ainsi, le prévenu devait être renvoyé des fins de la poursuite du chef de publicité de nature à induire en erreur" ;
Et sur le second moyen pris de la violation des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de publicité de nature à induire en erreur ;
"aux motifs que la présentation et les indications du document litigieux et notamment l'emploi des mots juxtaposés "Télécom", "Télex" et "Télécopie" étaient de nature à faire croire à tout lecteur d'une intelligence moyenne qu'il s'agissait d'une facture à payer pour bénéficier du service de la télécopie (appelé plus usuellement le fax) qui est assuré par l'entreprise publique France Télécom et auquel toutes les entreprises d'une certaine importance avaient recours, alors que le service proposé, décrit d'une manière extrêmement sommaire, était en fait l'accès à un annuaire d'entreprises de certains pays européens qui n'étaient même pas clairement définis ; que, dans la plupart des entreprises, les factures à payer étaient directement adressées par le service du courrier au service comptable en vue de leur paiement, sans être au préalable examinée par le chef d'entreprise ; que les chèques de paiement étaient souvent émis, à l'insu de ce dernier, par un employé ayant reçu délégation de signature ou autorisé à apposer une signature non manuscrite ; que la présentation ambiguë des documents publicitaires de X créait donc un risque sérieux de voir payer sans vérification les prétendus abonnements dont le règlement était fallacieusement sollicité ;
"alors, d'une part, que ne constitue pas une publicité relevant de l'application de la loi du 27 décembre 1973, mais une offre de contrat relevant exclusivement des dispositions de l'article 1er de la loi du 1er août 1905, l'envoi en nombre sous pli fermé, par une société prestataire de services, d'une offre de contrat d'abonnement nominatif se rapportant à l'annuaire européen de la télécopie qu'elle édite et dont elle souligne qu'il n'a aucun rapport avec l'annuaire officiel de la télécopie édité par France Télécom ; que, dès lors, faute de publicité, la déclaration de culpabilité du chef de publicité de nature à induire en erreur est illégale ;
"alors, d'autre part, que la cour d'appel qui, précisément, relève que l'imprimé adressé par X comportait la mention en gros caractères "Abonnement à l'annuaire privé X" et au-dessous, en rouge, l'avertissement "cette offre d'abonnement dans l'annuaire européen n'a aucun rapport avec la publication de l'annuaire des abonnés édité par France Télécom", ainsi que le nom, la forme juridique et l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés de la société X, ne pouvait, sans se contredire ou s'en expliquer davantage, affirmer que les indications et la présentation du document, notamment l'en-tête X et l'indication du numéro de télécopie du destinataire, laissaient entendre qu'il s'agit d'un service complémentaire du service public de la télécopie assuré par France Télécom ; qu'en effet, les mentions qui permettaient sans ambiguïté, d'identifier la société comme une entreprise privée sans rapport avec France Télécom et ses publications, excluaient absolument en même temps que l'on fût en présence d'une entreprise dont le consommateur moyen eût pu penser qu'elle était liée à un service public ; que la publicité de nature à induire en erreur n'est pas constituée et que la déclaration de culpabilité est illégale ;
"alors, de troisième part, que l'offre d'abonnement à un annuaire à un prix déterminé est, par hypothèse, suffisamment précise du service rendu puisque, par nature, un "annuaire" est une publication annuelle et qui contient des renseignements variables d'une année à l'autre (définition du Petit Robert), que, par définition, un "abonnement" est une convention à prix limité global entre un fournisseur et son client, pour la livraison régulière de produits ou l'usage habituel d'un service (ibid) et qu'une "offre" est une "proposition" (ibid) ; qu'ainsi l'offre d'abonnement avec indication du prix de l'abonnement et qui excluait expressément, au surplus, tout lien avec France Télécom, ne pouvait, en aucun cas, faire croire à un lecteur d'intelligence moyenne qu'il s'agissait d'une facture relative à un abonnement déjà souscrit pour bénéficier du service de la télécopie de France Télécom et, par conséquent, constituer une publicité de nature à induire en erreur ; qu'ainsi la déclaration de culpabilité de ce chef est illégale" ;
Les moyens étant réunis ; - Attendu que, pour déclarer Alain R, dirigeant de la société X, coupable de publicité de nature à induire en erreur, l'arrêt attaqué énonce que celle-ci édite un annuaire européen de la télécopie qu'elle commercialise en adressant par voie postale une offre d'abonnement à d'éventuels clients ; que, par sa présentation et les indications qu'il comporte, ce document laisse croire qu'il s'agit d'une facturation émise par France Télécom pour bénéficier du service public de la télécopie;
Attendu qu'en l'état de ces motifs procédant d'une appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; qu'en effet, constitue une publicité, au sens de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 devenu l'article L. 121-1 du Code de la consommation, tout document commercial, tel un bon de commande, dont les indications et la présentation permettent aux clients potentiels auprès desquels il est diffusé de se former une opinion sur les résultats attendus du bien ou du service proposé;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.