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Décisions

Cass. crim., 15 février 1995, n° 94-80.226

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Souppe

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. Libouban

Avocats :

SCP Vier, Barthelemy, Me Choucroy.

TGI Lyon, 5e ch., du 21 févr. 1992

21 février 1992

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par S Elisabeth, épouse F, B Guy, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon, 7e chambre, du 1er décembre 1993, qui, statuant notamment sur l'opposition d'Elisabeth F à un précédent arrêt par défaut, l'a condamnée, pour publicités de nature à induire en erreur et tromperie, à 100 000 francs d'amende, a condamné des mêmes chefs Guy B à 50 000 francs d'amende, ordonné une mesure de publication et statué sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits ; - Sur le premier moyen de cassation proposé par Elisabeth F et pris de la violation des articles 1 et suivants du décret du 22 janvier 1919, 7, 8, 593 et 802 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a écarté l'exception de prescription soulevée par Elisabeth F ;

"aux motifs qu'il résulte de l'examen du procès-verbal n° 1989 SC 146 et 47 dressé le 30 octobre 1989 par le service de la DCCRF du département du Tarn que les fonctionnaires de cette Administration ont commencé leur échantillon, opération renouvelée le 14 juin 1988, puis ont procédé à diverses auditions les 1er décembre 1988, 3 juillet 1989 et 6 juillet 1989 avant de clore le 3 octobre 1989 leur procès-verbal transmis le 24 octobre 1989 au procureur de la République de Lyon, qui l'a reçu le 30 octobre 1989 ; que le dossier a ensuite été adressé le 3 novembre 1989 au commissariat central de Lyon pour continuation de l'enquête ; "qu'il est ainsi démontré que l'enquête des fonctionnaires de la DCCRF a été poursuivie avec diligence, compte tenu de la complexité de l'affaire, mettant en cause deux sociétés liées par un contrat de licence, dont les dirigeants avaient des intérêts dans l'une et l'autre, et qui ont connu des mutations successives et rapides de président-directeur général, retardant ainsi l'identification des éventuels responsables ; "que ne sauraient être utilement invoquées, en l'espèce, les dispositions de l'article 31 du décret n 86-1039 du 29 décembre 1986, applicables aux procès-verbaux visés à l'article 46 de l'ordonnance n 86-1243 relative à la liberté des prix et de la concurrence, alors que les infractions soumises à l'appréciation de la Cour relèvent de la loi n 73-1193 du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat, laquelle en son article 44 ne prévoit aucun délai pour la rédaction des procès-verbaux et leurs transmission au procureur de la République ; "qu'enfin, Elisabeth F, qui ne justifie nullement de la moindre atteinte portée à ses intérêts au sens de l'article 802 du Code de procédure pénale, ne saurait disconvenir que son éloignement du territoire français lors de l'enquête n'a pas permis de raccourcir les délais de celle-ci, et que la prescription triennale ne lui a jamais été acquise, comme l'attestent les actes de poursuite et d'instruction figurant à la procédure ;

"alors que les procès-verbaux constatant les infractions en matière de fraude doivent être dressés immédiatement et adressés dans les 24 heures au procureur de la République ; que l'inobservation de cette prescription prévue par le décret du 22 janvier 1919 emporte nullité du procès-verbal lorsqu'elle a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que, le 18 février 1988, l'enquête a commencé par un prélèvement d'échantillons et que ce n'est que le 3 octobre 1989, soit vingt mois plus tard, qu'un procès-verbal a été dressé par la direction départementale de la concurrence et du commerce du Tarn ; que ce procès-verbal tardif est nul et n'a pu interrompre le délai prescription, que rien ne justifie le retard apporté à la rédaction apporté à la rédaction du procès-verbal et que, par suite, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;

Attendu qu'il ne résulte ni des énonciations de l'arrêt attaqué, ni d'aucunes conclusions, qu'Elisabeth F ait invoqué, avant toute défense au fond, la prétendue nullité, au regard des dispositions de l'article 8 du décret du 22 janvier 1919, du procès-verbal dressé le 3 octobre 1989 par la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ; que par application de l'article 385 du Code de procédure pénale, la prévenue n'est pas recevable à s'en prévaloir pour la première fois devant la Cour de Cassation, fût-ce à l'appui d'une exception de prescription de l'action publique ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation proposé par Elisabeth F, pris de la violation des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973, 1er de la loi du 1er août 1905, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Elisabeth F, en sa qualité de dirigeant de la société Z, coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur et de fraude ;

"aux motifs que la demanderesse a été constamment et sans aucune discontinuité, administrateur permanent de la société Z SA, dont elle-même et son mari étaient actionnaires majoritaires), notamment par le biais de la société T et H, holding financière dont elle était également président-directeur général et qu'elle représentait en permanence au conseil d'administration de la société Z SA, au moins entre les 30 juin 1986 et 16 février 1989 selon les documents produits, soit à l'époque des faits visés aux poursuites ; qu'il ne saurait être contesté que les produits litigieux ont été proposés à la vente, les 18 février 1988 et 14 juin 1988, date de leur achat par les services de la DCCRF, ou ont fait l'objet d'une publicité dans la presse le 6 février 1988, sous l'appellation Z et au profit, pour partie, de la société Z, dont Elisabeth F était à l'époque l'un des dirigeants ; que la même société donnait toutes directives à la société X sur le style et les matériaux de composition des articles que cette dernière fabriquait pour être vendus sous sa griffe, comme le révèlent les contrats de licence ; qu'il résulte des déclarations d'Alain C, qui a succédé le 15 décembre 1989 à la prévenue dans les fonctions de président-directeur général de la société Z, qu'à l'époque des faits poursuivis, cette dernière était propriétaire, avec son époux des sociétés X, Z et Y, gérées toutes trois en coordination et que les contrats de licence étaient purement formels, la société Z ne servant qu'à donner sa griffe aux produits de la société X, pour leur procurer une plus grande notoriété ; que toutes les directives, selon ce témoin, émanaient de Mme F, en raison du mode de gestion particulier utilisé par les trois sociétés ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments, ainsi que des motifs susvisés concernant l'application des lois du 1er août 1905 et 27 décembre 1973 aux dirigeants des personnes morales, qu'Elisabeth S, épouse F, s'est rendue coupable, comme dirigeant de la société Z SA, des infractions visées à la prévention et que, sous réserve de rectifier l'erreur commise par les premiers juges sur sa qualité, la décision de ceux-ci mérite d'être confirmée sur ce point ;

"alors, d'une part, que seul le dirigeant de droit, c'est-à-dire le président-directeur général d'une société anonyme, peut être déclaré coupable d'infraction à la loi du 1er août 1905 et de publicité mensongère, en l'absence de toute délégation de pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué qu'à l'époque des faits incriminés (1987-1988), Mme F n'était pas président-directeur général de la société Z, qu'en l'absence de toute délégation de pouvoirs consentie par MM G et B qui se sont succédé à la tête de la société Z en 1987 et 1988, Mme F ne pouvait se voir imputer les infractions incriminées commises en 1987 et 1988 ; que, pour en avoir autrement décidé, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;

"alors, d'autre part, que la cour d'appel a omis de répondre à un chef péremptoire des conclusions d'appel d'Elisabeth F faisant valoir que seul Guy B, directeur-général de la société X, avait en charge la rédaction du message publicitaire et pouvait être tenu pour responsable de publicité mensongère ;

"alors, enfin, que la loi du 1er août 1905 n'institue aucune présomption de mauvaise foi ; que l'intention coupable doit être certaine et non équivoque ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui s'est bornée à déclarer la prévenue coupable en sa qualité de dirigeant de la société Z, n'a pas caractérisé l'intention coupable et a privé sa décision de toute base légale" ;

Et sur le moyen unique de cassation proposé par Guy B, pris de la violation des articles 44 de la loi n 73-1193 du 27 décembre 1973, 1er de la loi du 1er août 1905, 1er de la loi du 25 juin 1936 et 18 du décret du 14 mars 1973, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré B, en qualité de dirigeant de la société X, coupable des délits de publicité mensongère et de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue ou offerte à la vente ;

"aux motifs que le demandeur verse aux débats un compte-rendu d'une réunion du 17 juin 1985 du conseil d'administration de la société X, constatant sa démission de président- directeur général au profit de Mme F et sa nomination aux fonctions de directeur général, investi des mêmes pouvoirs que le président ; "que l'article 1er de la loi du 1er août 1905 n'exige nullement que l'auteur de la fraude ait été personnellement partie au contrat, de même que l'article 44-II de la loi n 73-1193 du 27 décembre 1973 impute la responsabilité d'une infraction de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur commise par une personne morale, aux dirigeants de celle-ci, et donc notamment à son directeur général, et non pas exclusivement, dans le cas d'une société anonyme, au président-directeur général ; "que lors de l'instruction à l'audience, Guy B admet qu'il était chargé de l'organisation administrative de la société, de superviser ses services juridiques et comptables, et également d'animer son service commercial et encadrer l'équipe commerciale, comme en atteste son contrat de travail du 17 juin 1985 qu'il produit lui-même aux débats ; qu'il reconnaît avoir plus souvent rencontré M F que l'épouse de celui-ci, coprévenue, et qu'il a lui-même signé les documents commerciaux, bons de commande et factures, avec la société suisse M, fournisseur des produits A et E incriminés ; qu'il se contente d'affirmer qu'il a suivi les indications de composition de ce fournisseur, sans faire procéder à aucun contrôle ou analyse, de tels tests n'étant effectués par aucune société aux activités similaires, précise-t-il ; "que ces déclarations confirment la teneur de celle qu'il avait faite le 1er décembre 1988, il déclarait être l'importateur des tissus A et E, n'avoir jamais effectué de contrôle de composition, et avoir commis une erreur d'étiquetage par une mauvaise lecture des indications portées sur les factures, déclaration confirmée le 14 décembre 1989 devant les services de police ; "que la Cour dispose ainsi d'éléments nécessaires et suffisants pour considérer que Guy B s'est rendu coupable, en qualité de directeur général, des délits de publicité trompeuse, commis par voie d'étiquetages, et de tromperie sur la nature, la composition et les qualités substantielles des vêtements qu'il commercialisait ; "qu'il résulte des déclarations de M Alain C qui a succédé, le 15 décembre 1989, à Mme F dans les fonctions de président- directeur général de la société Z, qu'à l'époque des faits poursuivis, celle-ci était propriétaire, avec son époux des sociétés X, Z et Y, gérées toutes trois en coordination et que les contrats de licence étaient purement formels, la société Z ne servant qu'à donner sa griffe aux produits de la société X, pour leur procurer une plus grande notoriété ; que toutes les directives, selon ce témoin émanaient de Mme F, en raison du mode de gestion particulier utilisé par les trois sociétés ;

"alors que, d'une part, en matière d'infraction à la loi du 1er août 1905, comme en matière de fraude, un chef d'entreprise ne peut s'exonérer de sa responsabilité pénale qu'en prouvant qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires : qu'en l'espèce, le demandeur faisait valoir dans son chef péremptoire de ses conclusions d'appel auxquelles la Cour a omis de répondre que Mme F, président-directeur général de la société X à l'époque des faits incriminés, était seule responsable des infractions poursuivies en l'absence de toute délégation de pouvoirs consentie au demandeur qui exerçait seulement les fonctions de directeur général salarié, son contrat de travail ne lui donnant aucune fonction technique lui permettant de vérifier la qualité des marchandises employées ;

"alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, constater d'un côté, qu'il résulte des déclarations de M Alain C, qu'à l'époque des faits poursuivis, Mme F était propriétaire avec son époux des sociétés X, Z et Y, gérées toutes trois en coordination et que les contrats de licence étaient purement formels, que toutes les directives, émanaient de Mme F en raison du mode de gestion particulier utilisé par les trois sociétés, et d'un autre côté, déclarer le demandeur coupable en qualité de directeur général des délits de publicité trompeuse, commis par voie d'étiquetages, et de tromperie ;

"alors, enfin, que la loi du 1er août 1905 ne crée aucune présomption de fraude ; que la mauvaise foi du prévenu doit être certaine et non équivoque ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui se borne à constater que le demandeur était chargé de l'organisation administrative de la société, de superviser ses services juridiques et comptables, n'a pas caractérisé l'intention frauduleuse, élément essentiel du délit et a privé sa décision de toute base légale" ;

Les moyens étant réunis ; - Attendu qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que des articles de lingerie féminine imitant le cuir ont été mis en vente sous la marque Z, avec une étiquette indiquant que le cuir entrait dans la composition du produit qui, en réalité, n'en comportait pas ; que la société Z a par ailleurs fait publier dans la presse une photographie présentant ces articles avec la mention "Z : lingerie en cuir" ;

Attendu qu'Elisabeth F, en qualité de "président-directeur général" de la société Z et Guy B, en qualité de "président-directeur général" de la société X qui fabrique les articles de lingerie sous licence de la société Z, sont poursuivis pour tromperie et publicités de nature à induire en erreur ;

Attendu que, pour les déclarer coupables de ce dernier délit, comme dirigeant respectif des sociétés Z et X, l'arrêt attaqué se prononce par les énonciations reproduites aux moyens ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, procédant d'une appréciation souveraine par les juges du fond de la qualité de dirigeant des prévenus, la cour d'appel, qui a répondu comme elle le devait aux conclusions dont elle était saisie, a fait l'exacte application de l'article L 121-5 du Code de la consommation ; qu'en effet, il résulte de ce texte que lorsque l'annonceur pour le compte duquel la publicité trompeuse est diffusée est une personne morale, la responsabilité incombe à ses dirigeants; que ce terme ne s'entend pas seulement du représentant légal de la personne morale;

Attendu par ailleurs que la peine et les réparations civiles étant justifiées par la déclaration de culpabilité du chef de publicité de nature à induire en erreur, il n'y a pas lieu d'examiner les moyens en ce qu'ils contestent, notamment en leur troisième branche, les dispositions de l'arrêt relatives au délit de tromperie ; d'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette les pourvois.