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Décisions

CA Versailles, 9e ch., 7 juin 2000, n° 379

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guirimand

Conseillers :

MM. Boilevin, Coupin

Avocat :

Me Saint Esteben.

TGI Nanterre, 15e ch., du 21 sept. 1999

21 septembre 1999

Rappel de la procédure :

Par jugement en date du 21 septembre 1999, le Tribunal correctionnel de Nanterre a déclaré Antoine P coupable de :

Tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise,

Faits prévus et réprimés par les articles L. 213.1, L. 216.2, L. 216.3 du Code de la consommation.

Faits commis à Pontault Combault, le 24 avril 1995,

L'a condamné à une amende 30 000 F,

A déclaré la société I civilement responsable,

Appels :

Appel a été interjeté par :

- P Antoine et la société I, le 30 septembre 1999, sur les dispositions pénales et civiles du jugement.

- le Ministère public, le 30 septembre 1999.

Décision :

Au Fond:

Considérant que M. P, dirigeant de la société I, a été poursuivi devant la juridiction correctionnelle à la requête du Ministère public sous la prévention d'avoir, à Pontault- Combault, le 24 avril 1995, trompé sur les qualités substantielles, l'aptitude à l'emploi, les risques inhérents à la marchandise, en important et en commercialisant sur le territoire national des appareils électriques mixers HR 28 10/A reconnus non conformes à la norme européenne EN 60 335 2 14 et dangereux, eu égard aux risques de blessures corporelles que cette non conformité faisait encourir aux consommateurs,

infraction prévue par l'article L. 2 13-1 du Code de la consommation;

Que la société I (aux droits de laquelle est venue la société E) a été citée en qualité de civilement responsable;

Considérant que le 24 avril 1995, deux Inspecteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du département de la Seine-et-Marne ont constaté, dans un magasin Darty de Pontault-Combault qu'étaient proposés à la vente des appareils Mixer Mélangeur HR 2810 400 W 1,5 L. Philips fabriqués au Mexique, ces appareils portant les marques de conformité suivantes: S, Cobec, VDE et Kema Keur;

Qu'il a été constaté, après essai d'un appareil mis sous tension sur le secteur, que les lames continuaient de tourner lorsque le bol de réception des aliments était retiré;

Qu'après examen d'un appareil par le laboratoire de Paris Massy (et LCIE), il est apparu qu'il s'agissant d'un appareil non conforme et dangereux, dès lors que il pouvait être mis en marche, l'embase porte-lames étant en place, sans le bol de réception, et que les lames se trouvaient ainsi directement accessibles pour l'utilisateur, contrairement aux prescriptions générales de sécurité énoncées par l'article 3 de la norme NF EN 60 335 2 14 d'avril 1993 ;

Qu'un lot de 3568 mixers Philips HR 2810/A a été saisi et laissé en dépôt sous scellés dans un entrepôt de la société Logidis Stock Alliance à Mitry-Mory (77290);

Considérant que le tribunal saisi des poursuites à la fois contre M. Gonzales, responsable "qualité" de la société Philips, et M.P, alors président du conseil d'administration de la société I, devenue Philips Appareils Domestiques, puis E, a relaxé M. Gonzales, au motif qu'il n'était pas titulaire d'une délégation de pouvoirs, et condamné M. P à la peine de 30 000,00 F d'amende, déclarant en outre la société I civilement responsable;

Considérant qu'au soutien de leur appel, M. P et la société Philips exposent:

- que l'élément matériel du délit poursuivi n'est pas caractérisé, dès lors que le produit litigieux était conforme à la réglementation applicable en avril 1995, ainsi que l'attestaient les six certificats de conformité produits, certifiant la conformité de l'appareil en cause à la norme EN 60 335-2-14 1988 avant le 1er janvier 1993,

- qu'il n'existait aucune norme applicable en 1995 imposant aux fabricants de mélangeurs d'aliments de prévoir un mécanisme empêchant que l'appareil puisse être mis en fonctionnement sans que le bol de réception soit mis en place,

- que l'exigence générale de sécurité prévue par l'article 2 du décret du 26 août 1975 est réputée remplie par les respects des normes homologuées,

- que la tromperie ne peut être constituée au regard d'une simple prescription générale de sécurité, telle que celle définie par l'article 3 de la norme EN 60 335 2 14 et par l'article 2 du décret du 26 août 1975,

- que l'existence d'un risque pour le consommateur est insuffisante pour caractériser l'élément matériel de l'infraction poursuivie,

- que la société Philips a, en toute hypothèse, averti le consommateur du risque présenté par le produit,

- et que l'élément intentionnel du délit poursuivi n'est pas davantage constitué;

Sur ce, LA COUR :

Considérant que l'examen effectué par le Laboratoire Interrégional des Fraudes de Massy (et LCIE) a porté sur un appareil disposant:

- d'un certificat de conformité délivré le 22 janvier 1992 par l'institut norvégien Nemko,

- d'un certificat de conformité suédois Semko du 9 juillet 1992, renouvelé le 26 mars 1993, au regard des normes européennes EN 60335-1 et EN 60335-2-14,

- d'un certificat de conformité belge Cebec du 17 septembre 1992,

- d'un certificat de conformité allemand VDE du 13 novembre 1991, renouvelé le 30 octobre 1992,

- d'un certificat de conformité hollandais Kema du 12 août 1992,

- d'un certificat Philips de conformité avec les normes 335-1 (2nd éd. 1976) et 335-2-14, 2nd éd. 1984, en date du 27 mai 1991 ;

Considérant que M. Gonzales et M. P, entendus en cours d'enquête, ont précisé que la norme EN 30335-2-14 de mars 1990, qui complétait la norme générale NE EN 60335-1 correspondait à la norme européenne de septembre 1988, amendée jusqu'en juin 1994, et prévoyait des dérogations pour les produits qui, suivant la preuve fournie par le fabricant ou un organisme de certification, étaient conformes à la norme EN Ô0335-2-14 : 1988, celle-ci étant applicable, avant le 1er janvier 1993, pour les produits fabriqués jusqu'au 1er janvier 1998 (Al 1991) ou 1er septembre 2000, en tenant compte des amendements A 51, A 52 et A 53);

Qu'il a été précisé que les produits n'étaient plus commercialisés depuis l'été 1995 ;

Considérant, cependant, que l'article L. 212-l du Code de la consommation prévoit que dès la première mise sur le marché, les produits doivent répondre aux prescriptions en vigueur relatives à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté des transactions commerciales et à la protection du consommateur;

Que les articles 2 et 6 du décret du 26 août 1975 modifié relatif à la "sécurité des personnes, des animaux et des biens lors de l'emploi des matériels électriques destinés à être employés dans certaines limites de tension", en application de la directive adoptée par le conseil des communautés européennes le 19 février 1973, disposent (article 2) que les matériels électriques destinés à être employés à une tension nominale comprise entre 50 volts et 1000 volts doivent être construits conformément aux règles de l'art, de telle sorte qu'ils ne compromettent pas la sécurité des personnes et des animaux domestiques, ni celle des biens, et (article 3) que sont réputés conformes aux règles de l'art tous les matériels conformes aux normes harmonisées établies d'un commun accord par les organismes chargés de la normalisation dans les Etats membres de la CEE et publiées selon la procédure des normes françaises homologuées;

Que les normes applicables aux appareils en cause étaient la norme générale NF EN 60.335-l (janvier 1993) et la norme spécifique NF EN 60 335 2 14 (avril 1993) relative aux règles particulières pour les machines électriques de cuisine, publiées au Journal Officiel des 2 février 1993 et 6 janvier 1994, toutes deux postérieures aux certificats de conformité produits par le prévenu; que ce dernier texte transpose en norme française la version de l'amendement A 52 (décembre 1992) de la norme européenne EN 60335-2-14 (1988), adopté par le Comité Européen de Normalisation Electrotechnique;

Considérant que ces textes exigent que les appareils soient prévus et construits de façon à ce que leur fonctionnement soit sûr, de sorte que les personnes ou l'entourage ne puissent pas être mis en danger, même en cas d'un emploi négligent pouvant survenir en service normal ; que la vérification exigée consiste, en général, à effectuer la totalité des essais applicables ;

Considérant que M. P, en tant qu'importateur et distributeur sur le territoire national des appareils incriminés, devait faire procéder à leur vérification; que cette obligation d'auto- contrôle s'imposait d'autant plus que ces appareils présentaient des indices de non-conformité apparents, dès lors que, pouvant fonctionner sans mise en place du bol protégeant de l'accès aux pâles, ils étaient susceptibles d'occasionner des blessures corporelles;

Considérant que l'avis relatif à l'application du décret du 26 août 1975 modifié, publié au Journal Officiel du 2 février 1993, indique que l'attention des constructeurs, importateurs et installateurs est attirée sur le fait que les matériels électriques conformes aux normes sont réputées satisfaire aux règles de l'art obligatoires, et qu'en cas de contestation de cette conformité, le Laboratoire Central des Industries Electriques (LUE) de Fontenay-au-Roses est habilité à faire un rapport sur le niveau de sécurité offert par un matériel ;

Considérant qu'en l'espèce, ce Laboratoire avait déjà conclu à la dangerosité de l'appareil, lors d'un examen technique n° 387 272 en date du 29 juillet 1993 (cf. B4);

Que l'élément intentionnel du délit poursuivi ressort, en la circonstance, du fait que la Division Philips Appareils Domestiques (en la personne de M. Gonzales) avait déjà été informée, des résultats du contrôle faisant apparaître la dangerosité du matériel incriminé, le 28 septembre 1993, ainsi que le démontrent les documents fournis par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes;

Que malgré cette mise en garde, M. P a continué à commercialiser les produits en cause (environ 35 000 entre janvier et 1994 et mai 1995), en faisant valoir que la nouvelle référence mise sur le marché en 1995 avait intégré deux points de sécurité supplémentaires;

Que ces circonstances établissent la mauvaise foi du prévenu;

Qu'il n'importe au regard des dispositions de l'article 3 de la norme NE EN 60 335 2 14 qui exigent la prise de mesures de sécurité spécifiques de la construction de l'appareil pour éviter toute mise en danger -même en cas d'emploi négligent -, que la notice d'utilisation contienne des recommandations, ces dispositions n'étant pas de nature à pallier les conséquences des carences de conception du produit;

Que dans ces conditions, au regard des dispositions des articles L. 213-1, L. 212-1 du Code de la consommation et du décret du 26 août 1975 modifié, - ces textes, rédigés en termes déterminés et clairs suffisant à fonder la qualification pénale de tromperie, contrairement à ce que prétend la défense -, la prévention se trouve établie, l'infraction poursuivie étant constituée en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, à la charge de M. P;

Que le jugement doit être confirmé sur la culpabilité;

Qu'une amende d'un montant de 100 000, 00 F sanctionnera justement l'infraction commise, en tenant compte des faits et circonstances de la cause ;

Qu'en application de l'article L. 216-2 du Code de la consommation, il y aura lieu à confiscation et à destruction des appareils saisis et placés sous main de justice ;

Que la société E, venant aux droits de la société I, sera déclarée civilement responsable;

Par ces motifs, LA COUR : Statuant publiquement, contradictoirement ; Reçoit les appels formés par M. P, prévenu, ainsi que par le Ministère public à l'encontre de ce prévenu; Et, dans les limites de ces recours ; Confirme le jugement déféré en celles de ses dispositions relatives à la culpabilité; Réformant sur la peine: Condamne M. P à une amende d'un montant de cent mille francs (100 000 F); Vu l'article L. 2 16-2 du Code de la consommation; Ordonne, aux frais du condamné, la confiscation et la destruction des appareils saisis; Déclare la société E civilement responsable; Et ont signé le présent arrêt le Président et le Greffier.