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Décisions

CCE, 30 novembre 1988, n° 89-228

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Décret-loi n° 370-87, du Gouvernement italien, du 7 septembre 1987, converti en loi n° 460, du 4 novembre 1987, relative à la production et à la commercialisation et portant notamment nouvelles normes en matière de production et de commercialisation des produits viti-vinicoles

CCE n° 89-228

30 novembre 1988

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 93 paragraphe 2 premier alinéa, vu le règlement (CEE) n° 822-87 du Conseil, du 16 mars 1987, portant organisation commune du marché viti-vinicole (1), modifié en dernier lieu par le règlement (CEE) n° 2964-88 (2), et notamment son article 76, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations (3), conformément à l'article 93 paragraphe 2 du traité CEE, considérant ce qui suit:

I

1. La représentation permanente de l'Italie auprès des Communautés européennes a notifié à la Commission, par lettre du 14 septembre 1987, enregistrée le 14 octobre 1987, le décret-loi n° 370, du 7 septembre 1987, relatif à la production et à la commercialisation des produits viti-vinicoles.

2. La mesure consistait en une aide en faveur des producteurs de moûts concentrés rectifiés prévue au paragraphe 1 de l'article 1er du décret-loi en cause, ainsi que la fixation d'un prix maximum pour le moût concentré rectifié en faveur des utilisateurs du moût ayant bénéficié de l'aide, prévue au paragraphe 2 de l'article 1er dudit décret-loi.

II

1. Par lettre du 11 décembre 1987, n° SG (87)D-15 201, adressée au Gouvernement italien, la Commission a communiqué qu'elle avait décidé d'ouvrir à l'égard de cette aide la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 du traité CEE.

2. Par cette lettre, la Commission a informé les autorités italiennes qu'elle considérait l'aide en cause comme une aide au fonctionnement incompatible avec le Marché commun, ne pouvant bénéficier d'aucune des dérogations prévues à l'article 92 du traité CEE.

Par ailleurs, elle a également considéré que:

- l'aide en faveur des producteurs de moûts concentrés rectifiés prévue au paragraphe 1 de l'article 1er du décret-loi en objet, ainsi que

- la fixation d'un prix maximum de vente de moût concentré rectifié aux utilisateurs du moût ayant bénéficié de l'aide, prévue au paragraphe 2 de l'article 1er du décret-loi en objet constituent des mesures qui sont en infraction avec le règlement (CEE) n° 822-87. La Commission a fait valoir que cette réglementation est en effet à considérer comme un système complet et exhaustif qui exclut tout pouvoir des États membres de prendre des mesures complémentaires.

Il en résulte que les mesures envisagées ne peuvent pour ces raisons bénéficier d'aucune des dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 du traité CEE. L'aide est par conséquent incompatible avec le Marché commun au titre de l'article 92 du traité CEE.

Dans ces conditions, la Commission a décidé d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 du traité CEE à l'égard de ces mesures.

3. La Commission a mis, dans le cadre de cette procédure, le Gouvernement italien en demeure de présenter ses observations.

Elle a mis également les autres États membres, ainsi que les intéressés autres que les États membres en demeure de présenter leurs observations.

III

Par lettre du 22 janvier 1988, le Gouvernement italien a répondu à la lettre de mise en demeure de la Commission.

1. Il a annoncé la conversion en loi (loi n° 460 du 4 novembre 1987) du décret n° 370 du 7 septembre 1987, avec modifications; les dispositions essentielles concernant les mesures en cause sont les suivantes:

- l'article 1er paragraphe 1 prévoit le principe de l'octroi d'une aide par degré d'alcool et par litre de moût concentré rectifié aux producteurs de moût, obtenu à partir de raisins produits en Italie

et

- l'article 1er paragraphe 5 prévoit néanmoins que l'aide ci-dessus sera payée directement aux producteurs de vins de table, de vins à dénomination d'origine contrôlée (DOC) et de vins à dénomination d'origine contrôlée et garantie (DOCG) pour la campagne viti-vinicole de 1987/1988,

- l'article 1er paragraphe 2 prévoit la fixation d'un prix maximum pour le moût concentré.

Le décret du ministre de l'agriculture n° 480 du 21 novembre 1987 fixe l'aide visée à l'article 1er paragraphe 5 à 3 300 lires italiennes par degré d'alcool et par litre de moût concentré pour la campagne 1987-1988.

2. Il a présenté les observations suivantes:

a) Les mesures instaurées par le décret-loi et la loi visent à corriger dans la Communauté une situation caractérisée par des distorsions résultant du fait qu'il existe des zones où la pratique oenologique de l'enrichissement au saccharose est admise, et d'autres, c'est le cas de l'Italie, où l'enrichissement n'est permis que s'il est effectué avec du moût concentré ou avec du moût concentré rectifié.

Le procédé d'enrichissement faisant appel aux deux derniers produits précités est évidemment plus onéreux que celui reposant sur l'emploi du saccharose.

Aussi la Communauté a-t-elle prévu une aide en faveur des producteurs qui utilisent du moût concentré et du moût concentré rectifié pour élever le titre alcoométrique de leur vin. Cette aide aurait dû théoriquement combler l'écart existant entre les coûts respectifs des deux procédés oenologiques, mais il subsiste en fait à cet égard une différence sensible, au profit de ceux qui utilisent le saccharose.

C'est pourquoi le Gouvernement italien a demandé à la Commission, par note n° B-11 699 du 12 septembre 1987, l'octroi d'une aide communautaire qui compléterait celle déjà accordée conformément au règlement (CEE) n° 2287-87 de la Commission (1), modifié en dernier lieu par le règlement (CEE) n° 3627-87 (2). Dans cette note, le ministre de l'Agriculture faisait valoir que si une aide de cette nature devait représenter une charge excessive pour le budget communautaire, le problème pouvait être résolu par la mise en œuvre de fonds nationaux.

Les autorités italiennes, confrontées à une situation requérant des solutions urgentes, se sont trouvées dans l'obligation de s'attaquer au problème à l'échelon national.

Le moût concentré rectifié provient principalement de raisins récoltés dans la zone C.III, dans laquelle la Communauté prévoit [article 45 paragraphe 1 du règlement (CEE) n° 822-87] que l'aide à l'enrichissement de la récolte peut être octroyée afin de maintenir les courants traditionnels d'échanges des moûts et des vins de coupage. En effet, le niveau des aides accordées par la Communauté à la zone C.III n'a pas été suffisant, comparativement aux aides octroyées aux autres zones, pour maintenir les courants traditionnels d'échanges de moûts et de vins de coupage. Depuis l'introduction de l'aide communautaire, le courant d'exportation de moûts et de vins de coupage provenant de la zone C.III est allé en diminuant, jusqu'à des niveaux insignifiants.

b) L'octroi d'une aide pour le moût concentré rectifié a été dicté par des raisons de caractère essentiellement technique, similaires à celles qui expliquent la possibilité offerte dans d'autres pays de la Communauté d'utiliser le saccharose; il s'agit d'un produit absolument neutre, qui n'entraîne aucune altération organoleptique dans le produit fini (vin). Compte tenu de ces considérations, la mesure d'aide en cause ne pourrait être considérée comme incompatible avec l'article 92 paragraphe 1 du traité, car elle ne peut affecter les échanges entre les États membres, elle ne favorise pas la production du vin italien par rapport au vin des autres pays producteurs de la Communauté économique européenne, et, à cet égard, il y a égalité de traitement sur le plan économique. En outre, comme le prévoit l'article 92 paragraphe 3 du traité, les aides en cause peuvent être considérées comme compatibles avec le marché du vin en ce sens qu'elles sont destinées à favoriser le développement économique du secteur viti-vinicole de certaines régions grâce à une plus large utilisation du moût pour la fabrication du moût concentré rectifié, ce qui diminue le volume des excédents de vin, sans altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.

c) En ce qui concerne la disposition relative à la fixation du prix maximum de vente du moût concentré rectifié, mise en vigueur le 1er septembre 1988, elle a pour objet que l'aide profite effectivement aux producteurs procédant à l'enrichissement en évitant les spéculations éventuelles des fabricants de moût concentré rectifié.

À cet effet, la loi n° 460 prévoit, en son article 1er paragraphe 4, que l'aide doit être versée aux seuls producteurs de moût concentré rectifié dûment agréés et non pas, comme cela se faisait jusqu'à présent, aux acheteurs de ce produit.

Ce prix maximum, fixé par le ministère de l'Agriculture et des forêts après consultation des organismes nationaux opérant dans le secteur viti-vinicole, tient compte des dépenses exposées pour l'achat du moût concentré rectifié et de l'aide dont pourront bénéficier les fabricants de ce produit.

L'obligation prescrite par la loi de verser l'aide directement aux fabricants de moût concentré rectifié permettra en outre d'obtenir un double résultat:

1) favoriser les utilisateurs de moût concentré rectifié, qui pourront bénéficier de l'aide au moment même de l'achat du produit;

2) focaliser les contrôles sur un petit nombre d'opérateurs, qui seront précisément les fabricants de moût concentré rectifié.

IV

En ce qui concerne les arguments avancés par les autorités italiennes, il faut souligner que la Commission a estimé sur la base des données disponibles que le montant de l'aide communautaire prévue par le règlement (CEE) n° 2287-87 (campagne 1987-1988) est suffisant et répond aux critères du règlement (CEE) n° 822-87; par conséquent la demande du Gouvernement italien d'augmenter l'aide communautaire a été considérée comme non justifiée. Cette considération ayant été communiquée aux autorités italiennes, il n'appartenait pas à celles-ci de prendre sur le plan national une mesure autonome en dehors de l'application de l'organisation commune de marchés. De plus, selon des informations parvenues à la Commission, l'aide aurait déjà été mise en exécution.

La réglementation concernant l'organisation commune du marché viti-vinicole est à considérer comme un système complet et exhaustif qui exclut tout pouvoir des États membres de prendre des mesures complémentaires.

Il en résulte que la mesure en cause est incompatible avec le Marché commun et ne peut bénéficier d'aucune des dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 du traité.

Compte tenu de ce qui précède, les justifications avancées par les autorités italiennes ne peuvent être retenues.

V

Les quantités de vin produites en Italie pendant la campagne 1986-1987 s'élèvent à environ 76 millions d'hectolitres, ce qui représente environ 36 % de la production communautaire.

Les exportations italiennes de vin s'élèvent à 10,8 millions d'hectolitres dont environ 2,8 millions ont été exportés vers des pays tiers et 8 millions vers les autres États membres. Elles représentent 14,2 % de la production de ce pays (10,5 % pour l'exportation vers les autres États membres). La part de marché des exportations italiennes est de 31,7 % du total des exportations communautaires de vin pendant la campagne 1986-1987.

Les importations italiennes de vin s'élèvent à environ 448 000 hectolitres dont 443 000 proviennent des autres États membres.

Les exportations italiennes de moûts de raisin (non concentrés, concentrés, rectifiés, etc.) ont atteint en 1987 66 400 tonnes (1), dont environ 58 000 tonnes (87 %) ont été exportées vers les autres États membres et 8 400 vers des pays tiers. L'Italie est le deuxième pays, après la Grèce, exportateur communautaire avec une part de marché de 24 % du total des exportations communautaires.

Les importations en Italie en provenance des autres États membres s'élèvent à environ 19 000 tonnes, c'est-à-dire la presque totalité des importations italiennes de moût. L'Italie est le quatrième importateur communautaire (12,4 % du total des importations communautaires).

Les aides communautaires à l'utilisation en vinification de moûts de raisin concentrés et de moûts de raisins concentrés rectifiés pour la campagne viticole 1986-1987 [Règlement (CEE) n° 2556-86 de la Commission (2)] ont porté en Italie sur 944 650 hectolitres; un total de 1 246 producteurs ont perçu l'aide.

VI

1. Les articles 92 à 94 du traité s'appliquent à la production et au commerce des produits viti-vinicoles en vertu de l'article 76 du règlement (CEE) n° 822-87.

L'aide en cause fournit un avantage particulier aux producteurs de moût auxquels elle est octroyée étant donné que la mesure facilitera de façon artificielle une plus large utilisation du moût pour la fabrication du moût concentré rectifié.

Elle apporte également un avantage aux utilisateurs du fait qu'elle est accompagnée d'une mesure visant à fixer un prix plafond à la vente du moût concentré ayant fait l'objet de l'octroi de l'aide.

Néanmoins, en ce qui concerne la campagne 1987-1988, l'aide est octroyée directement aux utilisateurs de moût concentré. Sous cette forme elle apporte un avantage financier aux producteurs de vins en réduisant leurs coûts de production; cet avantage se répercute indirectement sur les producteurs de moût concentré, du fait qu'il encourage artificiellement l'utilisation de ce produit. La mesure fausse dès lors la concurrence entre les producteurs italiens bénéficiaires de l'aide nationale et les producteurs des mêmes produits dans la Communauté.

De plus, dans la mesure où seuls les moûts produits à partir de raisins d'origine italienne pourront être utilisés, il en résulte que l'aide bénéficiera de façon exclusive aux producteurs italiens de raisins.

En favorisant l'utilisation et la production de moûts concentrés, la mesure d'aide d'État peut entraîner une augmentation de l'utilisation de moûts concentrés et dès lors de la production de ce produit; elle pourra également affecter les échanges entre États membres du moût concentré et du vin.

La mesure concernée remplit donc les critères de l'article 92 paragraphe 1 du traité; cette disposition prévoit l'incompatibilité de principe avec le Marché commun des aides en cause.

2. Les dérogations à l'incompatibilité avec le Marché commun prévues à l'article 92 paragraphe 2 ne sont manifestement pas applicables à l'aide concernée.

De plus, les aides en cause sont à considérer comme des aides de fonctionnement pour les entreprises concernées, type d'aides auquel la Commission s'est, en principe, toujours opposée du fait que leur octroi n'est pas lié à des conditions propres à les faire bénéficier de l'une des dérogations prévues au paragraphe 3 de l'article 92.

3. S'agissant de produits soumis à une organisation commune de marché, il existe des limites au pouvoir des États membres d'intervenir directement dans le fonctionnement des organisations communes de marché comportant un système de prix commun, qui relèvent désormais de la compétence exclusive de la Communauté. Par conséquent, l'octroi de l'aide en cause méconnaît le principe selon lequel les États membres n'ont plus le pouvoir de statuer unilatéralement sur les revenus des agriculteurs.

Le caractère infractionnel de cette aide et de la fixation est encore renforcé par le fait qu'elle vient s'ajouter à l'aide communautaire prévue par l'article 45 du règlement (CEE) n° 822-87. L'aide communautaire est octroyée aux utilisateurs de moûts concentrés pour l'enrichissement de certains vins. L'aide d'État et la fixation d'un prix maximum à la vente du moût concentré peuvent avoir un effet sur l'augmentation de la production de moûts et de vins; elles peuvent avoir également pour effet d'augmenter les dépenses du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole. À ce titre, ces mesures sont à considérer comme allant à l'encontre de l'intérêt commun.

En outre, l'article 1er paragraphe 1 de la loi n° 460 du 4 novembre 1987 prévoit que l'octroi de l'aide aux producteurs de moûts soit limité aux raisins produits en Italie. Cette distinction entre production italienne et production importée constitue une discrimination au sens des articles 30 et suivants du traité.

4. Même si une dérogation au titre de l'article 92 paragraphe 3 du traité avait été envisageable, le caractère d'infraction que revêt la mesure d'aide en question à l'égard de l'organisation commune de marché concernée exclut l'application d'une telle dérogation à l'aide en cause.

5. Il en résulte que l'aide est illégale dans la mesure où elle a été octroyée en violation de l'article 93 paragraphe 3 troisième phrase du traité. Elle est, en outre, incompatible avec le Marché commun au sens de l'article 92 du traité.

6. Dans la mesure où des premiers versements auraient déjà été octroyés dans le cadre de l'application du décret du ministère de l'agriculture n° 480 du 21 novembre 1987, la présente décision ne préjuge pas des conséquences que la Commission entend prochainement tirer sur le plan du financement de la politique agricole commune par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA),

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article premier

L'aide prévue à l'article 1er du décret-loi du Gouvernement italien n° 370 du 7 septembre 1987, converti en loi n° 460 du 4 novembre 1987 relative aux nouvelles normes en matière de production et de commercialisation des produits viti-vinicoles ainsi qu'aux sanctions pour non-respect des règlements communautaires en matière agricole, et dont le montant pour la campagne 1987-1988 est déterminé en vertu du décret n° 480 du 21 novembre 1987 est illégale par violation de l'article 93 paragraphe 3 du traité. En outre, elle est incompatible avec le Marché commun et doit être supprimée.

Article 2

Le Gouvernement italien informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures qu'il aura prises pour se conformer à cette décision.

Article 3

La Commission se réserve de tirer les conséquences de l'octroi de cette aide illégale sur le plan du financement de la politique agricole commune par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA).

Article 4

La République italienne est destinataire de la présente décision.

(1) JO n° L 84 du 27. 3. 1987, p. 1.

(2) JO n° L 269 du 29. 9. 1988, p. 5.

(3) Lettres de la Commission aux gouvernements des autres États membres, du 7 mars 1988, et communication aux autres intéressés publiées au Journal Officiel des Communautés européennes n° C 69 du 15 mars 1988, p. 4.

(1) JO n° L 209 du 31. 7. 1987, p. 26.

(2) JO n° L 341 du 3. 12. 1987, p. 24.

(1) 1 tonne équivaut à environ 10 hectolitres.

(2) JO n° L 228 du 14. 8. 1986, p. 14.