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Décisions

CCE, 24 juin 1992, n° 92-483

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Aides accordées par la région de Bruxelles (Belgique) en faveur des activités de Siemens SA dans le domaine de l'informatique et des télécommunications

CCE n° 92-483

24 juin 1992

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 93 paragraphe 2 premier alinéa, après avoir, conformément aux dispositions dudit article, mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, considérant ce qui suit:

I

En mars 1991, la presse belge a publié des informations selon lesquelles la Cour des comptes belge avait soulevé des objections à l'encontre du versement par l'exécutif de la région de Bruxelles (ci-après dénommé " l'exécutif ") d'une série d'aides à Siemens SA, au motif qu'elles avaient été accordées en violation des dispositions du régime d'aide prévu par la loi d'expansion économique du 17 juillet 1959 (ci-après dénommée " la loi ") (1).

En conséquence, par lettre du 16 avril 1991, la Commission a demandé aux autorités belges de lui faire parvenir des informations sur ces aides.

Par lettre du 17 mai 1991, les autorités belges ont porté à la connaissance de la Commission qu'il y avait en fait un contentieux entre les exécutifs successifs et la Cour des comptes belge. Ce litige portait sur la compatibilité, avec les dispositions de la loi, d'une série de dix-sept aides dont l'octroi avait été décidé entre novembre 1985 et janvier 1988 en faveur d'autant de projets d'investissement de Siemens SA à Bruxelles.

D'après les premiers renseignements fournis par les autorités belges, ces subventions, d'un montant total de 336 millions de F belges, avaient été accordées pour des projets d'investissement s'élevant à 2 milliards 559 millions de F belges, l'équivalent-subvention net de chaque aide se situant entre 12 et 13,5 %.

Le tableau I résume les informations communiquées (2):

<EMPLACEMENT TABLEAU>

Les autorités belges ont également indiqué que les investissements en question ont servi à l'achat et au développement de matériel informatique, d'équipements et d'outillages (investissements matériels et immatériels) ainsi qu'à l'acquisition d'immeubles (3).

Enfin, les autorités belges ont fait savoir que le contentieux avec la Cour des comptes belge avait été réglé par une délibération prise par l'exécutif, en date du 25 octobre 1990, conformément à l'article 14 de la loi du 29 octobre 1846 relative à l'organisation de la Cour des comptes. Dans cette délibération, l'exécutif a invité la Cour des comptes à viser avec réserve les ordonnances de paiement des aides qu'elle contestait.

Après avoir examiné les renseignements fournis par les autorités belges, la Commission a estimé que les dix-sept aides en faveur de Siemens SA, semblaient avoir été accordées en violation des règles de la procédure de notification prévue à l'article 93 paragraphe 3 du traité. Cet avis préliminaire reposait sur la preuve, étayée par les renseignements fournis initialement, que les aides en cause soit dépassaient les seuils de notification prévus par la législation communautaire en la matière (voir chapitre II sous B) soit avaient servi à couvrir des dépenses irrecevables en vertu des dispositions de la loi belge admises par la Commission. La Commission a considéré en outre que ces aides ne remplissaient pas, en principe, les conditions requises pour bénéficier des dérogations prévues à l'article 92 paragraphes 2 et 3.

En conséquence, le 3 juillet 1991, la Commission a décidé d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 à l'égard desdites aides.

II

A. La décision de la Commission d'engager la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 a été notifiée au Gouvernement belge par une lettre datée du 18 août 1991 l'invitant à présenter ses observations et tout renseignement susceptible de servir à apprécier la compatibilité des dix-sept aides avec le Marché commun. Sur ce dernier point, précisément, la Commission a formulé des questions particulières. Enfin, la Commission a invité les autorités belges à informer sans délai Siemens SA de l'ouverture de la procédure et du fait qu'elle pourrait être appelée à restituer toute aide indûment perçue.

Les autres États membres et les tiers intéressés ont été informés de la décision de la Commission par la publication au Journal officiel des Communautés européennes du texte de la lettre envoyée au Gouvernement belge (4).

Les autorités belges ont présenté leurs observations par lettre du 23 septembre 1991. Comme elles n'avaient que partiellement répondu aux questions posées par la Commission, les autorités belges ont été invitées à compléter leur réponse, qui figure dans une lettre datée du 29 octobre 1991.

Par lettre du 28 octobre 1991, Siemens SA a informé la Commission qu'elle avait dûment pris note de la publication au Journal officiel des Communautés européennes de l'avis annonçant l'ouverture de la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2. Elle signalait également s'être assurée que les autorités belges avaient bien répondu à la Commission dans le délai fixé.

Par lettres des 20 et 21 novembre 1991, les autorités belges ont complété leur réponse.

Le 5 février 1992, les autorités belges ont eu une réunion avec la Commission afin d'éclaircir certains aspects des informations présentées. Sur la base des conclusions de cette réunion, la Commission a demandé aux autorités belges, par lettre du 17 février 1992, de confirmer certains éléments communiqués oralement lors de ladite réunion, ainsi que de fournir certaines précisions à leur sujet. Par lettre du 17 mars 1992, les autorités belges ont répondu à la demande de la Commission.

B. D'après les renseignements fournis par les autorités belges dans le cadre de la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2, les dix-sept aides faisant l'objet de l'enquête se répartissent en plusieurs catégories:

a) onze aides portent exclusivement sur du matériel informatique et de télécommunications acheté par Siemens SA à d'autres filiales du groupe Siemens (surtout en Allemagne) et destiné à être placé chez des clients sous contrat de location;

b) cinq aides concernent des dossiers comportant simultanément plusieurs programmes d'investissements indépendants dans les rubriques suivantes: matériel informatique et de télécommunications acheté par Siemens SA à d'autres filiales du groupe Siemens et destiné à l'usage interne de plusieurs de ses services, coûts liés aux projets de développement de logiciels destinés aux services de Siemens SA, coûts liés à la formation du personnel et, enfin, dépenses engagées par Siemens SA dans les campagnes de publicité et les études de marché pour ses propres services commerciaux;

c) une aide sert à l'acquisition d'un bâtiment pour étendre les services du siège central de l'entreprise à Bruxelles.

Le tableau II présente le budget total et les aides accordées à chacune des rubriques susmentionnées:

Tableau II

(en millions de francs belges)

Budget Aides Reçues En attente i) Location-financement matériels aux clients 1 849,294 244,631 218,834 25,797 ii) Achat de matériel pour usage interne 432 48,490 39,311 9,179 iii) Coûts de développement de logiciels 206,4 23,015 17,723 5,292 iv) Coûts de formation 18 2,241 1,795 0,446 v) Acquisition d'un bâtiment 45 5,789 4,341 1,448 vi) Campagnes de publicité 89,6 10,869 7,972 2,897 vii) Études de marché 7 0,945 0,945 - Total 2 647,294 335,980 290,921 45,059

Le tableau II indique également la part des aides versées jusqu'ici à Siemens SA. À cet égard, les autorités belges ont fait savoir que le calendrier de versement des aides a été suspendu dès qu'elles ont été informées par la Commission de l'ouverture de la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2.

En ce qui concerne les raisons pour lesquelles la Commission n'a pas été avertie préalablement du versement des dix-sept aides à Siemens SA, les autorités belges ont indiqué que, à leur avis, celles-ci ne constituent pas des cas d'application significatifs au sens de la discipline applicable aux régimes généraux d'aides à l'investissement instaurée par la Commission (5).

En vertu de cette règle, les cas d'application des régimes d'aides généraux qui doivent être notifiés préalablement à la Commission sont les suivants:

- pour les aides générales d'une intensité en équivalent-subvention net supérieure à 15 % des investissements: tous,

- pour les aides d'une intensité supérieure à 10 % (mais n'excédant pas 15 %): les cas dans lesquels les investissements dépassent 3 millions d'écus,

- pour les aides d'une intensité supérieure à 5 % (mais n'excédant pas 10 %): les cas dans lesquels les investissements dépassent 6 millions d'écus,

- enfin, pour les aides d'une intensité n'excédant pas 5 %: les cas dans lesquels les investissements dépassent 9 millions d'écus.

Les autorités belges ont fait savoir à la Commission dans leurs observations que, contrairement aux informations qu'elles avaient présentées avant l'ouverture de la procédure, dans aucun des dix-sept cas d'aide accordée à Siemens SA, le budget n'avait dépassé le double seuil mentionné plus haut, de 3 millions d'écus et de 10 % d'intensité, car, d'une part, sur le montant total du budget d'investissement présenté par Siemens SA aux autorités de la région de Bruxelles pour chacun des dix-sept dossiers, 75 % seulement avaient été pris en considération pour l'octroi de l'aide et, d'autre part, le versement de chaque aide avait été fractionné en trois ou quatre tranches sur une période de cinq à six ans.

Du fait de ces deux facteurs, le budget des dépenses ayant bénéficié d'une aide dans chacun des dix-sept cas et l'intensité correspondante de ces aides sont restés au-dessous des seuils de notification. En particulier, l'intensité des aides s'est située en fait entre 4,76 et 9,98 %, et non entre 12 et 13,5 % comme indiqué initialement à la Commission.

S'agissant des motifs pour lesquels la Cour des comptes belge a jugé les dix-sept aides contraires aux dispositions de la loi, les autorités belges ont fait savoir dans leurs observations que cette Cour les avait jugées irrecevables pour deux raisons. Tout d'abord, elle a estimé que Siemens SA, du fait qu'elle ne produit pas de biens dans la région de Bruxelles, ne pouvait être qualifiée d'entreprise industrielle par rapport au territoire de cette région, l'article 1er de la loi stipulant que seules les entreprises industrielles ou artisanales peuvent bénéficier de l'aide prévue par ladite loi.

Ensuite, et plus particulièrement en ce qui concerne les aides portant sur le matériel acheté à d'autres filiales du groupe Siemens et expressément destiné à être loué aux clients, la Cour a jugé que l'octroi d'une aide pour la vente par une entreprise de ses propres produits, et, par conséquent, de ses stocks commerciaux, enfreignait la loi et ses dispositions d'application. À cet égard, la Cour a fait observer que les aides en question avaient permis à Siemens SA de proposer ses produits avec une réduction de prix permanente, équivalente à l'aide perçue, puisque, pendant plusieurs années, Siemens SA avait demandé et reçu une aide liée à la valeur des nouveaux contrats sur les produits loués aux clients. La Cour a noté que le fait de subventionner des produits en lieu et place des moyens de production était contraire à la loi, dont le but est d'améliorer les structures de production du bénéficiaire de l'aide.

Les autorités belges ont informé la Commission que, après avoir examiné ces objections de la Cour des comptes, l'exécutif avait décidé de ne pas revenir sur ses décisions antérieures et avait par conséquent invité la Cour des comptes à viser les ordonnances de paiement des aides conformément aux dispositions de l'article 14 de la loi précitée du 29 octobre 1846.

S'agissant de la première objection de la Cour des comptes, l'exécutif considère que l'on peut promouvoir l'expansion régionale en aidant non seulement les activités industrielles, mais aussi les activités commerciales. Quant à la seconde, il estime qu'elle repose sur une interprétation étroite et rigide de la notion d'investissement. Comme la loi ne définit pas cette notion, l'exécutif juge légitime de recourir à la définition en vigueur en droit comptable et en droit fiscal, qui considère comme un investissement les fonds employés à l'acquisition ou à la création de biens engagés de manière durable dans l'activité de l'entreprise. À cet égard, il observe qu'en Belgique la structure des bilans, fixée par l'arrêté royal du 8 octobre 1976, classe dans la catégorie des actifs immobilisés, les équipements placés en location-financement auprès des clients.

En ce qui concerne la distinction faite par la Cour des comptes entre les moyens de production, investissements licites ouvrant droit à une aide, et les produits ou stocks, exclus, selon elle, du champ d'application de la loi, l'exécutif juge cette distinction toute relative, car tout en étant des produits de Siemens, les ordinateurs et les systèmes de télécommunications sont aussi des moyens de production pour les entreprises qui les achètent ou les louent. Sous cet angle, la loi ne doit pas exclure l'octroi d'aides pour l'acquisition, par une entreprise, de matériel destiné à être mis (par la location-financement ou par tout autre moyen) à la disposition d'une autre entreprise industrielle souhaitant se moderniser ou se restructurer. À cet égard, l'exécutif fait observer que les aides à Siemens SA fondées sur le matériel loué à des entreprises tierces doivent être considérées comme étant des aides à ces dernières, qui, en l'espèce, sont essentiellement des petites et moyennes entreprises (PME). Toujours selon l'exécutif, ces entreprises tierces sont les véritables bénéficiaires de l'aide, car grâce à cette intervention, Siemens SA a pu mettre au point une politique commerciale de location-financement qui permet aux PME de mieux adapter leur matériel à l'évolution rapide des techniques de l'informatique et des télécommunications. L'exécutif a également fait observer qu'il n'y a pas eu distorsion de concurrence au détriment d'autres concurrents de Siemens SA, car le même type d'aide leur aurait été accordé s'ils en avaient fait la demande.

Dans le cadre de la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2, les autorités danoises ont indiqué, dans une lettre datée du 17 octobre 1991, qu'elles approuvaient l'avis préliminaire de la Commission, selon lequel les dix-sept aides à Siemens SA semblaient incompatibles avec le Marché commun. Ces observations ont été communiquées aux autorités belges par lettre du 26 novembre 1991. Celles-ci ont répondu, dans une lettre datée du 19 décembre 1991, que les observations en question ne contenaient aucun élément nouveau présentant un intérêt pour l'examen de la compatibilité de l'aide, étant donné qu'elles exprimaient simplement la position politique des autorités danoises.

III

Dans sa décision 75-397-CEE (6), autorisant le régime général d'aides instauré par la loi belge du 17 juillet 1959, la Commission a établi que les aides publiques octroyées en application de ladite loi constituent une aide au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité.

En l'espèce, les dix-sept cas de subvention examinés par la Commission ont permis à Siemens SA d'éviter une partie des coûts qu'elle aurait normalement dû supporter dans le cadre de ses activités. Cette aide fausse la concurrence et affecte les échanges intracommunautaires dans les secteurs de l'informatique et des télécommunications. En effet, lorsque l'État renforce la situation financière d'une entreprise en concurrence avec d'autres dans la Communauté, il faut considérer que ces autres entreprises en sont affectées [voir arrêt de la Cour de justice du 17 septembre 1980 dans l'affaire 730-79 (Philip Morris) (7)].

À cet égard, il convient de noter que Siemens SA (Belgique) est une filiale du groupe international Siemens AG. Ce groupe, basé en Allemagne et présent dans le monde entier, compte parmi les fabricants les plus rentables en termes de bénéfices et les plus sains sur le plan de la situation financière dans le secteur de l'électronique. En 1989-1990, sa filiale belge a réalisé un chiffre d'affaires de 31 milliards 786 millions de F belges et un bénéfice net de 1 milliard 651 millions de F belges, avec un effectif de 4 906 salariés à la fin de l'année. Siemens SA (Belgique) est très active à l'exportation, son taux d'exportation moyen ayant atteint 25 % de son chiffre d'affaires pour la période 1985-1990.

Pour sa part, le marché du matériel informatique et des équipements de bureau donne lieu à d'importants flux d'échanges intracommunautaires qui, en 1989, ont atteint 22 milliards 853 millions d'écus. En 1989, la part de marché de Siemens était estimée à 11,7 % (8).

IV

Après avoir examiné de manière approfondie les postes de dépenses de Siemens SA qui ont bénéficié des dix-sept aides octroyées par l'exécutif (voir tableau II), la Commission a abouti aux conclusions suivantes:

a) Les dépenses consacrées au matériel pour usage interne et à l'acquisition d'un bâtiment [rubriques ii) et v) du tableau II)] constituent le type même d'investissements en actifs matériels immobilisés expressément admis au bénéfice de l'aide en vertu de la loi. De plus, les dépenses consacrées par Siemens SA au développement de logiciels à usage interne [rubrique iii)] peuvent être considérées comme des investissements dans des actifs immatériels immobilisés, qui sont également admis au bénéfice de l'aide en vertu de la loi, puisque les logiciels en question seront utilisés par l'entreprise pendant plusieurs années et pourront donc être amortis.

En outre, la Commission a constaté que le volume des investissements susmentionnés est bien constitué par des programmes individuels indépendants, qui n'excèdent pas les seuils de notification fixés par elle (voir chapitre II sous B).

Dans ces conditions, les aides correspondant à ces investissements ont été octroyées légalement par l'exécutif dans les limites des pouvoirs discrétionnaires autorisés par la Commission pour la gestion du régime général d'aides institué par la loi. En conséquence, la Commission n'a aucune observation à formuler quant à ces aides.

b) Les dépenses au titre des coûts de formation [rubrique iv)] ne figurent pas parmi les postes admissibles au bénéfice des aides prévues par la loi. Dans ces conditions, l'octroi d'aides par l'exécutif pour des dépenses de cette nature engagées par Siemens constitue une intervention ad hoc qui aurait dû être notifiée au préalable à la Commission, conformément aux dispositions de l'article 93 paragraphe 3.

Toutefois, dans le cadre de la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2, la Commission a examiné chaque programme de Siemens SA ayant bénéficié d'une aide et a constaté qu'il s'agit en l'occurrence de mesures de formation professionnelle ayant trait au recyclage de travailleurs aux fins de leur maintien dans l'entreprise, mesures qui n'étaient pas liées aux investissements. Cette aide a fait l'objet d'une attitude globalement positive de la Commission.

Par conséquent, en dépit du caractère illégal de cette aide à Siemens SA, la Commission a abouti à la conclusion que cette mesure pouvait bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92 paragraphe 3 point c) pour les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités économiques quand elles n'altèrent pas de manière préjudiciable les conditions de concurrence.

c) Les dépenses engagées pour les campagnes de publicité et les études de marché [rubriques vi) et vii)] ne figurent pas non plus parmi les postes admissibles au bénéfice des aides prévues par la loi. Par conséquent, l'octroi d'une aide à Siemens à cette fin constitue une intervention ad hoc qui aurait dû être notifiée au préalable à la Commission, conformément aux dispositions de l'article 93 paragraphe 3.

Par ailleurs, en ce qui concerne les dépenses pour le matériel loué aux clients [rubrique i)] et contrairement à l'avis de l'exécutif, la loi ne prévoit pas l'admission de ce type de dépense au bénéfice de l'aide. En effet, l'article 1er point a) et l'article 2 point a) de ladite loi prévoient que des aides peuvent être accordées pour le " financement direct des investissements en immeubles bâtis ou non bâtis et en outillage ou matériel, nécessaires . . . à la création, l'extension, la conversion, la modernisation d'entreprises industrielles ou artisanales . . . ". La Commission estime que le matériel acheté par Siemens SA et destiné à être loué aux clients ne remplit pas les conditions précitées d'admissibilité des investissements, car une telle dépense, qu'elle ait été classée en tant qu'investissement dans la catégorie des actifs immobilisés ou dans celle des stocks, ne contribue pas à la création, l'extension, la conversion ou la modernisation de la structure de Siemens SA, mais à celle de la structure des entreprises qui louent le matériel en question. L'octroi de subventions pour ce type de dépenses a constitué en fait une aide permanente au fonctionnement, qui a exagérément avantagé Siemens SA dans la commercialisation de ses produits.

La Commission ne peut pas non plus admettre que cette aide versée à Siemens SA ait été, en réalité, une aide aux entreprises qui ont loué le matériel de Siemens. La Commission ne peut pas accepter ce raisonnement, car c'est Siemens SA qui perçoit les subventions, les entreprises en question payant l'intégralité des loyers fixés d'une manière discrétionnaire par Siemens dans le cadre des contrats de location-financement.

En conséquence, l'octroi de l'aide à Siemens SA pour ses dépenses en matériel loué à ses clients aurait dû être notifié préalablement à la Commission, conformément à la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 3, puisqu'il constitue une intervention ad hoc de l'exécutif exclue du champ d'application des dispositions de la loi telles qu'elles ont été approuvées par la Commission.

De plus, abstraction faite de l'admissibilité ou de la non-admissibilité, au bénéfice de l'aide prévue par la loi, des dépenses en matériel loué aux clients par contrat de location-financement, la Commission se doit de souligner que, en tout état de cause, l'exécutif aurait dû notifier préalablement sont intention de subventionner lesdites dépenses de Siemens SA, car cette intervention a en fait dépassé les seuils généraux de notification à la Commission.

Comme il a déjà été expliqué au chapitre II sous B, ces dépenses subventionnées correspondent aux budgets globaux de matériels nouveaux achetés par Siemens SA, qui étaient finalement loués aux clients avant une certaine date. Siemens SA introduisait régulièrement des demandes d'aides pour des budgets de dépenses dépassant légèrement le seuil des 3 millions d'écus. Les autorités belges ont informé la Commission qu'elles ne prenaient toutefois en considération que 75 % du budget global des demandes pour l'octroi de la subvention. Ladite subvention, compte tenu de son versement différé, atteignait finalement une intensité en termes d'équivalent-subvention net comprise entre 4,76 et 6,75 %. Les autorités belges en concluent donc que les programmes individuels subventionnés n'excédaient pas les seuils généraux de notification.

La Commission ne peut accepter un tel raisonnement pour les raisons suivantes:

Tout d'abord, le fait de ne retenir, pour l'octroi de l'aide, que 75 % d'un chiffre de dépenses global et homogène semble tout à fait artificiel et dépourvu de toute logique économique. Il convient à ce propos de noter que les autorités belges n'ont fourni à la Commission aucune explication de ce calcul totalement arbitraire.

Ensuite, la Commission a constaté que certains programmes d'investissements étaient fractionnés en plusieurs demandes d'aides, qui, en raison de l'homogénéité de la dépense et de la simultanéité de sa réalisation, auraient dû être traitées globalement par l'exécutif, comme un programme unique de dépenses.Cette pratique est illustrée par le fait que, par exemple, entre le 23 et le 31 juillet 1985, Siemens SA a introduit quatre demandes individuelles pour des investissements homogènes d'un montant total de 685 millions de F belges (15 millions d'écus) correspondant à du matériel entièrement destiné à être loué aux clients; il convient de noter que ces demandes ont été signées par deux directeurs de Siemens SA, le nom de l'un figurant sur toutes les demandes. Pour un budget d'un tel niveau, la Commission aurait dû recevoir une notification préalable, quelle qu'ait été l'intensité de l'aide (9). Il existe un autre exemple de ce genre de pratique: les 17 et 18 septembre 1986, Siemens SA a présenté trois demandes individuelles d'aides pour un même type de dépenses homogènes qui ont été traitées séparément par l'exécutif et dont le budget total se montait à 501 millions de F belges (11 millions d'écus). Chacune de ces demandes était signée par les deux mêmes directeurs de Siemens SA.

Dans ces conditions, la Commission se doit de conclure que les subventions, de 11 814 000 F belges, versées à Siemens SA pour ses dépenses, d'un montant de 96 600 000 F belges, consacrées à des campagnes publicitaires et à des études de marché [rubriques vi) et vii) du tableau II], ainsi que les subventions de 244 631 000 F belges, versées à Siemens SA pour ses investissements, d'un montant de 1 849 294 000 F belges, en matériel loué à ses clients [rubrique i)], ont été accordées illégalement par l'exécutif, qui a abusé de la latitude autorisée par la Commission pour l'application de la loi.

En outre, après un examen approfondi, la Commission a également abouti à la conclusion que l'aide illégale mentionnée ci-dessus ne peut bénéficier d'aucune des dérogations prévues à l'article 92 paragraphes 2 et 3.

L'article 92 paragraphe 1 prévoit que les aides satisfaisant aux critères énoncés sont en principe incompatibles avec le Marché commun. Les dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 2 ne sont pas applicables en l'espèce, en raison de la nature de l'aide en question qui ne poursuit pas de tels objectifs. Du reste, les autorités belges n'ont pas demandé dans leurs observations le bénéfice d'une telle dérogation.

L'article 92 paragraphe 3 énumère les aides susceptibles d'être considérées comme compatibles avec le Marché commun. Cette compatibilité doit être déterminée dans le cadre de la Communauté dans son ensemble et non d'un État membre considéré isolément.

Afin d'assurer le bon fonctionnement du Marché commun et compte tenu des principes énoncés à l'article 3 point f) du traité, les dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 doivent être interprétées de façon restrictive lors de l'examen de tout régime ou octroi d'aide. En particulier, ces dérogations ne peuvent être invoquées que lorsque la Commission est convaincue que sans cette aide, les forces du marché à elles seules ne suffiraient pas à orienter le bénéficiaire vers un mode de comportement qui servirait l'un des objectifs desdites dérogations.

Appliquer les dérogations aux cas qui ne contribuent pas à ces objectifs ou à ceux où l'aide n'est pas nécessaire pour parvenir à de telles fins reviendrait à conférer des avantages aux secteurs d'activité ou aux entreprises de certains États membres, dont la situation financière serait renforcée artificiellement, à effecter les échanges entre les États membres et à fausser la concurrence sans aucune justification fondée sur l'intérêt commun auquel l'article 92 paragraphe 3 fait référence.

S'agissant de l'applicabilité des dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 points a) et c) aux aides destinées à favoriser le développement de certaines régions, la région de Bruxelles, dans laquelle l'aide en question a été accordée, ne souffre pas d'un niveau de vie anormalement bas ou d'un grave sous-emploi au sens du point a); de plus, elle ne remplit pas les conditions nécessaires pour pouvoir bénéficier des dérogations prévues au point c) pour les aides à finalité régionale (10).

Quant aux dérogations prévues par l'article 92 paragraphe 3 point b), les éléments concrets de l'espèce ne fournissent aucune justification permettant de considérer que ces aides étaient destinées à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun ou à remédier à une perturbation grave de l'économie belge. En outre, le Gouvernement belge n'a pas présenté de tels arguments pour justifier la compatibilité de l'aide en question.

S'agissant des dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 point c) pour les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun, il convient de noter qu'une partie des aides en question ici, en particulier celles pour les campagnes de publicité et les études de marché, entrent dans la catégorie des aides au fonctionnement, puisque ces dépenses correspondent au type même des frais généraux d'exploitation qu'une entreprise doit supporter dans le cadre de ses activités normales;en outre, dans le cas présent, il s'est avéré que ces dépenses n'étaient pas liées à une condition essentielle à la réalisation d'un projet d'investissement particulier de Siemens SA susceptible de bénéficier de la dérogation mentionnée plus haut. De plus, la partie restante - et principale - de l'aide en question, à savoir celle en faveur des investissements en matériel loué aux clients, doit également être considérée comme équivalant à une aide au fonctionnement octroyée à Siemens SA. Comme il est expliqué plus haut, l'aide versée pour le matériel loué aux clients constitue en pratique une assistance permanente aux activités commerciales de Siemens SA sur le marché des produits en location-financement, qui a conféré à cette entreprise un avantage abusif pour la commercialisation de ses produits par rapport à ses concurrents.

Comme les aides au fonctionnement faussent directement et en permanence les conditions de concurrence dans les secteurs où elles sont octroyées, la Commission a pour politique - bien connue - de s'y opposer dans des circonstances normales, même si elles servent l'un des objectifs des autres dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3. Ainsi que le montre l'analyse figurant plus haut, l'aide contestée ne peut même pas être considérée comme une contribution à la réalisation de ces objectifs.

Pour clore cette argumentation, il convient enfin de noter que, même au cas où cette aide aurait été nécessaire pour faciliter l'accès des PME aux nouvelles technologies, la Commission, se fondant sur le principe général qui veut que les aides soient accordées au moyen des instruments qui faussent le moins possible les conditions de concurrence, n'aurait jamais accepté que cette aide le soit sous la forme de versements de fonds à tel ou tel fournisseur de matériel, avec les répercussions inadmissibles sur la concurrence mentionnés ci-dessus, mais, le cas échéant, par la voie plus neutre et plus judicieuse d'un programme d'aides directes aux PME.

En conclusion, l'aide de 11 814 000 F belges versée sous la forme de subventions à Siemens SA et affectée aux dépenses pour les campagnes de publicité et les études de marché, d'un montant de 96 600 000 F belges, ainsi que l'aide de 244 631 000 F belges versée sous la forme de subventions à Siemens SA et affectée aux investissements, d'un montant de 1 849 294 000 F belges, consacrées à l'achat de matériel loué à ses clients, ont été accordées illégalement par l'exécutif et ne remplissent aucune des conditions nécessaires pour bénéficier de l'une des dérogations prévues à l'article 92 paragraphes 2 et 3. En conséquence, ces aides sont incompatibles avec le Marché commun.

V

Lorsqu'une aide est incompatible avec le Marché commun, la Commission, faisant usage de la possibilité que lui a donnée la Cour de justice dans son arrêt du 12 juillet 1973 dans l'affaire 70-72 (Aides à la reconversion des régions minières en Allemagne) (11), confirmé par l'arrêt du 24 février 1987 dans l'affaire 310-85 (Deufil) (12), peut exiger des États membres qu'ils fassent restituer par les bénéficiaires les aides dont ces derniers ont illégalement profité. En outre, la Cour ajoute que la restitution d'une aide est la conséquence logique de son incompatibilité avec le Marché commun.

En conséquence, Siemens SA doit rembourser l'aide dont elle a bénéficié illégalement.

Le remboursement doit avoir lieu conformément aux procédures et dispositions de la législation belge et notamment à celles qui concernent les intérêts de retard sur les créances de l'État. Ces intérêts seront calculés à compter de la date d'octroi des aides illégales. Cette mesure est nécessaire pour rétablir la situation antérieure en supprimant tous les avantages financiers dont les bénéficiaires des aides illégales auraient indûment profité depuis la date du versement de ces aides [voir arrêt du 21 mars 1990 dans l'affaire C-142-87 (Tubemeuse) (13),

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article premier

Sur le montant total des aides considérées, qui est de 335 980 000 F belges, accordées sous la forme de subventions par l'exécutif dans le cadre du régime d'aides instauré par la loi d'expansion économique du 17 juillet 1959, en faveur de dépenses de Siemens SA s'élevant à 2 647 294 000 F belges:

a) l'aide d'un montant de 77 294 000 F belges en faveur d'investissements pour l'achat de matériel à usage interne, l'acquisition d'un immeuble et le développement de logiciels est compatible avec le Marché commun, car elle a été accordée dans le cadre des limites autorisées par la Commission dans sa décision 75-397-CEE pour l'application du régime d'aides en question;

b) l'aide d'un montant de 2 241 000 F belges pour des dépenses consacrées à la formation de travailleurs a été accordée illégalement en violation des dispositions de l'article 93 paragraphe 3 du traité; toutefois, après examen, cette aide est jugée compatible avec le Marché commun en vertu de la dérogation prévue à l'article 92 paragraphe 3 point c) du traité;

c) l'aide d'un montant de 256 445 000 F belges pour des dépenses consacrées à du matériel fourni en location-financement à des clients, à des campagnes de publicité et des études de marché a été accordée illégalement en violation des dispositions de l'article 93 paragraphe 3 du traité et, après examen, ne remplit pas les conditions nécessaires pour que s'applique l'une des dérogations prévues à l'article 92 paragraphes 2 et 3 du traité; par conséquent, cette aide est incompatible avec le Marché commun au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité.

Article 2

Étant donné que sur les 256 445 000 F belges d'aides incompatibles avec le Marché commun, indiqués à l'article 1er point c), 28 694 000 F belges sont toujours en instance de paiement à Siemens SA, l'exécutif s'abstient de procéder audit paiement.

L'incompatibilité de la somme restante, soit 227 751 000 F belges, sera levée par voie de recouvrement. En conséquence, l'exécutif recouvre cette somme auprès de Siemens SA conformément aux procédures et dispositions de la législation nationale et notamment à celles qui concernent les intérêts de retard sur les créances de l'État.

Cette somme produit des intérêts à partir de la date d'octroi des aides illégales.

Article 3

La Belgique informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures prises pour se conformer à celle-ci.

Article 4

Le Royaume de Belgique est destinataire de la présente décision. Fait à Bruxelles, le 24 juin 1992.

(1) Par décision du 18 juillet 1990, la Commission a proposé au Gouvernement belge de mettre fin au régime général d'aides instauré par la loi du 17 juillet 1959.

(2) Dans un souci de simplification, les projets ont été classés en trois catégories selon le montant, en millions d'écus, de leur budget d'investissement. La dernière ligne du tableau indique la valeur totale en francs belges des investissements et des aides figurant dans chaque catégorie.

(3) Les renseignements détaillés fournis par les autorités belges dans le cadre de la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 du traité ont montré que les chiffres relatifs au budget et à l'intensité de l'aide communiqués initialement étaient inexacts. Ils ont également montré que les projets d'investissement prévoyaient également des dépenses de fonctionnement normales (voir chapitre II sous B).

(4) JO n° C 254 du 28. 9. 1991, p. 6.

(5) Voir lettre de la Commission aux États membres, SG(79)D-10478, du 14 septembre 1979; Droit de la concurrence dans les Communautés européennes, volume II, p. 150. Office des publications officielles des Communautés européennes, 1990.

(6) JO n° L 177 du 8. 7. 1975, p. 13.

(7) Recueil 1980, p. 2671.

(8) Voir Panorama de l'industrie dans la Communauté, 1991-1992, partie 12-32.

(9) Voir seuils de notification mentionnés au chapitre II.

(10) Voir communication de la Commission sur la méthode pour l'application de l'article 92 paragraphe 3 points a) et c) aux aides régionales (JO n° C 212 du 12. 8. 1988, p. 2).

(11) Recueil 1973, p. 813.

(12) Recueil 1987, p. 901.

(13) Recueil 1990, p. I-959.