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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 17 mai 1999, n° 98-03692

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Avocat général :

M. Blanc

Conseillers :

M. Castel, Mme Burdeau

Avocat :

Me Beucher.

TGI Créteil, 11e ch., du 16 févr. 1998

16 février 1998

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré V Alain non coupable et l'a relaxé des fins de la poursuite des chefs de

- vente de denrées alimentaires, boissons, produits agricoles falsifiés corrompus et nuisibles à la santé, faits commis courant 1995, à Vincennes,

infraction prévue par l'article L. 213-3 al. 2, al. 1 2° du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-3 al. 2, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 du Code de la consommation

- tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise,

faits commis courant 1995, à Vincennes,

infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation

- détournement ou destruction par le saisi d'objet saisi et confie à sa garde,

faits commis le 9 novembre 1995, à Vincennes,

infraction prévue par l'article 314-6 al. 1 du Code pénal et réprimée par les articles 314-6 al. 1, 314-11 du Code pénal.

laissé les frais à la charge du Trésor public.

Les appels:

Appel a été interjeté par

M. le Procureur de la république, le 18 février 1998, contre Monsieur V Alain

Décision:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel relevé par le Ministère public à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé de la prévention;

Monsieur l'Avocat général s'en remet à l'appréciation de la cour, en ce qui concerne le détournement de produits consignés, sur l'opportunité de requalifier les faits en contraventions de 3e classe de l'article L. 214-2 du Code de la consommation;

S'en rapportant aux termes de la requête d'appel établie le 21 avril 1998 par Monsieur le Procureur de la république de Créteil, il requiert la cour de réformer pour le surplus le jugement entrepris, de déclarer Alain V coupable des délits de tromperie et de falsification poursuivis et de le condamner, de ces chefs, à une peine d'amende de 80 000 F;

Par voie de conclusions, aux développements desquelles la cour se réfère expressément, Alain V sollicite la confirmation de la décision de relaxe déférée;

Considérant que le 13 et 24 octobre 1995, à la suite d'un signalement, les enquêteurs de la Direction Départementale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes contrôlaient la conformité des produits distribués par la SARL U à Vincennes dont le prévenu est le gérant;

Qu'il s'agissait de compléments alimentaires fabriqués aux USA sous la marque Solgar et dont cette entreprise, qui les importait de la filiale anglaise du groupe, était le distributeur exclusif pour la France;

Considérant que la dénomination et l'indication de la composition de certains produits laissaient présumer la présence d'ingrédients non autorisés, trois échantillons de VM 75 tablets multivitamines, de Joggers tablets, de naturvite powder et de Formula V 2000 étaient prélevés selon des procès-verbaux en date du 24 octobre 1995;

Que le même jour, sur le fondement de l'article L. 215-7 du Code de la consommation, 181 flacons de comprimés de VM 75 tablets, 17 flacons de Joggers tablets et 80 flacons de Naturvite powder étaient consignés;

Considérant que le 7 novembre 1995, le directeur Départemental de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes sollicitait la prolongation de ces consignations, dans l'attente des résultats des analyses en cours;

Que par ordonnance du 8 novembre 1995, le Procureur de la république en autorisait le maintien;

Que dans le même temps, le conseil de la société U requérait du Procureur de la république la main levée de ces consignations, mesure qui était refusée par ordonnance remise le 3 novembre 1995;

Considérant que cependant, le 28 novembre 1995, les mêmes enquêteurs constataient qu'une partie des produits consignés avaient été vendus sans attendre le résultat des analyses en cours, en l'espèce 142 flacons de comprimés VM 75 et 60 flacons de Naturvite Powder;

Considérant que les marchandises non vendues étaient alors saisies et des échantillons de trois autres produits prélevés, en l'espèce le TGF chromium, le Seleno 6 et le calcium 600, dont les quantités disponibles étaient par ailleurs consignées, avant d'être saisies, le 11 décembre 1995, au vu des résultats des analyses;

Considérant que les analyses effectuées par le Laboratoire Interrégional de la Répression des fraudes de Strasbourg révélaient en effet la non-conformité des sept produits prélevés;

Considérant que l'expertise contradictoire prévue à l'article L. 215-9 du Code de la consommation ayant été réclamée, le magistrat instructeur commettait l'expert désigné par le mis en examen et le Directeur du Laboratoire Interrégional de la Répression des Fraudes de Villeneuve d'Ascq, dont les conclusions confirmaient en tous points les résultats de ces rapports;

Qu'il s'avérait ainsi, d'une part, que ces produits contenaient de nombreuses substances chimiques non autorisées, en l'espèce du manganèse, du chrome, du cuivre, du selenium, du molybdène et de la vitamine D, et d'autre part, que les quantités de vitamines dépassaient largement les limites recommandées, en l'espèce avec des teneurs représentant de 2,5 à 250 fois les apports journaliers recommandés;

Qu'il apparaissait également que, pour certaines substances, la valeur trouvée était différente de celle qui était annoncée par l'étiquetage du VM 75, du Joggers tablets et du VM 2000;

Considérant qu'en ce qui concerne les vitamines, les différences relevées étaient aussi bien des majorations que des minorations et il pouvait être en particulier retenu que des doses de vitamine A retrouvées étaient égales ou double de celles qui étaient annoncées, lesquelles étaient déjà égales à 2,8 fois l'apport journalier recommandé;

Qu'en ce qui concerne le bêta carotène, les teneurs retrouvées étaient inférieures de 2 à 10 fois aux valeurs annoncées;

Qu'en outre, dans le catalogue des produits offerts à la vente, les enquêteurs relevaient que pour 27 références autres que celles analysées, la composition annoncée faisait également apparaître la présence de substances non autorisées;

Sur le délit de détournement d'objet saisi

Considérant que les articles 314-6 et 314-11 du Code pénal, visés à la prévention, ne sauraient trouver application en l'espèce, les marchandises vendues par Alain V ayant fait l'objet d'une consignation;

Considérant que le texte applicable était l'article L. 214-2 du Code de la consommation relatif à la vente de produits objets d'une consignation sans attendre le résultat des contrôles en cours (contraventions de 3e classe);

Que cependant les 202 contraventions effectivement commises ne sont pas comprises dans la prévention telle que définie par l'ordonnance de renvoi du 18 avril 1997;

Qu'il n'appartient pas au juge, sous prétexte de requalification, d'ajouter des contraventions non visées à la prévention initiale;

Que dès lors la cour confirmera la décision critiquée en ce qu'elle a, à juste titre, renvoyé le prévenu des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de détournement ou destruction par le saisi d'objet saisi et confié à sa garde;

Sur le délit de tromperie

Considérant qu'à tort les premiers juges ont relaxé Alain V du chef de tromperie au motif que les rapports d'expertise relatifs aux produits VM 75, joggers tablets et VM 2000 et qui ont mis en évidence des différences significatives entre la teneur annoncée et la teneur réelle en vitamine A, bêta carotène et vitamine B 2 ne présentent pas de "caractère suffisamment certain pour servir de base à une condamnation pénale";

Considérant en effet qu'il est reproché au prévenu d'avoir mis en vente trois produits dont la teneur en bêta carotène était inférieure de 2 à 10 fois aux valeurs annoncées sur l'emballage et la teneur en vitamine A égale ou double;

Que les expertises ordonnées par le magistrat instructeur ont pleinement confirmé les conclusions des analyses du laboratoire Interrégionale de Strasbourg;

Qu'aucun élément objectif n'est venu contredire une prévention sérieusement établie au terme de l'information judiciaire;

Considérant qu'il appartenait à Alain V de vérifier personnellement la teneur des produits proposés à la vente, ce qu'il a, manifestement omis de faire;

Que la cour, infirmant sur ce point le jugement attaqué retiendra le prévenu dans les liens de la prévention du chef de tromperie;

Sur le délit de falsification

Considérant qu'à tort également le tribunal a relaxé Alain V du chef de falsification;

Considérant en effet que même si l'aliment ne fait pas l'objet d'une définition légale ou réglementaire, il est admis que tous les produits ingérables appartiennent juridiquement à l'une ou l'autre des catégories suivantes: le médicament ou l'aliment;

Que le produit en cause n'est pas un médicament puisqu'il ne répond pas aux définitions retenues par l'article L. 511 du Code de la santé publique, n'étant pas destiné à restaurer, corriger ou modifier les fonctions organiques;

Qu'il n'est pas présenté comme possédant des vertus curatives ou préventives à l'égard de maladies humaines, pas plus qu'il ne possède effectivement ces même vertus;

Qu'en conséquence, il s'agit bien d'un produit assimilable à un aliment;

Considérant que parmi les aliments, la distinction s'opère notamment entre ceux qui sont destinés à une alimentation particulière (ou produits dits diététiques) et les produits de consommation courante;

Considérant que les compléments alimentaires ont été définis par le décret n° 96-307 du 10 avril 1996, soit à une date postérieure aux faits, comme "des produits destinés à être ingérés en complément de l'alimentation courante, afin de pallier l'insuffisance réelle ou supposée des apports journaliers";

Que cependant cette définition était naturellement celle communément admise avant l'intervention des pouvoirs publics;

Qu'un complément alimentaire sera ainsi:

- soit un produit destiné à une alimentation particulière s'il répond aux critères fixés par le décret n° 91-827 du 29 août 1991;

- soit un aliment courant soumis aux textes généraux s'appliquant à l'ensemble des denrées alimentaires;

Considérant que le produit en cause étant un aliment non destiné à une alimentation particulière, devait donc être conforme aux textes régissant les aliments courants et notamment au décret du 15 avril 1912, les vitamines et minéraux incorporés dans ces produits étant des additifs à but nutritionnel;

Considérant que l'emploi de ces substances est soumis à la procédure d'autorisation préalable prévue par le décret du 15 avril 1912;

Qu'à ce jour, aucun ajout d'une substance à but nutritionnel n'est admis en alimentation courante;

Considérant que le fait de mettre en vente des produits contenant des substances non autorisées ou à des doses supérieures à celles recommandées constitue le délit de mise en vente de produits falsifiés au sens de l'article L. 213-3 du Code de la consommation;

Considérant que vainement Alain V soulève l'illégalité du décret du 15 avril 1912 au motif que ce texte vise d'une manière générale les "produits chimiques" sans définir ce qu'il faut entendre par "produits chimiques";

Qu'en effet aucun principe juridique n'impose que chaque terme d'un texte réglementaire ou législatif soit précisément défini;

Qu'au demeurant le terme "chimique" a en l'espèce une portée très générale et doit être compris comme visant toute substance qui peut être définie chimiquement, son origine naturelle ou synthétique important peu;

Que par ailleurs, pour être incorporés dans les compléments alimentaires les ingrédients litigieux sont profondément transformés, synthétisés, concentrés, purifiés, ces différentes phases les constituant bien en substances chimiques;

Que de plus, pour des raisons pratiques évidentes, la quasi-totalité des vitamines et acides aminés disponibles sur le marché sont obtenus par synthèse chimique;

Considérant que pas davantage Alain V ne peut utilement soutenir que le décret de 1912 serait incompatible avec les articles 30 et 36 du traité de Rome qui interdisent toute restriction à l'importation entre Etats membres;

Qu'en effet les restrictions pouvant découler du décret précité sont pleinement justifiées par des raisons de protection de la santé publique et ne sont aucunement disproportionnées avec le but d'intérêt général recherché;

Considérant qu'en sa qualité de professionnel Alain V ne pouvait ignorer la réglementation concernant les produits mis en vente par ses soins et savait donc que ces derniers étaient falsifiés au sens de l'article L. 213-3 du Code de la consommation;

Qu'au demeurant, un rappel de réglementation détaillé adressé le 15 novembre 1995, les nombreux contrôles effectués dans son établissement ainsi que la communication des résultats des analyses faisant état de la présence de substances interdites lui ont permis d'être encore mieux informé sur la réglementation en vigueur;

Que néanmoins le mis en cause a continué la vente des produits litigieux et a donc agi en toute connaissance de cause;

Considérant que les faits de falsification poursuivis sont établis;

Que la cour, infirmant le jugement entrepris retiendra le prévenu dans les liens de la prévention de ce chef;

Considérant qu'en répression des délits de tromperie et de falsification retenus à l'encontre du prévenu la cour condamnera Alain V à la peine de 80 000 F d'amende;

Que la cour ordonnera la confiscation des marchandises saisies conformément à l'article L. 216-2 du Code de la consommation;

Par ces motifs, LA COUR: Statuant publiquement et contradictoirement; Confirme le jugement dont appel en ce qu'il a renvoyé Alain V des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de détournement ou destruction par le saisi d'objet saisi et confié à sa garde; L'infirme pour le surplus; Déclare Alain V coupable d'avoir, à Vincennes (Val-de-Marne) et depuis temps non prescrit - 1°) courant 1995, mis en vente et vendu des denrées servant à l'alimentation de l'homme, en l'espèce 34 compléments alimentaires, qu'il savait falsifiées, corrompues ou toxiques. - faits prévus et punis par les articles L. 213-3, L. 213-2, L. 216-8 du Code de la consommation, - 2°) courant 1995, trompé ou tenté de tromper le contractant sur la composition et les qualités substantielles d'une marchandise vendue ou offerte à la vente, en l'espèce en présentant trois produits sous un emballage mentionnant, pour deux d'entre eux, des doses de vitamine A inférieures de moitié à celles dont l'analyse de leur composition a révélé la présence et, pour les trois des doses de bêta carotène supérieures de 2 à 10 fois à celles dont l'analyse a révélé la présence, - faits prévus et punis par les articles L. 213-1, L. 213-2, L. 216-1 à L. 216-3 du Code de la consommation, - Condamne Alain V à 80 000 F d'amende, Ordonne la confiscation des marchandises saisies, Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.