CA Paris, 13e ch. B, 14 décembre 1995, n° 95-04536
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fédération Française de Karaté Taekwondo et Arts Martiaux Affinitaires
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bertolini
Conseillers :
Mme Magnet, M. Marie
Avocats :
Mes Paris, Hatton.
Rappel de la procédure:
Le jugement:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a relaxé:
B René, Pascal des fins de la poursuite d'usurpation de titre, diplôme ou qualité, de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,
a mis hors de cause la Fédération X citée en qualité de civilement responsable,
a déclaré L Daniel et P Jean-Pierre coupables de:
- usurpation de titre, diplôme ou qualité, du 5 décembre 1994 au 6 décembre 1994, à Survilliers, infraction prévue et réprimée par l'article 433-17 du Code pénal,
- publicité mensongère ou de nature a induire en erreur, du 5 décembre 1994 au 6 décembre 1994, à Survilliers, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation,
Et par application de ces articles, a condamné:
- L Daniel à 3 000 F d'amende,
- P Jean-Pierre, Marie à 3 000 F d'amende,
Sur l'action civile le tribunal a reçu la Fédération Française de Karaté et Arts Martiaux Affinitaires (FFKMA) en sa constitution de partie civile et a condamné solidairement Daniel L et Jean-Pierre P à lui payer la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts et celle de 10 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Le tribunal a:
- ordonné l'insertion du dispositif du jugement aux frais des condamnés dans la revue trimestrielle "Officiel Karaté" dont le siège est 28, rue Saint-Yves 75001 Paris et dans la revue mensuelle "Karaté Bushido" dont le siège est 8, Cours Louis Lumière 94306 Vincennes sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser 5 000 F,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision sur la demande de la partie civile,
- débouté la partie civile du surplus de sa demande,
- a rejeté la demande reconventionnelle présentée par Daniel L, Jean-Pierre P, René B et la Fédération X,
a assujetti la décision à un droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable chaque condamné;
Les appels:
Appel a été interjeté par:
Monsieur P Jean-Pierre, Marie, le 18 mai 1995 sur les dispositions pénales et civiles,
Monsieur L Daniel, le 18 mai 1995 sur les dispositions pénales et civiles,
M. le Procureur de la République, le 18 mai 1995 contre Monsieur L Daniel, Monsieur P Jean-Pierre, Marie
La Fédération Française de Karaté Taekwondo et Arts Martiaux Affinitaires (FFKM), le 31 mai 1995 contre Monsieur L Daniel, Monsieur P Jean-Pierre, Marie, Monsieur B René, Pascal,
DÉCISION:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés par les prévenus, Messieurs P et L, la partie civile, la Fédération française de karaté et le Ministère public, qui a dirigé son recours contre Messieurs P et L, à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention.
RAPPEL DES FAITS
La Fédération X, dont Monsieur B est le gérant, a organisé un stage de karaté payant à Survilliers les 5 et 6 décembre 1994.
Des documents publicitaires ont été établis pour annoncer cette manifestation. Il était indiqué sur ces documents que Monsieur Seinsi Nishiyama 9e dan charmain de la World Karaté Association (ex. ITKF) co-fondateur de la Japan Karaté Association élève de Gichin Funakoshi était assisté de: Daniel L 6e dan ITKF, conseiller technique de X, chef instructeur FJKA, et de J.-P. P, 6e dan ITKF, adjoint technique FJKA.
Monsieur Daniel L et Monsieur Jean-Pierre P, appelants, Monsieur René B et la Fédération X intimés soutiennent par voie de conclusions conjointes:
En premier lieu que, la demande de la Fédération Française du karaté taekwando et arts martiaux affinitaires (FFKAMA) est irrecevable, Messieurs L et P s'étant vus attribuer leur 6e dan par une fédération étrangère à vocation internationale: l'international Traditionnel Karaté Fédération dont le siège est à Los Angeles, le 3 novembre 1992, soit à une époque où le décret du 3 août 1993 fixant les conditions de délivrance de certains titres dans les disciplines sportives relevant des arts martiaux n'était pas encore intervenu et où par conséquent elle ne disposait d'aucun monopole d'attribution des "dans".
En deuxième lieu, après avoir souligné que le mot "dan" est un terme japonais indiquant un niveau de connaissance, qui n'est pas utilisé uniquement dans les arts martiaux et qui est tombé dans le domaine public depuis le début du siècle avec la pratique des arts martiaux en France, ils soutiennent que le décret du 2 août 1993 qui prévoit en son article 1er que les dans constituent des titres fédéraux "conformément à l'article 16 de la loi du 16 juillet 1984", est illégal en ce qu'il ne permet qu'aux seules fédérations délégataires en vertu de l'article 17 de la loi de délivrer des dans, alors que l'article 16 de cette loi précise que les titres fédéraux peuvent être délivrés par toutes les fédérations agréées.
Messieurs L, P, B et la Fédération X précisent qu'un recours en annulation dudit décret a été formé par le Syndicat national des professeurs d'arts martiaux devant le Conseil d'Etat.
En troisième lieu, que Monsieur B n'a pas été cité en son nom personnel mais en qualité de président de la Fédération X, cette dernière étant citée en qualité de civilement responsable sans que soient indiquées les circonstances qui justifieraient que la fédération soit déclarée civilement responsable de Messieurs L et P.
En quatrième lieu, que Messieurs L et P s'étaient vu délivrer par l'ITKF le 6e dan dont ils faisaient mention dans la publicité litigieuse et font observer qu'ils avaient précisé par qui ce titre leur avait été attribué. Ils estiment qu'il n'ont donc commis ni le délit d'usurpation de titre, ni le délit de publicité mensongère.
Messieurs L et P sollicitent donc leur relaxe, Monsieur B la Fédération X demandent la confirmation de la décision en ce qu'elle a relaxé Monsieur B et mis hors de cause la fédération.
Ils réclament en conséquence la condamnation de la FFKAMA à leur payer la somme de 24 120 F sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale.
La Fédération française du karaté taekwondo et arts martiaux affinitaires (FFKAMA), intimée, appelante incidente, fait valoir par voie de conclusions: En premier lieu, sur l'usurpation de titre, que le mot "dan" correspond à une qualité délivrée par l'autorité publique en vertu de l'article 17 de la loi du 16 juillet 1984 et de l'arrêté du 28 janvier 1994.
La FFKAMA souligne que Messieurs L et P le savaient pertinemment puisque le premier s'était délivrer son 5e dan le 20 mars 1986, le second son 4e dan le 1er juin 1986, par le Comité national des grades issu de décret du 4 novembre 1976.
Elle estime qu'ils ne pouvaient se prévaloir d'un dan qui ne leur avait pas été délivré par une fédération sportive délégataire du droit de délivrer ce titre.
La FFKAMA ajoute que conformément à l'article 7.7.3.12 des statuts de la Fédération mondiale de karaté à laquelle elle est affiliée, elle a seule le pouvoir de délivrer des titres et qu'elle est la seule fédération désignée comme délégataire par l'arrêté du 28 janvier 1994.
La fédération précise que la simple insertion dans les prospectus et affiches de la mention de 6e dan suffit à entretenir la confusion dans l'esprit du public, même si cette mention était suivie des initiales de l'association ITKF.
En deuxième lieu, sur la publicité mensongère, que les publicités litigieuses avaient pour objectif de faire venir à des stages payants un public qui était ainsi trompé sur la qualité de ceux qui pouvaient dispenser leur savoir, leur expérience, en un mot leur art à l'occasion desdits stages.
En troisième lieu, sur la participation de Monsieur B, qu'en sa qualité de président de la Fédération X, il a organisé le stage et sa manifestation publicitaire.
La FFKAMA demande la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré Messieurs L et P coupables des faits reprochés, que Monsieur B soit déclaré coupable des mêmes faits et condamné solidairement avec Messieurs L et P à lui payer outre la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts, celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Elle demande également la confirmation de la mesure de publication.
Sur ce,
Sur l'action publique
Considérant qu'en l'absence d'appel du Ministère public dirigé contre Monsieur B sa relaxe est devenue définitive;
Sur l'exception d'illégalité du décret du 2 août 1993
Considérant que, l'exception d'illégalité doit être soulevée avant toute défense au fond;
Que, devant les premiers juges Messieurs L, P, B et la Fédération X se sont bornés à demander au premier juge de surseoir à statuer en attendant l'issue du recours formé devant le juge administratif à l'encontre du décret susvisé;
Que, l'exception doit donc être déclarée irrecevable devant la cour d'appel;
Sur le délit d'usurpation de titre:
Considérant que, selon l'article 17 de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 dans chaque discipline sportive et pour une période déterminée, une seule fédération reçoit délégation du ministre chargé des sports pour organiser les compétitions sportives à l'issue desquelles sont délivrés les titres internationaux, nationaux, régionaux ou départementaux, un décret en Conseil d'Etat déterminant les conditions d'attribution et de retrait de la délégation;
Que, le législateur avait entendu réserver à une fédération la possibilité de conférer des grades afin de conserver leur valeur à ceux-ci;
Que, le décret n° 85-237 du 13 février 1985 est intervenu pour fixer ces conditions et que l'arrêté du 28 janvier 1994 a accordé cette délégation à la FFKAMA pour le karaté;
Que, le décret du 2 août 1993 a interdit de se prévaloir d'un "dan" qui n'aurait pas été délivré dans les conditions qu'il fixe;
Que, ce texte sanctionne l'exclusivité conférée aux fédérations agrées pour délivrer des titres;
Considérant que, les "dans" dont se prévalaient Messieurs L et P ne leur avaient pas été remis conformément à cette législation, dès lors qu'ils leur avaient été attribués par une fédération étrangère qui ne bénéficiait pas de cet agrément, la FFKAMA étant la seule en France à se l'être vu consentir;
Considérant que, selon l'article 433-17 du Code pénal l'usage, sans droit d'une qualité dont les conditions d'attributions sont fixées par l'autorité publique est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende;
Que, l'usage d'un grade sportif au mépris de l'interdiction d'en user, sans l'avoir régulièrement obtenu de la fédération sportive chargée de le délivrer entre bien dans les prévisions de ce texte;
Que, l'infraction est donc caractérisée dans tous ses éléments;
Que, c'est donc à bon droit que le tribunal a déclaré Messieurs L et P coupables du délit d'usurpation de titre;
Sur le délit de publicité mensongère:
Considérant que, la mention ITKF ne permettait pas à l'amateur normalement attentif et au fait de cette discipline sportive de savoir que le titre n'avait pas été délivré conformément aux dispositions légales applicables;
Que, le destinataire du message publicitaire pouvait être trompéet qu'ainsi l'infraction est caractérisée en tous ses éléments;
Considérant que, le jugement déféré doit donc être confirmé tant sur la déclaration de culpabilité, que sur la peine prononcée laquelle est équitable;
Considérant que, la mesure de publication a été ordonnée à juste titre par le tribunal;
Qu'il convient donc de confirmer la décision de ce chef;
Sur l'action civile:
Sur la demande formée à l'encontre de Monsieur B pris en sa qualité de président de la Fédération X:
Considérant qu'en raison de l'indépendance de l'action civile et de l'action publique, l'appel de la partie civile, s'il est sans incidence sur la force de chose jugée qui s'attache comme en l'espèce à la décision de relaxe sur l'action publique, saisit le juge des intérêts civils;
Qu'en conséquence, malgré la décision de relaxe, il appartient à la cour d'apprécier les faits dans le cadre de la prévention, pour se déterminer sur le mérite des demandes civiles qui lui sont présentées;
Considérant qu'en indiquant que la Fédération X avait organisé un stage de karaté à Survilliers le 5 et 6 décembre 1994, alors qu'elle ne bénéficiait d'aucune reconnaissance officielle, la FFKAMA a suffisamment précisé les faits qu'elle reprochait à Monsieur B et à la Fédération X, que le reproche fait par Monsieur B à la citation qui n'aurait pas justifié sa demande tendant à voir déclarée civilement responsable de Messieurs L et P doit être écarté;
Considérant que, le stage en question avait été organisé par la Fédération X, dont Monsieur B est le président;
Qu'il ne pouvait dans ces conditions ignorer la publicité qui avait été faite de ce stage et que ses fonctions lui donnaient le pouvoir de s'y opposer;
Considérant que, dans ces conditions, les éléments de la complicité de l'infraction dénoncée se trouvent constitués à l'encontre de Monsieur B;
Que les agissements fautifs de ce dernier ont causé à la FFKAMA un préjudice personnel et direct dont il convient de lui accorder réparation;
Que la cour puise dans l'ensemble des circonstances de l'espèce et les pièces soumises à son appréciation, les éléments suffisants lui permettant de fixer à 1 F le montant total de ce préjudice
Sur la demande formée à l'encontre de Messieurs Daniel L et Jean-Pierre P:
Considérant que, les premiers juges ont fait une exacte évaluation du préjudice subi par la FFKAMA;
Qu'il convient donc de confirmer le jugement déféré de ce chef;
Sur la demande formée sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale:
Considérant que la demande d'une somme de 10 000 F, formulée par la FFKAMA, partie civile, au titre des frais irrépetibles est justifiée, mais doit être ramenée à la somme de 2 500 F;
Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel de Monsieur Daniel L, de Monsieur Jean-Pierre P, de la FFKAMA et du Ministère public, Sur l'action publique: Rejette l'exception de nullité et les conclusions de relaxe, Confirme le jugement déféré en ses dispositions pénales y compris la mesure de publication, Y ajoutant, Dit que le coût de chaque insertion ne peut dépasser la somme de 10 000 F, Sur l'action civile: Confirme le jugement déféré sur la condamnation solidaire de Monsieur Daniel L et Monsieur Jean-Pierre P à payer à la FFKAMA la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts; Infirmant partiellement le jugement attaqué sur les intérêts civils, condamne Monsieur B solidairement avec Monsieur Daniel L et Monsieur Jean-Pierre P à la FFKAMA la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts, Y ajoutant, Condamne solidairement Monsieur B, Monsieur Daniel L et Monsieur Jean-Pierre P à payer à la FFKAMA la somme de 2 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Dit inopérants, mal fondés ou extérieurs à la cause, tous autres moyens, fins ou conclusions contraires ou plus amples, les rejette. Le tout en application des articles 433-17 du Code pénal, L. 121-1, 213-1 du Code de la consommation, 512 et suivants du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable chaque condamné.