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Décisions

CJCE, 13 juillet 1988, n° 102-87

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République française

Défendeur :

Commission des communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mackenzie Stuart

Président de chambre :

M. Due

Avocat général :

M. Lenz.

Juges :

MM. Koopmans, Everling, Galmot, Kakouris, O'Higgins

CJCE n° 102-87

13 juillet 1988

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 4 avril 1987, la République française a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision de la Commission, du 14 janvier 1987, relative à un prêt FIM en faveur d'une entreprise du secteur de fabrication de bières. Cette décision, notifiée au Gouvernement français par lettre du 29 janvier 1987, a été ultérieurement publiée au journal officiel (JO L 152, p. 27).

2. Le fonds industriel de modernisation (ci-après "FIM") a été institué par le Gouvernement français en 1983; il a été supprimé en 1986. Il avait pour mission de contribuer au financement des entreprises industrielles qui engagent des investissements matériels et immatériels en vue de moderniser les procédés de fabrication ou de développer des produits et procédés nouveaux. Les actions du FIM devaient porter en priorité sur un certain nombre d'objectifs, parmi lesquels figurait l'installation dans les entreprises de machines et d'équipements à haute technologie. Les règles applicables prévoyaient que le FIM pouvait intervenir sous forme de prêts à des entreprises industrielles; ces prêts bénéficiaient d'une garantie financière de la part de l'Etat.

3. Les prêts du FIM étaient financés par le produit des "comptes de développement industriel" (ci-après "Codevi"), comptes d'épargne privés à très court terme ayant pour objet de permettre aux ménages français de participer, par leur épargne, aux efforts de redressement industriel envisagé par le Gouvernement français. Les intérêts perçus par les détenteurs des Codevi étaient exonérés de l'impôt sur les revenus; leur taux était fixé, par le gouvernement, à un niveau sensiblement inférieur à celui du marché. Une partie des fonds ainsi rassemblés était mise à la disposition d'un établissement financier français, à savoir la caisse de dépôts et consignation, en vue d'être transformée en prêts du FIM le taux d'intérêt de ces prêts résultait de l'addition, au coût de la ressource Codevi égal à l'intérêt versé à l'épargnant, d'une marge bancaire de 2 % et d'une contribution aux frais de gestion du système.

4. En février 1984, la Commission a ouvert la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité à l'égard des prêts du FIM, au motif que ceux-ci constituaient des aides d'Etat et qu'il y avait lieu d'examiner si ces aides étaient compatibles ou non avec le marché commun au titre de l'article 92, paragraphe 3, du traité. Cette procédure a abouti à l'adoption de la décision 85-378 de la Commission, du 19 décembre 1984, relative au système français d'aides à l'industrie, se présentant sous la forme de prêts spéciaux pour l'investissement, de prêts aides aux entreprises, de prêts supplémentaires de refinancement et de prêts du fonds industriel de modernisation (JO L 216, p. 12). Le Gouvernement français n'a pas formé de recours contre cette décision.

5. Les considérants de la décision 85-378 expliquent en particulier que le taux d'intérêt des prêts du FIM est fixé systématiquement à un niveau inférieur à celui des prêts accordés aux taux du marché, résultat dû au fait que les prêts du FIM sont financés par le produit des Codevi, les fonds ainsi collectés étant transformés en prêts à long terme à l'industrie. En effet, la possibilité de collecter des fonds à un taux aussi bas et en aussi grande quantité découlerait de l'exonération fiscale accordée aux Codevi par l'Etat, qui renoncerait de la sorte à des rentrées fiscales importantes. Dans ces conditions, la combinaison de l'exonération fiscale des Codevi et de la transformation de leur produit en prêts du FIM reviendrait à l'octroi d'une bonification d'intérêt en faveur des entreprises bénéficiaires au détriment des ressources fiscales de l'Etat. L'octroi des prêts du FIM au taux préférentiel qui est le leur revêtirait donc le caractère d'aides accordées par l'Etat au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité.

6. En ce qui concerne la compatibilité de ce régime d'aides avec le marché commun, les considérants de la décision 85-378 constatent qu'elle doit être examinée dans les cas concrets, étant donné le grand nombre de cas où l'aide peut être accordée dans des conditions qui n'altèrent pas les conditions des échanges. Dès lors, la Commission devrait être mise en mesure d'apprécier, pour des "cas individuels significatifs" où l'octroi d'aides est susceptible d'affecter les conditions des échanges intracommunautaires dans une mesure contraire à l'intérêt commun, la compatibilité de ces aides avec les dispositions de l'article 92 du traité.

7. Selon l'article 1er de la décision, la Commission ne s'oppose pas à la mise en application des aides sous forme, entre autres, de prêts du fonds industriel de modernisation, à la condition toutefois que, en application de l'article 93, paragraphe 3, du traité, le Gouvernement français lui en notifie préalablement à leur octroi les cas concrets significatifs. L'article 2 détermine quels sont les cas concrets significatifs devant être notifiés, en fixant des seuils variables selon l'intensité en équivalent-subvention net. La décision précise que le devoir de notification vise aussi bien les aides nouvelles que les aides existantes.

8. Par note du 26 avril 1985, les autorités françaises ont communiqué à la Commission les dossiers des entreprises ayant bénéficié de prêts du FIM depuis la création de celui-ci, dans les cas qualifiés par la commission de "significatifs". La note signale que les autorités françaises ont fait cette communication tout en contestant le caractère d'aide, au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, des prêts du FIM. Parmi les dossiers transmis figurait celui relatif à un prêt accordé à la société européenne de brasserie. C'est à l'égard de ce prêt que la Commission a pris, le 14 janvier 1987, la décision qui fait l'objet du présent recours.

9. La décision attaquée constate que le prêt du FIM de 40 millions de F accordé à une entreprise de fabrication de bières et communiqué à la Commission par lettre du 30 avril 1985 - date de réception par la Commission de la note du 26 avril - comporte des éléments d'aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, eu égard à une bonification d'intérêt de 4,75 points, que cette aide a été octroyée illégalement en violation des dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité, et qu'elle est incompatible avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité. Selon l'article 2 de la décision, l'aide en question devra être récupérée, le Gouvernement français étant obligé d'informer la Commission des mesures prises pour se conformer à la décision.

10. Pour un plus ample exposé des antécédents du litige et des moyens et arguments des parties, ainsi que des réponses données aux questions posées par la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

11. Les moyens du Gouvernement français sont tirés, respectivement, de la violation de l'article 92, paragraphe 1, du traité, de la violation des formes substantielles et de la violation du principe général de sécurité juridique. Les deux premiers moyens concernent tous les deux le caractère d'aide incompatible avec le marché commun du prêt litigieux et la méthode dont la Commission a calculé la bonification d'intérêt. Il convient d'examiner successivement ces deux problèmes, tant du point de vue du fond que de celui de la motivation.

A - le caractère d'aide incompatible avec le marché commun du prêt litigieux

12. Le Gouvernement français soutient d'abord que le prêt accordé par le FIM à la société européenne de brasserie n'est pas générateur d'une aide d'Etat de nature à le rendre incompatible avec le marché commun.

13. Interrogé par la Cour sur le point de savoir si, en ne formant pas de recours contre la décision 85-378, il avait ou non accepté les critères pour déterminer l'élément d'aide que comporte celle-ci, le Gouvernement français a répondu que, selon cette décision, même les aides qui constituent des "cas individuels significatifs" ne sont pas nécessairement illégales. Dès lors, la définition de ces cas significatifs ne pourrait avoir qu'un intérêt de procédure et non de fond.

14. Il y a lieu de relever que la décision 85-378 comporte, dans ses considérants, une analyse approfondie du processus d'octroi des prêts du FIM, au terme de laquelle il est conclu que ces prêts comportent un élément d'aide consistant, en particulier, dans le taux d'intérêt préférentiel, élément fortifié par la garantie financière de l'Etat et par la façon dont celui-ci canalise les ressources des comptes d'épargne vers l'industrie. S'il est vrai que le Gouvernement français a soulevé des protestations contre la qualification d'aide donnée aux prêts du FIM, il s'est pourtant abstenu de soumettre les appréciations de la Commission à l'examen de la Cour. En revanche, il s'est conformé à la décision 85-378 en notifiant les "cas concrets significatifs" d'aide, au sens de cette décision, à la Commission.

15. Dans ces conditions, le Gouvernement français ne peut pas se contenter, dans un litige visant une décision relative à tel ou tel cas concret significatif, de déclarer qu'il conteste le caractère d'aide des prêts du FIM sans invoquer d'autres arguments que ceux qui ont déjà été examinés par la Commission dans les considérants de la décision 85-378. Or, le Gouvernement français n'apporte aucun élément nouveau dans le cadre du présent recours.

16. Le caractère d'aide du prêt litigieux ne pouvant donc plus être discuté, il y a lieu d'examiner si l'aide en question doit être ou non considérée comme incompatible avec le marché commun au sens de l'article 92.

17. A cet égard, le Gouvernement français soutient que le prêt litigieux ne saurait être regardé comme affectant les échanges entre Etats membres et la concurrence. Il allègue, en outre, que la décision ne comporte aucun élément permettant de comprendre le raisonnement suivi, sur ce point, par la Commission.

18. Il y a lieu d'observer que la décision attaquée comporte un examen du marché de la bière en France. Après avoir constaté que la consommation annuelle par habitant, au cours de la période 1975-1985, était stagnante dans la plupart des Etats membres et en légère régression en France, la décision relève que la France importe traditionnellement un peu plus de 10 % de ses besoins en provenance d'autres Etats membres. Les exportations françaises vers ces Etats auraient légèrement régressé pendant cette même période, et elles ne représenteraient qu'environ 1,5 % de la production française. L'entreprise bénéficiaire du prêt litigieux serait contrôlée à 100 % par un groupe français dont la production de bière dépasse 50 % de la production française totale et qui participe au commerce intracommunautaire de bière. L'entreprise elle-même détiendrait environ 20 % du marché français.

19. Ces circonstances de fait n'ont pas été contestées par le Gouvernement français. Celui-ci a cependant fait observer que la Commission n'a ni constaté une surcapacité dans le secteur de la production de bière, ni indique la part que détiendrait l'entreprise bénéficiaire dans les exportations vers d'autres Etats membres. Toutefois, une aide à une entreprise peut être de nature à affecter les échanges entre les Etats membres et à fausser la concurrence même si cette entreprise se trouve en concurrence avec des produits en provenance d'autres Etats membres sans participer elle-même aux exportations. Une telle situation peut également se présenter lorsqu'il n'y a pas de surcapacité dans le secteur en cause. En effet, lorsqu'un Etat membre octroie une aide à une entreprise, la production intérieure peut s'en trouver maintenue ou augmentée, avec cette conséquence que, dans des conditions telles que constatées par la Commission, les chances des entreprises établies dans d'autres Etats membres d'exporter leurs produits vers le marché de cet Etat membre en sont diminuées. Une telle aide est donc susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres et de fausser la concurrence.

20. Il y a donc lieu de constater que les considérations de la Commission peuvent, prises dans leur ensemble, justifier la conclusion à laquelle la Commission est arrivée en ce qui concerne l'illégalité de l'aide.

21. Dès lors, les griefs relatifs au caractère d'aide, y inclus ceux visant la motivation de la décision, doivent être rejetés.

B - la méthode de calcul de la bonification d'intérêt

22. Le Gouvernement français fait valoir que la décision attaquée fait mention d'une bonification d'intérêt de 4,75 points sans donner aucune justification. Etant donné que les prêts du FIM étaient octroyés à un taux de 9,25 %, la Commission s'était probablement basée sur le fait que le taux de marché, pour un prêt de ce genre, serait de 14 %. Ce fait, qui ne figure pas dans la décision, ne serait pas exact, le taux du marché ayant été, à l'époque, plus bas.

23. La Commission soutient que le taux de marché de 14 % résulte de données fournies par le Gouvernement français lui-même pour la mise en œuvre de la coordination d'aides à finalité régionale. Dans ce cadre, le taux d'intérêt moyen du marché à prendre en considération serait celui applicable aux prêts à l'équipement du crédit national, s'élevant à l'époque à 14 %.

24. Il ressort du dossier ainsi que des débats menés devant la Cour que, en 1971, puis en 1979, la Commission et les Etats membres se sont concertés en vue de la fixation des modalités d'application des principes de coordination de régimes généraux d'aides à finalité régionale. Ces modalités ont été publiées sous la forme de communications de la Commission. La communication de 1971 (JO C 111, p. 7) comporte une méthode commune d'évaluation des aides, méthode qui inclut la fixation d'un taux de référence en vue d'apprécier l'ampleur de la réduction éventuelle du taux d'intérêt. La communication de 1979 (JO C 31, p. 9) précise que le taux de référence sera désormais fixé selon un schéma précisant le taux à prendre en considération pour chaque Etat membre. Pour la France, la communication se réfère au "taux appliqué par le crédit national aux prêts à l'équipement". Il est constant que ce taux s'élevait à 14 % à l'époque des faits de l'espèce.

25. Le Gouvernement français soutient d'abord que le taux du crédit national, utilisé pour les aides régionales, ne saurait être appliqué à d'autres types d'aides. Cet argument doit être écarte. En effet, s'il est vrai que le taux du crédit national a été repris dans la communication de 1979 pour favoriser la transparence des régimes nationaux d'aides régionales et pour permettre à la Commission et aux autres intéressés de déceler l'élément d'aide qui pourrait être présent dans des prêts à finalité régionale; le même taux doit néanmoins être considéré comme un indice valable, et reconnu comme tel, du taux de marché des prêts en vue d'investissements industriels.

26. Le Gouvernement français soutient également que, pour apprécier l'ampleur de l'aide, il y aurait lieu de retenir non le taux général de 14 % sur lequel s'est fondée la Commission, mais un taux bien inférieur, compte tenu des conditions plus favorables qu'aurait pu obtenir la société des organismes financiers, s'agissant d'un investissement de haute technologie fait par une entreprise très importante.

27. Il y a lieu cependant de remarquer que si, à cet égard, le Gouvernement français a fourni, à l'appui de son pourvoi, quelques éléments, au demeurant limités, il ressort des débats menés devant la Cour qu'il ne les a jamais soumis à la Commission lors de la procédure administrative qui a précédé l'intervention de la décision attaquée, refusant ainsi de collaborer loyalement avec celle-ci. Dans ces conditions, il ne saurait soutenir que c'est à tort que la Commission a retenu le taux de 14 % comme unique référence dont elle disposait et qui n'avait pas été contestée devant elle.

28. Pour toutes ces raisons, la Commission a pu valablement se fonder sur un taux du marché de 14 % dans le cas de l'espèce.

29. En ce qui concerne les griefs relatifs à la motivation, force est de constater que celle-ci est sommaire en ce qui concerne le calcul de la bonification d'intérêt. Toutefois, la motivation de la décision attaquée doit être regardée à la lumière de celle de la décision 85-378, dont elle constitue un cas d'application. Cette décision met précisément l'accent, en ce qui concerne les prêts du FIM, sur la bonification d'intérêt qui résulterait de la différence entre le taux préférentiel fixé par le Gouvernement français et le taux du marché. Que ce dernier taux soit celui pratiqué par le crédit national pour les prêts à l'équipement résulte d'un paramètre fixe de commun accord par la Commission et les autorités françaises et bien connu de celles-ci.

30. Dans ce contexte, et compte tenu de la manière dont le Gouvernement français a été associé, conformément à l'article 93 du traité, au processus d'élaboration tant de la décision litigieuse que de la décision 85-378, ce même gouvernement a ainsi été en mesure de disposer de toutes les informations nécessaires pour en apprécier le bien-fondé. En outre, la motivation de ces deux décisions a permis à la Cour d'exercer pleinement son contrôle de légalité.

31. Par conséquent, le Gouvernement français n'a pas réussi à démontrer que la décision attaquée n'était pas suffisamment motivée.

C - le principe général de sécurité juridique

32. Par son troisième moyen, le Gouvernement français fait valoir que le dispositif de la décision attaquée manque de la clarté nécessaire, notamment en ce qu'il oblige le Gouvernement français à récupérer "l'aide en cause" sans préciser en quoi cette aide consiste. De cette façon, le destinataire de la décision ne serait pas en mesure de déterminer le montant effectif de l'aide qu'il devrait récupérer.

33. Ce moyen doit être écarté. En effet, l'article 1er de la décision litigieuse précise que la bonification d'intérêt est de 4,75 points et qu'elle se rapporte à un prêt de 40 millions de F. Le destinataire de la décision pourrait ainsi déterminer sans difficultés excessives quel est le montant qui, selon les termes de la décision, doit être récupéré.

34. Il résulte des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

35. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1°) Le recours est rejeté.

2°) La République française est condamnée aux dépens.