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Décisions

Cass. crim., 2 octobre 1996, n° 95-82.238

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. Perfetti

Avocats :

SCP Boré, Xavier, SCP Waquet, Farge, Hazan, Me Choucroy.

TGI Dax, ch. corr., du 27 mai 1994

27 mai 1994

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par la société X, P Pierre, la société Y, parties civiles, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, du 14 mars 1995, qui, dans les poursuites exercées pour publicité trompeuse contre Alexandru B, Pierre L et Alain G, a déclaré leurs demandes irrecevables après relaxe des prévenus ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation proposé par la société X, pris de la violation des articles 44-1 de la loi du 27 décembre 1973, codifié à l'article L. 121-1 du Code de la consommation, 2, 3, 485 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 5 du Code civil;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable l'action civile exercée par la société X;

"aux motifs que "quant à la société X, il s'agit non pas d'un consommateur mais d'un concurrent, souffrant indirectement de la publicité qui encourage l'annonceur; en conséquence, sa constitution est irrecevable" (arrêt, p 13, alinéa 5);

"alors que le droit de se constituer partie civile dans une procédure suivie du chef de publicité de nature à induire en erreur n'est pas réservé à l'acheteur mais appartient également au fabricant du produit concurrentiel qui a subi un préjudice découlant des faits, objet de la poursuite; que, dès lors, en écartant l'existence d'un préjudice subi par la société X en conséquence directe de l'infraction du seul fait qu'elle était un concurrent et non pas un consommateur, la cour d'appel a violé les textes susvisés par refus d'application";

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 44-1 de la loi du 27 décembre 1973, codifié à l'article L. 121-1 du Code de la consommation, 485, 593 et suivants du Code de procédure pénale;

"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé les prévenus des fins de la poursuite et écarté l'action civile de la société X;

"aux motifs que, pour être établie, la publicité mensongère implique l'allégation d'un fait précis, fausse ou de nature à induire en erreur même in abstracto, portant sur : les qualités substantielles d'un produit (tenant soit à la composition, soit à l'origine, soit à la teneur en principes utiles); qu'en l'espèce, il est établi que le premier produit, réalisé par X sous l'appellation "Y", est un nettoyant liquide dont les principes actifs sont issus de l'huile de pin des Landes (Terpinéol) et de savons d'acides gras de Tall Oil issus du pin des Landes, sans parfum ajouté puisqu'il bénéficie de l'odeur naturelle du Terpinéol; que lorsque la société X commercialise son produit, après rupture de ses relations avec X, celui-ci contient un parfum, contenant un certain pourcentage d'essence naturelle de pin, fourni par une société Quest qui s'approvisionne auprès de X; que l'étiquetage comporte la mention "au pin des Landes" et que les campagnes publicitaires, tout en insistant sur la nouveauté du produit, "nouveau, très frais, nouvelle force fraîche", précisent que le produit contient toujours du pin des Landes; qu'en matière de publicité mensongère, est substantielle la qualité que le public prend en considération pour faire son achat ; qu'en l'espèce, rien n'établit que l'acheteur potentiel de nettoyant X au pin des Landes attend de ce produit que le pin qu'il contient ait des propriétés désinfectantes ou lavantes; que, bien au contraire, les études d'impact faites par X et les sondages ont révélé que dans l'esprit du public "ciblé" (les ménagères), la référence au pin comme au citron concernait l'odeur du produit (arrêt, p 11 et 12); que rien dans la procédure ne permettait d'affirmer que la référence au pin des Landes correspondait aux critères affirmés par la partie civile (arrêt, p 12, antépénultième alinéa); "1°) alors que l'infraction de publicité fausse ou de nature à induire en erreur ne suppose pas l'allégation d'un fait précis mais l'existence d' indications fausses ou de nature à induire en erreur; que la cour d'appel a ainsi ajouté une condition à l'incrimination légale et a, par là même, violé les textes susvisés; "2°) alors que "composition", "origine", "teneur en principes utiles" "qualités substantielles" constituent des éléments distincts des "biens ou services", susceptibles de faire l'objet d'indications fausses ou de nature à induire en erreur; qu'en ramenant les trois premiers éléments à des sous-catégories du quatrième, la cour d'appel a violé par fausse interprétation les textes susvisés; "3°) alors que la cour d'appel qui a constaté qu'une modification essentielle avait été apportée aux deux produits litigieux - principe actif pin des Landes devenu simple parfum -, sans rechercher si leur conditionnement identique avant et après cette modification ainsi que le maintien de la mention "pin des Landes" sans autre précision constituaient une indication et une présentation équivoques de nature à induire le public objectivement en erreur sur la "nature", la "composition", la "teneur en principes utiles" ou "les propriétés" de ces produits, ainsi que l'y invitait la société X dans ses conclusions d'appel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés; "4°) alors que la vertu détersive du pin des Landes qui faisait l'originalité des produits litigieux, A et B au pin des Landes, antérieurement à leur modification, constituait un fait constant admis par les parties dans leurs conclusions d'appel; que, dès lors, en énonçant que rien dans la procédure ne permettait d'affirmer que la référence initiale au pin des Landes correspondait aux critères affirmés par la partie civile, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation des textes susvisés; "5°) alors que la cour d'appel a elle-même relevé que le premier produit, réalisé par la société X sous l'appellation "Y", était un nettoyant liquide dont les principes actifs étaient issus de l'huile de pin des Landes (Terpinéol) et de savons d' acides gras de Tall Oil issus du pin des Landes, sans parfum ajouté puisqu'il bénéficiait de l'odeur naturelle du Terpinéol; qu'en omettant d'en déduire que la référence initiale au pin des Landes correspondait auxdits principes actifs et non à un parfum, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des textes susvisés; "6°) alors que, en présence d'une allégation publicitaire dont l'équivoque est de nature à induire en erreur, il incombe à l'auteur de la publicité incriminée d'établir, le cas échéant, la preuve contraire ; qu'il incombait donc à la société X d'établir que la référence initiale au pin des Landes aurait d'emblée été présentée au public comme correspondant à un parfum et non à sa vertu détersive; que, dès lors, en mettant au contraire la preuve de ce que cette référence correspondait aux principes actifs des produits litigieux à la charge de la société X, la cour d'appel a violé les textes susvisés; "7°) alors que, enfin, en retenant au titre de la "qualité substantielle" attendue des produits litigieux le parfum ajouté aux éléments nettoyants du "nouveau produit sur la base des enquêtes et sondages effectués par la société X sans rechercher si les questionnaires établis par celle-ci rappelaient la vertu détersive du pin des Landes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés";

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 44-1 de la loi du 27 décembre 1973, codifié à l'article L. 121-1 du Code de la consommation, 485, 593 et suivants du Code de procédure pénale;

"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé les prévenus des fins de la poursuite et écarté l'action civile de la société X;

"aux motifs que A et B, dans les années 1987, 1988 et 1989 (visées par la prévention) contenaient un parfum au pin; que la mention figurant notamment sur les étiquettes était autorisée, aux termes de la Convention fleurs-fruits, puisque le parfum était composé d'environ 50 % d'essence naturelle de pin; que cette essence naturelle, issue de pins maritimes, était vendue par X, société implantée dans les Landes, au fournisseur de X, la société Quest;

"alors que dans ses conclusions d'appel, la société X soutenait qu'aux termes de la Convention fleurs-fruits, l'emploi d'un parfum de synthèse doit faire l'objet d'une mention expresse; qu'elle démontrait par ailleurs que le terpinolène acheté par X auprès de la société Quest pouvait être une matière de synthèse issue de plusieurs réactions chimiques; que, dès lors, la cour d'appel qui n'a pas recherché si la matière parfumante des produits litigieux était une matière de synthèse, a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés";

Sur le premier moyen de cassation proposé par Pierre P et la société Y, pris de la violation des articles 44-1 de la loi 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905, 459, 512 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions;

"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé les prévenus du chef de publicité mensongère de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles des produits;

"aux motifs que, pour être établie, la publicité mensongère implique l'allégation d'un fait précis, fausse ou de nature à induire en erreur, même in abstracto, portant sur les qualités substantielles d'un produit (tenant soit à la composition, soit à l'origine, soit à la teneur en principes utiles);

"alors, d'une part, que, pour être constitué, le délit de publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur suppose à la fois que le message publicitaire soit effectivement de nature à induire en erreur et que cette erreur porte sur l'un des éléments légaux prévus par l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973; qu'en outre, le juge du fond, qui n'est pas lié par la qualification donnée à la prévention, ne peut prononcer une décision de relaxe qu'autant qu'il a vérifié que les faits dont il est saisi ne sont constitutifs d'aucune infraction; qu'en l'espèce, en se bornant à rechercher exclusivement si la tromperie portait sur les qualités substantielles du produit litigieux, lesquelles d'ailleurs sont subjectives, la cour d'appel a méconnu ses propres pouvoirs;

"alors, d'autre part, que dans ses conclusions régulièrement déposées, Pierre P faisait valoir expressément que l'allégation mensongère ou de nature à induire en erreur portait sur l'origine du produit, sa composition et sa teneur en principes utiles; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef d'articulation péremptoire, l'arrêt attaqué ne satisfait pas aux conditions essentielles de son existence légale et doit être annulé;

"alors, enfin, que la publicité trompeuse est punissable quoique l'erreur n'affecte pas une qualité substantielle du produit, c'est-à-dire l'un des attributs qui ont pu déterminer le consentement du consommateur moyen; que dès lors, en se bornant à retenir que les allégations fausses ou de nature à induire en erreur n'affectaient pas les qualités substantielles du produit, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision de relaxe au regard des textes visés ci-dessus";

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 44-1 de la loi du 27 décembre 1973, 1er de la loi du 1er août 1905, et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé les prévenus du chef de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles;

"aux motifs que, de 1987 à 1989, les produits A et B, étiquetés avec la mention "au pin des Landes" contenaient un parfum au pin; que cette mention était autorisée aux termes de la convention fleurs-fruits puisque le parfum était composé d'environ 50 % d'essence naturelle de pins maritimes ; qu'en matière de publicité mensongère, les qualités substantielles du produit incriminé peuvent présenter un caractère varié, propre à la psychologie des clients; qu'en fait, est substantielle la qualité que le public prend en considération pour effectuer son achat; qu'il est établi que les clients associent la référence "au pin des Landes" à une odeur et un parfum;

"alors, d'une part, que le délit de publicité trompeuse n'exige pas, pour être constitué, que les allégations litigieuses soient mensongères; qu'il suffit qu'elles soient, en raison de leur présentation, de nature à induire en erreur sur l'un des éléments légaux visés à l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1973; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui s'est fondée sur une absence de mensonge en considérant que le produit étiqueté "au pin des Landes" contenait un parfum composé d'essences naturelles de pin, a méconnu les textes visés ci-dessus et entaché sa décision de relaxe d'un manque de base légale;

"alors, d'autre part, qu'est nécessairement constitutive du délit de tromperie ou de celui de publicité de nature à induire en erreur l'indication "au pin des Landes" qui, utilisée pendant de longues années avec succès pour désigner un produit présentant certaines caractéristiques de compositions chimiques extraites directement du pin des Landes, est désormais utilisée, sans changement, pour désigner un produit apparemment identique, mais dont la composition et les principes actifs ont profondément changé, seul le parfum du produit restant celui du pin";

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 44 de la loi 73-1193 du 27 décembre 1973, 1er de la loi du 1er août 1905 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé les prévenus du chef de publicité mensongère de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles de produits;

"aux motifs qu'en matière de publicité mensongère, est substantielle la qualité que le public prend en considération pour effectuer son achat; que les études d'impact faites par X ont révélé que dans l'esprit du public ciblé, la référence au pin concernait l'odeur du produit;

"et aux motifs, adoptés des premiers juges, que l'étude réalisée courant 1986, à la demande de X, auprès d'un échantillon de consommateurs de la marque "au pin des Landes" révèle que l'odeur agréable du produit constitue le premier critère de son choix à égalité avec la bonne hygiène qu'il assure; que ces éléments établissent que le consommateur moderne a érigé l'odeur dégagée par l'utilisation d'un produit d'entretien en qualité substantielle de celui-ci au même rang que son efficacité;

"alors qu'en l'état de ces énonciations, desquelles il résulte qu'en réalité, les consommateurs du produit X associent la référence "au pin des Landes" non seulement à une odeur, mais également à une efficacité propre, la cour d'appel ne pouvait, sans entacher sa décision d'une contradiction de motifs, se borner à énoncer que la seule qualité prise en considération par les consommateurs pour effectuer leurs achats était le parfum du produit et que, par suite, le délit n'était pas constitué";

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973, 1er de la loi du 1er août 1905, 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de Pierre P et de la société Y;

"aux motifs que le préjudice allégué par le demandeur et la société Y aurait consisté en la "perte d'une chance d'obtenir des honoraires, ainsi que la poursuite d'un contrat fructueux par la X en raison de la publicité (mensongère) réalisée par les prévenus"; que sa constitution est irrecevable et le fait qu'il se prétende le découvreur du Y et de la société X ne suffit pas à établir son intérêt à agir;

"alors que le droit de se constituer partie civile dans une procédure suivie du chef de publicité de nature à induire en erreur n'est pas réservé à l'acheteur, mais appartient également au concurrent qui a subi un préjudice découlant des faits de la poursuite; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a omis de rechercher si l'infraction poursuivie n'avait pas causé à Pierre P et la société Y, consultant auprès de la société X, un préjudice constitué par la perte d'une chance, résultant de la commercialisation de la marque concurrente "le vrai ménage au vrai pin des Landes" à laquelle le demandeur a dû, en vain, consacrer l'exclusivité de son activité, au détriment de la diversification de celle-ci; que dès lors, la cour d'appel a violé l'article 2 du Code de procédure pénale";

Les moyens étant réunis ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'antérieurement à son absorption par la société X, la société C commercialisait des produits nettoyants liquides fabriqués à partir de principes actifs issus du pin des Landes qui lui étaient fournis par la société X; que la société X a par la suite mis au point un produit similaire, vendu sous la même dénomination, mais dans la composition duquel le pin, sous forme d'essence naturelle, n'entre plus qu'à titre d'agent parfumant; que la société X a porté plainte et s'est constituée partie civile devant le juge d'instruction en dénonçant l'utilisation de la mention "au pin des Landes" apposé notamment sur l'étiquetage du nouveau détergent; qu'Alexandru B, Pierre L et Alain G, dirigeants de la société X, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour publicité de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles du produit;

Attendu que, pour relaxer les prévenus, l'arrêt confirmatif attaqué retient que la qualité substantielle conférée au nettoyant liquide vendu avec la mention "au pin des Landes" - comme celui au citron - consiste en son odeur ou son parfum;que les juges ajoutent que rien n'établit que l'acheteur attend du pin contenu dans ce produit des propriétés nettoyantes, désinfectantes ou lavantes;

Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, d'où il résulte que l'allégation incriminée n'est pas fausse ou de nature à induire en erreur le consommateur sur l'un quelconque des éléments visés à l'article L. 121-1 du Code de la consommation, et abstraction faite du motif justement critiqué par les demandeurs sur l'analyse des éléments constitutifs de l'infraction, la cour d'appel a justifié sa décision;d'où il suit que les moyens, qui remettent en discussion l'appréciation souveraine par les juges du fond du caractère trompeur de la publicité, et qui pour le surplus sont sans objet en ce qu'ils contestent la décision d'irrecevabilité des constitutions de partie civile, ne sauraient être accueillis;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette les pourvois.