CJCE, 3e ch., 11 juillet 1985, n° 299-83
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Saint-Herblain distribution (Sté), Centre distributeur Leclerc
Défendeur :
Syndicat des libraires de Loire-Océan
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Kakouris
Juges :
MM. Everling, Galmot
Avocat général :
M. Lenz
Avocats :
Mes Menard, Jousset.
LA COUR,
En droit,
1- Par jugement du 22 novembre 1983, parvenu à la Cour le 29 décembre 1983, le Tribunal de grande instance de Nantes a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative a l'interprétation de différentes règles du droit communautaire, et notamment des dispositions concernant le libre jeu de la concurrence dans le marché commun et des articles 3, sous f, et 5 du traite CEE, en vue d'être mis en mesure d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire d'une législation nationale imposant à tout détaillant le respect d'un prix fixé par l'éditeur ou l'importateur pour la vente de livres.
2- Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant le syndicat des libraires de Loire-Ocean aux sociétés Saint-Herblain distribution et Paris distribution, qui exploitent des magasins sous la désignation " Centre distributeur Leclerc ", ainsi qu'à l'Association des Centres distributeurs Edouard Leclerc, qui regroupe des magasins sous la même désignation ayant la réputation de pratiquer une politique de bas prix. Ce litige porte sur le non-respect par les Centres distributeurs Leclerc des prix de vente au public fixés conformément à la loi n° 81-766 du 10 août 1981 (JORF du 11 août 1981) relative au prix du livre.
3- En vertu de la loi française du 10 août 1981, tout éditeur ou importateur de livres est tenu de fixer le prix de vente au public des livres qu'il édite ou importe. Les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente au public entre 95 et 100 pour cent de ce prix. La loi prévoit des dérogations à l'obligation de respecter ce prix en faveur de certains organismes privés ou publics, tels que les bibliothèques et les établissements d'enseignement, et autorise des soldes sous certaines conditions. En cas d'infraction aux dispositions de la loi, des actions en cessation ou en réparation peuvent être introduites par des concurrents et par différents types d'associations, et des poursuites pénales sont prévues.
4- En ce qui concerne les livres importés, l'article 1er, dernier alinéa, de la loi du 10 août 1981 dispose que " dans le cas où l'importation concerne des livres édités en France, le prix de vente au public fixé par l'importateur est au moins égal à celui fixé par l'éditeur ". Le décret n° 81-1068 du 3 décembre 1981 (JORF du 4 décembre 1981), pris en application de la loi du 10 août 1981, précise en outre qu' " est considéré comme importateur ... le dépositaire principal de livres importés à qui incombe l'obligation prévue par l'article 8 de la loi du 21 juin 1943 ", à savoir l'obligation du dépôt légal d'un exemplaire complet à la régie du dépôt légal au ministère de l'intérieur.
5- Le Tribunal de grande instance de Nantes, saisi par le Syndicat des libraires de Loire-Océan d'une demande visant à enjoindre aux sociétés Saint-Herblain distribution et Paris distribution, lesquels ont appelé en intervention et déclaration de jugement commun l'Association des centres distributeurs Edouard Leclerc, de cesser de pratiquer un prix de vente pour les livres inférieur à celui fixé en conformité avec la législation susmentionnée, a posé à la Cour la question préjudicielle suivante :
" Les articles 3, sous f, et 5 du traité CEE doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils interdisent l'institution dans un Etat membre, par voie législative ou réglementaire, pour les livres édités dans cet Etat membre et pour ceux qui y sont importés notamment des autres Etats membres, d'un système qui oblige les détaillants à vendre les livres au prix fixé par l'éditeur ou l'importateur sans pouvoir appliquer a ce prix un abattement supérieur à 5 % ? "
6- Il y a lieu de mentionner qu'une question préjudicielle posée dans les mêmes termes par la Cour d'appel de Poitiers dans le cadre d'un litige similaire a fait l'objet de l'arrêt de la Cour du 10 janvier 1985 (Association des centres distributeurs Leclerc et Thouars distribution et autres, 229/83, Rec 1985, p 17).
7- Informé de cet arrêt, le Tribunal de grande instance de Nantes a fait savoir à la Cour que la demande de décision préjudicielle était maintenue.
8- L'examen de la présente affaire n'a fait apparaître aucun élément nouveau par rapport à l'affaire 229/83. Dans ces conditions, il suffit de renvoyer à la motivation de l'arrêt du 10 janvier 1985 dont un exemplaire est joint au présent arrêt.
9- Il y a donc lieu de répondre à la question posée par le Tribunal de grande instance de Nantes, dans les mêmes termes que l'arrêt du 10 janvier 1985,
- qu'en l'état actuel du droit communautaire, l'article 5, alinéa 2, en combinaison avec les articles 3, sous f, et 85 du traité, n'interdit pas aux Etats membres d'édicter une législation selon laquelle le prix de vente au détail des livres doit être fixé par l'éditeur ou l'importateur d'un livre et s'impose à tout détaillant, à condition que cette législation respecte les autres dispositions spécifiques du traité, et notamment celles qui concernent la libre circulation des marchandises ;et que, dans le cadre d'une telle législation nationale, constituent des mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'importation interdites par l'article 30 du traité des dispositions selon lesquelles il incombe à l'importateur d'un livre chargé d'accomplir la formalité du dépôt légal d'un exemplaire de ce livre, c'est-à-dire au dépositaire principal, d'en fixer le prix de vente au détail, ou qui imposent, pour la vente de livres édités dans l'Etat membre concerné lui-même et réimportés après avoir été préalablement exportés dans un autre Etat membre, le respect du prix de vente fixé par l'éditeur, sauf si des éléments objectifs établissent que ces livres ont été exportés aux seules fins de leur réimportation dans le but de tourner une telle législation.
Sur les dépens :
10- Les frais exposés par le Gouvernement français et par la Commission des Communautés Européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
La Cour (troisième chambre),
statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal de grande instance de Nantes, par jugement du 22 novembre 1983, dit pour droit :
1- En l'état actuel du droit communautaire, l'article 5, alinéa 3, en combinaison avec les articles 3, sous f, et 85 du traité, n'interdit pas aux Etats membres d'édicter une législation selon laquelle le prix de vente au détail des livres doit être fixé par l'éditeur ou l'importateur d'un livre et s'impose à tout détaillant, à condition que cette législation respecte les autres dispositions spécifiques du traité et, notamment, celles qui concernent la libre circulation des marchandises.
2- Dans le cadre d'une telle législation nationale, constituent des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation interdites par l'article 30 du traité des dispositions :
- selon lesquelles il incombe à l'importateur d'un livre chargé d'accomplir la formalité du dépôt légal d'un exemplaire de ce livre, c'est-à-dire au dépositaire principal, d'en fixer le prix de vente au détail,
- ou qui imposent, pour la vente de livres édités dans l'Etat membre concerné lui-même et réimportés après avoir été préalablement exportés dans un autre Etat membre, le respect du prix de vente fixé par l'éditeur, sauf si des éléments objectifs établissent que ces livres ont été exportés aux seules fins de leur réimportation dans le but de tourner une telle législation.