Cass. crim., 12 janvier 1994, n° 92-85.125
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. Hébrard
Avocat général :
M. Monestié
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Waquet, Farge, Hazan.
LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par S Eric, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 7 septembre 1992, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, l'a condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d'amende, et qui a prononcé sur les réparations civiles; - Vu les mémoires produits en demande et en défense; - Sur le moyen unique de cassation pris de la violation de l'article 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, des articles 1er, 57 et 61 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, de l'article 4 du Code pénal, des articles 6-3-a et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 34 et 37 de la Constitution, des articles 388, 512 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense et violation du principe de sécurité juridique;
"en ce que l'arrêt attaqué, statuant tant par motifs propres que par adoption des motifs des premiers juges, a déclaré le prévenu coupable du délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur;
"aux motifs que les bijouteries dont S était le gérant faisaient une publicité en faveur d'articles de bijouterie annonçant une réduction de 50 % sur l'or à la caisse; que l'article 3 de l'arrêté du 2 septembre 1977 relatif à la publicité des prix à l'égard des consommateurs précise que "le prix de référence sur lequel s'applique la réduction annoncée "ne peut excéder le prix le plus bas effectivement pratiqué par l'annonceur" pour un article ou une prestation similaire dans le même établissement de vente au détail, au cours des trente derniers jours précédant le début de la publicité"; que le prévenu a été dans l'impossibilité de prouver la réalité de son prix de référence ainsi que lui en fait l'obligation l'article 2 de ce même arrêté; que, se référant alors aux factures d'achat produites par le prévenu et comparant les prix de vente pratiqués par le prévenu et ceux des bijoutiers concurrents pour des articles similaires, l'Administration a établi que les prix de référence annoncés par le prévenu étaient majorés au point qu'après application de la prétendue réduction de 50 %, le coefficient multiplicateur était supérieur à celui pratiqué sans ristourne par la concurrence, si bien que l'annonce de la remise de 50 % était illusoire et de nature à tromper le consommateur sur la valeur des marchandises offertes à la vente;
"alors, de première part, que l'arrêté n° 77-105 P du 2 septembre 1977 n'ayant pas été visé par la poursuite, les juges du fond ne pouvaient, sans excéder leur saisine et violer les droits de la défense, entrer en voie de condamnation à l'encontre du prévenu en se référant au fait qu'il n'aurait pas respecté ces dispositions, ajoutant ainsi une condition qui ne figurait pas dans l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 seul visé par la prévention et modifiant l'élément légal de l'infraction;
"alors, de deuxième part, que l'arrêté du 2 septembre 1977 ayant été pris en application de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix, de l'ordonnance n° 45-1484 du 30 juin 1945 relative à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique et de l'arrêté n° 77-84 P du 29 juin 1977 portant interdiction de la pratique des prix conseillés à la vente de certains produits industriels, a été abrogé par l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et que, dès lors, ses dispositions ne pouvaient être légalement invoquées à l'encontre du prévenu;
"alors, de troisième part, qu'en tout état de cause, il résulte des articles 6-3-a et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, des articles 34 et 37 de la Constitution et de l'article 4 du Code pénal que toute infraction doit être définie en termes clairs et précis pour exclure l'arbitraire; que l'arrêté du 2 septembre 1977 ne figure pas dans la liste des arrêtés visés à l'article 61 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et, à ce titre, maintenus à titre transitoire en vigueur; qu'il ne résulte pas davantage clairement des dispositions de l'article 33, alinéa 2, du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 fixant les conditions d'application de l'ordonnance précitée qu'il ait été maintenu en vigueur; qu'un tel maintien en vigueur par l'autorité réglementaire de textes abrogés par ordonnance paraît au demeurant entaché d'illégalité et que, dès lors, en application du principe susvisé, l'arrêté du 2 septembre 1977 ne pouvait être opposé au prévenu;
"alors, de quatrième part, que les tribunaux ne sont pas liés par une circulaire ministérielle qui fournit l'interprétation d'un texte de loi ou d'un texte réglementaire; que la circonstance que la circulaire du 4 mars 1978 concernant les conditions d'application de l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977 ait inexactement rattaché l'arrêté du 2 septembre 1977 à l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 n'est pas de nature à faire échec à l'abrogation de ce texte;
"alors, de cinquième part, qu'il résulte des propres énonciations de l'arrêt que la publicité incriminée n'était pas de nature à induire en erreur le consommateur moyen pour qui il était évident que le prix de référence auquel s'appliquait la remise était le prix affiché, aisément vérifiable, et ladite remise de 50 % à la caisse étant effectivement pratiquée; qu'en cet état, l'élément matériel du délit n'était pas constitué;
"alors enfin, en tout état de cause, qu'en matière de prix de produits de luxe tels que les bijoux, les conditions de concurrence doivent être appréciées à Paris en fonction du quartier et non globalement pour l'ensemble de la région parisienne";
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, suivant procès-verbaux dressés par les agents de la Direction de la Concurrence et de la Consommation, base des poursuites, visant l'arrêté du 2 septembre 1977, il a été constaté qu'Eric S annonçait une réduction de 50 % à la caisse sur les prix affichés des bijoux en or proposés à la vente;qu'il a été, dès cet instant, mis en demeure, dans les conditions prévues à l'article 3 dudit texte, de justifier de la réduction, objet de la publicité;
Attendu que, pour déclarer S coupable de publicité de nature à induire en erreur, le jugement entrepris et l'arrêt qu'il confirme, après avoir relevé que les prix effectifs demeuraient supérieurs à ceux des détaillants de la région pour des bijoux identiques, retiennent que le prévenu, qui avait détruit les pièces comptables portant sur les prix de référence des trente jours précédant l'ouverture de la publicité, ne proposait aucune justification et en concluent qu'il avait ainsi artificiellement majoré ses prix pour faire apparaître faussement une réduction;
Attendu qu'en l'état de ces constatations, dont il ressort, au sens du dernier alinéa de l'article 3 du texte précité, que S n'avait pas justifié des prix couramment pratiqués par les autres distributeurs du même produit, la cour d'appel a, sans excéder sa saisine ni méconnaître les droits de la défense, par une appréciation souveraine de la valeur des éléments de preuve soumis au débat contradictoire, justifié sa décision sans encourir les griefs allégués;qu'en effet, tombe sous le coup de l'article 44-I de la loi du 27 décembre 1973 toute publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, notamment lorsque les éléments sur lesquels elle porte font l'objet d'une législation ou réglementation spécifique;que, par ailleurs, l'arrêté du 2 septembre 1977 relatif à la publicité des prix à l'égard des consommateurs, pris pour l'application de l'article 33 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 a été comme tel maintenu en vigueur conformément à l'ordonnance du 1er décembre 1986 par l'article 33, alinéa 2, du décret du 29 décembre 1986;d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;
Rejette le pourvoi.