Cass. crim., 20 décembre 1995, n° 95-81.428
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon
Rapporteur :
Mme Ferrari
Avocat général :
M. Galand
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, du 8 février 1995, qui, pour infractions à la réglementations de la publicité des prix, l'a condamné à 61 amendes de 200 francs et 8 amendes de 100 francs et a statué sur les intérêts civils. - Vu le mémoire produit ; - Attendu que les contraventions poursuivies, commises avant le 18 mai 1995, sont amnistiées par application de l'article 1er de la loi du 3 août 1995 ; qu'en vertu de l'article 21 de cette loi, la Cour de cassation reste cependant compétente pour statuer sur les intérêts civils ; qu'il y a lieu, dès lors, de statuer sur le pourvoi ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 28 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 33 du décret d'application du 29 décembre 1986 et de l'annexe dudit décret, ainsi que des arrêtés 8524/A du 18 mars 1985 et 8350/M du 3 octobre 1983, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X coupable d'avoir, en sa qualité de prestataire de services, omis d'informer les consommateurs sur les prix, les limitations éventuelles de la responsabilité contractuelle ou les conditions particulières de la vente, faute de marquage, d'étiquetage, d'affichage ou de procédé approprié, en l'occurrence faute de présentation à la clientèle de devis détaillés et faute d'indication de la date de rédaction sur les notes et devis et de la date de prestation sur certaines notes ; aux motifs que l'argumentation d'X repose sur un postulat, celui de l'abrogation complète et instantanée de l'ordonnance 45-1483 du 30 juin 1945 et par voie de conséquence de tous les textes réglementaires pris pour son application par l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 86-12463 du 1er décembre 1986. Or ce postulat est erroné. D'une part, et ainsi que cela résulte de la simple lecture de l'article 61 de cette ordonnance, cette disposition de nature législative maintient expressément en vigueur non seulement certains arrêtés relatifs aux prix fondés sur l'ordonnance n° 45-1483 par exception au premier alinéa de son article 1er proclamant le principe de la liberté des prix, mais même les dispositions entières de l'ordonnance abrogée dans un secteur économique déterminé. D'autre part, et s'agissant plus particulièrement non des prix mais de leur publicité et de celle de certaines autres clauses contractuelles essentielles seules en cause dans les poursuites, l'article 28 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 reprend en termes équivalents la délégation donnée au pouvoir réglementaire par les textes correspondants de l'ordonnance du 30 juin 1945 abrogée. Conformément au principe de continuité de la puissance publique, principe général du droit ayant valeur constitutionnelle selon, notamment, la jurisprudence constante du Conseil d'Etat, dès lors que cette délégation législative est maintenue les règlements antérieurs ayant le même objet demeurent effectivement en vigueur tant qu'ils ne sont pas abrogés ou modifiés par une disposition réglementaire postérieure pris conformément à la loi nouvelle. Une modification de la base législative ne saurait donc faire disparaître une infraction également envisagée et réprimée par la loi ancienne et par la loi nouvelle, quand bien même et s'agissant de contraventions la détermination des éléments constitutifs de l'infraction serait déléguée au pouvoir réglementaire par deux lois successives" ; et que par ailleurs, s'agissant de la légalité de l'article 33 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 qui assimile notamment aux infractions aux arrêtés pris en application de l'article 28 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les infractions aux arrêtés ayant le même objet pris en application de l'ordonnance n° 45-1283 du 30 juin 1945 dont il abroge, par ailleurs, le texte répressif antérieur, celui-ci ne fait que tirer les conséquences du maintien de la force exécutoire de ces arrêtés en application de la règle constitutionnelle de continuité de l'Etat ci-dessus rappelée ;
"alors, d'une part, que, l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence, en ses articles 1er et 57, ayant abrogé à compter du 1er janvier 1987 les ordonnances n° 45-1483 et n° 45-1484 du 30 juin 1945, les poursuites exercées sur le fondement d'un arrêté pris le 18 mars 1985 (n° 8524/A) en application de ces textes manquent de toute base légale, ledit arrêté ne figurant pas parmi ceux des arrêtés généraux maintenus en vigueur à titre transitoire par l'article 61 de la nouvelle ordonnance et énumérés à l'annexe I de son d'application n° 86-1309 du 29 décembre 1986 ;
"alors, d'autre part, que, si l'article 28 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 prévoit effectivement la nécessité pour tout prestataire de services d'informer le consommateur sur les prix et conditions particulières de la vente, cet article stipule que les modalités en seront déterminées par arrêté du ministre chargé de l'Economie après consultation du conseil national de la consommation ; qu'aucun arrêté n'ayant été pris, en application dudit texte, en ce qui concerne le service des pompes funèbres, ni l'arrêté n° 85-124 du 18 mars 1986, ni l'arrêté n° 8450-1 du 3 octobre 1983 relatif à la publicité des prix de tous les services, pris sur le fondement de l'ordonnance de 1945 et nécessairement abrogés par l'ordonnance de 1986 puisqu'ils n'ont pas été expressément maintenus à titre transitoire par son décret d'application, ne sauraient permettre de déterminer ensuite les éléments constitutifs de l'infraction prévue en termes généraux par ladite ordonnance, en ce qui concerne précisément les services et prestations fournis par ce secteur particulier d'activités, en sorte que l'arrêt, qui fonde la condamnation du prévenu sur la méconnaissance de ces dispositions qui lui étaient inapplicables, encourt l'annulation ;
"alors, enfin, que l'ordonnance du 1er décembre 1986 ayant expressément abrogé l'ordonnance de 1945 et, par voie de conséquence, tous les arrêtés pris en exécution de cette ordonnance, le décret d'application de ladite ordonnance du 1er décembre 1986, pris le 29 décembre suivant, ne pouvait, envers et contre cette ordonnance, faire revivre en son article 33 "les arrêtés relevant du même objet que l'article 28, pris en application de l'ordonnance de 1945", puisque ces arrêtés avaient été précédemment anéantis par l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Attendu qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'X a fourni en 1991 des prestations funéraires sans présentation préalable d'un devis ni délivrance d'une note mentionnant la date de sa rédaction et celle de la prestation ; qu'il a été poursuivi pour avoir ainsi contrevenu à l'article 3-2 de l'arrêté alors applicable du 18 mars 1985 relatif aux prix et tarifs des pompes funèbres, et à l'article 3 de l'arrêté du 3 octobre 1983 relatif à la publicité des prix de tous les services, infractions réprimées par l'article 33 du décret du 29 décembre 1986 ;
Attendu que, pour écarter l'exception d'illégalité soulevée par le prévenu, la cour d'appel relève que si l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix a été abrogée par l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'article 28 de ce dernier texte, devenu l'article L. 113-3 du Code de la consommation, a maintenu l'obligation pour tout vendeur ou prestataire de services d'informer le consommateur sur les prix selon des modalités fixées par arrêtés ministériels, comme le prévoyait déjà l'ordonnance abrogée ; que les juges en déduisent que, contrairement aux allégations du prévenu, l'abrogation de l'ordonnance du 30 juin 1945 n'a pas eu pour effet d'entraîner, en matière de publicité des prix, celle des textes pris pour son application et notamment des deux arrêtés ministériels, base de la poursuite ; qu'ils ajoutent que l'article 33 du décret du 29 décembre 1986, fixant les conditions d'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986, n'est dès lors pas illégal en ce qu'il réprime non seulement les infractions aux arrêtés - sur la publicité des prix notamment - prévus à l'article 28 de cette ordonnance mais encore les infractions aux arrêtés ayant le même objet pris en application de l'ordonnance du n° 45-1483 du 30 juin 1945 ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; qu'en effet, les arrêtés ou règlements légalement pris par l'autorité compétente revêtent un caractère de permanence qui les fait survivre aux lois dont ils procèdent, tant qu'ils n'ont pas été rapportés ou qu'ils ne sont pas devenus inconciliables avec les règles fixées par une législation nouvelle ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
I Sur l'action publique :
La déclare éteinte ;
II. Sur l'action civile :
Rejette le pourvoi.