CA Poitiers, ch. corr., 15 décembre 1994, n° 94-00403
POITIERS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. main
Conseillers :
Mme Baudon, M. Hovaere
Avocats :
Mes Charbonnaud, Mazin.
DECISION DONT APPEL:
LE TRIBUNAL a :
- relaxé les prévenus, faute de preuve, des poursuites sur le fondement des articles 66-2 et 72 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971,
- les a déclarés coupables du délit de démarchage en vue de donner des conclusions juridiques,
En répression, les a condamnés, chacun, au paiement d'une amende de 15 000 F,
- reçu l'Ordre des Avocats au barreau du TGI de La Rochelle en sa constitution de partie civile,
- condamné Mr F Michel, Mr G Vincent et la SA "E", solidairement à lui verser 10 000 F à titre de dommages-intérêts,
- ordonné aux frais des condamnés, l'insertion en totalité ou en extrait de ce jugement au choix de la partie civile dans le ou les journaux de son choix sans que le coût total de ces insertions ne puisse excéder 20 000 F.
APPEL A ETE INTERJETE PAR:
- Monsieur F Michel, le 11 mai 1994
- Monsieur G Vincent, le 11 mai 1994
- la SA E, le 11 mai 1994
- Monsieur le Procureur de la République, le 11 mai 1994
- L'Ordre des Avocats du barreau de la Rochelle, le 17 mai 1994.
- Maître Chambonnaud, avocat, a présenté les moyens de défense des prévenus Mr F Michel et Mr G Vincent, a déposé des conclusions en leur faveur et en faveur du civilement responsable la SA E, et a été entendu en sa plaidoirie.
DÉCISION:
La cour vidant son délibéré, Vu le jugement entrepris, dont le dispositif est rappelé ci-dessus, Vu les appels susvisés, réguliers en la forme,
Attendu que Michel F et Vincent G sont prévenus d'avoir en Charente-Maritime, en février 1993, en tous cas depuis temps non prescrit, commis le délit d'exercice illégal d'activités réservées à la profession d'avocat et, d'autre part, le délit de démarchage juridique,
Infractions prévues et réprimées par les articles 66-2, 66-4 et 72 de la loi du 31 décembre 1971 ;
Attendu que, les faits de la cause ayant été exactement exposés par les premiers juges, la cour se réfère sur ce point aux énonciations du jugement attaqué ;
Attendu que, appelants du jugement rappelé en tête du présent arrêt, Messieurs F et G, qui ont régulièrement déposé des conclusions, sollicitent leur relaxe sur les deux chefs de prévention, alors que le tribunal ne les avait relaxés que pour l'infraction à l'article 72 de la loi du 31 décembre 1971 ;
Que la société E, citée en qualité de civilement responsable, conclut dans le même sens pour solliciter sa mise hors de cause ;
Attendu que les prévenus font valoir pour l'essentiel :
- que la prestation proposée par le cabinet E, dés lors qu'elle concernait l'évaluation des immobilisations corporelles, entrait directement dans son objet social,
- qu'en s'adressant à un avocat, le cabinet E s'abstenait par-là même d'exercer lui-même l'activité de conseil juridique qui lui est reprochée,
- qu'en tant qu'agent immobilier la société E aurait été autorisée à exercer à titre accessoire une activité juridique,
- que le délit prévu par l'article 72 de la loi du 31 décembre 1971 est un délit d'habitude,
- qu'en tout état de cause la tentative de commettre l'infraction prévue par l'article 72 de la loi du 31 décembre 1971 n'est pas punissable,
- que la conférence d'information ne peut être en elle-même considérée comme un acte de démarchage,
- que le fait d'avoir fait suivre cette conférence d'une lettre n'entre pas dans la définition de l'acte de démarchage prohibé que donnent les articles 66-4 de la loi du 31 décembre 1971 et 1er du Décret du 25 août 1972, les services propres offerts par le cabinet E consistant seulement dans l'évaluation des immobilisations corporelles,
- qu'en tout état de cause les prévenus, qui se sont bornés à exécuter les instructions de leur employeur, n'ont été animés d'aucune intention coupable,
Attendu que l'Ordre des Avocats du barreau de la Rochelle, partie civile, soutient que les deux infractions sont constituées ; que, selon l'Ordre, le fait, pour le cabinet E, d'avoir proposé ses services en matière juridique implique qu'il pratiquait déjà habituellement l'activité juridique en cause, de sorte qu'il y aurait bien exercice effectif de la consultation juridique et non simple tentative ;
Attendu que l'Ordre sollicite 50 000 F à titre de dommages-intérêts, à la charge des prévenus et de la société E, in solidum entre eux, ainsi que la publication de la décision à intervenir dans le quotidien régional Sud-Ouest et dans deux quotidiens nationaux de son choix;
Attendu que le Ministère public requiert la confirmation du jugement ;
Attendu que c'est avec raison et par de justes motifs que le tribunal, après avoir estimé que les prévenus avaient, pour le compte de la société E, leur employeur, proposé par la lettre circulaire diffusée en février 1993 un service consistant en une consultation juridique réservée par la loi à la profession d'avocat, a jugé que cette offre constituait non le délit prévu par l'article 72 de la loi du 31 décembre 1971, mais une simple tentative de ce délit, non punissable en l'absence d'un texte spécial ;
Attendu que c'est encore à bon droit que les premiers juges ont retenu Messieurs G et F dans les liens de la prévention concernant le délit de démarchage ;
Attendu qu'en effet, dans l'offre de prestation que contenait la lettre circulaire incriminée, signée de Messieurs G et F et à l'en tête "E", on ne peut dissocier ce qui relèverait de la société E elle-même, entrant dans son objet social - "nous vous proposons un examen approfondi de votre dossier de taxe professionnelle et foncière"- de ce qui ressortirait à l'activité propre de Maître Epailly, Avocat: "Me Epailly... assurera le suivi des dossiers jusqu'à l'obtention de tous les dégrèvements" ;
Qu'en effet, cette proposition commerciale, dont il est indiqué qu'elle fait suite à la conférence "organisée le 11 février 1993 par l'Union Patronale de Charente-Maritime et par les E", est faite à l'initiative de la société E, sous la signature de deux de ses cadres ; que la prestation de Me Epailly est présentée non comme une prestation distincte mais comme partie intégrante de la prestation globale proposée, consistant en un diagnostic, puis un examen approfondi, enfin un suivi du dossier jusqu'à l'obtention d'un dégrèvement; qu'au demeurant Me Epailly est qualifié "notre fiscaliste" ; qu'en ce qui concerne les honoraires, la lettre indique "honoraires sont déterminés...", ce qui implique que les services de Me Epailly ne devaient pas donner lieu à rémunération distincte par le client mais se trouvaient compris dans la rémunération globale demandée par la société E; qu'enfin le coupon-réponse était à adresser à la seule société "E" ;
Attendu que le démarchage en vue de donner des consultations juridiques, réprimé par les articles 66-4 et 72 de la loi du 31 décembre 1971, consiste, selon l'article 1er du Décret du 25 août 1972, à offrir ses services en vue de donner des consultations en matière juridique ;que, si le texte réglementaire énonce quelques exemples des formes que peut revêtir l'offre de service prohibée : "se (rendre) personnellement ou envoyer un mandataire soit au domicile ou à la résidence d'une personne, soit sur les lieux de travail, de repos, de traitement ou dans un lieu public" ce membre de phrase est précédé de l'adverbe "notamment", ce qui implique que l'énumération des modalités ainsi envisagées n'a pas de caractère limitatif ;
Que le démarchage prohibé est caractérisé par l'offre de service, quelle qu'en soit la forme ; que l'offre par lettre-circulaire, réalisée en l'espèce, entre ainsi dans les prévisions de l'article 66-4 précité ;
Attendu que la peine prononcée contre chacun des deux prévenus est juste et adaptée ;
Attendu que la société E ne discute pas sa qualité de civilement responsable ;
Attendu que le tribunal a exactement apprécié le préjudice subi par l'Ordre des Avocats du barreau de la Rochelle ;
Que la publication sollicitée constitue une réparation adaptée ; que le publication du présent arrêt sera ordonnée suivant les modalités prévues par le jugement ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, sur appel en matière correctionnelle et en dernier ressort ; Reçoit les appels, réguliers en la forme ; Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions, tant pénales que civiles ; Ordonne la publication du présent arrêt, par extraits, dans les quotidiens régionaux ou nationaux du choix de la partie civile, aux frais des condamnés, sans toutefois que le coût global de ces insertions puisse excéder 20 000 F ; Condamne Messieurs F et G aux frais de l'action civile.