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Décisions

CJCE, 7 février 1985, n° 240-83

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Procureur de la République

Défendeur :

Association de défense des brûleurs d'huiles usagées (ADBHU)

CJCE n° 240-83

7 février 1985

LA COUR,

1. Par jugement du 23 mars 1983, parvenu a la Cour le 24 octobre suivant, le Tribunal de grande instance de Créteil a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives a l'interprétation et a la validité de la directive 75-439 du Conseil, du 16 juin 1975, concernant l'élimination des huiles usagées (JO l 194, p . 23), en vue d'apprécier la compatibilité avec la législation communautaire du décret français n° 79-981, du 21 novembre 1979, portant réglementation de la récupération des huiles usagées (JORF du 23 novembre 1979, p . 2900) et de ses arrêtés d'application, dans la mesure ou cette réglementation comporte une interdiction de l'utilisation de ces huiles comme combustible.

2. Sur la base de ces dispositions françaises, le Procureur de la République a requis, devant le Tribunal de grande instance de Créteil, la dissolution de l'Association de défense des brûleurs d'huiles usagées ( ci-après ADBHU ) au motif que son but et son objet seraient illicites. En effet, l'ADBHU aurait pour objet de défendre les fabricants, négociants et utilisateurs de poêles et générateurs de chauffage qui brûlent aussi bien du fuel que des huiles usagées, brûlage qui, selon la réglementation française, serait interdit.

3. Les articles 2 à 4 de la directive 75-439 disposent que les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que soient assurées la collecte et l'élimination inoffensive, de préférence par réutilisation, des huiles usagées. L'article 5 de la directive dispose que, "lorsque les objectifs définis aux articles 2, 3 et 4 ne peuvent être atteints autrement, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour qu'une ou plusieurs entreprises effectuent la collecte des produits offerts par les détenteurs et/ou l'élimination de ces produits, le cas échéant, dans la zone qui leur est attribuée par l'administration compétente." En outre, l'article 6, paragraphe 1, de la directive dispose que "toute entreprise qui élimine les huiles usagées doit obtenir une autorisation." Par ailleurs, les articles 13 et 14 prévoient qu'une indemnité, finance la CEE sur la base du principe "pollueur-payeur" et ne dépassant pas les coûts annuels et réels, pourrait être accordée aux collecteurs et/ou éliminateurs d'huiles usagées en contrepartie de leurs obligations imposées en vertu de l'article 5 de la directive.

4. En application de cette directive, le Gouvernement français a adopté le 21 novembre 1979 le décret n° 79-981 portant réglementation de la récupération des huiles usagées et deux arrêtés d'application du même jour, précités. En vertu de ces dispositions, le territoire français a été divisé en zones et un système d'agrément tant au niveau des ramasseurs d'huiles usagées qu'au niveau des entreprises chargées de l'élimination de ces huiles a été instauré. Aux termes de l'article 3 du décret n° 79-981, les détenteurs des huiles usagées doivent soit les remettre aux ramasseurs agrées conformément a l'article 4 du même décret, soit les mettre directement a la disposition d'un éliminateur ayant obtenu l'agrément prévu a l'article 8 du même décret, soit en assurer eux-mêmes l'élimination s'ils disposent de cet agrément. L'article 6 du décret impose aux ramasseurs l'obligation de céder les huiles collectées aux éliminateurs agréés. L'article 7 prescrit que les seuls modes d'élimination autorisés pour les huiles usagées . . . sont le recyclage ou la régénération dans des conditions économiques acceptables ou, a défaut, l'utilisation industrielle comme combustible. Précisant davantage cette dernière possibilité, l'article 2, paragraphe 2, de l'arrêté d'application relatif aux conditions d'élimination des huiles usagées prévoit que l'élimination par brûlage se ferait "dans des installations agréés au titre de la protection de l'environnement."

5. La réglementation en question ayant été adoptée en application de la directive 75-439 en cause, l'ADBHU a soulevé, devant la juridiction nationale, la question de savoir si cette directive peut constituer un support juridique pour l'interdiction du brûlage des huiles usagées. Par ailleurs, des doutes ont été exprimés quant à la validité de la directive au regard de certains principes fondamentaux du droit communautaire.

6. C'est dans ces conditions que le Tribunal de grande instance de Créteil a sursis à statuer et a adressé à la Cour une demande préjudicielle portant sur l'interprétation et la validité de la directive 75-439 en lui demandant de préciser :

"- si elle est conforme aux principes de liberté du commerce, de libre circulation des marchandises, de libre concurrence, institues par le traité de Rome, compte tenu de ce que les articles de ladite directive (articles 5 et 6) donnent pouvoir à l'administration des Etats de définir des zones qui seraient attribuées à une ou plusieurs entreprises agrées par ladite administration chargées par elle de la collecte et de l'élimination des déchets (et) (articles 13 et 14) permettent l'octroi de subventions ;

- si par ailleurs cette directive constitue un support juridique justifiant l'interdiction du brûlage des huiles usagées."

7. Sur la validité de la directive la formule employée dans la première question préjudicielle met en cause la validité de la directive dans son ensemble, mais, pour des raisons qui visent plus particulièrement les dispositions qui prévoient l'attribution éventuelle de zones exclusives aux entreprises de collecte des huiles usagées, l'obligation d'agréation préalable des entreprises chargées de l'élimination et la possibilité d'octroi des indemnités aux entreprises de collecte et d'élimination des huiles usagées.

8. Dans ces conditions, il est opportun d'examiner, d'une part, les dispositions de la directive concernant le système de zonage (article 5) et d'autorisation préalable pour les entreprises d'élimination (article 6) et, d'autre part, le système d'octroi des indemnités (articles 13 et 14).

9. En ce qui concerne les articles 5 et 6 de la directive, la juridiction nationale pose la question de la compatibilité du régime des autorisations en cause avec les principes de la liberté du commerce, de la libre circulation des marchandises et de la libre concurrence, sans autres précisions. A cet égard, il est à rappeler que les principes de la libre circulation des marchandises et de la libre concurrence, ainsi que le libre exercice du commerce en tant que droit fondamental, constituent des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect. Il convient donc d'examiner les dispositions de la directive susmentionnées à la lumière de ces principes.

10. En ce qui concerne la compatibilité du système agrément par zones, pour la collecte des huiles usagées, avec le principe de la libre circulation des marchandises, la Commission et le Conseil, ainsi que le Gouvernement italien, soulignent, dans leurs observations, d'abord, que l'article 5 de la directive n'autorise l'instauration des zones qu'exceptionnellement, notamment dans des cas ou aucun autre système, moins contraignant, ne parait praticable. Ils font ensuite valoir que la directive dans son ensemble ne fait pas obstacle à ce que les huiles usagées circulent librement, conformément au traité.

11. Tout en admettant qu'un système d'agrément comporte en principe un effet restrictif pour l'exercice de la liberté du commerce, le Conseil et la Commission font valoir que la mesure envisagée par l'article 6 de la directive poursuit un objectif d'intérêt général visant a assurer que l'élimination des huiles usagées soit faite d'une façon qui ne cause pas de préjudice a l'environnement.

12. Il est à observer en premier lieu que le principe de la liberté du commerce n'est pas à considérer d'une manière absolue mais est assujetti a certaines limites justifiées par les objectifs d'intérêt général poursuivis par la Communauté, dès lors qu'il n'est pas porté atteinte à la substance de ces droits.

13. Rien ne permet de conclure que la directive a dépassé ces limites. Cette directive se situe en effet dans le cadre de la protection de l'environnement, qui est un des objectifs essentiels de la Communauté. Il résulte plus particulièrement de ses troisième et septième considérants que toute réglementation en matière d'élimination des huiles usagées doit avoir comme objectif la protection de l'environnement contre les effets préjudiciables causés par le rejet, le dépôt ou le traitement de ces produits. Il résulte aussi de l'ensemble de ses dispositions que la directive prend soin d'assurer le respect des principes de proportionnalité et de non-discrimination dans les cas ou certaines restrictions s'avéreraient nécessaires. En particulier, par son article 5, elle autorise l'instauration du système de zonage "dans les cas où les objectifs définis aux articles 2, 3 et 4 ne peuvent être atteints autrement."

14. En second lieu, en ce qui concerne la libre circulation des marchandises, il est a souligner que les dispositions de la directive doivent être interprétées à la lumière de son septième considérant, qui prévoit que le système de traitement des huiles usagées ne doit pas entraver les échanges intracommunautaires . Comme la Cour a déjà dit pour droit dans son arrêt du 10 mars 1983 (inter huiles, 172-82, rec. . p. 555) à propos de ce même système de zonage, un tel droit exclusif ne saurait avoir pour conséquence nécessaire d'autoriser les gouvernements des Etats membres à établir des barrières aux exportations. En effet, un tel cloisonnement des marches n'est pas prévu dans la directive du Conseil et serait contraire aux objectifs définis dans celle-ci.

15. Il découle de ce qui précède que les mesures prévues par la directive ne peuvent pas entraver les échanges intracommunautaires et que si ces mesures, et notamment les autorisations préalables, sont susceptibles d'avoir un effet restrictif sur le libre exercice du commerce et la libre concurrence, elles ne doivent toutefois pas être discriminatoires ni dépasser les restrictions inévitables justifiées par la poursuite de l'objectif d'intérêt général qu'est la protection de l'environnement. Dans ces conditions, les dispositions des articles 5 et 6 ne peuvent être considérées comme incompatibles avec les principes fondamentaux susmentionnés du droit communautaire.

16. En ce qui concerne les articles 13 et 14 de la directive les articles en question prévoient la possibilité de faire bénéficier les entreprises de collecte et/ou d'élimination des huiles usagées d'indemnités pour les services rendus.

17. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que la question qui se pose est celle de la compatibilité de ces indemnités avec les exigences de la libre concurrence, et notamment avec les articles 92 a 94 du traité, qui interdisent les aides accordées par les Etats membres.

18. A cet égard, la Commission et le Conseil font valoir a juste titre dans leurs observations qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'aides au sens des articles 92 et suivants du traité CEE, mais de prix représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises de ramassage ou d'élimination.

19. Il importe en outre de relever que, selon le deuxième alinéa de l'article 13 de la directive,"lesdites indemnités ne doivent pas créer de distorsions significatives de concurrence ni créer des courants artificiels d'échanges de produits."

20. On ne saurait par conséquent considérer que les articles 13 et 14 de la directive sont contraires au principe de la libre concurrence.

21. Dans ces conditions, il convient de répondre a la première question préjudicielle que l'examen des articles 5, 6, 13 et 14 de la directive 75-439 du Conseil, du 16 juin 1975, n'a révèle aucun élément de nature a mettre en doute leur validité.

22. Sur l'interprétation de la directive il ressort de l'ordonnance de renvoi et des éléments du dossier que la réglementation française, autorise le brûlage des huiles usagées seulement dans des installations industrielles, interdisant ainsi toute autre forme de brûlage.

23. Par le deuxième volet de la question préjudicielle, la juridiction de renvoi pose la question de savoir si la directive 75-439, en application de laquelle la réglementation française a été adoptée, justifie l'interdiction de brûlage des huiles usagées.

24. Les Gouvernements allemand, français et italien, ainsi que la Commission, proposent une réponse affirmative à cet égard. Ils font valoir que le brûlage incontrôlé des huiles usagées constitue un facteur important de pollution de l'air et que, par conséquent, une interdiction du brûlage dans les installations qui ne sont pas susceptibles d'offrir des garanties suffisantes est conforme aux objectifs de la directive 75-439. Le Gouvernement italien ajoute que l'élimination des huiles usagées par combustion doit être réglementée et contrôlée sous l'angle des personnes agréées à la pratiquer.

25. Comme cela a déjà été souligné, l'objectif principal de la directive est l'élimination inoffensive pour l'environnement des huiles usagées, objectif que l'article 2 impose comme obligation aux Etats membres.

26. La directive prévoit notamment dans son article 3 que les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que, dans la mesure du possible, l'élimination des huiles usagées soit effectuée par réutilisation (régénération et/ou combustion) a des fins autres que la destruction et dans son article 4 que les Etats membres interdisent tout dépôt, rejet ou traitement de ces huiles d'une façon qui provoquerait des effets préjudiciables pour les eaux, le sol et l'air.

27. Afin d'assurer le respect de ces mesures, l'article 6 de la directive dispose que toute entreprise qui élimine les huiles usagées doit obtenir une autorisation, accordée par l'Administration nationale compétente, pour autant que de besoin après examen des installations et visant à imposer les conditions requises par l'état de la technique.

28. Outre ce contrôle préventif, des mesures de contrôle a posteriori sont prévues par les articles 11 et 12 de la directive, qui exigent, d'une part, la communication par les entreprises des renseignements sur l'élimination et le dépôt des huiles usagées et de leurs résidus et, d'autre part, le contrôle périodique de ces entreprises, notamment en ce qui concerne le respect des conditions requises par l'autorisation.

29. Il découle de ces dispositions que la directive impose aux Etats membres d'interdire toute forme d'élimination des huiles usagées qui auraient des effets préjudiciables sur l'environnement. C'est dans ce but que la directive oblige les Etats membres a instituer un système d'agrément préalable et de contrôle a posteriori efficace.

30. Il convient donc de répondre à la deuxième question que l'interdiction de brûlage des huiles usagées a des conditions autres que celles permises dans le cadre d'une réglementation du type de la réglementation française n'est pas incompatible avec la directive 75-439.

31. Sur les dépens les frais exposés par les Gouvernements allemand, français et italien, ainsi que par la Commission et le Conseil des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, a l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient a celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elles soumises par le Tribunal de grande instance de Créteil, par jugement du 23 mars 1983, dit pour droit :

1) l'examen des articles 5, 6, 13 et 14 de la directive 75-439 du Conseil, du 16 juin 1975, n'a révèlé aucun élément de nature a mettre en doute leur validité.

2) l'interdiction de brûlage des huiles usagées à des conditions autres que celles permises dans le cadre d'une réglementation du type de la réglementation française n'est pas incompatible avec la directive 75-439.