Cass. crim., 11 avril 1996, n° 95-82.188
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Blin
Rapporteur :
Mme Ferrari
Avocat général :
M. Amiel
Avocat :
Me Choucroy
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par D Isabelle, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, du 14 mars 1995, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, l'a condamnée à 100 000 francs d'amende, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 485 du Code de procédure pénale, 593 du même Code, violation des droits de la défense ;
"en ce que l'arrêt attaqué a écarté l'exception tirée de la nullité du jugement qui ne vise aucun texte ;
"aux motifs que la cour constate qu'Isabelle D connaît parfaitement le fondement juridique de sa condamnation qui - contrairement à ce qui est soutenu - est nécessairement, en l'absence de poursuites du Parquet et d'ouverture d'information, celui de la citation directe à elle délivrée par la partie civile ; "que la demanderesse peut difficilement ignorer qu'elle est poursuivie pour publicité mensongère ; qu'en effet, la cour observe qu'elle a été citée directement par la partie civile, une première fois le 7 avril 1992 ; que la citation précise que les faits reprochés "constituent à l'évidence une publicité trompeuse ou de nature à induire le consommateur en erreur sur les qualités substantielles du service rendu, qu'ils tombent sous le coup de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973" ; "qu'elle a été citée une deuxième fois dans les mêmes termes, le 30 juin 1992, pour l'audience du 14 septembre 1992 ; "qu'ayant fait défaut, le jugement rendu le 26 octobre 1992 par défaut lui a été signifié le 24 février 1993 ; que cette décision comportait mention de la prévention ainsi que de tous les textes y afférents ; "qu'ayant fait régulièrement opposition, elle était présente et assistée de son conseil à l'audience du 18 octobre 1993, qu'elle a été interrogée sur les faits reprochés ainsi qu'il appert des notes d'audience ; "que si, force est de constater que le jugement dont appel - du 18 octobre 1993 - ne vise aucun texte, il n'en demeure pas moins qu'Isabelle D ne peut valablement soutenir que cette absence lui a fait grief dans la mesure où elle a eu parfaitement connaissance des faits reprochés par les différents exploits et significations ci-dessus rappelés, étant observé que la décision critiquée rappelle que la confédération syndicale du cadre et vie l'avait fait citer "pour y répondre du délit de publicité mensongère commis de février à avril 1992", prévention sur laquelle elle s'est ensuite longuement expliquée à l'audience ; "que l'omission de viser les textes répressifs appliqués ne saurait donner ouverture à annulation lorsqu'il n'existe aucune incertitude quant aux infractions retenues contre la prévenue, aux textes dont il lui a été fait application ainsi qu'aux peines qui lui ont été infligées ;
"alors que tout jugement énonce les infractions dont les personnes citées sont déclarées coupables ou responsables ainsi que le texte de loi applicable ; que l'omission de viser dans le dispositif du jugement les textes répressifs appliqués constitue une violation de l'article 485 du Code de procédure pénale" ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité du jugement reprise au moyen, les juges du second degré relèvent que l'omission de viser dans le dispositif de la décision les textes de loi appliqués n'a pas eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la prévenue, dès lors que celle-ci en avait eu connaissance par la citation ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir le grief allégué ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 122-3 du Code pénal, L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, alinéa 1, L. 213-1 du Code de la consommation, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la prévenue coupable de publicité mensongère ;
"aux motifs qu'il est constant que de février à avril 1992 de nombreux panneaux d'affichage apposés à Paris annonçaient aux consommateurs potentiels : "plein de conseils et d'astuces pour réduire vos dettes - 3617 xxx" ; "que la cour observe que le contrat dit "d'hébergement" signé le 26 septembre 1991 entre les sociétés Y (le client) et Z (le serveur), dont la prévenue et son concubin Didier K sont respectivement les gérants, ne peut dissimuler que l'annonceur véritable de la publicité litigieuse est la société X ; "que la cour relève au demeurant qu'il résulte de l'article 4 dudit contrat que la propriété intellectuelle et commerciale des services appartient aux "clients" c'est-à-dire à la société X qui est ainsi bénéficiaire des publicités illicites ; qu'en la matière l'annonceur pour le compte duquel la publicité est diffusée est responsable de l'infraction commise et que si le contrevenant est une personne morale, la responsabilité incombe à ses dirigeants ; "que vainement Isabelle D soutient dans ses écritures, pour tenter de s'exonérer de sa responsabilité personnelle, que son concubin Didier K est le véritable animateur de la société X ; "qu'il lui appartenait, en effet, en sa qualité de gérante de droit de cette société de s'assurer du caractère licite de la sincérité de la publicité diffusée ; "que pas davantage elle ne peut invoquer utilement une erreur sur le droit aux motifs de ce que la campagne publicitaire litigieuse se serait inspirée d'un "guide de survie de l'endetté" et qu'elle aurait consulté, avec Didier K, à plusieurs reprises un avocat à Thionville sur le caractère licite de l'opération envisagée ; "que la Cour constate, en effet, que la lecture d'un ouvrage auto-édité par un parfait inconnu et la consultation - d'ailleurs simplement alléguée - auprès d'un avocat ne peuvent suffire à justifier une erreur invincible sur le droit au sens de l'article 122-3 du Code pénal ;
"alors que, d'une part, c'est l'annonceur pour le compte duquel la publicité est diffusée qui est pénalement responsable de l'infraction résultant d'une publicité de nature à induire en erreur et que lorsque l'annonceur est le dirigeant de fait d'une personne morale, la responsabilité pénale de l'infraction incombe à ce dirigeant ; que, dès lors, en l'espèce, où les juges du fond n'ont pas nié que Didier K, compagnon de la demanderesse, était l'annonceur et le dirigeant de fait de la société ayant fait paraître la publicité litigieuse, la cour ne pouvait déclarer la demanderesse pénalement responsable en sa seule qualité de dirigeante de droit d'une personne morale sans rechercher si, comme le soutenait la demanderesse, Didier K, gérant de fait, ne pouvait être tenu pour seul responsable en sa qualité d'annonceur et de gérant de fait de l'infraction incriminée ;
"alors, d'autre part, que l'erreur de droit exonère de sa responsabilité la personne qui justifie avoir cru pouvoir légitimement accomplir l'acte ; qu'en l'espèce, la demanderesse a justifié dans ses conclusions d'appel avoir consulté, à plusieurs reprises, un avocat à Thionville qui lui a certifié que Didier K et elle-même pouvaient, sans aucun risque et en toute légalité procéder à l'opération envisagée ; que pareille circonstance justifie l'erreur de droit ; que pour en avoir autrement décidé, la Cour n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1, L. 213-1 du Code de la consommation, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la prévenue coupable de publicité mensongère ;
"aux motifs qu'il est constant que de février à avril 1992 de nombreux panneaux d'affichage apposés à Paris annonçaient aux consommateurs potentiels : "plein de conseils et d'astuces pour réduire vos dettes - 3617 xxx" ; "que les consommateurs surendettés, séduits par cette publicité et qui recouraient au Minitel au prix de 2,19 francs la minute, recevaient en fait les informations et les conseils suivants : "- il y a des paiements pour lesquels il y a prescription : on ne peut plus vous attaquer après un certain nombre d'années, ces prescriptions sont de : "- moins de 10 ans pour un crime, "- moins de 4 ans pour une plainte au pénal contre un escroc, "-moins d'un an pour une contravention. "-Biens insaisissables -article 592 de l'ancien Code de procédure pénale ; il est des biens que l'on ne peut vous saisir ; "- vous achetez une voiture à crédit, vous payez normalement les premières traites puis vous disparaissez dans la nature. Si votre créancier ne vous retrouve pas au bout de deux ans, la voiture n'est plus saisissable car il y a prescription de la dette ; "Imaginons que vous habitez Paris et que vous soyez couvert de dettes, vous décidez de déménager afin d'échapper à vos créanciers en vous installant à Marseille, votre créancier devra reprendre la procédure à Marseille. Si votre créance est faible (moins de 7 000 francs) les frais que votre créancier devra supporter lui feront abandonner l'affaire ; "- au cas où vous avez plusieurs dettes, la solution qui se présente à vous est de changer régulièrement de domicile afin de brouiller les pistes - on appelle ça des "résidences à ressorts" ; " - vous louez un studio miteux qui sera votre domicile et, sous un autre nom, un appartement où vous avez directement mis vos meubles ; "- pour tromper l'huissier qui viendra vous faire la signification, il faut que vous laissiez votre nom sur la boîte à lettres" ; "et que, par ailleurs, parmi les indications données, il était conseillé de s'adresser à l'une des principales organisations de consommateurs, la CSCV, qui pouvait paraître ainsi cautionner le service télématique concerné ; "que le caractère trompeur de la publicité critiquée est, sans conteste, établi en l'espèce, les "conseils" sommaires ou parfaitement erronés ainsi prodigués étant de nature, loin d'améliorer la situation des consommateurs potentiels, à les exposer, bien au contraire, à des poursuites pénales ou, à tout le moins, à les priver du bénéfice de la bonne foi dans le cadre de la loi Neiertz sur le surendettement ;
"alors que, d'une part, la publicité mensongère suppose que le message incriminé puisse induire en erreur un consommateur moyen ; qu'en l'espèce, faute d'avoir recherché si les indications données aux consommateurs pour réduire leurs dettes étaient de nature à tromper ou induire en erreur un consommateur moyen, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors, d'autre part, que l'article 121-3 du Code pénal exige la constatation d'une intention, d'une imprudence ou d'une négligence pour tout délit, notamment pour le délit de publicité mensongère ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui n'a caractérisé aucune négligence de la part de la prévenue, n'a pas donné de base légale à sa décision" ;
Les moyens étant réunis ; - Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, après avoir écarté à juste titre l'erreur sur le droit invoquée par la prévenue comme cause d'irresponsabilité pénale, a caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit de publicité trompeuse dont elle l'a déclarée coupable en sa qualité de représentante légale de l'annonceur, personne morale ;d'où il suit que les moyens qui remettent en discussion l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.