Cass. crim., 20 décembre 1988, n° 87-90.737
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
M. Guilloux
Avocat général :
M. Robert
Avocat :
Me Choucroy
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par A Rachel épouse J contre un arrêt de la Cour d'appel de Rennes (chambre correctionnelle) du 15 octobre 1987 qui l'a condamnée à 80 000 francs d'amende, pour publicité de nature à induire en erreur, et a ordonné la publication de la décision ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973, 1er de la loi du 1er août 1905, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la demanderesse responsable du délit de publicité mensongère, et l'a condamnée à la peine de 80 000 francs d'amende ;
"aux motifs que " Rachel J, gérante de la SARL X, produit une délégation de pouvoirs en date du 23 septembre 1982, investissant André Y de la direction, du contrôle et de la surveillance de la publicité de la société ; qu'il résulte cependant de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, l'obligation pour le dirigeant d'une personne morale de justifier, s'il désire s'exonérer de sa responsabilité en matière de publicité sur le fondement d'une délégation de pouvoirs, qu'il se trouvait dans l'impossibilité totale d'assurer personnellement le contrôle des campagnes de publicité ; qu'en l'espèce cette preuve n'est nullement rapportée, s'agissant au demeurant d'une campagne nationale ayant nécessité l'engagement de frais importants"
"alors que tout dirigeant d'entreprise soumis à une réglementation sanctionnée pénalement peut s'exonérer de la responsabilité pesant sur lui, en établissant qu'il a délégué ses pouvoirs à un préposé pourvu de la compétence, et investi de l'autorité nécessaire pour veiller efficacement à l'observation de ladite réglementation, et que rien dans l'article 44 susvisé ne permet d'écarter cette règle générale en matière pénale ; qu'en l'espèce la cour d'appel, qui constatait que l'exposante produisait une délégation en bonne et due forme investissant un salarié de la société, dont elle était gérante, du contrôle et de la surveillance de la publicité de cette société, ne pouvait refuser d'exonérer la prévenue de la responsabilité pénale encourue pour publicité mensongère, sans méconnaître le principe sus-énoncé et violer les textes susvisés" ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que la société X, dont Rachel A était la gérante, a effectué, sous la forme d'annonces publiées dans un quotidien local et de dépliants remis au public, une publicité comportant les mentions : "1 000 cuisines de rêve, jusqu'à moins de 50 % du 1er au 30 juin. Prix anniversaire sur 1 000 cuisines de grande marque. Prix d'ouverture fantastique dans tous nos magasins A saisir de suite, prix sacrifiés sur 500 cuisines super-équipées. Du 15 au 23 octobre Service de l'ameublement. Prix sacrifiés sur 50 cuisines à vos mesures" ; que ces promesses s'étant révélées fallacieuses, quant à la réalité et aux modalités des remises annoncées, l'intéressée, ainsi qu'Y André, directeur au sein de ladite société, ont été poursuivis pour publicité de nature à induire en erreur et condamnés, de ce chef, par le tribunal ;
Attendu que pour retenir la prévenue dans les liens de la poursuite la juridiction du second degré, après avoir noté que Mme A "produit une délégation de pouvoirs, en date du 23 septembre 1982, investissant André Y de la direction, du contrôle et de la surveillance de la publicité" de l'entreprise en cause, énonce "qu'il résulte cependant de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, l'obligation, pour le dirigeant d'une personne morale, de justifier, s'il désire s'exonérer de sa responsabilité sur le fondement d'une délégation de pouvoirs, qu'il se trouvait dans l'impossibilité totale d'assurer personnellement le contrôle des campagnes de publicité" ; qu'en l'occurrence "cette preuve n'est nullement rapportée, s'agissant au demeurant d'une campagne nationale ayant nécessité l'engagement de frais importants" ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs la cour d'appel n'a pas encouru les griefs allégués dès lors que, dans un domaine spécifique où le législateur a expressément assigné aux dirigeants de la personne morale qui a contrevenu aux dispositions de l'article 44 susvisé la responsabilité pénale d'une infraction à ce dernier, les juges ont souverainement estimé, eu égard aux circonstances de l'espèce, que la demanderesse ne démontrait pas l'incapacité où elle aurait été de contrôler personnellement la publicité litigieuse, celle-ci n'étant pas au demeurant isolée mais faisant partie d'une importante campagne nationale ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 44-1 de la loi du 27 décembre 1973, 1er de la loi du 1er août 1905, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Mme J coupable de publicité mensongère, eu égard aux mentions "1 000 cuisines de rêve jusqu'à moins 50 %", figurant dans la note d'annonces effectuées par la société X ;
"aux motifs que "le dépliant comportait en première page la mention "1 000 cuisines de rêve jusqu'à moins de 50 %" constitue à l'évidence comme l'a relevé à juste titre le premier juge, dont la motivation ne peut qu'être reprise, le délit de publicité mensongère visé à la prévention ; qu'il résulte en effet de l'examen de ce dépliant et des explications fournies par les prévenus et rappelées ci-dessus que ce texte, présenté comme l'annonce de remise ou de rabais et devant sans aucun doute être perçu comme tel par le consommateur moyen, n'était en réalité que l'engagement de X, au cas où dans le mois de l'achat la même cuisine aurait été trouvée chez un concurrent à un prix inférieur, à rembourser la différence jusqu'à moins 50 %, augmentée de 10 % pour demeurer le moins cher ; "qu'il ne s'agit donc aucunement d'une remise dont le consommateur aurait dû faire le calcul à partir d'un prix de référence, mais seulement d'un engagement à une prestation dont la réalisation était affecté de la plus grande improbabilité pour ce qui concerne le chiffre de 50 % annoncé ; "que si le sens de l'annonce était élucidé par un renvoi par astérisque, jusqu'à la page 3 du dépliant où figurait en caractères discrets le détail de l'engagement, ce renvoi n'était nullement de nature à dissiper le caractère mensonger des mentions attractives de la première page ;
"alors que ne peut constituer une publicité mensongère, au sens de l'article 44 susvisé de la loi du 27 décembre 1973, l'insertion d'une annonce rédigée en termes trop vagues pour induire le consommateur moyen en erreur, et dont le sens est, de surcroît, élucidé par un renvoi par astérisque explicitant le détail de l'engagement du vendeur ; qu'ainsi, en se bornant à indiquer en première page du dépliant, support de l'annonce, "1 000 cuisines de rêve jusqu'au moins 50 %", sans aucune référence aux prix de vente pratiqués dans l'établissement, et en précisant, page 3 de ce même dépliant, que X s'engageait, au cas où, dans le mois de l'achat, la même cuisine aurait été trouvée chez un concurrent à un prix inférieur, à rembourser la différence jusqu'au moins 50 %, augmentée de 10 %, pour demeurer le moins cher, la société X n'a fait publier aucune indication soit fausse, soit de nature à tromper le consommateur, sur le prix du bien faisant l'objet de la publicité, au sens de la loi susvisée, puisque la clientèle ne pouvait, de toute façon, connaître ce prix par la seule consultation de l'annonce litigieuse, aucun prix référence ne figurant dans le texte dont s'agit ; qu'ainsi la cour a violé ces textes susvisés" ;
Attendu que pour confirmer le jugement sur la culpabilité la juridiction du second degré souligne tout d'abord que, la loi du 27 décembre 1973 "tendant à assurer la moralité des relations commerciales en ce qui concerne les offres de contrats sur des produits ou des services", le délit est constitué dès l'instant où la publicité incriminée tend à faire croire que la chose est différente de ce qu'elle est en réalité et peut tromper la clientèle parcequ'elle est émise en termes volontairement ambigus, susceptibles de donner lieu à de fausses interprétations" ;
Attendu qu'examinant ensuite, "telles qu'elles, peuvent être perçues par un consommateur moyen", les mentions du dépliant incriminé, la même juridiction expose les raisons pour lesquelles celles-ci lui apparaissent répréhensibles au regard du texte précité ; qu'à ce sujet elle relève notamment que l'astérisque renvoyant à la page 3 dudit dépliant "où figure, en caractères discrets, le détail de l'engagement pris", n'était nullement de nature à dissiper l'aspect mensonger des indications "attractives" de la première page ;
Attendu qu'en cet état la cour d'appel, appréciant la valeur des éléments de preuve soumis à son examen, a souverainement estimé que la publicité dont il s'agit était propre à induire en erreur des acheteurs moyennement informés et qu'ainsi l'infraction poursuivie était établie à la charge de la prévenue ; qu'elle a de la sorte justifié sa décision sans encourir les griefs allégués au moyen, lequel ne saurait en conséquence être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.