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Décisions

CJCE, 21 mars 1991, n° 303-88

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République italienne

Défendeur :

Commission des Communautés européennes.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Higgins, Moitinho de Almeida, Rodríguez Iglesias, Díez de Velasco

Avocat général :

M. Van Gerven.

Juges :

Sir Gordon Slynn, MM. Kakouris, Schockweiler, Grévisse, Zuleeg

CJCE n° 303-88

21 mars 1991

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 16 octobre 1988, la République italienne a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CEE, demandé l'annulation de la décision 89-43-CEE de la Commission, du 26 juillet 1988, relative aux aides accordées par le Gouvernement italien à ENI-Lanerossi. Cette décision, notifiée au Gouvernement italien par lettre du 10 août 1988, a été publiée au Journal officiel du 20 janvier 1989 (JO L 16, p. 52).

2. Par cette décision, la Commission a constaté que les aides accordées, de 1983 à 1987, au groupe ENI-Lanerossi sous forme d'injections de capitaux dans ses filiales fabriquant des vêtements pour hommes, enfreignaient les dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité, et étaient incompatibles avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité. Elles devaient, dès lors, être retirées par voie de recouvrement.

3. Il ressort de la motivation de la décision litigieuse que l'ENI (Ente nazionale idrocarburi), qui est un holding d'État, a repris la société Lanerossi (ci-après "Lanerossi ") en 1962. Les pertes subies entre 1974 et 1979 par quatre filiales de Lanerossi dans le secteur des vêtements pour hommes, à savoir Lanerossi Confezioni (Arezzo, Macerata, Orvieto), Intesa (Maratea, Nocera, Gagliano), Confezioni di filottrano (Ancona) et Confezioni monti (Pescara) (ci-après "quatre filiales "), ont été compensées par l'État italien. Saisie d'une plainte à cet égard, la Commission a fait savoir au Gouvernement italien, par lettre du 26 juin 1980, que ces aides ne pourraient bénéficier d'une dérogation à la règle de l'incompatibilité énoncée à l'article 92, paragraphe 1, du traité que si elles étaient limitées dans le temps et que si le programme de restructuration qui lui avait été notifié était exécuté de manière à ce que les sociétés concernées retrouvent, à court terme, leur viabilité et leur autonomie.

4. Les difficultés des filiales persistant, la Commission a indiqué, par lettre du 20 mai 1983, que si, compte tenu de l'importance sociale et régionale de ces entreprises, elle ne s'était pas opposée à l'octroi des aides jusqu'à la fin de 1982, elle doutait que celles-ci puissent continuer à être versées sans contrevenir au bon fonctionnement du marché commun. Après avoir rappelé l'obligation incombant aux États membres, en vertu de l'article 93, paragraphe 3, du traité, de notifier les projets tendant à instituer ou à modifier des aides, la Commission a invité le Gouvernement italien à lui faire part de ses intentions dans les deux semaines à compter de la réception de sa lettre. Par télex du 24 juin 1983, le Gouvernement italien a confirmé son intention de notifier toute intervention future en faveur des filiales. Par lettre du 2 novembre 1983, il a d'ailleurs fait savoir à la Commission qu'aucune nouvelle aide n'était envisagée en faveur de ces filiales, la direction d'ENI-Lanerossi jugeant leur restructuration impossible.

5. Avertie par la presse que la compensation des pertes des filiales continuait, alors qu'aucun projet ne lui avait été notifié à cet égard et estimant que cette situation enfreignait les décisions qu'elle avait communiquées à ce Gouvernement, la Commission a engagé la procédure de l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité et, par lettre du 19 décembre 1984, a mis le Gouvernement italien en demeure de présenter ses observations. Cette procédure a abouti, le 26 juillet 1988, à la décision contestée.

6. Le 26 janvier 1989, le Gouvernement italien a présenté une demande en référé visant à obtenir le sursis à l'exécution de l'article 2 de la décision 89-43, précitée, ordonnant la récupération des aides versées. Cette demande a été rejetée par ordonnance du président de la Cour en date du 17 mars 1989.

7. Par ordonnance du 15 mars 1989, la Cour a admis le Gouvernement espagnol à intervenir à l'appui des conclusions du Gouvernement italien.

8. Pour un plus ample exposé des antécédents du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

9. Le Gouvernement italien fait valoir que la décision litigieuse a été prise en violation des articles 92 et 93 du traité. Il invoque, à cet égard, différents moyens tirés successivement de l'inexistence d'une aide d'État, au sens de l'article 92, paragraphe 2, du traité, de la violation du principe d'égalité de traitement entre entreprises publiques et entreprises privées, de l'absence d'effet de l'aide litigieuse sur les échanges et la concurrence communautaires, de la violation de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et c), de la violation du principe de la confiance légitime, de l'illégalité des effets donnés au prétendu défaut de notification et de l'insuffisance de motivation de la restitution des aides demandée. Il invoque enfin un argument tiré de l'impossibilité pratique de récupérer l'aide litigieuse.

Sur l'inexistence d'une aide d'État, au sens de l'article 92 du traité

10. Le Gouvernement italien fait valoir que la Commission n'a pas établi, dans la décision litigieuse, que les 260,4 milliards de LIT, utilisés pour compenser les pertes d'exploitation subies par les filiales de 1983 à 1987, provenaient des fonds étatiques et, par conséquent, que ces injections de capitaux relevaient de la notion d'aide d'État. A cet égard, il précise que, selon les lois qui l'ont créée, l'ENI doit fonctionner, sans entamer le fonds de dotation de l'État, grâce à ses ressources propres provenant de l'autofinancement et du recours aux marchés national et étranger des capitaux. Il ajoute que, s'il est vrai que l'ENI a reçu des fonds de dotation en 1983 et 1985 destinés au secteur textile, la Commission n'a aucunement démontré que les ressources utilisées pour la couverture des pertes des quatre filiales provenaient de ces fonds.

11. Sur ce point, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt du 2 février 1988, Van der Kooy, point 35, 67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219), il n'y a pas lieu de distinguer entre les cas où l'aide est accordée directement par l'État et ceux où l'aide est accordée par des organismes publics ou privés que l'État institue ou désigne en vue de gérer l'aide. En l'occurrence, plusieurs éléments du dossier font apparaître que les apports de capitaux étaient le résultat d'un comportement imputable à l'État italien.

12. Selon la loi n 136 du 10 février 1953 (GURI 1953, n 72) portant création de l'ENI, ce dernier est un organisme public contrôlé par l'État italien et dont les membres du conseil et du comité exécutif sont nommés par décret du président du Conseil des ministres. En outre, si l'ENI est tenu d'opérer selon des critères économiques, il ne dispose pas d'une autonomie pleine et entière, étant donné qu'il doit tenir compte des directives émanant du comitato interministeriale per la programmazione economica (CIPE). Ces éléments, considérés dans leur ensemble, démontrent que l'ENI agit sous le contrôle de l'État italien.

13. En outre, l'ENI peut, avec l'autorisation du ministre des Participations étatiques, émettre des obligations dont le remboursement en capital et intérêts est garanti par l'État. Sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur le point de savoir si cette garantie constitue en elle-même une aide d'État, son existence distingue les emprunts effectués par l'ENI des emprunts effectués normalement par une entreprise privée.

14. Dans ces conditions, la Commission pouvait, à juste titre, qualifier les fonds fournis par l'ENI aux quatre filiales, par l'intermédiaire de la société Lanerossi, comme des interventions étatiques pouvant constituer des aides. Contrairement à ce qui a été soutenu par le Gouvernement italien, il n'est pas nécessaire d'établir que le fonds de dotation reçu par l'ENI de l'État italien était spécifiquement et explicitement destiné à compenser les pertes des quatre filiales. Il suffit de constater, à cet égard, qu'en tout état de cause le fait de recevoir des fonds de dotation a permis à l'ENI de libérer d'autres ressources pour compenser les pertes des quatre filiales.

15. Il y a donc lieu de rejeter le premier moyen avancé par le Gouvernement italien.

Sur la violation du principe d'égalité de traitement entre entreprises publiques et privées

16. Les gouvernements italien et espagnol ont soutenu que la décision litigieuse enfreignait le principe de l'égalité de traitement entre entreprises publiques et privées, consacré par l'article 90 du traité CEE.

17. Ils font valoir qu'il est courant, au sein des groupes industriels privés, de rencontrer des transferts financiers entre sociétés qui servent à compenser les pertes subies par un des membres du groupe. De tels transferts s'expliquent soit par le souci de sauvegarder la réputation du groupe, soit par une stratégie de prix décidée au niveau du groupe, ce qui peut l'amener à supporter des pertes dans un secteur de ses activités pendant une certaine période, ou encore, par une décision de désinvestir progressivement, ce qui peut amener le groupe à supporter les pertes encourues pendant les dernières années d'activité d'un de ses membres. Dès lors, un holding public devrait être autorisé à compenser les pertes d'un de ses membres dans les mêmes conditions qu'un holding privé.

18. Toujours selon ces deux gouvernements, le critère de l'investisseur privé, employé par la Commission pour déterminer si la compensation des pertes s'est faite dans les conditions normales du marché, est trop étroit. Au soutien de cet argument, ils font valoir qu'il y a lieu de distinguer entre, d'une part, l'investisseur privé, qui est mû exclusivement par la recherche du profit, et, d'autre part, un entrepreneur privé, comme un holding industriel dont les décisions peuvent être conditionnées non seulement par les possibilités de rentabilité à court terme, mais également par des considérations d'ordre social ou régional.

19. Il convient, à cet égard, de rappeler que la Commission s'est montrée consciente des implications du principe de l'égalité de traitement entre entreprises publiques et privées dans sa communication aux États membres du 17 septembre 1984, concernant la participation des autorités publiques dans les capitaux des entreprises (publiée dans le Bulletin des CE de septembre 1984). Elle y constate, à juste titre, que son action ne peut désavantager ou favoriser les pouvoirs publics lorsqu'ils procèdent à des apports de capitaux.

20. Il résulte de ce même principe d'égalité de traitement que les capitaux mis à la disposition d'une entreprise, directement ou indirectement, par l'État, dans des circonstances qui correspondent aux conditions normales du marché, ne sauraient être qualifiés d'aides d'État. Dans le cas d'espèce, il y a donc lieu d'apprécier si, dans des circonstances similaires, un groupe industriel privé aurait pu également procéder à la compensation des pertes d'exploitation des quatre filiales entre les années 1983 et 1987.

21. A cet égard, il convient de rappeler que, comme la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, point 15 (234-84, Rec. p. 2263), un associé privé peut raisonnablement apporter le capital nécessaire pour assurer la survie d'une entreprise qui connaît des difficultés passagères, mais qui, le cas échéant, après une restructuration, serait en mesure de retrouver sa rentabilité. Il y a lieu, dès lors, d'admettre qu'une société mère peut également, pendant une période limitée, supporter les pertes d'une de ses filiales afin de permettre la cessation d'activité de cette dernière dans les meilleures conditions. De telles décisions peuvent être motivées non seulement par la probabilité d'en tirer un profit matériel indirect, mais également par d'autres préoccupations, comme le souci de maintenir l'image de marque du groupe, ou de réorienter ses activités.

22. Toutefois, lorsque les apports de capitaux d'un investisseur public font abstraction de toute perspective de rentabilité, même à long terme, de tels apports doivent être considérés comme des aides au sens de l'article 92 du traité, et leur compatibilité avec le marché commun doit être appréciée au regard des seuls critères prévus par cette disposition.

23. Dans la présente affaire, il y a lieu d'observer que les quatre filiales ont subi des pertes de façon continue de 1974 à 1987 et que les pertes d'exploitation compensées entre 1983 et 1987 étaient à peu près équivalentes au chiffre d'affaires des quatre filiales pendant cette même période. En outre, la direction d'ENI-Lanerossi s'est déclarée, en 1983, convaincue de l'impossibilité d'une restructuration des quatre filiales, mais a, par la suite, seulement entrepris un exercice de reconversion qui a abouti, en janvier 1988, à leur transfert au secteur privé. Il est d'ailleurs constant que le secteur dont relevaient ces filiales, à savoir celui des vêtements pour hommes, était en situation de crise caractérisée par de graves problèmes d'adaptation en raison des surcapacités structurelles, de la faiblesse des prix et d'une vive concurrence tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Communauté.

24. Dans ces conditions et compte tenu de la durée de la période pendant laquelle l'ENI-Lanerossi a maintenu son appui financier aux quatre filiales, la Commission a pu, à juste titre, estimer que la compensation des pertes s'était faite dans des conditions qui auraient été inacceptables pour un investisseur privé travaillant dans les conditions normales du marché et qu'aucun investisseur privé, même un holding industriel, n'aurait pris en compte des préoccupations dont ont fait état les gouvernements italien et espagnol et qui ont été rappelées ci-avant. La Commission a donc pu constater qu'aucun investisseur privé n'aurait couvert des pertes de capitaux d'une telle ampleur pendant une aussi longue période. Il convient de considérer, par conséquent, que les interventions de l'ENI constituaient des aides d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CEE.

25. Il y a donc lieu de rejeter le deuxième moyen avancé par le Gouvernement italien.

Sur l'absence d'effets de l'aide litigieuse sur les échanges et la concurrence communautaires

26. Le Gouvernement italien soutient que la Commission n'a pas suffisamment motivé sa conclusion selon laquelle les aides aux quatre filiales étaient susceptibles d'affecter les échanges entre États membres et de fausser la concurrence. A cet égard, il relève que la production des filiales, qui ne représentait que 2,5 % de la production italienne dans le secteur des vêtements pour hommes et 0,33 % de l'exportation italienne dans ce même secteur, était trop faible pour avoir un impact sur les échanges communautaires, et notamment pour faire obstacle aux exportations des autres États membres vers l'Italie.

27. Il convient d'observer d'emblée que, comme la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 13 juillet 1988, France/Commission, point 19 (102-87, Rec. p. 4067), une aide peut être de nature à affecter les échanges entre les États membres et à fausser la concurrence, même si l'entreprise bénéficiaire, se trouvant en concurrence avec des producteurs d'autres États membres, ne participe pas elle-même aux exportations; en effet, lorsqu'un État membre octroie une aide à une entreprise, la production intérieure peut s'en trouver maintenue ou augmentée avec cette conséquence que les chances des entreprises établies dans d'autres États membres d'exporter leurs produits vers le marché de cet État membre en sont sensiblement diminuées. D'ailleurs, les aides d'une importance relativement faible sont, néanmoins, de nature à affecter les échanges entre États membres lorsque le secteur en question est marqué par une vive concurrence (arrêt du 11 novembre 1987, France/Commission, point 24, 259-85, Rec. p. 4393).

28. En l'occurrence, la Commission a relevé dans l'acte attaqué que, au cours de la période prise en considération (1983-1987), l'industrie du textile avait été touchée par la stagnation de la demande, la faiblesse des prix et les surcapacités de production. Le commerce intracommunautaire dans ce secteur a connu une forte progression, dans la mesure où il a représenté 19,3 % en 1983 et 29,1 % en 1986 de la production communautaire, témoignant ainsi d'une vive concurrence. Les aides accordées par l'ENI ont maintenu artificiellement les filiales en activité après 1982 et ont rétabli leurs finances, en facilitant ainsi leur reconversion et la liquidation de certains sites de production dont ENI-Lanerossi aurait normalement dû assumer le coût.

29. Au vu de ces éléments, l'appréciation de la Commission selon laquelle les aides ont conféré aux quatre filiales un avantage très substantiel sur leurs concurrents et étaient, comme telles, susceptibles d'affecter les échanges et de fausser la concurrence au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, est motivée à suffisance de droit et n'apparaît pas comme erronée. Il y a donc lieu de rejeter le moyen invoqué à cet égard par le Gouvernement italien.

Sur la violation de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et c), du traité

30. Le Gouvernement italien estime que la décision attaquée a été prise en violation, d'une part, de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et c), du traité au motif que les aides en question permettaient de favoriser ou de promouvoir le développement régional et sectoriel et, d'autre part, de l'obligation de motivation.

31. Il conteste, en premier lieu, l'affirmation de la Commission selon laquelle seuls certains des établissements des quatre filiales exerçaient leurs activités dans des régions dans lesquelles le niveau de vie était anormalement bas ou dans lesquelles sévissait un grave sous-emploi au sens de l'article 92, paragraphe 3, sous a). Il fait valoir à cet égard, d'une part, que tous les établissements de deux des quatre filiales se trouvaient dans les zones qualifiées par la Commission comme ayant un niveau de vie très bas et souffrant d'un grave sous-emploi; d'autre part, que la province d'Arezzo, que, au point X, deuxième alinéa, de la décision attaquée, la Commission a considérée comme n'ayant ni niveau de vie anormalement bas ni grave sous-emploi, figure parmi les zones susceptibles de bénéficier d'une aide communautaire en vertu du règlement (CEE) n 219-84 du Conseil, du 18 janvier 1984, instituant une action communautaire spécifique de développement régional contribuant à l'élimination des obstacles au développement de nouvelles activités économiques dans certaines zones affectées par la restructuration de l'industrie du textile et de l'habillement (JO L 27, p. 22).

32. Plus généralement, la requérante fait valoir que les efforts de restructuration et de reconversion accomplis à l'égard des quatre filiales ont facilité le développement des activités économiques dans le secteur textile et dans les régions concernées. Elle met en cause la conclusion de la Commission selon laquelle toute reconversion devait avoir lieu dans une brève période et cite, à titre de paramètre, la période de cinq ans prévue pour les programmes spéciaux d'intervention figurant à l'article 3, paragraphe 6, du règlement n 219-84, précité, et qui correspond aux cinq ans (1983-1987) couverts par la décision attaquée. Le Gouvernement italien soutient enfin que la reconversion des quatre filiales a contribué à réaliser les objectifs de la politique européenne dans le secteur de la confection pour hommes par la réduction de la production dans ce secteur.

33. En ce qui concerne les affirmations du Gouvernement italien, il y a lieu de constater que la Commission n'a pas contesté celles concernant l'implantation, dans les zones défavorisées, de deux des quatre filiales ni celle concernant l'état économique de la province d'Arezzo.

34. En premier lieu, il convient de rappeler que, pour l'application de l'article 92, paragraphe 3, du traité, la Commission jouit d'un large pouvoir d'appréciation dont l'exercice implique des évaluations d'ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire (arrêt du 14 février 1990, France/Commission, point 49, C-301-87, Rec. p. I-307).

35. Il y a lieu de relever ensuite que, même si la décision contestée ne concerne que les aides accordées aux quatre filiales de 1983 à 1987, il est constant que les pertes subies par ces entreprises ont été compensées à partir de l'année 1974, soit pendant une période globale de quatorze ans.

36. Il ressort clairement de la décision attaquée que l'appréciation négative de la Commission concernant la compatibilité des aides avec le marché commun était fondée non seulement sur la durée des aides, mais également sur leur nature. La Commission y relève, à juste titre, que les aides en cause ne répondaient ni aux orientations communautaires régissant les aides à l'industrie du textile et de l'habillement, communiquées aux États membres par lettres du 30 juillet 1971 et du 4 février 1977, ni aux orientations régissant les aides au sauvetage, communiquées aux États membres par lettre du 24 janvier 1979.

37. Les orientations concernant l'industrie du textile admettent l'octroi des aides pour une courte durée et lorsqu'elles sont destinées à des opérations spécifiques, ayant notamment pour objectif de conférer au bénéficiaire un niveau de compétitivité suffisant pour assurer sa réussite sur le marché communautaire. En l'espèce, les aides ont été utilisées, d'une manière générale, pour améliorer la situation financière des quatre filiales et pour maintenir artificiellement leur production. En ce qui concerne les aides au sauvetage, il ressort des orientations communautaires que celles-ci doivent prendre la forme de prêts ou de garanties de prêts et ne peuvent être payées que pendant la période, d'une durée maximale de six mois, nécessaire pour élaborer un plan de redressement. Les aides accordées dans la présente affaire ne sont manifestement pas conformes à ces critères et, partant, ne peuvent être qualifiées comme favorisant le développement économique des régions et des activités concernées.

38. Il convient de constater, enfin, qu'il ressort clairement de la décision attaquée que l'argument du Gouvernement italien, selon lequel la reconversion des quatre filiales a contribué à réaliser les objectifs communautaires dans le secteur des vêtements pour hommes, a été examiné par la Commission au cours de la procédure. A cet égard, le Gouvernement italien avait invoqué une réduction de la capacité de production de l'ordre de 55 %, en se fondant sur une réduction correspondante de la main-d'œuvre des quatre filiales. Toutefois, comme la décision le constate à juste titre, une telle réduction de main-d'œuvre n'aboutit pas automatiquement à une diminution correspondante de la capacité de production, notamment lorsqu'elle est accompagnée d'une productivité accrue. D'autre part, même en admettant que les reconversions des quatre filiales aient eu pour effet de réduire la production dans le secteur de la confection pour hommes, il est constant que 17 % de la capacité de la production ont été reconvertis dans d'autres sous-secteurs de l'industrie du textile et de l'habillement, augmentant ainsi les pressions qui pesaient sur ces sous-secteurs.

39. Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que le Gouvernement italien n'a pas apporté les éléments permettant de conclure que la Commission avait dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation, en considérant que les aides en question ne répondaient pas aux conditions permettant de bénéficier de l'une des dérogations prévues à l'article 92, paragraphe 3.

Sur la violation du principe de la confiance légitime

40. Le Gouvernement italien soutient que la façon d'agir de la Commission entre 1983 et 1987 a donné lieu à une confiance légitime quant à la légalité des aides qui, tout au moins, serait de nature à empêcher la Commission d'ordonner leur restitution. A cet égard, la requérante souligne d'abord l'absence de procédure formelle entre le 20 mai 1983, date à laquelle la Commission a repris contact au sujet des filiales de l'ENI-Lanerossi, et le 19 décembre 1984, date à laquelle elle l'a formellement mis en demeure de présenter ses observations. Ensuite, elle fait valoir qu'en laissant s'écouler 55 mois avant de mettre fin à la procédure, la Commission a fait naître une conviction raisonnable quant à la légalité des aides.

41. Cet argument ne peut être accueilli. En effet, le Gouvernement italien ne saurait soutenir avoir été incité à considérer que les aides en question étaient compatibles avec le marché commun, au simple motif que la Commission n'avait pas engagé la procédure prévue à l'article 93 du traité à une date antérieure, alors qu'en juin 1983 il a confirmé à la Commission son intention de lui notifier toute intervention future en faveur des quatre filiales et qu'en novembre 1983 il a assuré celle-ci de ce qu'aucune aide n'était envisagée en faveur de ces entreprises.

42. Ensuite, il convient de constater que le Gouvernement italien n'a jamais notifié à la Commission son intention de continuer à accorder des aides aux quatre filiales, qu'au cours de la procédure d'examen il a souvent sollicité des délais supplémentaires pour répondre aux demandes d'information de la Commission et que les chiffres concernant les aides accordées pour les années 1986 et 1987 n'ont été communiqués que quatre jours avant la décision finale.

43. Lorsqu'un État membre, qui octroie une aide en violation du devoir de notification, énoncé à l'article 93, paragraphe 3, du traité, se montre ensuite réticent à fournir les renseignements utiles à la Commission, il est lui-même responsable du prolongement de la procédure d'examen; il ne peut donc pas tirer argument de la durée de ladite procédure pour invoquer une confiance légitime quant à la compatibilité des aides en question avec le marché commun. Admettre une telle possibilité reviendrait, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne (C-5-89, Rec. p. I-3437), à priver les dispositions des articles 92 et 93 du traité de tout effet utile dans la mesure où les autorités nationales pourraient ainsi se fonder sur leur propre comportement illégal ou négligence pour mettre en échec l'efficacité des décisions prises par la Commission en vertu de ces dispositions du traité.

44. Le moyen tiré de la violation du principe de la confiance légitime doit, dès lors, être rejeté.

Sur l'illégalité des effets donnés au défaut de notification

45. En premier lieu, le Gouvernement italien conteste que l'absence de notification des aides rende celles-ci irrémédiablement illégales, comme le prétend la Commission au point V, deuxième alinéa, de la décision contestée. En second lieu, il déclare avoir toutefois respecté l'obligation visée à l'article 93, paragraphe 3, dans la mesure où la Commission aurait été informée de l'évolution de la situation des quatre filiales en temps utile pour présenter ses observations.

46. Il convient de relever que les conséquences d'une violation de l'article 93, paragraphe 3, ont été précisées aux points 12 et suivants de l'arrêt du 14 février 1990, C-301-87, précité. La Cour y a jugé que la Commission, lorsqu'elle constate qu'une aide a été instituée sans avoir été notifiée, dispose d'un pouvoir d'injonction. Elle peut, après avoir mis l'État membre concerné en mesure de s'exprimer, lui enjoindre, par une décision provisoire en attendant le résultat de l'examen de l'aide, de suspendre immédiatement le versement de celle-ci et de lui fournir, dans le délai qu'elle fixe, tous les documents, informations et données nécessaires pour examiner la compatibilité de l'aide avec le marché commun.

47. Lorsque l'État membre se conforme entièrement à l'injonction de la Commission, celle-ci est tenue d'examiner la compatibilité de l'aide avec le marché commun, conformément à la procédure prévue par l'article 93, paragraphes 2 et 3, du traité. Par contre, si l'État membre omet, nonobstant l'injonction de la Commission, de fournir ces renseignements, celle-ci a le pouvoir de mettre fin à la procédure et de prendre la décision constatant la compatibilité ou l'incompatibilité de l'aide avec le marché commun sur la base des éléments dont elle dispose.

48. Si l'État membre omet de suspendre le versement de l'aide, nonobstant l'injonction de la Commission, celle-ci a le droit, tout en poursuivant l'examen de l'aide quant au fond, de saisir directement la Cour pour faire constater cette violation du traité.

49. Toutefois, en l'espèce, il est constant que la Commission a procédé à un examen de la compatibilité des aides en question avec le marché commun et qu'elle a ensuite constaté, à l'article 1er de la décision contestée, que celles-ci étaient incompatibles avec le marché commun au sens de l'article 92 du traité. L'examen peut, dès lors, faire l'objet d'un contrôle juridique.

50. Le moyen tiré de l'illégalité des effets donnés au défaut de notification doit, par conséquent, être rejeté sans qu'il y ait lieu de répondre au deuxième argument avancé par le Gouvernement italien.

Sur l'insuffisance de motivation de la restitution des aides

51. Le Gouvernement italien soutient d'abord que la décision d'ordonner la récupération relève d'un pouvoir discrétionnaire de la Commission dont l'exercice doit être motivé. Or, en l'espèce, la Commission n'aurait indiqué aucune raison justifiant la restitution des aides.

52. Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d'une décision doit fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est ou non bien fondée et permettre à la Cour d'exercer son contrôle de légalité. L'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que son destinataire peut avoir à recevoir des explications (voir, notamment, arrêt du 20 mars 1985, Italie/Commission, point 46, 41-83, Rec. p. 873).

53. A cet égard, il convient de relever que, lors de l'ouverture de la procédure de l'article 93, paragraphe 2, la Commission a informé le Gouvernement requérant que toute aide éventuelle octroyée avant la décision clôturant la procédure pourrait donner lieu à une demande de restitution et que cette même possibilité a été invoquée dans une communication de la Commission publiée au Journal officiel le 24 novembre 1983 (JO C 318, p. 3).

54. Il ressort de l'acte attaqué que la restitution du montant total des aides a été motivée par "la gravité et l'ampleur de l'infraction ". Si une telle justification, prise isolément, peut paraître d'un laconisme critiquable, il convient de souligner qu'elle intervient dans le cadre d'une décision qui explique, de façon circonstanciée, l'impact des aides en question sur un secteur en crise, tel que celui du textile et de l'habillement.

55. Il en résulte que le moyen du Gouvernement italien tiré de l'insuffisance de motivation doit être rejeté.

Sur l'impossibilité de récupérer l'aide

56. La requérante a fait valoir que l'exécution de l'article 2 de la décision, relative au recouvrement des aides en question, était impossible. A cet égard, elle expose, en premier lieu, que l'identité incertaine des destinataires de l'ordre de récupération suffit à elle seule à rendre cet ordre illégal. Sur ce point, elle relève des divergences entre les motifs de la décision concernée, qui visent le recouvrement auprès des "bénéficiaires" des aides, son article 1er, qui fait référence au groupe ENI-Lanerossi, et un télex de la Commission en date du 23 novembre 1988, qui se réfère à une créance à l'encontre de l'ENI. Elle soutient, en second lieu, que, selon le droit italien, elle n'a aucun titre pour récupérer, auprès des acheteurs des quatre filiales, des sommes qui n'ont pas été prises en considération dans les conditions de vente des entreprises en question.

57. Il convient de relever, en ce qui concerne l'incertitude alléguée de l'identité des destinataires de l'ordre de restitution, qu'il ressort clairement de la décision contestée que les aides devaient être recouvrées auprès des entreprises qui en ont eu la jouissance effective, à savoir les quatre filiales.

58. Si le Gouvernement italien avait des doutes sérieux à ce sujet, il aurait pu, comme tout État membre qui, lors de l'exécution d'un ordre de restitution, rencontre des difficultés imprévues, soumettre ces problèmes à l'appréciation de la Commission. Dans un tel cas, la Commission et l'État membre concerné doivent, en effet, conformément au devoir de coopération loyale, exprimé notamment à l'article 5 du traité, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité et notamment de celles relatives aux aides (voir arrêt du 2 février 1989, Commission/Allemagne, point 9, 94-87, Rec. p. 175).

59. Enfin, toute incertitude quant à l'identité des destinataires de l'ordre de recouvrement a été dissipée au cours de l'audience en référé dans la présente affaire, qui a eu lieu le 13 mars 1989, lorsque l'agent de la Commission a déclaré que la demande de récupération visait exclusivement les quatre filiales.

60. En ce qui concerne le deuxième point, il y a lieu de relever que si, en droit italien, l'ENI ne peut pas récupérer des sommes qui n'ont pas été prises en considération dans les conditions de vente des quatre filiales, ce fait ne saurait faire obstacle à la pleine application du droit communautaire et est, dès lors, sans incidence sur l'obligation de procéder au recouvrement des aides en question.

61. Il s'ensuit que le dernier argument du Gouvernement italien doit être rejeté.

62. Aucun des moyens avancés par le Gouvernement italien n'ayant pu être retenu, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

Sur les dépens

63. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, y compris ceux du référé. La requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens de la Commission. Le Gouvernement du royaume d'Espagne supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La République italienne supportera les dépens de la Commission, y compris ceux du référé.

3) Le Gouvernement du royaume d'Espagne supportera ses propres dépens.