Cass. crim., 18 mai 1994, n° 93-81.883
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. Jorda
Avocat général :
M. Monestié
Avocats :
SCP Rouvière, Boutet, SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, Me Le Prado.
Rejet du pourvoi formé par M Denis, D Franck, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, chambre correctionnelle, du 25 janvier 1993, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, les a condamnés, respectivement à 150 000 francs et 5 000 francs d'amende, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR : - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973, 1er de la loi du 1er août 1905, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M et D coupables de publicité de nature à induire en erreur et les a en conséquence condamnés aux amendes respectives de 150 000 francs et 5 000 francs avec publication de l'arrêt par extraits ainsi qu'à des dommages-intérêts au profit de la Confédération syndicale du cadre de vie, l'Union Fédérale des Consommateurs et le Syndicat national de l'équipement de la cuisine ;
"aux motifs que l'expression "l'achat gratuit" à l'évidence caricaturale, ne peut être tenue pour mensongère ni pour susceptible d'induire en erreur ; que la publicité est de nature à induire en erreur si l'avantage qu'elle laisse espérer au consommateur est substantiellement amoindri par des restrictions que le message publicitaire ne laisse pas apparaître et qui altèrent sa portée ; que le contrat d'assurance souscrit par la société X pour garantir le remboursement des cuisines stipule plusieurs exclusions de garantie, qu'en outre la garantie de remboursement ne s'applique qu'en échange de certaines formalités, que l'accumulation de ces restrictions qui ne pouvaient avoir d'autre objet que d'écarter du champ de la garantie certains bénéficiaires afin de réduire pour l'assureur la probabilité du remboursement à l'échéance, rend aléatoire ledit remboursement, de sorte que l'affirmation que l'achat de la cuisine sera remboursé dans 10 ans est au moins de nature à induire en erreur le consommateur ; qu'il est indifférent que la publicité par affichage ait mentionné que le remboursement s'effectuerait "selon modalités affichées en magasin" et la publicité dans la presse "règlement complet déposé chez Me Le Goff, huissier de justice à Quimper. Venez vite vous renseigner sur toutes les règles d'application de cette offre exceptionnelle" dès lors qu'une publicité doit se suffire à elle-même et être exempte d'ambiguïté nécessitant pour sa compréhension le recours à des éléments extérieurs ; qu'il est établi que les publicités critiquées comportaient des allégations de nature à induire en erreur concernant la portée des engagements pris par l'annonceur de sorte que les éléments matériels de l'infraction sont établis ;
"alors, d'une part, que la cour d'appel qui admet que la publicité en elle-même et dénommée "l'achat gratuit" ne pouvait être tenue pour mensongère ni susceptible d'induire en erreur, ne pouvait estimer le délit caractérisé en relevant uniquement que les documents incriminés étaient susceptibles de tromper, en raison des restrictions posées, sur la réalité du remboursement 10 ans après l'achat, c'est-à-dire sur le résultat de l'opération, sans préciser en quoi ces documents étaient de nature à induire en erreur sur les conditions et la valeur de la prestation de service proposée comme l'exige l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 ; qu'ainsi la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et violé les textes visés au moyen ;
"alors, d'autre part, que la cour d'appel qui admet le caractère caricatural de l'expression "l'achat gratuit" ne pouvait estimer le délit caractérisé sans rechercher si les documents publicitaires étaient de nature à tromper un consommateur moyen dès lors qu'il était expressément indiqué que le remboursement promis ne pouvait intervenir que selon certaines modalités, ce qui excluait un remboursement systématique ; qu'ainsi la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société X dont Denis M est le président, et Franck D le secrétaire général, a fait paraître, sous le titre "l'achat gratuit ", une publicité dans laquelle elle s'est engagée, 10 ans après l'achat de meubles de cuisine, à racheter ceux-ci, en restituant à l'acquéreur le prix qu'il avait payé grâce à une indemnité versée par une compagnie d'assurances ayant contracté avec l'annonceur ; que Denis M et Franck D sont poursuivis pour publicité de nature à induire en erreur ;
Attendu que, pour déclarer les deux prévenus coupables de ce délit, les juges retiennent que l'ensemble des restrictions résultant des clauses du contrat d'assurance qu'ils analysent, en réduisant "pour l'assureur la probabilité du remboursement à l'échéance, rend aléatoire ledit remboursement de sorte que l'affirmation que l'achat de la cuisine sera remboursé en 10 ans est au moins de nature à induire en erreur le consommateur " ; qu'ils ajoutent que les mentions relatives à des renseignements complémentaires sur les modalités de remboursement, en magasin ou chez un huissier de justice, n'ôtent en rien de son ambiguïté à une publicité qui doit être appréciée en elle-même ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, procédant de l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;d'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué de ce chef a déclaré Franck D coupable du délit de publicité de nature à induire en erreur et l'a, en répression, condamné à une amende de 5 000 francs ainsi qu'à des réparations civiles ;
"aux motifs qu'il occupait un poste de niveau hiérarchique élevé au sein de la société X, au salaire de 26 000 francs par mois, chargé des relations avec l'extérieur et des relations avec les franchisés ; qu'il doit dès lors être considéré comme un dirigeant au sens de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 ; que ses responsabilités concernaient en outre le contrôle de l'élaboration de la publicité ; que pour la publicité incriminée, il a fourni à l'agence chargée de la concevoir tous les documents nécessaires, en particulier des photographies ; que cette publicité a été soumise à son approbation comme à celle de Denis M ; qu'ainsi Franck D doit être considéré comme coauteur de l'infraction ;
"alors que la cour d'appel ne pouvait déclarer D coauteur de l'infraction dès lors que celui-ci n'exerçait aucun mandat social au sein de l'entreprise et que M ne lui avait donné aucune délégation de pouvoir dans la conception de l'opération incriminée ; qu'en outre le seul fait pour l'intéressé d'avoir fourni des photographies à l'agence chargée de cette publicité est insusceptible d'établir que c'est en connaissance de cause que le prévenu aurait donné des instructions, la cour d'appel ne justifiant pas, de surcroît, de l'approbation qu'aurait donné l'intéressé à la publicité incriminée ; qu'ainsi la cour d'appel a violé les textes visés au moyen " ;
Attendu que, pour retenir la responsabilité de Franck D, la juridiction du second degré observe qu'il a fourni à l'agence de publicité les documents nécessaires ;qu'elle relève qu'il a contrôlé l'élaboration de l'annonce et donné son approbation à celle-ci ; qu'elle en déduit qu'il "doit être considéré comme coauteur de l'infraction " ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel a donné une base légale à sa décision ;qu'en effet, si l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, inséré aux articles L. 121-1 à L. 121-7 du Code de la consommation, prévoit, en matière de publicité de nature à induire en erreur, la responsabilité des dirigeants de la personne morale ayant la qualité d'annonceur, il ne fait pas obstacle à ce que soit aussi retenue la responsabilité de ceux qui ont, avec ces dirigeants, accompli les actes matériels constitutifs de l'infraction ;qu'il s'ensuit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.