CE, 5e et 3e sous-sect. réunies, 17 janvier 1990, n° 86166
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Association des centres distributeurs Edouard Leclerc
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Coudurier
Commissaire du gouvernement :
M. Stirn
Rapporteur :
M. Plagnol
Avocats :
SCP Tiffreau, Thouin-Palat.
LE CONSEIL : - Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 27 mars 1987 et le 1er juin 1987, présentés pour l'Association des Centres Distributeurs Edouard Leclerc, dont le siège est 149 rue Saint-Honoré à Paris (75001), l'Association des Centres Distributeurs Edouard Leclerc demande que le Conseil d'Etat annule le décret n° 87-37 du 26 janvier 1987 pris pour l'application de l'article 27-I de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et fixant pour certains services de télévision le régime applicable à la publicité et au parrainage, Vu les autres pièces du dossier ; Vu la Constitution du 4 octobre 1958 et notamment son article 34 ; Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication ; Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ; Après avoir entendu : - le rapport de M. Plagnol, Auditeur, - les observations de la SCP Tiffreau, Thouin-Palat, avocat de l'Association des Centres Distributeurs Edouard Leclerc, - les conclusions de M. Stirn, Commissaire du Gouvernement ;
Sur la légalité externe : - Considérant qu'aux termes de l'article 22 de la Constitution "les actes du Premier ministre, sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution" ; que, s'agissant d'un acte réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution du décret ; qu'aucune disposition du décret attaqué n'implique l'intervention de mesures réglementaires ou individuelles que le ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, le ministre du Commerce ou le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, seraient compétents pour signer ; que dans ces conditions ce décret a pu être légalement pris sans que ces ministres y apposent leur contreseing ;
Sur les moyens tirés de la violation de l'article 34 de la Constitution et du principe de la liberté du commerce et de l'industrie : - Considérant que l'article 27-I de la loi susvisée du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dispose que : "des décrets en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de la communication et des libertés, fixent pour l'exploitation de chaque catégorie de services de communication audiovisuelle diffusées par voie hertzienne terrestre ou par satellite autres que ceux assurés par les sociétés nationales de programmes mentionnés aux articles 44 et 45 : 1°) les règles applicables à la publicité et au parrainage " ;
Considérant que le Parlement a, par les dispositions précitées de l'article 27-I de la loi du 30 septembre 1986, confié au Gouvernement le soin de déterminer les conditions et limites dans lesquelles des messages publicitaires pourront être diffusés par la télévision et que l'association requérante ne saurait utilement contester devant le juge de l'excès de pouvoir, l'étendue de la délégation ainsi donnée par la loi ; qu'il suit de là que la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en interdisant au secteur économique de la distribution, de recourir à la télévision pour faire diffuser des messages publicitaires, le Gouvernement a, par le décret attaqué, excédé les limites de sa délégation ou violé les dispositions de l'article 34 de la Constitution qui définissent le domaine de la loi ; qu'ils ne peuvent, non plus utilement invoquer la violation du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, ou de la liberté de communication dès lors, que les dispositions réglementaires ont été prises en application d'une loi ;
Sur les moyens tirés de la violation du principe d'égalité : - Considérant que le décret attaqué soumet à la même règle toutes les entreprises dont l'activité s'exerce dans le secteur économique de la distribution, en leur interdisant de faire de la publicité à la télévision ; que la circonstance que certaines entreprises, soit parce qu'elles fabriquent elles-mêmes certains des produits qu'elles distribuent, soit parce qu'elles en ont l'exclusivité ou qu'elles les distribuent sous leur marque propre soit encore parce qu'elles sont intégrées dans un système de franchise, pourraient en fait bénéficier plus que d'autres, de la publicité faite par les fabricants des produits qu'elles distribuent ne révèle pas une disparité de traitement entre des entreprises se trouvant dans la même situation mais est la conséquence d'une différence de situation entre ces entreprises ;
Sur le moyen tiré de la violation du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne : - Considérant que l'interdiction faite au secteur économique de la distribution de diffuser par le canal de la télévision des messages publicitaires, s'applique de la même façon aux commerçants nationaux et à ceux des pays membres de la Communauté qui voudraient avoir accès aux sociétés de télévision du secteur privé, régies par la loi du 30 septembre 1986 ; qu'il est donc clair que les dispositions attaquées ne sont pas contraires aux dispositions de l'article 30 du traité de Rome ;
Sur le détournement de pouvoir allégué : - Considérant que, dans la mesure où le décret attaqué a pour objet de limiter les secteurs économiques admis à apporter aux entreprises de télévision leurs ressources publicitaires, dans le but de sauvegarder les ressources nécessaires à la presse écrite pour assurer son équilibre économique et son indépendance, les exclusions édictées par l'article 7 de ce décret ne sauraient être regardées comme inspirées par des motifs qui ne pouvaient légalement les justifier ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cette exclusion ait été également prononcée dans le but de protéger les afficheurs ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'Association des Centres Distributeurs Edouard Leclerc n'est pas fondée à demander l'annulation du décret du 26 janvier 1987 ;
Décide :
Article 1er : La requête de l'Association des Centres Distributeurs Edouard Leclerc est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association des Centres Distributeurs Edouard Leclerc, au Premier ministre, au ministre de la Culture, de la Communication, des Grands travaux et du Bicentenaire, au ministre de l'Industrie et de l'Aménagement du Territoire et au ministre des Postes, des télécommunications et de l'espace.