TPICE, 4e ch. élargie, 14 décembre 2000, n° T-613/97
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Union française de l'express (Ufex), DHL International, Federal express international, CRIE (Sté)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, République française, Chronopost (SA), La Poste (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Tiili
Juges :
Mme Lindh, MM. Moura Ramos, Cooke, Mengozzi
Avocats :
Mes Morgan de Rivery, Derenne, Bouaziz Torron, Berlin, Lehman.
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre élargie) rend le présent arrêt :
Faits à l'origine du litige
1. Le Syndicat français de l'express international (ci-après le "SFEI"), auquel a succédé la requérante, l'Union française de l'express, et dont les trois autres requérantes sont membres, est un syndicat professionnel de droit français regroupant la quasi-totalité des sociétés offrant des services de courrier express faisant concurrence à la société française de messagerie internationale (ci-après la "SFMI").
2. Le 21 décembre 1990, le SFEI a déposé une plainte auprès de la Commission au motif, notamment, que l'assistance logistique et commerciale fournie par la poste française (ci-après "La Poste") à la SFMI comportait une aide d'État au sens de l'article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE). Dans la plainte était principalement dénoncé le fait que la rémunération versée par la SFMI pour l'assistance fournie par La Poste ne correspondait pas aux conditions normales de marché. La différence entre le prix du marché pour l'acquisition de tels services et celui effectivement payé par la SFMI constituerait une aide d'État. Une étude économique, réalisée par la société de conseil Braxton associés à la demande du SFEI, a été jointe à la plainte afin d'évaluer le montant de l'aide pendant la période 1986-1989.
3. La Poste, qui opère, sous monopole légal, dans le secteur du courrier ordinaire, faisait partie intégrante de l'administration française jusqu'à la fin de l'année 1990. À compter du 1er janvier 1991, elle est organisée comme une personne morale de droit public, conformément aux dispositions de la loi 90-568, du 2 juillet 1990. Cette loi l'autorise à exercer certaines activités ouvertes à la concurrence, notamment l'expédition de courrier express.
4. La SFMI est une société de droit privé qui s'est vu confier la gestion du service de courrier express de La Poste depuis la fin de l'année 1985. Cette entreprise a été constituée avec un capital social de 10 millions de francs français (FRF), réparti entre Sofipost (66 %), société financière détenue à 100 % par La Poste, et TAT Express (34 %), filiale de la compagnie aérienne Transport aérien transrégional (ci-après "TAT").
5. Les modalités d'exploitation et de commercialisation du service de courrier express que la SFMI assurait sous la dénomination EMS/Chronopost ont été définies par une instruction du ministère des Postes et Télécommunications du 19 août 1986. Selon cette instruction, La Poste devait fournir à la SFMI une assistance logistique et commerciale. Les relations contractuelles entre La Poste et la SFMI sont régies par des conventions, dont la première date de 1986.
6. En 1992, la structure de l'activité de courrier express réalisée par la SFMI a été modifiée. Sofipost et TAT ont créé une nouvelle société, Chronopost SA, en détenant à nouveau respectivement 66 % et 34 % des actions. Chronopost, qui avait un accès exclusif au réseau de La Poste jusqu'au 1er janvier 1995, s'est recentrée sur le courrier express national. La SFMI a été rachetée par GD Express Worldwide France, filiale d'une entreprise commune internationale regroupant la société australienne TNT et les postes de cinq pays, concentration autorisée par une décision de la Commission du 2 décembre 1991 (TNT/Canada Post, DBP Postdienst, La Poste, PTT Poste et Sweden Post, affaire IV/M.102, JO C 322, p. 19). La SFMI a conservé l'activité internationale, utilisant Chronopost comme agent et prestataire de services dans le traitement en France de ses envois internationaux (ci-après la "SFMI-Chronopost").
7. Par lettre du 10 mars 1992, la Commission a informé le SFEI du classement de sa plainte relative à l'article 92 du traité. Le 16 mai 1992, le SFEI et d'autres entreprises ont introduit un recours en annulation devant la Cour à l'encontre de cette décision. La Cour a prononcé le non-lieu à statuer (ordonnance de la Cour du 18 novembre 1992, C-222-92, SFEI e.a./ Commission, non publiée au Recueil) après la décision de la Commission du 9 juillet 1992 de retirer celle du 10 mars 1992.
8. À la demande de la Commission, la République française lui a transmis des informations par lettre du 21 janvier 1993, par télécopie du 3 mai 1993 et par lettre du 18 juin 1993.
9. Le 16 juin 1993, le SFEI et d'autres entreprises ont introduit devant le Tribunal de commerce de Paris un recours contre la SFMI, Chronopost, La Poste et autres. Une deuxième étude de la société Braxton y était jointe actualisant les données de la première étude et étendant la période d'estimation de l'aide jusqu'à la fin de 1991. Par jugement du 5 janvier 1994, le Tribunal de commerce de Paris a posé à la Cour plusieurs questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 92 et 93 du traité CE (devenu article 88 CE), dont l'une portait sur la notion d'aide d'État dans les circonstances de la présente affaire. Le Gouvernement français a déposé devant la Cour, en annexe à ses observations du 10 mai 1994, une étude économique réalisée par la société Ernst & Young. Par arrêt du 11 juillet 1996, SFEI e.a. (C-39-94, Rec. p. I-3547, ci-après l'"arrêt SFEI"), la Cour a dit pour droit que "[l]a fourniture d'une assistance logistique et commerciale par une entreprise publique à ses filiales de droit privé exerçant une activité ouverte à la libre concurrence est susceptible de constituer une aide d'État au sens de l'article 92 du traité CE si la rémunération perçue en contrepartie est inférieure à celle qui aurait été réclamée dans des conditions normales de marché".
10. Entre-temps, par lettre de la Commission du 20 mars 1996, la République française a été informée de l'ouverture de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité. Le 30 mai 1996, elle a adressé à la Commission ses observations à cet égard.
11. Le 17 juillet 1996, la Commission a publié au Journal officiel des Communautés européennes une communication relative à l'ouverture de la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité concernant les aides présumées que la France aurait accordées à la société SFMI-Chronopost (JO C 206, p. 3).
12. Le 17 août 1996, le SFEI a soumis à la Commission ses observations en réponse à cette communication. Il a joint à ses observations une nouvelle étude économique, réalisée par le cabinet Bain & Cy. En outre, le SFEI a élargi le champ de sa plainte du mois de décembre 1990 à certains éléments nouveaux, notamment à l'utilisation de l'image de marque de La Poste, à l'accès privilégié aux ondes de Radio France, à des privilèges douaniers et fiscaux et à des investissements de La Poste dans des plates-formes de messagerie.
13. La Commission a transmis à la République française les observations du SFEI en septembre 1996. La République française a, en réponse, envoyé une lettre à la Commission en y annexant une étude économique réalisée par la société de conseil Deloitte Touche Tohmatsu (ci-après l'"étude Deloitte").
14. Par lettre du 7 novembre 1996, le SFEI a insisté auprès de la Commission pour être entendu sur tous les éléments du dossier. Il demandait, de ce fait, la communication des réponses que le Gouvernement français aurait déjà transmises à la Commission et qui ne seraient pas encore en sa possession (à savoir les lettres des 21 janvier et 18 juin 1993) et, au fur et à mesure de leur arrivée, des éléments complémentaires fournis par le Gouvernement français à la Commission.
15. Par lettre du 13 novembre 1996, la Commission a refusé au SFEI l'accès aux éléments précités du dossier.
16. Le 21 avril 1997, le SFEI a adressé une nouvelle lettre à la Commission en lui demandant l'état d'avancement exact de l'instruction et, en particulier, de lui faire connaître, d'une part, les réponses du Gouvernement français relatives à la lettre d'ouverture de la procédure et à ses observations du 17 août 1996 et, d'autre part, les réactions et les intentions de la Commission. Le 30 avril 1997, la Commission a refusé de communiquer les documents en sa possession en se fondant sur leur caractère strictement confidentiel.
17. Le 1er octobre 1997, la Commission a adopté la décision 98-365-CE, concernant les aides que la France aurait accordées à la SFMI-Chronopost (JO 1998, L 164, p. 37, ci-après la "décision attaquée" ou la "décision"), communiquée au SFEI par lettre datée du 22 octobre 1997.
18. Dans la décision, la Commission a constaté qu'il convenait de faire la distinction entre deux catégories de mesures. La première catégorie consiste en la fourniture par La Poste, d'une part, de l'assistance logistique consistant à mettre les infrastructures postales à la disposition de la SFMI-Chronopost pour la collecte, le tri, le transport et la distribution de ses envois et, d'autre part, de l'assistance commerciale, c'est-à-dire de l'accès de la SFMI-Chronopost à la clientèle de La Poste et de l'apport par cette dernière de son fonds de commerce en faveur de la SFMI-Chronopost. La seconde catégorie consiste en des mesures particulières, telles que l'accès privilégié à Radio France et les privilèges fiscaux et douaniers.
19. Selon la Commission, le SFEI a mal interprété l'arrêt SFEI en soutenant: "[L]a Commission ne devrait pas tenir compte des intérêts stratégiques du groupe ni des économies d'échelle qui résultent de l'accès privilégié de [la] SFMI-Chronopost au réseau et aux installations de La Poste [...] parce que La Poste détient un monopole." En revanche, la Cour n'aurait jamais indiqué que la Commission devait appliquer une méthode différente si une des parties à l'opération détenait un monopole. Ainsi, pour déterminer s'il y avait ou non aide d'État dans le cadre de la première catégorie de mesures, la Commission n'était pas tenue de prendre en compte le fait qu'il s'agissait de transactions entre une société mère opérant sur un marché réservé et sa filiale active sur un marché ouvert à la concurrence.
20. En conséquence, la Commission considérait que la question pertinente était celle de savoir "si les conditions de la transaction entre La Poste et la SFMI-Chronopost [étaient] comparables à celles d'une transaction équivalente entre une société mère privée, qui peut très bien être en situation de monopole (par exemple parce qu'elle détient des droits exclusifs), et sa filiale". Selon la Commission, il n'y avait aucun avantage financier si les prix internes pour les produits et services échangés entre les sociétés appartenant au même groupe étaient "calculés sur la base des coûts complets (c'est-à-dire les coûts totaux plus la rémunération des capitaux propres)".
21. À cet égard, la Commission faisait remarquer que les paiements effectués par la SFMI-Chronopost ne couvraient pas les coûts totaux pendant les deux premières années d'exploitation, mais ils couvraient tous les coûts hors frais de siège et de directions régionales. Elle considérait, premièrement, qu'il n'était pas anormal que, pendant la période de démarrage, les paiements effectués par une nouvelle entreprise, à savoir par la SFMI-Chronopost, ne couvrent que les coûts variables. Deuxièmement, toujours selon la Commission, la République française a pu démontrer que, à partir de 1988, la rémunération payée par la SFMI-Chronopost couvrait tous les coûts supportés par La Poste, ainsi que la rémunération des capitaux propres investis par cette dernière. En outre, la Commission a calculé que le taux de rendement interne (TRI) de l'investissement de La Poste en tant qu'actionnaire excédait largement le coût du capital de la société en 1986, c'est-à-dire le taux de rendement normal qu'un investisseur privé exigerait dans des circonstances similaires. En conséquence, La Poste aurait fourni une assistance logistique et commerciale à sa filiale dans des conditions normales de marché, et cette assistance ne constituerait donc pas une aide d'État.
22. S'agissant de la seconde catégorie, à savoir des diverses mesures particulières, la Commission estimait que la SFMI-Chronopost ne bénéficiait d'aucun avantage concernant la procédure de dédouanement, le droit de timbre, la taxe sur les salaires ou les délais de paiement. L'utilisation des véhicules de La Poste comme support publicitaire devait être considérée, selon la Commission, comme une assistance commerciale normale entre une société mère et sa filiale et la SFMI-Chronopost ne bénéficiait d'aucun traitement préférentiel pour la publicité sur Radio France. La Commission aurait pu également établir que les engagements pris par La Poste lors de l'autorisation de l'entreprise commune par la décision de la Commission du 2 décembre 1991 ne constituaient pas des aides d'État.
23. Dans l'article 1er de la décision, la Commission constate: "[L]'assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale la SFMI-Chronopost, les autres transactions financières entre ces deux sociétés, la relation entre [la] SFMI-Chronopost et Radio France, le régime douanier applicable à La Poste et à [la] SFMI-Chronopost, le système de taxe sur les salaires et de droit de timbre applicables à La Poste et son investissement de [secret d'affaires] dans des plates-formes de messagerie ne constituent pas des aides d'État en faveur de [la] SFMI-Chronopost." L'article 2 précise que la République française est destinataire de la décision.
24. Le 2 décembre 1997, le SFEI a mis en demeure la Commission de lui communiquer, avant le 17 décembre 1997, la télécopie du 3 mai 1993, la note du 30 mai 1996 et l'étude Deloitte, toutes mentionnées dans la décision attaquée.
25. Par lettre du 15 décembre 1997, la Commission a rejeté la demande du SFEI en se référant au code de conduite concernant l'accès du public aux documents de la Commission et du Conseil (JO 1993, L 340, p. 41). Elle a fait valoir que, lorsque la demande concerne un document détenu par une institution mais ayant pour auteur une autre personne physique ou morale ou un État membre, celle-ci doit être adressée directement à l'auteur du document. En outre, elle a invoqué les exceptions tirées de la protection du secret en matière commerciale et industrielle et de la protection de la confidentialité.
Procédure et conclusions des parties
26. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 décembre 1997, les requérantes ont introduit le présent recours.
27. Le 12 mars 1998, les requérantes ont déposé une demande incidente de production de documents visant à ce que la Commission fournisse les documents mentionnés dans la décision et auxquels elles n'ont pas eu accès avant l'adoption de celle-ci, à savoir la télécopie du 3 mai 1993, la note du 30 mai 1996, la note en réponse aux observations du SFEI du mois d'août 1996 et l'étude Deloitte, documents adressés à la Commission par le Gouvernement français. Par note datée du 7 mai 1998, le Tribunal a invité la Commission à produire les deux derniers documents demandés. Ces documents ont été transmis le 26 mai 1998.
28. Par acte déposé au greffe le 2 juin 1998, la République française a demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la partie défenderesse. Par actes déposés au greffe le 5 juin 1998, Chronopost et La Poste ont formulé la même demande.
29. Par ordonnances du Président de la quatrième chambre élargie du Tribunal du 7 juillet 1998, la République française, Chronopost et La Poste ont été admises à intervenir à l'appui des conclusions de la défenderesse.
30. Le 23 juillet 1998, les requérantes ont déposé au greffe une seconde demande incidente de production de documents. Par lettre du 10 novembre 1998, le Tribunal a communiqué aux requérantes sa décision de ne pas accéder, à ce stade, à cette demande.
31. Dans leur mémoire en réplique, les requérantes ont demandé qu'un traitement confidentiel soit accordé à tous les documents figurant dans l'annexe 10 de la réplique et que seul le Tribunal puisse avoir accès à ces documents. Par lettres des 5 janvier et 10 février 1999, les requérantes ont précisé que cette demande ne concernait que La Poste et Chronopost. Par ordonnance du 5 mars 1999 du président de la quatrième chambre élargie du Tribunal, il a été fait droit à la demande de traitement confidentiel de certaines données à l'égard de La Poste et de Chronopost.
32. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, il a invité la défenderesse à répondre par écrit à certaines questions et à produire certains documents.
33. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience du 21 juin 2000.
34. Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision attaquée;
- condamner la défenderesse aux dépens.
35. La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner les requérantes aux dépens.
36. Les parties intervenantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner les requérantes aux dépens.
Sur le fond
37. Les requérantes invoquent quatre moyens d'annulation à l'appui de leur recours. Le premier moyen est tiré d'une violation des droits de la défense, notamment du droit d'accès au dossier. Le deuxième moyen est tiré d'une insuffisance de motivation. Le troisième moyen est tiré d'erreurs de fait et d'erreurs manifestes d'appréciation. Enfin, le quatrième moyen est tiré d'une violation de la notion d'aide d'État.
38. Les questions relevant du quatrième moyen devant être considérées comme des questions préalables par rapport aux autres moyens, il convient de les examiner en premier lieu.
Sur le quatrième moyen, tiré d'une violation de la notion d'aide d'État
39. Ce moyen s'articule en deux branches selon lesquelles la Commission aurait méconnu la notion d'aide d'État, d'une part, en ne tenant pas compte des conditions normales du marché dans l'analyse de la rémunération de l'assistance fournie par la Poste à SFMI-Chronopost et, d'autre part, en excluant de cette notion diverses mesures dont aurait bénéficié la SFMI-Chronopost. Il convient d'examiner en premier lieu le grief relatif à l'analyse de la rémunération de l'assistance fournie par La Poste.
Arguments des parties
40. Dans cette branche, les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission a commis une erreur de droit en écartant, dans la décision attaquée, l'existence même d'une aide sous forme de subventions croisées en ce qui concerne l'assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à la SFMI-Chronopost.
41. Selon les requérantes, un monopole légal ne répercute pas nécessairement sur sa filiale tous les coûts des prestations fournies qui sont encourus "dans des conditions normales de marché", puisque le détenteur du monopole opère en dehors de telles conditions. Dès lors, selon les requérantes, il convient de vérifier s'il a été tenu compte des avantages découlant des relations entre une filiale et une entreprise monopolistique. Toutefois, la Commission n'aurait pas fait cette vérification. En effet, La Poste n'aurait pas eu à supporter, notamment, les coûts de réseau qui sont pris en charge par l'État. Or, ces coûts constitueraient des coûts qu'une entreprise agissant dans des conditions normales de marché aurait dû encourir et répercuter dans le prix de la fourniture d'assistance.
42. Les requérantes rappellent que la rémunération normale des services fournis par La Poste à la SFMI-Chronopost ne devait pas comprendre uniquement le coût marginal à court terme, mais aussi le coût marginal à long terme ainsi que des coûts fixes pour acquérir et maintenir l'infrastructure en immeubles, matériels et personnel dont la SFMI-Chronopost bénéficie. Les lignes directrices de la Commission concernant l'application des règles de concurrence de la Communauté au secteur des télécommunications (JO 1991, C 233, p. 2, ci-après les "lignes directrices du secteur des télécommunications") illustreraient la position de la Commission à l'égard des subventions croisées.
43. Elles rappellent, par ailleurs, que les lignes directrices du secteur des télécommunications excluent que des conditions préférentielles puissent être accordées par un monopole pour le démarrage d'activités nouvelles concurrentielles. Or, en l'espèce, il résulterait des déclarations du Gouvernement français et de la Commission que, déjà pour les deux premières années du démarrage de l'activité de la SFMI-Chronopost (1986 et 1987), cette dernière aurait bénéficié d'aides d'État du fait que ce démarrage a été, comme cela est admis, financé par les recettes tirées du monopole. De plus, ces frais de démarrage n'auraient pas été couverts par la rémunération des services fournis au cours de la période 1986-1991.
44. Les requérantes soutiennent que la Commission ne prend pas en compte la signification très claire des points 54 à 62 de l'arrêt SFEI. Selon elles, "la rémunération que La Poste avait donc à réclamer à sa filiale pour les services rendus devait être calculée en fonction du prix qu'aurait dû payer un investisseur privé, dans des conditions normales de concurrence, pour disposer de supports logistiques et commerciaux équivalents".
45. Les requérantes critiquent ensuite la position de la Commission selon laquelle il convient de prendre en compte des "économies d'échelle" et "de gamme", des considérations stratégiques et des synergies qui découlent de l'appartenance de La Poste et de la SFMI-Chronopost au même groupe. En outre, les requérantes récusent le raisonnement de la défenderesse, selon lequel la spécificité de l'activité de la société mère ne rend pas particulière la relation entre elle et sa filiale.
46. Cette position de la Commission différerait fondamentalement de celle adoptée par la Cour dans son arrêt SFEI. Elle exclurait du champ d'application de l'article 92 du traité tous les avantages dont bénéficie, au titre de son monopole légal, une société mère comme La Poste (pour la constitution, la maintenance et le développement des activités rentrant dans ledit monopole), même si lesdits avantages sont transférés gratuitement à sa filiale opérant sur le marché ouvert à la concurrence.
47. Les requérantes estiment que la Cour, en considérant qu'il y avait lieu de tenir compte "de tous les facteurs qu'une entreprise, agissant dans des conditions normales de marché, aurait dû prendre en considération lors de la fixation de la rémunération pour les services fournis", n'a certainement pas voulu signifier qu'il y avait lieu, en l'espèce, d'envisager le cas d'une "entreprise placée dans la même situation que la Poste". À cet égard, la jurisprudence communautaire indiquerait que la concurrence non faussée ne peut être que celle qui résulte du recours à des moyens qui ne diffèrent pas de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services.
48. Les requérantes font remarquer, enfin, que la Cour, en omettant de dire dans l'arrêt SFEI qu'il convenait d'étudier les coûts complets de La Poste pour déterminer si la rémunération de la SFMI-Chronopost était suffisante, a écarté volontairement la méthode de la Commission qui, selon elles, ne prend en compte que les coûts marginaux à court terme. Dès lors, La Poste ayant supporté les coûts marginaux à long terme, cela serait constitutif de subventions croisées au bénéfice de la SFMI-Chronopost. De plus, ces subventions croisées résultant d'un monopole public constitueraient des mesures étatiques (arrêt SFEI, point 58).
49. La défenderesse indique qu'elle partage l'opinion des requérantes selon laquelle la rémunération de la fourniture, pour les activités de la SFMI-Chronopost, des locaux, de l'équipement, des experts et/ou des services doit faire l'objet d'une rémunération normale et que c'est pour cette raison qu'elle a tenu compte des coûts complets. En ce qui concerne les lignes directrices du secteur des télécommunications, la défenderesse fait remarquer que, dans le même document, est invoquée la nécessité d'une distribution entièrement proportionnelle de tous les coûts entre activités réservées et non réservées, ce qui a été effectué en l'espèce.
50. La défenderesse souligne que la méthode des coûts complets, appliquée dans la décision attaquée, apparaît comme la plus prudente pour calculer les coûts liés aux activités de la filiale. L'analyse de type "autonome" (se référant aux coûts calculés pour une activité commençant ex nihilo) que semblent proposer les requérantes ne serait pas plus précise puisqu'elle aurait également besoin de données du marché. De surcroît, les requérantes n'auraient pas démontré que les coûts ainsi calculés seraient supérieurs aux coûts complets. Enfin, même si c'était le cas, cela ne démontrerait pas l'existence de subventions croisées et encore moins d'aides d'État. À cet égard, la défenderesse fait valoir que les économistes ne proposent pas une analyse "autonome" pure, mais une analyse beaucoup plus fine selon laquelle il n'y a pas de subvention croisée si le prix exigé se situe entre le coût incrémental (le coût additionnel suscité par la nouvelle activité) et le coût "autonome".
51. La défenderesse signale, à titre subsidiaire, qu'en raison de la marge d'appréciation présente dans tout investissement commercial une subvention croisée dans un groupe public ne constitue pas toujours une aide d'État. Elle rappelle qu'au sein d'un groupe d'entreprises de tels financements peuvent correspondre à une stratégie à plus long terme bénéficiant à l'ensemble du groupe.
52. En ce qui concerne la relation société mère-filiale et l'appartenance au même groupe, la défenderesse soutient qu'une entreprise à caractère monopolistique peut conclure des contrats synallagmatiques équilibrés. La spécificité de l'activité de la société mère ne rendrait pas particulière sa relation avec sa filiale. Une analyse au cas par cas s'avérerait donc nécessaire, ce qui a été effectué en l'espèce sur la base des coûts complets. Cette analyse montrait que la filiale payait davantage que les coûts complets. Par conséquent, l'argument des requérantes relatif au marché réservé de la société mère vis-à-vis du marché concurrentiel de la filiale et de celui relatif au prétendu calcul des coûts à court terme s'avérerait non pertinent, voire erroné.
53. La défenderesse expose, à titre superfétatoire, que des économies d'échelle et de gamme, des synergies et des considérations stratégiques, au sein d'un groupe d'entreprises, ne sont pas critiquables en soi. Ces considérations n'affecteraient pas l'analyse des aides d'État si, dans la relation société mère-filiale, tous les coûts étaient pris en compte pour le calcul de la rémunération des services fournis.
54. La défenderesse constate également que, selon la communication de la Commission sur l'application des règles de concurrence au secteur postal et sur l'évaluation de certaines mesures d'État relatives aux services postaux (JO 1998, C 39, p. 2), le tarif des services concurrentiels offerts par les postes devrait être en principe au moins égal au coût total moyen des prestations. Cela impliquerait une couverture des coûts directs ainsi qu'une part adéquate des coûts communs et des coûts indirects supportés par l'opérateur en situation de monopole. De cette façon, la méthode mise en œuvre dans la décision attaquée, qui montrerait l'absence de subventions croisées, correspondrait à ces exigences.
55. En ce qui concerne le démarrage d'activités de diversification, la défenderesse fait valoir que l'argument des requérantes, basé sur les lignes directrices du secteur des télécommunications, n'est pas applicable en l'espèce. En outre, selon ces lignes directrices, il est exigé, pour l'opérateur en situation privilégiée, a priori (et non toujours), une rémunération normale pour les investissements affectés aux activités concurrentielles. Par ailleurs, l'affirmation des requérantes, selon laquelle la fourniture de services aurait été sous-rémunérée, ne serait pas du tout démontrée. De plus, elle serait démentie par l'étude Deloitte, de laquelle il résulterait que, dès 1989, la légère sous-rémunération antérieure aurait été compensée par une surrémunération postérieure.
56. La défenderesse rappelle que, vu la neutralité du traité CE relative au régime de propriété dans les États membres et le principe d'égalité de traitement entre les entreprises publiques et privées, il est loisible pour les États membres d'exercer des activités économiques et d'entreprendre des investissements. À cet égard, la défenderesse se réfère à la jurisprudence de la Cour selon laquelle des considérations stratégiques, des synergies, une mise en commun des éléments du fonds de commerce (image de marque, clientèle) peuvent justifier, lors de la création d'une filiale, un comportement de l'État qui correspond à celui d'un investisseur privé, et qui n'implique donc pas qu'il y ait aide d'État.
57. Chronopost critique, de manière générale, l'interprétation que font les requérantes de l'arrêt SFEI. Elle reproche aux requérantes d'avoir une vision subjective et théorique du marché auquel la Cour a fait référence. En voulant raisonner comme si La Poste était inexistante et en s'appuyant sur un marché uniquement constitué d'entreprises privées, les requérantes confondraient comportement et structure. La Cour aurait simplement rappelé que les comportements d'entreprises publiques sur le marché devraient être comparés aux comportements d'entreprises privées. En effet, la Cour aurait fait référence au cas d'une entreprise placée dans une situation analogue à celle de La Poste et à ce que cette dernière aurait dû faire si elle avait agi comme une entreprise privée dans les "conditions normales de marché".
58. Chronopost soutient que le raisonnement des requérantes fait abstraction de la situation de fait et de droit de la Poste. En effet, la position adoptée par les requérantes signifierait non seulement que l'examen des comportements devrait uniquement s'inspirer du modèle de l'investisseur privé, mais également qu'il devrait être pris comme référence un marché dépourvu d'entreprise publique ou de monopole légal.
59. Enfin, Chronopost fait valoir que l'approche des requérantes va à l'encontre de l'objectif des règles de concurrence. En effet, s'il devait être jugé de l'existence des aides d'État à l'intérieur d'un groupe par rapport non pas à ce que l'entreprise publique aurait dû facturer dans des conditions normales de marché, mais par rapport à ce qu'une société de droit privé, concurrente de l'entreprise publique, facture à sa filiale, le prix établi par les concurrents deviendrait le prix de référence pour apprécier l'existence ou non d'aide d'État.
60. La République française constate, en premier lieu, qu'un opérateur de courrier express peut parfaitement mener son activité sans bénéficier de l'infrastructure de La Poste, notamment au moyen d'un réseau intégré du type de celui des membres du SFEI. Cela serait confirmé par l'absence d'intérêt, de la part des requérantes, envers le réseau de La Poste. Par ailleurs, comme les marchés du courrier ordinaire et du courrier rapide sont très différents, ce réseau, conçu pour l'existence d'une activité de service public, ne présenterait pas réellement de synergies avec des activités relatives au courrier express.
61. En deuxième lieu, elle estime que les requérantes font un amalgame entre les structures d'entreprises qui doivent servir de référence pour l'appréciation, d'une part, de la normalité du comportement de l'entreprise publique et, d'autre part, de la normalité du comportement de l'entreprise en cause. La structure à prendre en considération devrait être celle d'une entreprise disposant de moyens comparables à ceux de La Poste, notamment d'un réseau équivalent. Il ne ressortirait ni de la lettre ni de l'exégèse de l'arrêt SFEI que la Commission devrait apprécier différemment la notion de comportement normal selon que l'entreprise dispose ou non d'un monopole sur une partie de ses activités.
62. En troisième lieu, la République française observe que le respect de la thèse des requérantes empêcherait une entreprise publique disposant d'un secteur réservé pour ses activités de service public de se diversifier sur le marché concurrentiel. Si le raisonnement des requérantes selon lequel une société mère jouissant d'un monopole légal devrait se soumettre à certaines restrictions additionnelles par rapport à celles applicables entre une société mère et sa filiale d'un groupe privé devait être suivi, cela remettrait en cause la possibilité de diversification d'une société mère disposant d'un secteur réservé, dans des conditions économiquement acceptables.
63. La Poste souligne, d'abord, que la directive 97-67-CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité du service (JO 1998, L 15, p. 14), ne contient aucune restriction quant à la possibilité pour les prestataires du service universel d'exercer d'autres activités, pour autant que les comptes établissent une nette distinction entre ces deux types d'activités. Quant à la notion de conditions normales de marché, elle fait remarquer, ensuite, que le raisonnement proposé par les requérantes constitue un raisonnement artificiel selon lequel le prix normal de l'assistance logistique et commerciale correspond au prix de "location" de chacune des parties d'un réseau, quelle qu'en soit l'utilisation. En effet, l'analyse des requérantes tendrait à rechercher le prix nécessaire pour la constitution d'un réseau. Enfin, la possibilité d'accès des tiers au réseau postal montrerait l'absence du caractère sélectif de cet accès, élément nécessaire pour qualifier une aide. En plus, si la SFMI-Chronopost avait bénéficié d'une aide considérable dans l'accès au réseau, les requérantes auraient eu tout intérêt à demander le bénéfice d'un tel accès.
Appréciation du Tribunal
64. L'article 92, paragraphe 1, du traité a pour objet d'éviter que les échanges entre États membres soient affectés par des avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions (arrêts de la Cour du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C-387-92, Rec. p. I-877, point 12, du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173-73, Rec. p. 709, point 26, et SFEI, point 58).
65. La notion d'aide recouvre dès lors non seulement des prestations positives telles que des subventions, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d'une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (arrêts de la Cour SFEI, point 58, et Banco Exterior de España, précité, point 13, et du 1er décembre 1998, Ecotrade, C-200-97, Rec. p. I-7907, point 34). Dans l'arrêt du 12 décembre 1996, Air France/Commission (T-358-94, Rec. p. II-2109, point 67), le Tribunal a précisé, en ce qui concerne l'article 92 du traité:
"Cette disposition englobe donc tous les moyens pécuniaires que le secteur public peut effectivement utiliser pour soutenir des entreprises, sans qu'il soit pertinent que ces moyens appartiennent ou non de manière permanente au patrimoine dudit secteur."
66. En plus, comme la Cour l'a estimé dans l'arrêt du 22 mars 1977, Steinike & Weinlig (78-76, Rec. p. 595, point 21), ce sont essentiellement les effets de l'aide en ce qui concerne les entreprises ou les producteurs bénéficiaires qu'il y a lieu de prendre en considération et non la situation des organismes distributeurs ou gestionnaires de l'aide.
67. En conséquence, la notion d'aide constitue une notion objective qui est fonction de la seule question de savoir si une mesure étatique confère ou non un avantage à une ou certaines entreprises (arrêts du Tribunal du 27 janvier 1998, Ladbroke Racing/Commission, T-67-94, Rec. p. II-1, point 52, et du 10 mai 2000, SIC/Commission, T-46-97, non encore publié, point 83).
68. L'interprétation de la notion d'aide d'État dans les circonstances de la présente affaire a été donnée par la Cour dans l'arrêt SFEI, selon lequel: "La fourniture d'une assistance logistique et commerciale par une entreprise publique à ses filiales de droit privé exerçant une activité ouverte à la libre concurrence est susceptible de constituer une aide d'État au sens de l'article 92 du traité CE si la rémunération perçue en contrepartie est inférieure à celle qui aurait été réclamée dans des conditions normales de marché."
69. Il découle des considérations qui précèdent que, afin d'apprécier si les mesures en cause peuvent constituer des aides d'État, il convient d'examiner la situation du point de vue de l'entreprise bénéficiaire, en l'occurrence la SFMI-Chronopost, et de déterminer si cette dernière a reçu l'assistance logistique et commerciale en cause à un prix qu'elle n'aurait pu obtenir dans des conditions normales de marché (arrêts SFEI, point 60, SIC/Commission, précité, point 78, et arrêts de la Cour du 29 avril 1999, Espagne/Commission, C-342-96, Rec. p. I-2459, point 41, et du 29 juin 1999, DM Transport, C-256-97, Rec. p. I-3913, point 22).
70. Dans son arrêt SFEI, la Cour a constaté que cette appréciation suppose une analyse économique qui tienne compte de tous les facteurs qu'une entreprise, agissant dans des conditions normales de marché, aurait dû prendre en considération lors de la fixation de la rémunération pour les services fournis (point 61).
71. En l'espèce, la Commission observe, dans la décision attaquée, que "le fait que la transaction a lieu entre une entreprise opérant sur un marché réservé et sa filiale exerçant ses activités sur un marché ouvert à la concurrence n'entre pas en ligne de compte dans la présente affaire. La Cour de justice n'a jamais indiqué que pour déterminer s'il y a ou non aide d'État la Commission devait appliquer une méthode différente lorsque l'une des parties à l'opération détient un monopole".
72. En conséquence, la Commission a considéré que les prix internes auxquels les produits et les services sont échangés entre des sociétés appartenant au même groupe "ne comportent aucun avantage financier, quel qu'il soit, s'il s'agit des prix calculés sur la base des coûts complets (c'est-à-dire les coûts totaux plus la rémunération des capitaux propres)".
73. Il résulte de ces affirmations que la Commission ne s'est pas fondée sur une analyse économique telle qu'exigée par l'arrêt SFEI pour démontrer que la transaction en question serait comparable à une transaction entre les entreprises agissant dans des conditions normales de marché. Au contraire, dans la décision attaquée, la Commission se contente de vérifier quels ont été les coûts encourus par La Poste pour la fourniture de l'assistance logistique et commerciale et à quel niveau ces coûts sont remboursés par la SFMI-Chronopost.
74. Or, même à supposer que la SFMI-Chronopost ait payé les coûts complets de La Poste pour la fourniture de l'assistance logistique et commerciale, cela ne suffirait pas en soi à démontrer qu'il ne s'agit pas d'aides au sens de l'article 92 du traité. En effet, étant donné que La Poste a peut-être pu, grâce à sa situation en tant qu'entreprise publique possédant un secteur réservé, fournir une partie de l'assistance logistique et commerciale à des coûts inférieurs à ceux d'une entreprise privée ne bénéficiant pas des mêmes droits, une analyse tenant compte uniquement des coûts de cette entreprise publique ne saurait, sans autre justification, exclure les mesures en cause de la qualification d'aide d'État. Au contraire, c'est justement la relation dans laquelle l'entreprise mère opère sur un marché réservé et sa filiale exerce ses activités sur un marché ouvert à la concurrence qui crée une situation où une aide d'État est susceptible d'exister.
75. En conséquence, la Commission aurait dû examiner si ces coûts complets correspondaient aux facteurs qu'une entreprise, agissant dans des conditions normales de marché, aurait dû prendre en considération lors de la fixation de la rémunération pour les services fournis. Ainsi, la Commission aurait au moins dû vérifier que la contrepartie reçue par La Poste était comparable à celle réclamée par une société financière privée ou un groupe privé d'entreprises, n'opérant pas dans un secteur réservé, poursuivant une politique structurelle, globale ou sectorielle et guidé par des perspectives à long terme (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 mars 1991, Italie/Commission, C-305-89, Rec. p. I-1603, point 20).
76. Il résulte de ce qui précède que, en écartant, dans la décision attaquée, l'existence même d'une aide étatique sans vérifier si la rémunération perçue par La Poste pour la fourniture de l'assistance commerciale et logistique de la SFMI-Chronopost correspondait à une contrepartie qui aurait été réclamée dans des conditions normales de marché, la Commission a fondé sa décision sur une interprétation erronée de l'article 92 du traité.
77. Cette interprétation ne saurait être infirmée par l'affirmation de la Commission selon laquelle l'article 222 du traité CE (devenu article 295 CE) prévoit que le traité ne préjuge en rien du régime de propriété dans les États membres. En effet, le fait d'exiger que la rémunération perçue par une entreprise publique, possédant un monopole, pour la fourniture de l'assistance commerciale et logistique à sa filiale corresponde à une contrepartie qui aurait été réclamée dans des conditions normales de marché n'interdit pas à une telle entreprise publique de pénétrer un marché ouvert, mais la soumet aux règles de concurrence, comme les principes fondamentaux du droit communautaire l'imposent. En effet, une telle exigence ne porte pas atteinte au régime de la propriété publique et ne fait que traiter de manière identique le propriétaire public et le propriétaire privé.
78. Il s'ensuit que la première branche du quatrième moyen est fondée.
79. En conséquence, il y a lieu d'annuler l'article 1er de la décision attaquée en ce qu'il constate que l'assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale la SFMI-Chronopost ne constitue pas des aides d'État en faveur de la SFMI-Chronopost, sans qu'il y ait besoin d'examiner la seconde branche de ce moyen ou les autres moyens dans la mesure où ces derniers concernent l'assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale la SFMI-Chronopost. En particulier, il n'y a pas lieu d'examiner le deuxième moyen par lequel les requérantes allèguent, en substance, que la motivation de la décision attaquée concernant l'assistance logistique et commerciale est insuffisante.
Sur le premier moyen, tiré d'une violation des droits de la défense et, notamment, du droit d'accès au dossier
Arguments des parties
80. Les requérantes estiment que l'effet utile de la participation à la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité impose à la Commission de transmettre pour observations, aux tiers intéressés, les éléments fondamentaux exprimés par l'État membre concerné postérieurement à la communication au Journal officiel annonçant l'ouverture de ladite procédure. À cet égard, elles font remarquer que la décision attaquée est principalement fondée sur des documents fournis par le Gouvernement français à la Commission (lettre du 21 janvier 1993, télécopie du 3 mai 1993, lettre du 18 juin 1993, note du 30 mai 1996, note en réponse aux observations de la SFEI d'août 1996 et l'étude Deloitte annexée à celle-ci) et que le SFEI n'a jamais eu accès à ces documents (à l'exception de deux lettres dans le cadre de la procédure préjudicielle ayant mené à l'arrêt SFEI), et cela en dépit de leurs demandes répétées.
81. Selon les requérantes, la Commission aurait dû leur fournir, même en l'absence d'une obligation expresse contenue dans l'article 93, paragraphe 2, du traité, des informations suffisantes pour leur permettre d'être effectivement entendues et d'exercer leur droit de participer à la procédure administrative. Les requérantes rappellent que la base factuelle et le raisonnement du Gouvernement français ont été adoptés quasi verbatim par la Commission dans la décision attaquée.
82. Elles font remarquer qu'un plaignant, en matière d'aides d'État, voit sa position concurrentielle substantiellement affectée par la décision de la Commission constatant l'inexistence d'aides d'État. En effet, sa situation n'est pas différente de celle du plaignant dans le cadre des articles 85 du traité (devenu article 81 CE) et 86 du traité (devenu article 82 CE) à l'égard de décisions adressées à d'autres personnes que lui-même. Or, dans un tel cas, il n'est pas contesté que le plaignant jouit des droits de la défense, même s'ils ne sont pas aussi étendus que ceux reconnus au destinataire de la décision et s'ils sont prévus par un texte écrit.
83. Par conséquent, la Commission aurait violé le principe fondamental du respect des droits de la défense et, notamment, de l'accès à l'information ayant servi de fondement à une décision administrative en refusant au SFEI l'accès aux documents et, en particulier, à l'étude Deloitte.
84. La défenderesse, soutenue par les parties intervenantes, conteste cette argumentation. Elle souligne qu'une décision mettant un terme à l'examen de compatibilité d'une aide avec le marché commun a toujours pour destinataire l'État membre concerné. Seul cet État membre doit être mis en demeure de faire connaître utilement son point de vue sur les arguments de la Commission et sur les observations des intéressés (y compris les plaignants). Pour ce faire, ledit État serait seul à disposer du droit d'accès au dossier.
Appréciation du Tribunal
85. Selon une jurisprudence bien établie, le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental de droit communautaire et doit être assuré même en l'absence d'une réglementation spécifique. Ce principe exige que l'entreprise concernée ait été mise en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (arrêt du Tribunal du 30 mars 2000, Kish Glass/Commission, T-65-96, non encore publié au Recueil, point 32).
86. Or, la procédure administrative en matière d'aide est seulement ouverte à l'encontre de l'État membre concerné. Les concurrents du bénéficiaire de l'aide, tels que les requérantes, sont uniquement considérés comme "intéressés" dans cette procédure.
87. En outre, il est de jurisprudence constante que, lors de la phase d'examen visée à l'article 93, paragraphe 2, la Commission doit mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations (arrêts de la Cour du 19 mai 1993, Cook/Commission, C-198-91, Rec. p. I-2487, point 22, du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225-91, Rec. p. I-3203, point 16, et du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367-95 P, Rec. p. I-1719, point 59).
88. En ce qui concerne plus particulièrement le devoir incombant à la Commission d'informer les intéressés dans le cadre de la procédure administrative de l'article 93, paragraphe 2, du traité, la Cour a jugé que la publication d'un avis au Journal officiel constitue un moyen adéquat en vue de faire connaître à tous les intéressés l'ouverture d'une procédure (arrêt de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323-82, Rec. p. 3809, point 17), tout en précisant que "cette communication vise exclusivement à obtenir, de la part des intéressés, toutes informations destinées à éclairer la Commission dans son action future" (arrêts de la Cour du 12 juillet 1973, Commission/Allemagne, 70-72, Rec. p. 813, point 19, et du Tribunal du 22 octobre 1996, Skibsværftsforeningen e.a./Commission, T-266-94, Rec. p. II-1399, point 256).
89. Cette jurisprudence impartit essentiellement aux intéressés le rôle de sources d'information pour la Commission dans le cadre de la procédure administrative engagée au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité. Il s'ensuit que les intéressés, loin de pouvoir se prévaloir des droits de la défense reconnus aux personnes à l'encontre desquelles une procédure est ouverte, disposent du seul droit d'être associés à la procédure administrative dans une mesure adéquate tenant compte des circonstances du cas d'espèce (arrêt du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a. et British Midland Airways/Commission, T-371-94 et T-394-94, Rec. p. II-2405, points 59 et 60).
90. En l'espèce, les requérantes se plaignent, en substance, de ne pas avoir eu accès aux documents fournis par le Gouvernement français à la Commission dans le cadre de la procédure administrative. Or, vu le caractère restreint des droits à la participation et à l'information susmentionnés, la Commission n'a pas l'obligation de transmettre aux intéressés les observations ou les informations qu'elle a reçues de la part du gouvernement de l'État membre concerné. Toutefois, il y a lieu de rappeler que le caractère restreint des droits des intéressés n'affecte pas le devoir qui incombe à la Commission, en vertu de l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE), de motiver d'une façon suffisante sa décision finale.
91. En conséquence, ce moyen doit être rejeté comme non fondé.
Sur le troisième moyen, tiré d'erreurs de fait et d'erreurs manifestes d'appréciation
Observations liminaires
92. Il y a lieu de remarquer que certains des griefs formulés par les requérantes dans le cadre du troisième moyen, à savoir ceux que les requérantes dénomment évaluation des coûts, méthode dite de "rétropolation", accès aux guichets de La Poste, causes de la rentabilité de la SFMI-Chronopost et taux de rendement interne de la SFMI-Chronopost, constituent des arguments qui sont liés à l'appréciation selon laquelle l'assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale la SFMI-Chronopost doit être considérée, ou non, comme une aide d'Etat.
93. De même, en ce qui concerne l'argument tiré de l'application, en faveur de La Poste, de la taxe réduite sur les salaires, les requérantes souhaitent démontrer que, même si seuls les coûts complets encourus par La Poste pour fournir l'assistance logistique et commerciale devaient être pris en compte, ces coûts seraient inférieurs à ceux qu'une entreprise privée aurait encourus, car La Poste est exemptée de TVA et assujettie à une taxe réduite sur les salaires. Dès lors que cet argument s'inscrit dans la demande en annulation de la décision attaquée, il doit être compris comme poursuivant la démonstration selon laquelle la SFMI-Chronopost a bénéficié d'une aide d'État lors de l'assistance que lui a fournie la Poste.
94. Dès lors que le Tribunal a déjà constaté que l'article 1er de la décision attaquée doit être annulé en ce qu'il constate que l'assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale la SFMI-Chronopost ne constitue pas des aides d'État en faveur de la SFMI-Chronopost, il n'y a pas lieu d'examiner les arguments susmentionnés.
Sur la publicité sur Radio France et sur la procédure de dédouanement des envois de la SFMI-Chronopost
- Arguments des parties
95. En ce qui concerne la publicité sur Radio France, les requérantes estiment que le fait que la SFMI-Chronopost a accès à Radio France constitue, en soi, une aide d'État malgré le prix payé pour cet accès. L'accès aux ondes de Radio France aurait été réalisé en violation de la mission impartie par l'État à Radio France, car aucune publicité de marque ne pouvait y être faite. Cette publicité emporterait un avantage pour la SFMI-Chronopost en lui allouant des ressources publiques non disponibles pour ses concurrents. De plus, les ressources de l'État auraient été détournées de leurs objectifs en faveur d'une entreprise, ce qui créerait une charge supplémentaire pour l'État en privant Radio France d'un temps d'antenne pour ses services publics. Ainsi, la Commission aurait commis une erreur manifeste d'appréciation des faits en prétendant que l'accès aux ondes de Radio France n'aurait pas pu entraîner l'affectation des ressources d'État.
96. La défenderesse constate que les requérantes ne contestent pas que la SFMI-Chronopost se soit adressée à une agence de publicité et que, sur la base du contrat ainsi conclu par cette dernière, notamment, avec Radio France, elle a payé le prix du marché. La procédure ainsi suivie et la publicité parallèle sur d'autres radios ainsi que la rémunération acquittée à Radio France assureraient que l'État a été rémunéré dans les conditions du marché. Par conséquent, il n'y aurait pas eu de transfert de fonds publics, ni même un manque à gagner, mais un bénéfice net pour l'État.
97. Quant à la procédure de dédouanement des envois de la SFMI-Chronopost pendant la période d'avril 1986 à janvier 1987, les requérantes soutiennent que les formalités de dédouanement de la SFMI-Chronopost étaient effectuées par La Poste dans ses locaux, selon une procédure spéciale. L'application de cette procédure à la SFMI-Chronopost lui octroierait tout d'abord un avantage dans la rapidité d'exécution de ce service, ce qui est un réel bénéfice dans le cadre de l'activité du courrier express international. Cet avantage ne serait pas nié dans la décision attaquée qui évoquerait le fait que le régime spécial serait plus favorable que le système de droit commun "en ce que la procédure de dédouanement serait plus rapide".
98. Ensuite, les requérantes font remarquer qu'elles avaient déjà indiqué, de manière détaillée, dans leurs observations du 17 août 1996, le coût de cet avantage, à savoir 140 FRF en moyenne par envoi soumis au dédouanement au titre des frais de formalités douanières (administratifs, opérationnels, financiers et de responsabilité), que les sociétés privées avaient à supporter mais dont la SFMI-Chronopost était dispensée. Ce montant représenterait d'ailleurs la différence entre le prix de l'envoi d'un "document" (envoi de valeur négligeable) et le prix de l'envoi d'un "colis" (envoi de valeur non négligeable). Elles prennent comme exemple les frais encourus par une société particulière pour une déclaration en douane: DHL France payerait à sa filiale spécialisée en dédouanement entre 60 et 95 FRF selon les destinations pour les déclarations en douane, et il faudrait y ajouter le même ordre de coût pour l'importation, ce qui donne un total de 140 FRF en moyenne. Les requérantes constatent que la SFMI-Chronopost ne fait aucune différence dans ses tarifs en ce qui concerne les envois de valeur négligeable et les autres, contrairement aux autres sociétés de courrier. Selon les requérantes, cela s'explique par l'absence de prise en charge des frais liés au dédouanement.
99. Quant à la période postérieure à janvier 1987, les requérantes soutiennent que la SFMI-Chronopost a pu bénéficier de plusieurs avantages induits par les procédures postales simplifiées par rapport aux procédures de droit commun appliquées aux sociétés privées de courrier express. Elle aurait, notamment, bénéficié du passage en douane simplifié (dédouanement accéléré; la marchandise sort plus vite grâce à l'étiquette C1 ou au formulaire C2/CP3), d'un avantage commercial (pas de facture jusqu'à une certaine valeur), de l'absence de taxation pour les échantillons et les cadeaux au-delà du seuil de franchise à l'entrée en France ou dans le pays de destination, des facilités de traitement administratif (pas de préparations documentaires) et du faible coût d'exploitation (d'où les tarifs fixés au même niveau que celui des envois non taxables).
100. La défenderesse souligne que l'argumentation très technique des requérantes n'est pas pertinente du point de vue des aides d'État. En fait, l'existence d'une telle aide présupposerait l'affectation de ressources publiques. En l'occurrence, à supposer que les envois de la SFMI-Chronopost aient été dédouanés plus facilement, ce traitement simplifié n'impliquerait aucun transfert de ressources d'État.
101. La défenderesse admet que pour la période d'avril 1986 à janvier 1987, les formalités de dédouanement étaient effectuées par La Poste. Toutefois, le directeur général des douanes confirmerait, dans son courrier du 3 juin 1986 : "[L]a procédure douanière applicable aux sociétés du courrier ne peut que s'appliquer à l'activité de la SFMI, en ce qui concerne le dédouanement des envois [... et] le dédouanement des marchandises taxables donnera lieu au dépôt de déclarations en douanes de droit commun." Ladéfenderesse déduit de ces affirmations l'absence de tout avantage pour la SFMI-Chronopost. La défenderesse ajoute que la SFMI-Chronopost a remboursé La Poste pour les frais encourus par cette dernière au titre de la procédure douanière.
102. En outre, en ce qui concerne le prétendu surcoût de 140 FRF et les différences dans les tarifs pratiqués, la défenderesse fait remarquer que ces pratiques reflètent plutôt la politique commerciale d'une entreprise. DHL, par exemple, ne différencierait plus ses tarifs pour un poids de 10 kg, qu'il s'agisse de colis ou de documents. Ainsi, la SFMI-Chronopost aurait choisi de ne pas distinguer les documents des colis, tout comme sa concurrente Federal express international. En conséquence, la somme de 140 FRF serait arbitraire et sans rapport avec les coûts que supporte la SFMI-Chronopost.
103. La défenderesse fait remarquer que la seule nouveauté, à partir de février 1987, était la qualité de commissionnaire en douane de la SFMI-Chronopost, la procédure de dédouanement étant celle présentée par la lettre du 3 juin 1986, précitée. En outre, elle expose que la période allant du début de 1987 à la fin de 1991 était réglée par des conventions passées entre chaque société de courrier express et l'administration des douanes selon la décision administrative de cette dernière 86-88 du 13 mai 1986 et que les requérantes n'ont pas démontré qu'elles auraient été désavantagées par rapport à la SFMI-Chronopost.
104. La défenderesse ajoute qu'une note de service de La Poste du 16 janvier 1987 confirme que ce sont les règles normales qui s'appliquent à la SFMI-Chronopost à propos du dédouanement à l'exportation. De plus, la défenderesse explique que, de 1986 à 1992, la SFMI-Chronopost commercialisait des produits de l'Union postale universelle et que, pour cette raison, elle était soumise à des formalités supplémentaires constituées par les documents C1, C2/CP3 prescrits par ladite Union postale. En ce qui concerne les pays de destination, la défenderesse souligne que les formulaires C1 et C2/CP3 n'exercent aucune influence sur les procédures nationales de dédouanement, qui relèvent de la compétence exclusive de ces pays et ne seraient donc pas imputables à la République française.
- Appréciation du Tribunal
105. La distinction entre aides accordées par l'État et aides accordées au moyen de ressources d'État est destinée à inclure dans la notion d'aide non seulement les aides accordées directement par l'État, mais également celles accordées par des organismes publics ou privés, désignés ou institués par l'État (arrêts de la Cour du 17 mars 1993, Sloman Neptun, C-72-91 et C-73-91, Rec. p. I-887, point 19, du 30 novembre 1993, Kirsammer-Hack, C-189-91, Rec. p. I-6185, point 16, et du 7 mai 1998, Viscido e.a., C-52-97, C-53-97 et C-54-97, Rec. p. I- 2629, point 13).
106. Le terme aide implique également des avantages constituant une charge supplémentaire pour l'État ou pour les organismes désignés ou institués à cet effet (arrêt Ecotrade, précité, points 35 et 43)
107. De plus, comme il a été déjà rappelé, la notion d'aide est plus générale que celle de subvention, parce qu'elle comprend non seulement des prestations positives telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d'une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (arrêt de la Cour du 27 juin 2000, Commission/Portugal, C-404-97, non encore publié au Recueil, point 44; arrêts SFEI, point 58, et Banco Exterior de España, précité, point 13).
108. Or, le simple fait d'avoir accepté que la SFMI-Chronopost puisse faire de la publicité sur Radio France ne peut être considéré comme une aide d'État dans la mesure où cet accès n'entraîne aucun transfert de ressources d'État, ni une charge supplémentaire pour l'État ou pour les organismes désignés ou institués à cet effet, ni un allégement des charges qui normalement grèvent le budget de la SFMI-Chronopost, cette dernière ayant payé le prix du marché pour sa publicité.
109. En conséquence, la possibilité pour la SFMI-Chronopost de faire de la publicité sur Radio France ne constitue pas une aide d'État, à supposer même que le temps d'antenne ait été octroyé en violation des règles régissant Radio France.
110. Quant à la procédure de dédouanement des envois de la SFMI-Chronopost, il y a lieu de constater que, à supposer même que les envois de la SFMI-Chronopost aient été dédouanés plus facilement, ce traitement simplifié n'impliquerait aucun transfert de ressources d'État, ni charge supplémentaire pour l'État. En effet, les requérants n'ont même pas essayé de démontrer dans quelle mesure le prétendu traitement simplifié impliquerait un transfert de ressources d'État ou une charge supplémentaire pour l'État. En ce qui concerne les charges qui auraient, normalement, grevé le budget de la SFMI-Chronopost sans l'assistance logistique fournie par La Poste, il n'y a pas lieu de les examiner, dès lors que le Tribunal a déjà constaté que l'article 1er de la décision attaquée doit être annulé, en ce qu'il constate que l'assistance logistique fournie par La Poste à sa filiale la SFMI-Chronopost ne constitue pas des aides d'État en faveur de la SFMI-Chronopost.
111. Toutefois, en ce qui concerne la période d'avril 1986 à janvier 1987, les requérantes allèguent également que les coûts douaniers, normalement à la charge de la SFMI-Chronopost, ont été assurés par la Poste. À cet égard, le Gouvernement français a admis, et la Commission l'a, de son côté, relevé, que les opérations de dédouanement étaient effectuées par La Poste pour le compte de la SFMI-Chronopost. Or, la Commission a expliqué, sans être contredite par les requérantes, que les frais de douane ont été complètement remboursés par la SFMI-Chronopost. En ce qui concerne la question de savoir si la SFMI-Chronopost a bénéficié d'avantages grâce au fait que les formalités de dédouanement relatives à ses activités internationales ont été effectuées par La Poste avant 1987, il s'agit d'une éventuelle assistance logistique dont la rémunération doit être appréciée par la Commission de la même façon que toute autre assistance logistique. Il n'y a, dès lors, pas lieu non plus d'examiner le grief tiré de l'assistance douanière fournie par La Poste avant 1987, qui se confond avec ceux examinés dans le cadre du quatrième moyen.
112. Il résulte de ce qui précède que le grief lié à la publicité sur Radio France doit être rejeté.
Sur le droit de timbre
- Arguments des parties
113. Les requérantes observent que le droit de timbre, d'un montant de 4 FRF (auparavant d'un montant inférieur), s'applique "aux lettres de voiture et à tous autres écrits ou pièces tenant lieu" relatifs à un contrat de transport. Or, la SFMI-Chronopost bénéficierait d'une exonération du droit de timbre s'agissant des lettres et paquets-poste ne contenant pas de marchandise. En revanche, les autres sociétés de courrier express devraient acquitter un tel droit sur tous leurs transports, y compris les lettres et paquets-poste ne contenant pas de marchandise.
114. Elles soulignent que de nombreux contentieux fiscaux portant sur des montants considérables imputés aux sociétés du secteur, à l'exception de la SFMI-Chronopost, démontrent que la Commission a tort en affirmant que l'exonération du droit de timbre concerne les envois (ne contenant pas de marchandise) de tous les opérateurs. Afin de prouver leur affirmation, les requérantes ont fourni des procès-verbaux de la direction des services fiscaux français relatifs à des procédures de mise en recouvrement à l'encontre de la société DHL.
115. La défenderesse fait valoir que la SFMI-Chronopost a acquitté le droit de timbre généralement dû par tous les opérateurs pour les envois contenant des marchandises (ce qui exclut les documents) conformément aux articles 925 et 313 du code général des impôts français. Elle se réfère à un document fiscal concernant la SFMI-Chronopost en observant que l'exonération mentionnée dans ce document pour les envois ne contenant pas de marchandise ne serait pas spécifique à la SFMI-Chronopost mais concernerait tous les opérateurs du secteur. Par ailleurs, l'avis du ministère des Finances français concernant la vérification de la comptabilité de la SFMI-Chronopost confirmerait l'absence de toute ristourne en attestant que, du 1er janvier 1985 au 31 décembre 1994, les droits d'enregistrement et les droits assimilés acquittés par la SFMI-Chronopost n'auraient donné lieu à aucun redressement.
116. La défenderesse remarque ensuite que les requérantes confirment l'état de droit puisqu'elles affirment que les contrats de transport d'envois ne contenant pas de marchandise sont dispensés du droit de timbre. Dès lors que la non-imposition dudit droit à ces envois serait conforme aux dispositions du Code général des impôts, les requérantes se plaindraient de la prétendue application erronée desdits textes sur leurs envois. En effet, elles n'invoqueraient plus l'exonération prétendument accordée à la SFMI-Chronopost, mais s'attaqueraient à l'imposition illégale qui leur aurait été faite.
117. En tout état de cause, il ne saurait être déduit d'une éventuelle imposition illégale d'un opérateur économique une aide d'État en faveur d'un autre opérateur correctement imposé. Corrélativement, il n'y aurait pas d'affectation des ressources d'État au sens de transfert de fonds ou de manque à gagner, puisque la seule conséquence résultant de la prétendue erreur du fisc concernant DHL entraînerait des entrées financières supplémentaires pour l'État.
118. Chronopost fait remarquer que le champ d'application du droit prévu aux articles 925 et suivants du Code général des impôts a été restreint, de manière générale, par la doctrine administrative selon laquelle seuls les contrats de transport de marchandises sont assujettis au droit de timbre des contrats de transport. Elle souligne que ce n'est donc pas la SFMI-Chronopost qui est exonérée mais les contrats de transport qui ne portent pas sur les marchandises.
- Appréciation du Tribunal
119. Selon la défenderesse et les intervenantes, le droit de timbre n'étant pas applicable aux contrats de transport ne portant pas sur les marchandises, la SFMI-Chronopost ne bénéficierait pas d'une exonération particulière.
120. Les affirmations des requérantes ne prouvent pas le contraire. En effet, les requérantes se réfèrent au procès-verbal du conseil d'administration de la SFMI du 20 décembre 1988, qui indique que l'amélioration de la marge brute de la SFMI pour 1988 a, entre autres origines, "l'accord obtenu auprès de l'administration, concernant l'exemption du droit de timbre [...] sur les documents". De plus, elles ajoutent que cet accord serait matérialisé dans l'extrait des comptes de la SFMI pour l'exercice 1988 qui a effectué une provision pour risques et charges intitulée "droit de timbre sur documents" de 12 385 374 FRF avec la mention "Suivant réponse du ministère de l'Économie, des Finances et du Budget en date du 23 septembre 1988, la SFMI est exonérée du droit de timbre concernant les lettres et paquets-poste ne contenant pas de marchandise". Enfin, elles avancent que le traitement favorable de la SFMI-Chronopost serait encore rappelé dans un rapport parlementaire de 1997 sur La Poste, selon lequel cette dernière est exonérée du droit de timbre pour la correspondance ou les autres colis transportés.
121. À cet égard, il y a lieu de remarquer que les deux premiers documents ne démontrent pas que tous les contrats de transport qui ne portent pas sur les marchandises ne seraient pas exemptés du droit de timbre. Dans ces documents, il est uniquement affirmé que la SFMI-Chronopost, au moins, a profité de cette exemption. Quant au rapport parlementaire, il est constant que seule La Poste est mentionnée dans cet extrait.
122. En ce qui concerne les procès-verbaux de la direction des services fiscaux relatifs aux procédures de mise en recouvrement à l'encontre de la société DHL, il suffit de constater, comme l'a fait la Commission, qu'il ne saurait être déduit d'une éventuelle imposition illégale d'un opérateur économique une aide d'État en faveur d'un autre opérateur correctement imposé. En outre, il y a lieu de relever que DHL soutient elle-même, dans sa réclamation contentieuse du 2 septembre 1997 contre l'avis de mise en recouvrement du 15 juillet 1997, que "seuls les contrats de transport de marchandises sont assujettis au droit de timbre prévu par les articles 925 et suivants du [Code général des impôts]".
123. Dès lors, cet argument doit être rejeté comme non fondé.
124. Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le troisième moyen, dans la mesure où il ne porte pas sur des griefs se confondant avec ceux qui ont été examinés dans le cadre du quatrième moyen.
Sur les demandes de production des documents
125. Vu ce qui précède, il est inutile d'ordonner la production des documents supplémentaires.
Sur les dépens
126. Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supportera ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Le recours n'ayant été que partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que les requérantes supporteront 10 % de leurs propres dépens et que la Commission supportera ses propres dépens ainsi que 90 % de ceux exposés par les requérantes.
127. La République française, Chronopost et La Poste, qui sont intervenues dans le litige, supporteront leurs propres dépens, en application de l'article 87, paragraphe 4, premier et troisième alinéas, dudit règlement.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
déclare et arrête:
1°) L'article 1er de la décision 98-365-CE de la Commission, du 1er octobre 1997, concernant les aides que la France aurait accordées à la SFMI-Chronopost, est annulé en ce qu'il constate que l'assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale la SFMI-Chronopost ne constitue pas des aides d'État en faveur de la SFMI-Chronopost.
2°) Le recours est rejeté pour le surplus.
3°) Les requérantes supporteront 10 % de leurs propres dépens.
4°) La Commission supportera ses propres dépens et 90 % des dépens exposés par les requérantes.
5°) La République française, Chronopost SA et La Poste supporteront leurs propres dépens.