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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 19 janvier 1995, n° 94-04760

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bertolini

Avocat général :

M. Louise

Conseillers :

Mmes Magnet, Marie

Avocat :

Me Laraize.

TGI Sens, du 24 févr. 1994

24 février 1994

RAPPEL DE LA PROCÉDURE:

LE JUGEMENT:

F Jean-Charles a été poursuivi devant le tribunal pour:

- non-respect des règles relatives à l'information du consommateur - Marquage de produit, service, le 30 septembre 1993, à Sens (89), infraction prévue par l'article 33 al. 2 1 du Décret n° 86-1309 du 29/12/1986, L. 113-3 du Code de la consommation, ordonnance n° 45-1483 du 30/06/1945 et réprimée par l'article 33 al. 2 1 du Décret n° 86-1309 du 29/12/1986,

- remise de contrat non conforme au client - démarchage a domicile ou dans un lieu non commercial, le 30 septembre 1993, à Sens (89), infraction prévue par les articles L. 121-28, L. 121- 23, L. 121-24, L. 121-21 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 121-28 du Code de la consommation,

- publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, le 30 septembre 1993, à Sens (89), infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation,

Le tribunal l'a relaxé du chef de défaut de remise d'un bon de commande avec mentions obligatoires, défaut de remise du formulaire de rétractation obligatoire, publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, infraction à l'interdiction de perception d'acompte,

l'a déclaré coupable de défaut de remise à l'emprunteur du double de l'offre préalable, et défaut d'étiquetage, et l'a condamné à 3 000 F d'amende, et 25 amendes de 100 F pour le défaut d'étiquetage,

a assujetti la décision à un droit fixe de procédure de 600 F;

LES APPELS:

appel a été interjeté par :

M. le Procureur de la République, le 7 mars 1994 contre Monsieur F Jean-Charles,

DÉCISION:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel régulièrement interjetés par le Ministère public à l'encontre du jugement déféré ;

S'y référant pour l'exposé de la prévention ;

RAPPEL DES FAITS

M. F exploitait en tant que gérant d'une SARL à Sens, un magasin à l'enseigne "M". Un contrôle de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et des Fraudes (DGCCF) le 30 septembre 1993, devait amener la découverte :

- d'un défaut d'étiquetage de 7 salons en cuir sur 80 salons, fauteuils et canapés dont 60 revêtus de cuir, et de deux tables, ainsi qu'un étiquetage non conforme de 16 produits en cuir ;

- d'un défaut de remise de l'exemplaire emprunteur d'une offre préalable de crédit à un client.

Les enquêteurs constataient également que M. F annonçait d'importantes remises et des prix d'ouverture, alors que le coefficient de marge apparaissait hors remise à 5, soit 2,5 après application des remises soit le coefficient moyen calculé par les concurrents de M. F lors des ventes ordinaires ;

M. F devait également reconnaître qu'il avait été indiqué à une cliente, par le biais d'un appel téléphonique, qu'elle était l'heureuse bénéficiaire d'un magnifique cadeau à retirer auprès du magasin, information confirmée par courrier; que l'intéressée étant venue chercher son lot, elle s'était fait remettre, entre autre un chèque de réduction de 20 000 F à valoir sur les salons, que celle-ci avait opté pour un achat de 26 000 F puis avait décidé de l'annuler;

Les agents avaient relevé que l'opération était toujours en cours et que la vente n'avait pas été conclue conformément aux règles du démarchage à domicile en raison d'un bon de commande non conforme, de l'absence au formulaire d'un bon détachable de rétractation et de la perception d'un acompte avant l'expiration du délai de réflexion;

A l'appui de son appel le Ministère public fait observer:

- en premier lieu, que le montant de l'amende est modique eu égard à la multiplicité des infractions, aux règles concernant l'étiquetage,

- en deuxième lieu, que l'amende est très modérée eu égard à l'importance des infractions concernant le crédit à la consommation,

- en troisième lieu, que s'agissant de l'opération consistant à appeler par téléphone un client afin de l'inviter à venir retirer un cadeau, les clients lorsqu'ils viennent prendre leur lot, se voient remettre un bon de réduction à valoir sur les salons exposés et accompagnés avec insistance dans le rayon des salons ; qu'ainsi, le contrat est conclu en conséquence de la venue de la personne venant chercher un objet réel, mais d'une faible valeur, et accueillie par un vendeur expert; qu'il y consommateurs édictées aux articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation ; que l'infraction aux règles du démarchage à domicile est bien constituée ;

- en quatrième lieu, s'agissant de la publicité mensongère, que le consommateur qui découvre placardées sur les vitrines extérieures de l'établissement les mentions "prix d'ouverture" et "remises importantes" s'attend légitimement à bénéficier d'une bonne affaire, notamment par rapport à ce qu'il pouvait obtenir dans un magasin similaire, alors que la marge pratiquée est sensiblement égale voire supérieure à celle pratiquée par ses concurrents, que les prix de référence étaient purement fictifs, faisant croire à un prix avantageux.

M. F s'est présenté à l'audience, assisté de son conseil, par voie de conclusions, il fait valoir :

- en premier lieu, que le défaut d'étiquetage s'était produit lors de l'ouverture du magasin et que c'est la raison pour laquelle le tribunal avait fait preuve d'indulgence, que la décision doit donc être confirmée ;

- en deuxième lieu, se référant à ses écritures de première instance, que la conservation de l'exemplaire emprunteur d'une offre préalable de crédit, est imputable à des vendeurs occasionnels embauchés pour l'ouverture du magasin;

- en troisième lieu, sur le délit de publicité de nature à induire en erreur, qu'il ne pouvait proposer que des prix avantageux par rapport au prix qui seraient ultérieurement pratiqués, et qu'il n'est pas établi que les prix de référence ainsi déterminés n'étaient pas réels, dès lors qu'il n'y a eu aucune constatation pour établir les prix pratiqués par la suite

Que, par ailleurs, il était libre de pratiquer les prix de son choix, le magasin venant d'être ouvert, et les prix étant fixés librement par le commerçant ;

- en quatrième lieu, sur l'infraction à la réglementation sur le démarchage à domicile, que comme l'a retenu le tribunal, l'infraction suppose d'une part, que le marchand quitte son lieu de vente et aille au devant du consommateur, d'autre part, que le marchand fasse des propositions d'achat, ce qui n'était pas le cas aucune offre de vente n'ayant été faite par téléphone ; il ajoute qu'il pouvait se prévaloir de l'erreur de droit admise par l'article 122-3 du nouveau Code pénal, n'ayant pu connaître la jurisprudence qui résulte d'un arrêt de la Cour d'appel d'Agen qui fonde le relevé de la présente infraction, pour des ventes qui ont eu lieu avant la date de diffusion "confidentielle" de cette décision ;

A titre subsidiaire, il soutient, que si la loi de 1972 sur le démarchage à domicile est appliquée il ne saurait y avoir trois infractions mais une seule, les manquements relevés ayant pour origine un fait unique, à savoir avoir pensé que ladite loi ne s'appliquait pas à de telles ventes ;

A titre encore plus subsidiaire, il prétend qu'il n'avait pas l'intention de commettre le délit :

- en dernier lieu, il demande que dans l'éventualité d'une condamnation, il n'en soit pas fait mention au bulletin n° 2 du casier judiciaire.

SUR L'INFRACTION AUX REGLES CONCERNANT L'ETIOUETAGE

Considérant que les faits sont reconnus et constants ;

Que la peine est justifiée eu égard à l'absence de précédent judiciaire;

Que le jugement doit donc être confirmé tant sur la déclaration de culpabilité que sur la peine prononcée ;

SUR L'INFRACTION CONCERNANT LA REGLEMENTATION DU CREDIT A LA CONSOMMATION

Considérant que le prêteur doit remettre à l'emprunteur un exemplaire de l'offre préalable de crédit, muni d'un bordereau de rétractation ;

Que, dès lors, le prêteur n'intervient pas au contrat, cette formalité doit être accomplie par celui qui est son mandataire ;

Considérant que M. F a soutenu oralement, qu'il ne pouvait être mandataire de l'organisme préteur, aucun écrit n'ayant été établi ;

Que le contrat de mandat étant un contrat consensuel, un écrit n'est pas nécessaire à son existence ;

Que le vendeur a cette qualité, s'il apparaît qu'il a conclu le contrat de prêt pour le compte du prévenu ;

Qu'il résulte de la procédure, que les offres préalables de crédit, étaient conclues dans le magasin M à l'occasion des ventes de meubles, ce qui établit la qualité de mandataire de M. F ;

Que le vendeur a cette qualité, s'il apparaît qu'il est parti au contrat de prêt ;

Que tel est le cas en l'espèce, les offres préalable de crédit, opération étant conclue, au magasin M ;

Que, d'ailleurs, M. F reconnaît qu'il avait l'obligation de remettre ce formulaire ;

Que les enquêteurs ont découvert plusieurs exemplaires destinés à l'emprunteur dans les dossiers de vente ;

Qu'il s'agit donc d'une pratique habituelle et non d'une négligence, comme le soutient M. F, qui interdit à l'emprunteur d'exercer une possibilité de rétractation que lui offre la loi ;

Que l'infraction est donc constituée ;

Que la peine prononcée est justifiée ;

Que le jugement doit donc être confirmé tant sur la déclaration de culpabilité que sur la répression ;

SUR L'INFRACTION RELATIVE AUX REGLES SUR LE DEMARCHAGE A DOMICILE

Considérant que M. F ne saurait soutenir que le procès-verbal a été dressé irrégulièrement au motif que les enquêteurs se sont fondés sur une jurisprudence qu'il ignorait; qu'en effet, c'est la loi sur le démarchage à domicile qui a servi de base à la poursuite et les modalités de l'opération étant manifestement conçues pour éluder l'application de ces dispositions ;

Que l'intention coupable est ainsi caractérisée ;

Que si aucune offre de vente n'était faite aux personnes qui faisaient l'objet d'un appel téléphonique, à l'occasion duquel, elles étaient invitées à se rendre au magasin pour recevoir un cadeau, dont on les assurait qu'elles seraient de toute façon bénéficiaires, cette démarche avait pour objet de provoquer la venue des intéressés au magasin de vente, où des offres leur étaient faites ;

Que le lien qui unit les diverses étapes de cette opération en fait un démarchage à domicile;

Qu'il est établi qu'une cliente a été ainsi amenée à acquérir une cuisine et qu'elle a demandé ensuite la résiliation du contrat ;

Considérant que M. F a contrevenu à l'article L. 121-24 du Code de la consommation qui impose en cas de démarchage à domicile, la remise d'un formulaire détachable destiné à faciliter l'exercice de la faculté de renonciation, et à l'article L. 121-26 du même Code qui interdit d'exiger ou obtenir du client, directement ou indirectement, à quelque titre ni sous quelque forme que ce soit une contrepartie quelconque, ni aucun engagement, ni effectuer des prestations de quelque nature que ce soit ;qu'il est établi qu'aucun formulaire permettant la rétractation n'a été remis à une cliente, qui avait par ailleurs, versé le montant de l'acquisition ;que toutefois, l'infraction à l'article L. 121-25 n'est pas établie, n'étant pas rapportée qu'elle ait refusé la rétractation d'une cuisine conclue dans ces conditions, l'affaire étant en cours lors de l'enquête ;

Considérant qu'en cas de commission de plusieurs délits, l'article 5 du Code de procédure pénale ne permet de prononcer qu'une seule peine;

Que le prononcé d'une amende de 10 000 F est justifié;

SUR L'INFRACTION DE PUBLICITE MENSONGERE

Considérant que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur la liberté des prix et l'absence de prix de référence pour relaxer M. F des poursuites ;

Que, cependant l'infraction de publicité mensongère n'est pas établie;

Qu'en effet, l'infraction serait constituée, s'il se révélait que les prix de lancement sur lesquels une remise avait été accordée, avaient fait l'objet d'une majoration, dans le but de faire croire aux clients qu'ils bénéficiaient d'une réduction de prix;

Que, toutefois, les pièces versées aux débats et notamment les comparaisons avec les prix pratiqués par les concurrents sont trop imprécises, la description des objets ne permettant pas de savoir s'il s'agissait d'articles de qualité comparable;

Qu'il convient en conséquence de relaxer M. F de ce chef d'inculpation.

SUR LA DISPENSE D'INSCRIPTION AU BULLETIN N° 2 DU CASIER JUDICIAIRE

Considérant que l'exclusion de la mention de la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire doit être exceptionnelle ;

Que M. F n'invoque aucun motif à l'appui de sa demande; qu'elle n'est pas non plus justifiée par les éléments du dossier ;

Qu'elle doit donc être rejetée ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel du Ministère public ; Confirme en ce qu'il a condamné F Jean-Charles pour défaut de remise à l'emprunteur de l'exemplaire qui lui est destiné de l'offre préalable de crédit et pour défaut d'étiquetage d'objets mobiliers offerts à la vente, en ce qu'il a relaxé F Jean-Charles du délit de publicité mensongère ; L'infirme en ce qu'il a relaxé F Jean-Charles du délit de non-respect des règles relatives au démarchage à domicile ; Le condamne à une amende de 10 000 F pour le délit de démarchage ; Le déboute de ses autres demandes, fins ou conclusions ; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné.