CA Aix-en-Provence, 2e ch. com., 22 mai 2003, n° 99-19817
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Franco et Cie (SARL)
Défendeur :
Val d'Anaud (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Croze
Conseillers :
MM. Blin, Jacquot
Avoués :
SCP Blanc-Amsellem-Mimran, Me Jauffrès
Avocats :
Mes Charles, Cressin Bensa.
EXPOSE DU LITIGE
Paolo Loru a été successivement salarié de la société Franco et Cie de 1988 à 1992 puis de la société France Prim ayant les mêmes associés de 1992 à 1996 date à laquelle il crée la SARL Val d'Anaud ayant pour activité la "vente au détail de fruits et légumes".
Soutenant qu'en réalité cette dernière exerce une activité de vente en gros, en violation des règles des marchés d'intérêt national de Menton et Nice, et lui cause un préjudice commercial, la société Franco et Cie l'a assignée en déclaration de responsabilité et paiement de dommages-intérêts devant le Tribunal de commerce de Menton qui par jugement contradictoire du 30 septembre 1999 a débouté la société Franco et Cie de ses demandes et l'a condamnée à payer une somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Elle est appelante de ce jugement selon déclaration du 26 octobre 1999 et plaide dans ses conclusions récapitulatives du 29 janvier 2003 que:
- elle est fondée à agir quand bien même aucune clause de non-concurrence ne figurait dans le contrat de travail de Paolo Loru;
- sa demande est fondée sur une désorganisation du marché puisque la société Val d'Anaud exerce le commerce de gros, sans payer les taxes parafiscales et cotisations, sous le biais d'une activité déclarée de détail;
- elle livre des restaurateurs qui étaient ses anciens clients, ce que ne conteste pas l'intimée;
- selon attestation de son expert comptable, la clientèle perdue générait un chiffre d'affaires annuel de 80 256 euros soit un préjudice de 15 245 euros au regard d'une marge nette d'environ 17 %.
L'appelante conclut ainsi à l'infirmation du jugement déféré et au paiement par la société Val d'Anaud des sommes de 106 715 euros à titre de dommages-intérêts et de 3 050 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle sollicite aussi la cessation de l'activité de gros de la société Val d'Anaud sous astreinte définitive de 762,25 euros par infraction constatée.
Rappelant que Paolo Loru a quitté son emploi de la société Franco et Cie le 1er septembre 1992 sans aucune clause de non-concurrence, la société Val d'Anaud estime tout d'abord que l'appelante est irrecevable à agir. Sur le fond elle fait valoir que:
- elle ne viole aucune disposition légale ou réglementaire et acquitte aussi des droits et taxes au marché d'intérêt national de Nice;
- les inspecteurs de ce marché n'ont relevé aucun comportement fautif à son encontre;
- les attestations produites par la société Franco et Cie ne sont pas conformes aux prescriptions de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile et ne prouvent aucun fait de concurrence déloyale;
- les factures des restaurateurs qui auraient été "perdus" par la société Franco et Cie du fait de la société Val d'Anaud sont parfois antérieures de deux ans à sa création ce qui démontre que ces clients l'avaient déjà quittée sans qu'il soit justifié qu'ils sont tous devenus clients de la société Val d'Anaud;
- la société Franco et Cie qui a fait l'objet d'un redressement judiciaire de 1997 à 1999, se devait de communiquer le rapport du mandataire judiciaire sur ses causes, communication qu'elle n'a pas effectuée malgré sommation en cours de procédure et dont la cour doit tirer toute conséquence de droit.
L'intimée conclut à titre principal à l'irrecevabilité des demandes de la société Franco et Cie et subsidiairement à leur rejet par confirmation du jugement déféré ; elle réclame en outre paiement des sommes de 7 500 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue en cet état de la procédure le 19 mars 2003.
DISCUSSION
Les parties ne discutent pas de la recevabilité de l'appel. La cour ne relevant aucun élément pouvant constituer une fin de non-recevoir susceptible d'être soulevée d'office, l'appel sera déclaré recevable.
Au fond:
L'action en concurrence déloyale, qui est une action en responsabilité délictuelle relevant de l'article 1382 du Code civil, n'exige pas, lorsqu'elle est exercée à l'encontre d'un ancien salarié l'existence préalable d'une clause de non-concurrence sauf à réduire alors le champ de cette action à la seule violation de la clause. II suffit dès lors à la société Franco et Cie de justifier selon le droit commun d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ces deux éléments.
La demande formulée par l'appelante est donc recevable en la forme. Au fond, elle soutient que la faute alléguée consiste dans la désorganisation du marché local des fruits et légumes. Rien n'est moins sûr car ainsi que l'ont retenu les premiers juges, le statut de grossiste ne peut avoir pour finalité de protéger des parts de marché ou limiter la concurrence.
La société Val d'Anaud fait aussi justement observer qu'elle n'a fait l'objet d'aucun relevé d'infraction des inspecteurs du marché d'intérêt national, que n'a pas manqué d'informer la société Franco et Cie, et qu'elle paye également les taxes afférentes à ce marché. L'appelante qui ne précise guère en quoi consiste le "marché de gros" semble le réduire à la fourniture des restaurateurs puisqu'il s'agit du reproche essentiellement formulé dans ses écritures à l'encontre de l'intimée.
Les attestations invoquées par la société Franco et Cie ne démontrent rien sinon que les attestants ont été livrés ou démarchés en vue d'être approvisionnés en fruits et légumes par la société Val d'Anaud ou Pack Loru, ce qui n'établit pas pour autant que ceux-ci étaient les clients de la société Franco et Cie. En effet, son gérant Paolo Loru a été salarié de la société France Prim (émanation de la société Franco et Cie) et les termes très généraux des attestations, qui ne font référence à aucune période précise, ne permettent pas de dire si Paolo Loru a démarché les témoins en qualité de gérant de la société Val d'Anaud ou de salarié de la société France Prim.
La société Val d'Anaud justifie aussi que d'autres sociétés "de détail" ont une clientèle de restaurateurs, sans que cette pratique qui paraît courante dans la profession, ne porte ombrage à l'appelante.
Les attestations ne mentionnent pas non plus que la société Val d'Anaud se soit présentée comme grossiste, ce qui exclut toute confusion dans sa démarche. Enfin le démarchage par un ancien salarié des clients de son ex-employeur n'est nullement prohibé, sauf dénigrement ou démarchage systématique, ce qui n'est ni soutenu, ni démontré.
Toute action en responsabilité supposant la preuve d'un préjudice, la société Franco et Cie prétend que le "détournement de clientèle" opéré par la société Val d'Anaud lui aurait causé un manque à gagner de 106 715 euros sur sept années d'exercice comptable. Pour ce faire elle produit un bilan expliquant que son chiffre d'affaires a baissé après la création de la société Val d'Anaud. Cet argument est insuffisant à asseoir un lien de causalité car comme le fait très justement remarquer l'intimée:
- la baisse d'activité est contemporaine de l'installation sur la place d'une grosse entreprise "Europe Fruits" dont elle communique les bilans;
- l'appelante n'a pas communiqué, malgré sommation, le rapport de l'administrateur judiciaire sur les causes des difficultés ayant abouti à l'ouverture de la procédure collective et cette absence prive nécessairement la cour d'éléments précieux d'appréciation.
Ainsi, outre l'absence d'un préjudice commercial certain, le lien de causalité n'est pas plus démontré.
C'est donc à bon droit, que les premiers juges ont débouté la société Franco et Cie de sa demande fondée sur la concurrence déloyale.
Sur les demandes annexes :
Ils ont également justement apprécié le trouble causé à l'intimée par la procédure intempestive intentée par la société Franco et Cie sans fondement sérieux. Le jugement sera ainsi confirmé en toutes ses dispositions.
En revanche la société Val d'Anaud ne justifie d'aucun préjudice particulier qui serait né de la procédure d'appel, voie de recours légale, hormis celui d'avoir été contrainte de comparaître une nouvelle fois en justice et qui sera indemnisé par l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Enfin la société Franco et Cie qui succombe dans son recours supportera les dépens.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement; Reçoit l'appel; Confirme le jugement déféré rendu par le tribunal de commerce de Menton; Déboute la société Val d'Anaud de sa demande en paiement de dommages-intérêts; Condamne la société Franco et Cie à lui payer la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; La condamne aux dépens et autorise Maître Jauffrès, titulaire d'un office d'avoué près la cour, à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans recevoir provision.