Cass. crim., 9 novembre 1994, n° 93-85.424
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Souppe
Rapporteur :
Mme Verdun
Avocat général :
M. Galand
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par T Alain, prévenu, la société X, l'EURL Y, civilement responsables, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, du 8 novembre 1993, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, a condamné le premier à 100 000 francs d'amende, a ordonné une mesure de publication, a déclaré les autres parties civilement responsables et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 44-I et II alinéas 7, 8, 9 et 10 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, 1er de la loi du 1er août 1905, 1er et 61 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de publicité fausse ou de nature à induire en erreur relativement à l'opération "grattage du siècle" ;
"aux motifs adoptés du tribunal que lors du contrôle qu'ils avaient effectué le 22 novembre 1990, les fonctionnaires de la DGCCRF avaient comparé les prix affichés de douze ensembles de meubles bénéficiant de la remise aux prix pratiqués pour les mêmes références dans les mois qui précédaient la campagne publicitaire et avaient constaté que si les prix affichés dans le magasin le 22 novembre 1990 correspondaient bien aux prix initiaux figurant sur les bons de commande, ceux-ci avaient tous fait l'objet de remises, le taux moyen de ces remises atteignant 43,80 %, taux qui était largement supérieur aux taux de réduction prévus dans le cadre de l'opération "grattage du siècle", lesquels n'étaient que de 28,59 % pour Télé Magazine et de 30,12 % pour Télé Z ;
"aux motifs propres que si les prix affichés dans le magasin le 22 novembre 1990 correspondaient bien aux prix initiaux figurant sur les bons de commande, ceux-ci avaient tous fait l'objet de remises, le taux moyen de ces remises atteignant 43,80% ;
"alors, d'une part, qu'aux termes de l'article 44-I de la loi du 27 décembre 1973, est interdite toute publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les prix et conditions de vente de biens ou de services qui font l'objet de la publicité ; qu'en l'espèce, il est constant que la publicité incriminée consistait à offrir une remise à la caisse d'un montant déterminé (18 500 francs dans un cas et 17 560 francs dans l'autre) sur le prix des mobiliers vendus ; que le délit ne pouvait être constitué que si l'annonceur n'avait pas appliqué aux clients l'escompte annoncé ; qu'en l'espèce, où il ne résulte pas de l'arrêt attaqué que l'escompte annoncé n'ait pas été appliqué la cour d'appel n'a pas légalement justifié la déclaration de culpabilité ;
"alors, d'autre part, que le fait que les prix pratiqués aient été inférieurs aux prix affichés n'était constitutif ni de publicité mensongère, ni d'aucune autre infraction pénale ; qu'en effet, seuls les articles 2 et 3 de l'arrêté n° 77-105-90 du 2 septembre 1977 - texte relatif à la publicité des prix à l'égard du consommateur pris en application de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 et non de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 prohibant la publicité mensongère, et qui, au demeurant, n'était pas visé par la prévention- imposaient à l'annonceur que le prix de référence sur lequel porte la publicité soit constitué par le prix le plus bas effectivement pratiqué par l'annonceur pour un article ou une prestation similaire dans le même établissement de vente au détail au cours des 30 derniers jours précédant le début de la publicité ; que cet arrêté - qui, en tout état de cause, n'interdisait nullement la pratique des réductions de prix à la caisse supérieure à la réduction annoncée- a été abrogé par l'article 61 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; qu'il s'ensuit qu'aucune infraction ne pouvait être reprochée au prévenu et que la déclaration de culpabilité est illégale ;
"alors, de troisième part, et subsidiairement, que, à supposer que les prescriptions des articles 2 et 3 de l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977 soient encore applicables et aient pu fonder les poursuites dans la présente espèce, l'information ne pouvait être constituée que si les prix annoncés n'étaient pas inférieurs aux prix de référence les plus bas pratiqués pendant les 30 derniers jours précédant la publicité ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont retenu les prix de référence pratiqués pendant les mois qui ont procédé la publicité ; que faute pour la Cour d'avoir constaté que les prix les plus bas révélés par les bons de commande avaient été pratiqués au cours des 30 derniers jours précédant la publicité, la déclaration de culpabilité se trouve privée de base légale ;
"alors, de quatrième part, que le prix de référence ne s'entend que du prix généralement pratiqué pour l'ensemble de la clientèle pendant la période de trente jours immédiatement antérieure à la publicité ; que, dans ses conclusions, le prévenu avait fait valoir que rien n'interdisait au vendeur d'aller au-delà de la remise indiquée en publicité en consentant aux clients, sur leur demande et donc à titre personnel, une remise supplémentaire qui ne pouvait être considérée comme un prix de référence ; qu'en se bornant à retenir que le taux moyen des remises atteignait 43,80 %, sans s'expliquer sur ce moyen des conclusions, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à la déclaration de culpabilité ;
"alors, enfin, qu'à supposer que la déclaration de culpabilité repose sur la méconnaissance de l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977, maintenu en vigueur exclusivement pour l'application du deuxième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, il résulte de l'article 33 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 susmentionnée que les infractions sont punies des peines d'amende prévues pour les contraventions de cinquième classe ; que, aux termes de l'article R. 25-5,5 du Code pénal, les peines applicables à ces contraventions sont une amende de 3 000 francs à 6 000 francs inclusivement et un emprisonnement de dix jours à un mois ou l'une de ces deux peines seulement ; qu'ainsi, l'amende de 100 000 francs prononcée contre le prévenu est illégale" ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 44-I et II alinéas 7, 8, 9 et 10 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, 1er de la loi du 1er août 1905, 1er et 61 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de publicité fausse ou de nature à induire en erreur à propos d'un ensemble de meubles vendus avec la mention "soldés" ;
"aux motifs, repris du jugement, que le 22 novembre 1990, les mentions portées sur les panneaux et les étiquettes de dix ensembles de meubles soldés ne bénéficiaient pas de la remise relative à l'opération "grattage" et que la réduction moyenne proposée entre le prix normal et le prix soldé était de 25,27 % ; qu'il apparaissait de la consultation de bons de commande antérieurs à la période de soldes que les prix effectivement pratiqués pour huit des dix ensembles soldés avaient tous fait l'objet d'une remise d'un taux moyen de 43,01 %, aucun justificatif n'ayant été produit pour les deux ensembles restants ; qu'ainsi, les prix effectivement pratiqués avant la période de solde étaient-ils largement inférieurs aux prix "normaux" inscrits sur les panneaux et étiquettes accompagnant les meubles soldés ; qu'enfin les prix de solde étaient supérieurs de plus de 20 % aux prix effectivement pratiqués ;
"aux motifs propres que la consultation des bons de commande antérieurs à la période de soldes avait fait apparaître que les prix pratiqués effectivement avant ladite période étaient largement inférieurs aux prix "normaux" inscrits sur les panneaux et étiquettes accompagnant les meubles soldés ;
"alors, d'une part, que dès lors qu'il est constant que le prix avant solde affiché correspondait au prix prévu par le tarif de vente et affiché le 1er octobre 1990 et que la remise consentie au titre des soldes était de 25,27 %, le délit de publicité mensongère n'était pas constitué ; qu'il s'ensuit que la déclaration de culpabilité est illégale ;
"alors, d'autre part, que le fait que les prix effectivement pratiqués avant la période de solde aient été inférieurs aux prix "normaux" inscrits sur les panneaux et étiquettes accompagnant les meubles soldés n'était constitutif ni de publicité mensongère, ni d'aucune autre infraction pénale ; qu'en effet, seuls les articles 2 et 3 de l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977 -texte relatif à la publicité des prix à l'égard du consommateur pris en application de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 et non de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 prohibant la publicité mensongère et qui, au demeurant, n'était pas visé par la prévention -imposaient à l'annonceur que le prix de référence sur lequel porte la publicité soit constitué par le prix le plus bas effectivement pratiqué par l'annonceur pour un article ou une prestation similaire dans le même établissement de vente au détail au cours des 30 derniers jours précédant le début de la publicité ; que cet arrêté - qui, en tout état de cause, n'interdisait nullement la pratique des réductions de prix à la caisse supérieures à la réduction prévue pour les soldes- a été abrogé par l'article 61 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; qu'il s'ensuit qu'aucune infraction ne pouvait être reprochée au prévenu et que la déclaration de culpabilité est illégale ;
"alors, de troisième part, et subsidiairement que, à supposer que les prescriptions des articles 2 et 3 de l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977 soient encore applicables et aient pu fonder les poursuites dans la présente espèce, l'infraction ne pouvait être constituée que si les prix soldés annoncés n'étaient pas inférieurs aux prix de référence les plus bas pratiqués pendant les 30 derniers jours précédant la publicité ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont retenu que la consultation de bons de commande antérieurs à la période de solde faisait ressortir que les prix effectivement pratiqués pour huit des dix ensembles soldés avaient tous fait l'objet d'une remise d'un taux moyen de 43,01 %, sans constater que ces prix avaient été pratiqués au cours des 30 derniers jours qui ont précédé la publicité ; qu'ainsi, la déclaration de culpabilité se trouve privée de base légale ;
"alors, de quatrième part, que le prix de référence ne s'entend que du prix généralement pratiqué pour l'ensemble de la clientèle pendant la période de trente jours immédiatement antérieure à la publicité ; qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions du prévenu (p. 10 antépénultième paragraphe) qui avait fait valoir que la circulaire d'application de l'arrêté en date du 4 mars 1978 avait précisé que "le prix le plus bas effectivement pratiqué est celui pratiqué à l'égard de la clientèle courante, c'est-à-dire le prix marqué", la cour d'appel n'a pas donné de base légale à la déclaration de culpabilité" ;
"alors, enfin, qu'à supposer que la déclaration de culpabilité repose sur la méconnaissance de l'arrêté n° 77-105-P du 2 septembre 1977, maintenu en vigueur exclusivement pour l'application du deuxième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n° 76-1243 du 1er décembre 1986, il résulte de l'article 33 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 susmentionnée que les infractions sont punies de peines d'amende prévues pour les contraventions de cinquième classe ; que, aux termes de l'article R. 25-5,5 du Code pénal, les peines applicables à ces contraventions sont une amende de 3 000 à 6 000 francs inclusivement et un emprisonnement de dix jours à un mois ou l'une de ces deux peines seulement ; qu'ainsi, l'amende de 100 000 francs prononcée contre le prévenu est illégale" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, dans le cadre de deux campagnes publicitaires effectuées pour le compte des magasins Z, qu'exploite la société X, ont été annoncées diverses remises accordées soit en faveur de certains clients, soit sur des articles en solde ; qu'Alain T, pris en sa qualité de dirigeant de la société X et de l'une de ses filiales, l'EURL Y est poursuivi pour publicité de nature à induire en erreur ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de ce délit, les juges du second degré relèvent que les réductions annoncées sont inférieures à celles qui ont été effectivement consenties dans les mois qui ont précédé l'annonce ;qu'ils ajoutent que le consommateur, qui a cru bénéficier d'un prix réduit, alors qu'il s'agissait en réalité d'un prix équivalent ou supérieur au prix habituellement pratiqué, a été induit en erreur;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance et de contradiction, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués; d'où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 44-I et II alinéas 7, 8, 9 et 10 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, 1er de la loi du 1er août 1905, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de publicité fausse ou de nature à induire en erreur ;
"aux motifs que la décision d'organiser la campagne publicitaire relative à l'opération "grattage du siècle" et de procéder à une vente d'articles soldés avait été prise par la SA X ; qu'Alain T, directeur général et administrateur de la SA X, ne saurait invoquer la convention de partenariat du 25 janvier 1988 passée avec la SARL W dans la mesure où cette dernière prestataire de la SA X n'avait fait que mettre en œuvre la politique commerciale définie par celle-ci ; que l'élément matériel est constitué dans la mesure où il est établi en ce qui concerne "le grattage du siècle" que si les prix affichés dans le magasin correspondaient bien aux prix initiaux figurant sur les bons de commande, ceux-ci avaient fait l'objet de remise, et relativement aux "meubles soldés", il ressort de la consultation des bons de commande antérieurs à la période de soldes que les prix pratiqués effectivement avant ladite période étaient largement inférieurs aux prix "normaux" inscrits sur les panneaux et étiquettes ;
"alors, d'une part, que s'exonère de sa responsabilité pénale, le chef d'entreprise qui, n'ayant pris aucune part personnelle à la réalisation de l'infraction, rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ; qu'en l'espèce, la convention de partenariat commercial en date du 25 janvier 1988 entre la SA X et la SARL W prévoyait que la société W chargée de la vente, de la transmission des commandes et des paiements, engagerait sa seule responsabilité sur les plans civil, commercial et pénal dans le domaine de l'application des campagnes publicitaires décidées par X et devrait respecter les règles relatives à la publicité des prix des produits et des services ; que l'arrêt attaqué relève que les publicités incriminées seraient trompeuses non pas en raison de leur conception, mais parce que les prix affichés ne correspondaient pas aux prix effectivement pratiqués ; que dès lors, peu important que le prévenu ait pris la décision d'organiser une campagne publicitaire et ait pris part à sa conception, la responsabilité pénale de la SARL W et de ses dirigeants qui bénéficiait d'une délégation expresse de pouvoirs en ce qui concerne la mise en œuvre des campagnes publicitaires et la vérification de leur conformité à la réglementation en vigueur pouvait seule être recherchée ;
"alors, d'autre part qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société W avait la compétence, l'autorité et les moyens, pour l'application concrète des mesures décidées, de mettre le projet publicitaire en conformité avec la réglementation en vigueur, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu que, pour écarter l'argumentation du prévenu qui faisait état de l'existence d'une délégation de pouvoirs consentie à une société W, la cour d'appel, après avoir relevé "que la décision d'organiser la campagne publicitaire" avait été "prise" par la société X et exécutée par la filiale de celle-ci l'EURL Y, retient qu'Alain T "a lui-même revendiqué lors de l'enquête être le seul responsable de la société X à avoir pris part à la conception de la publicité";
Attendu qu'en l'état de ces motifs, qui caractérise le fait personnel de l'annonceur, la cour d'appel, qui n'avait dès lors pas à rechercher si la convention de partenariat, intervenu avec une autre société, comportait la délégation de pouvoir alléguée, a justifié sa décision sans encourir les griefs invoqués; que le moyen ne peut, dès lors, qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.