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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 19 octobre 1999, n° 99-01985

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Kojey Strauss (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Avocat général :

M. Blanc

Conseillers :

MM. Seltensperger, Ancel

Avocats :

Mes Bern, Breuil.

TGI Paris, 31e ch., du 22 févr. 1999

22 février 1999

RAPPEL DE LA PROCÉDURE :

LE JUGEMENT :

Le tribunal

- a rejeté l'exception de nullité

- a relaxé S Philippe et Ronald W (du chef de publicité mensongère ou de nature a induire en erreur, faits commis le 15 juin 1995, à Paris, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al.1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-l du Code de la consommation

Et de tromperie sur la nature, la qualité ou l'origine d'une prestation de services, faits commis le 15 juin 1995, à Paris, infraction prévue par les articles L. 213-1, L. 216-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-3 du Code de la consommation

A débouté les parties civiles de leurs demandes

A condamné François Kojey Strauss et Florence Merle à payer chacun à Philippe S la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts

A déclaré irrecevable la demande de la Sarl X de New York fondée sur l'article 475-1 du CPP

LES APPELS :

Appel a été interjeté par :

- Monsieur Kojey Strauss François, le 26 Février 1999 contre X de New York SARL, X INC SA, Monsieur S Philippe, Monsieur W Ronald

- Madame Merle Florence épouse Kojey Strauss, le 26 Février 1999 contre X de New York SARL., X INC SA, Monsieur S Philippe, Monsieur W Ronald

DÉCISION :

Rendue

- contradictoirement à l'égard de M. S, de X de New York SARL, de M. et Mme Kojey Strauss

- par défaut à l'égard à M. Ronald W, de X INC SA et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels relevés par François Kojey Strauss et son épouse Florence Merle, parties civiles, à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour l'exposé des faits et de la prévention ;

François Kojey Strauss, présent à l'audience, assisté de son conseil, et Florence Merle, représentée par le même conseil, demandent à la cour, par voie de conclusions, de "déclarer Monsieur Philippe S et Monsieur Ronald W coupables" de publicité mensongère et de tromperie et de les condamner in solidum, pour chaque infraction, à leur payer une somme de 200 000 F à chacun à titre de dommages et intérêts (soit une somme totale de 800 000 F) outre une somme de 15 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; ils lui demandent en outre de déclarer la société à responsabilité limitée X de New York et la société anonyme X Inc civilement responsables respectivement de chacun d'eux ;

A l'audience de la cour, ils déclarent verbalement réduire leur demande globale de 800 000 F à la seule somme de 18 000 F à leur profit solidairement, laquelle correspond au prix d'acquisition, toutes taxes comprises, de la bague de fiançailles litigieuse, payée par François Kojey Strauss ;

Philippe S sollicite, par conclusions, la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a été relaxé et en ce que le caractère abusif de la procédure mise en mouvement à la requête des parties civiles a été reconnu sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale, mais demande à la cour de porter son indemnisation à ce titre à la somme de 800 000 F ; il demande également une somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts pour appel abusif ;

Ronald W, régulièrement assigné par acte du 31 mai 1999 à parquet général ne comparaît pas à l'audience du 31 août 1999 ; il n'est pas, toutefois, établi qu'il ait eu connaissance de la citation de sorte qu'il sera statué par défaut à son égard ;

La société à responsabilité limitée X de New York, citée en qualité de civilement responsable de Philippe S demande, aux termes des conclusions présentées conjointement avec ce dernier, la condamnation des parties civiles à lui payer une somme de 33 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

La société anonyme X Inc prise en qualité de civilement responsable de Ronald W, citée à parquet général le 31 mai 1999, ne comparaît pas à l'audience et ne se fait pas représenter ; il n'est pas toutefois établi qu'elle ait eu connaissance de la citation de sorte qu'il sera statué par défaut à son égard ;

RAPPEL DES FAITS

Aux termes d'une citation directe qu'ils ont fait délivrer les 8 et 9 juin 1998 à Philippe S et à Ronald W ainsi qu'aux sociétés X (France) et X (Etats Unis d'Amérique), prises en qualité de civilement responsables, respectivement, de chacun d'eux, François Kojey Strauss et Florence Merle, parties civiles exposaient que :

- François Kojey Strauss avait fait l'acquisition, le 15 juin 1995, auprès de la société à responsabilité limitée X de New York, <adresse>à Paris, dont Philippe S est le gérant, d'une bague de fiançailles (il résulte de la facture produite que cette bague a été achetée 18 000 F, toutes taxes comprises, prix indiqué aux termes de la page 14 de la citation directe) ;

- en juin 1996, à New York, un responsable de la société anonyme X lui indiquait que cette bague "n'était pas une bague X" et n'avait pas les qualités qu'il lui attribuait ;

- une expertise privée à laquelle il avait fait procéder révélait que, "signée à l'intérieur de l'anneau "X", et munie d'un poinçon "Or Français", elle avait été fabriquée par une société Vassort, <adresse>à Paris 1er, et qu'elle présentait des défauts dépréciant sa valeur ;

- de septembre 1996 à mai 1997, une tentative de rapprochement qu'il avait manifestée avait été vaine, la société à responsabilité limitée X lui ayant répondu notamment que la bague litigieuse était une bague "boutique" de premier prix ;

En effet, par acte d'huissier de justice du 12 novembre 1996, François Kojey Strauss et Florence Merle, sa fiancée, demeurant ensemble à Paris, faisaient sommation à la société X de New-York d'avoir à répondre à différentes questions relatives notamment à l'identification, à la nature et à la qualité de la bague litigieuse ; le joaillier leur faisait connaître par courrier de son conseil adressé à l'huissier de justice que la bague "boutique" de premier prix qui avait été vendue à François Kojey Strauss était conforme à la facture qui lui avait été délivrée le 15 juin 1995 ;

C'est dans ces conditions que les parties civiles, près de trois années après l'achat du bijou, reprochaient aux prévenus d'avoir commis deux infractions, d'une part, une publicité mensongère, d'autre part une tromperie, étant précisé que, une somme totale de 800 000 F étant sollicitée à titre de dommages et intérêts, aucune demande de résolution de la vente afférente à la bague achetée 15 177 F HT n'avait jamais été présentée dans un cadre civil ;

Aux termes du jugement déféré, le Tribunal de grande instance de Paris relaxait les prévenus des chefs de publicité mensongère et de tromperie, déboutaient les parties civiles de leurs demandes et condamnait celles-ci à payer à Philippe S la somme de un franc à titre de dommages et intérêts, la citation délivrée à son encontre ayant été considérée comme abusive ;

Sur ce

Considérant que, en l'absence d'appel du Ministère public, la décision de relaxe prise par les premiers juges à l'égard de Philippe S et de Ronald W est devenue définitive ;

Considérant que, en raison de l'indépendance de l'action civile et de l'action publique, les appels des parties civiles, s'ils sont sans incidence sur la force de a chose jugée qui s'attache, comme en l'espèce, à la décision de relaxe sur l'action publique, saisissent le juge des seuls intérêts civils ;

Qu'en conséquence, malgré la décision de relaxe, il appartient à la cour d'apprécier les faits dans le cadre de la prévention pour se déterminer sur le mérite des demandes civiles qui lui sont présentées ;

Sur les faits allégués de publicité mensongère :

Considérant que François Kojey Strauss fait valoir qu'il était persuadé que la bague qu'il achetait avait été fabriquée dans les ateliers de X de New-York, sur la base de diamants sélectionnés comme étant les meilleurs du monde, que ce bijou était exclusif et que le diamant (en réalité trois baguettes) était d'une qualité exceptionnelle

Qu'il fait décrire, sur trois pages de ses conclusions soumises à la cour, le contenu de divers catalogues et communiqués de presse vantant les qualités effectivement exceptionnelles des bijoux de la société X pour montrer que la dite société "communique sur le registre de l'excellence, sur le registre du summum, sur le registre de l'exclusivité, sur le registre d'un atelier de fabrication situé à New-York d'où sortent tous les bijoux X" ;

Considérant que, cela étant, les parties civiles ne produisent aucune pièce de nature publicitaire relative à la bague litigieuse, étant précisé que le seul catalogue susceptible d'être pris en considération au titre d'une publicité, comme étant antérieur à l'acquisition de la bague et concernant la joaillerie, vante notamment l'unicité et la création à New-York des bijoux tels que présentés sur le dit catalogue ;

Que la bague achetée par François Kojey Strauss ne figure pas sur ce catalogue et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté qu'elle n'a jamais fait l'objet d'une publicité spécifique ;

Qu'elle n'y est évoquée dans aucun article ou communiqué de presse versés aux débats ;

Considérant que, aux termes mêmes de la citation directe qu'elles ont fait délivrer à Philippe S et à Ronald W ainsi qu'aux deux sociétés prises en qualité de civilement responsables, les parties civiles reconnaissent qu'elles étaient informées de ce que les grandes marques de bijoux Van Cleef et Arpels, Cartier, Chanel distinguent dans leur catalogue, la collection "haute joaillerie" de celle de la collection "boutique" ;

Considérant qu'il est constant que cette pratique commerciale tendant à faire la différence entre les articles de haut luxe et ceux qui le sont nettement moins est également celle dont use la société X de New-York qui utilise à ce titre les vocables "Salon" et "Ultimate salon", respectivement aux Etats-Unis et en France ;

Que les produits exposés dans ces conditions sont des objets de série sélectionnés et diffusés par le joaillier, vendus à un prix beaucoup plus abordable que ceux faisant partie de la gamme de haute joaillerie ;

Considérant qu'il n'est nullement établi que la société X de New-York aurait annoncé faussement à François Kojey Strauss qu'elle était le fabricant du bijou acheté ;

Qu'il n'est pas contestable qu'il est permis à tout client pénétrant dans les locaux de la société X de l'avenue Montaigne de constater qu'il existe, comme chez d'autres joailliers, une différence entre les espaces dans lesquels sont vendus les bijoux de haute joaillerie, au premier étage, alors que ceux où sont vendus les bijoux "boutique" sont situés, en l'espèce, au rez-de-chaussée, cette différence de niveau correspondant à une très importante différence de prix ;

Considérant qu'il résulte de ces observations qu'il n'existe aucun élément propre à conduire la cour a estimé rapportée la preuve d'une faute à l'encontre de Philippe S et de Ronald W dans le cadre des faits visés à la prévention ;

Que, en conséquence, les parties civiles seront déboutées de leurs demandes ;

Sur les faits allégués de tromperie :

Considérant que, aux termes mêmes de leur citation introductive d'instance, les parties civiles ont repris, comme elles le font devant la cour, exactement les mêmes arguments que ceux utilisés dans le cadre de la discussion relative aux faits allégués de publicité mensongère, tout en sollicitant à ce seul titre une somme de 400 000 F à titre de dommages et intérêts ;

Que la cour fait donc référence à ce propos à ce qu'elle a exposé ci-dessus au titre de la publicité mensongère ;

Qu'il est fait observer en outre que l'expertise à laquelle a fait procéder François Kojey Strauss ne contient aucune critique afférente au rapport qualité/prix du bijou par lui acquis et que la facture qui lui a été délivrée fait apparaître clairement la mention "Salon" ;

Qu'il est encore fait observer en tant que de besoin que le nom du fabricant est indiqué par son poinçon figurant à l'intérieur de l'anneau de la bague ;

Considérant que, sur les faits allégués de tromperie, la cour constate qu'il n'existe aucun élément propre à la conduire à estimer rapportée la preuve d'une faute à l'encontre de Philippe S et de Ronald W dans le cadre du second chef de prévention ;

Que, en conséquence, les parties civiles seront déboutées de leurs demandes également à ce titre ;

Sur les demandes de Philippe S et de la société à responsabilité limitée X de New York :

Considérant que, statuant sur la demande de Philippe S formée sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé abusive la constitution de partie civile de François Kojey Strauss et de Florence Merle, étant rappelé que, près de trois années après l'achat d'une bague de 18 000 F TTC, ils ont sollicité sa condamnation ainsi que celle de Ronald W à leur payer la somme totale de 800 000 F à titre de dommages et intérêts ;

Que la cour fait cependant observer que Philippe S n'a pas relevé appel à l'encontre du jugement déféré et qu'elle n'est saisie que des seuls appels des parties civiles ;

Que, en conséquence, la demande tendant à l'augmentation de la somme d'un franc à 800 000 F, présentée par Philippe S ne peut être accueillie de sorte que la condamnation de François Kojey Strauss et de Florence Merle à lui payer un franc à titre de dommages et intérêts sera confirmée ;

Considérant que l'autre demande de Philippe S tendant au paiement d'une somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts est présentée comme devant réparer l'appel abusif relevé par les parties civiles ;

Que cette demande ne peut être accueillie dans la mesure où elle ne se rattache pas directement à l'abus de constitution de partie civile initiale réparé par la somme d'un franc à titre de dommages et intérêts ;

Considérant que la demande formée par la société à responsabilité limitée X de New-York en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel ne peut être accueillie, seul "l'auteur de l'infraction" pouvant être condamné à ce titre ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de Philippe S, de la société à responsabilité limité X de New-York, de François Kojey Strausset de Florence Merle, et par défaut à l'égard de Ronald W et de la société anonyme X, Statuant sur les intérêts civils seuls en cause d'appel, déboute François Kojey Strauss, Florence Merle, Philippe S et la société à responsabilité limitée X de New-York de l'ensemble de leurs demandes.