CA Paris, 5e ch. A, 28 mai 2003, n° 2002-01792
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Hapro (SARL)
Défendeur :
WSI (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffualt-Silk
Conseillers :
MM. Faucher, Picque
Avoués :
SCP Baskal, SCP Hardouin
Avocats :
Mes Sansot, Mura.
Estimant subir une concurrence déloyale, la société WSI a attrait le 4 janvier 1999, la SARL Hapro devant le Tribunal de commerce de Melun aux fins de l'entendre condamner à lui payer 1 918 000 F (292 397,21 euros) de dommages et intérêts outre 26 125 F (3 982,73 euros) en remboursement des honoraires d'expertise judiciaire et, dans le dernier état des prétentions formulées devant les premiers juges, 80 000 F (12 195,92 euros) de frais irrépétibles,
Par jugement du 28 février 2000, le tribunal a condamné la société Hapro à payer à la société WSI 830 000 F (126 532,68 euros), augmentés des intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision et la somme requise au titre des frais non compris dans les dépens.
Appelante le 13 avril 2000, la société Hapro, dans ses ultimes conclusions signifiées le 1er avril 2003, conteste avoir commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société WSI et précise qu'elle a recruté Monsieur Luong en lui faisant interdiction de prospecter les clients dans l'arrondissement de Meaux, seul secteur visé dans le contrat de travail de ce dernier avec son ancien employeur. Elle précise que les avenants postérieurs, ayant accru le périmètre de protection dans le département de Seine-et-Marne, lui ont été celés.
Elle fait valoir:
- que l'article 17 de la convention collective nationale des VRP stipule que l'interdiction de concurrence ne pourra avoir d'effet si le représentant démissionne pendant ses quarante cinq premiers jours d'emploi, alors qu'en l'espèce l'avenant d'extension du périmètre protégé par la clause de non-concurrence est du 4 juillet 1997, l'intéressé ayant démissionné 24 jours plus tard,
- qu'ayant embauché trois VRP sur les quarante employés par la société WSI, la désorganisation invoquée par celle-ci n'est pas démontrée et que n'ayant pas perçu d'indemnité de clientèle, les VRP concernés pouvaient continuer à démarcher la même clientèle pour le compte d'une autre entreprise,
- que pendant la période litigieuse, le chiffre d'affaires de la société WSI a continué de progresser, celle-ci ne rapportant pas la preuve de la perte de bénéfices, alors que depuis janvier 1997, une autre société dénommée Taroz, dirigée par le conjoint du gérant de la société WSI, est installée à la même adresse et commercialise les mêmes produits,
- que la société Hapro n'a pas utilisé les fichiers de la société WSI, ni tenté de débaucher d'autres salariés de celle-ci et que la plaignante s'est abstenue de produire son registre du personnel en dépit d'une sommation qui lui a été délivrée le 5 décembre 2002.
La société Hapro conclut à l'infirmation du jugement déféré, prie la cour de dire que l'avenant du 4 juillet 1997 [modifiant le périmètre de la clause de non-concurrence de Monsieur Luong postérieurement engagé par l'appelante] ne pouvait pas produire d'effet et sollicite 3 500 euros de frais irrépétibles.
Intimée, la société WSI réplique, dans le dernier état de ses conclusions signifiées le 2 avril 2003, que de juin à septembre 1997, elle a constaté les démissions de cinq collaborateurs, dont quatre VRP, lesquels ont tous été réembauchés par la société Hapro exerçant une activité concurrente, et auprès de laquelle ils exercent les mêmes fonctions que celles antérieurement occupées auprès d'elle.
Elle estime que ce "débauchage systématique" a opéré une confusion "volontairement entretenue" dans l'esprit de la clientèle, entraînant la désorganisation de son entreprise et le transfert de sa documentation commerciale au profit de la société Hapro. Elle indique que l'un des quatre VRP concernés était en outre dans les liens d'une clause de non-concurrence au titre de laquelle elle avait versé la contre-partie pécuniaire prévue par les accords interprofessionnels des VRP et que la validité de la clause a été reconnue par arrêt du 29 mars 2002 de la Cour d'appel de Paris dans l'instance prud'homale l'ayant opposée à l'intéressé, lequel a été condamné à lui verser une indemnité de 4 573,47 euros au titre de la clause pénale.
Elle fait valoir:
- qu'en dépit d'une sommation interpellative du 17 septembre [en réalité décembre] 1997, l'appelante n'a pas justifié avoir pris des mesures pour faire cesser l'activité du VRP fautif,
- que la cinquième personne débauchée était son unique comptable, laquelle avait en charge la gestion des stocks, la facturation et le contrôle de gestion, ce qui lui donnait une "parfaite" connaissance des fournisseurs de la société WSI,
- que ses anciens salariés ont utilisé son fichier clientèle au profit de leur nouvel employeur, ce dernier ayant au surplus tenté d'obtenir d'un fournisseur exclusif de WSI, la reproduction d'un produit commercialisé par cette dernière,
- que son registre du personnel a déjà antérieurement été communiqué à l'expert judiciaire commis et qu'elle ne souhaite pas communiquer de renseignements sur les autres membres de son personnel pour éviter de subir d'autres actions de débauchage de sa concurrente,
- que l'expert judiciaire a relevé que l'ensemble des clients perdus par WSI a été retrouvé chez Hapro,
- que le maintien de la progression de son chiffre d'affaires au plan national ne dément nullement le détournement de clientèle dans les départements concernés par le personnel débauché,
- que la société Taroz ayant pour unique fonction d'opérer à titre exclusif les achats pour WSI, elle ne lui fait pas concurrence comme le soutient à tort l'appelante.
L'intimée critique la méthode d'évaluation de son préjudice, retenue par le tribunal et préconise:
- une extrapolation du chiffre d'affaires moyen des 176 clients détournés en retenant le montant évalué par l'expert pour la période du 1er janvier au 30 novembre 1997, retraité à hauteur d'environ 2,5 MF, pour tenir compte du chiffre d'affaires non réalisé les cinq derniers mois du fait de l'arrêt pendant ceux-ci, de l'activité des salariés en cours de débauchage, lesquels ont secrètement commencé à travailler pour le compte de la société Hapro antérieurement à leur embauche officielle, alors qu'ils étaient encore formellement au service de WSI,
- la prise en compte d'un taux moyen de marge brute de 52%, soit 2,5 MF x 52 % = 1,3 MF,
- et d'effectuer une comparaison avec les usages de la profession en matière de vente des fonds de commerce, lesquels sont évalués à 1,5 fois le résultat annuel, soit en l'espèce. 1,3 MF x 1,5 - 1,95 MF.
La société WSI conclut à la confirmation du jugement entrepris, sauf sur le quantum de l'indemnité allouée. Formant appel incident de ce chef, elle sollicite qu'il soit porté à 297 275,58 euros (1 950 000 F) et réclame 12 195,92 euros de frais irrépétibles.
Sur ce,
Sur la concurrence déloyale :
Considérant qu'il est constant que:
- deux VRP de la société WSI, Messieurs Saret de Vaurs et Esposito, non liés par une clause de non-concurrence, ont démissionné de cette entreprise les 16 et 21 juin 1997, et ont rejoint la société Hapro le 1er juillet suivant, un troisième VRP, en la personne de Monsieur Luong, lequel était dans les liens d'une clause de non-concurrence, a démissionné le 28 juillet 1997, pour rejoindre l'entreprise concurrente le ler septembre suivant,
- un quatrième VRP, Monsieur Lemenager, a été licencié le 3 décembre 1997 et a rejoint la société Hapro le 9 février 1998;
Qu'il n'est pas contesté que par arrêt du 29 mars 2002, dans l'instance prud'homale ayant opposé la société WSI et Michel Luong, la cour de céans a confirmé la décision du Conseil des prud'hommes de Meaux du 8 octobre 1999 ayant requalifié le contrat de travail de ce dernier en contrat à plein temps;
Considérant que la société Hapro prétend que l'extension, le 4 juillet 1997, du périmètre de protection de la clause de non-concurrence de Monsieur Luong, serait inopérante au motif que, celui-ci ayant démissionné moins de quarante cinq jours après, l'interdiction de concurrence ne peut avoir d'effet en application de l'article 17, 7° alinéa de la convention collective nationale des VRP;
Qu'il convient d'observer qu'aucune partie n'a cru devoir verser aux débats de la présente instance, l'extrait correspondant de la convention collective invoquée;
Mais considérant qu'il ressort de la relation qu'en fait l'une et l'autre, que la disposition invoquée suspend l'effet de l'interdiction de concurrence, si le représentant démissionne "pendant ses quarante cinq premiers jours d'emploi";
Qu'il s'en déduit que le délai de 45 jours se décompte à compter de l'embauche du VRP concerné et qu'il n'apparaît pas que la convention collective ait prévu de rouvrir un nouveau délai de carence d'application, à l'occasion de l'intervention de chaque modification postérieure de l'accord des parties sur le périmètre de protection de la clause de non-concurrence;
Qu'il n'est pas contesté que l'intéressé a été initialement embauché chez la société WSI le 12 novembre 1996 de sorte que le nouveau périmètre de protection étendu à la totalité du département de Seine-et-Marne, résultant de l'avenant du 4 juillet 1997, était immédiatement applicable;
Considérant que, l'article 1.2 du contrat de VRP statutaire du 8 novembre 1996, souscrit entre la société WSI et Michel Luong, fait expressément référence à l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975;
Qu'aux termes de l'article 17 de cet accord interprofessionnel, l'espace d'application de la clause de non-concurrence correspond au secteur que le VRP était chargé de visiter au moment de la notification de la rupture;
Que cette dernière est intervenue, par la démission de Monsieur Luong, le 28 juillet 1997 et qu'à cette date le département de Seine-et-marne était compris en son entier, dans le secteur de l'intéressé;
Considérant aussi, qu'à supposer que la dernière modification de périmètre ait été celée par Michel Luong à son nouvel employeur, ce dernier ne pouvait plus l'ignorer à compter de la sommation interpellative que la société WSI a fait délivrer à la société Hapro, le 17 décembre 1997, celle-ci ne contestant pas avoir cependant maintenu le VRP contrevenant, sur le secteur sud du département de Seine-et-Marne;
Considérant que tant les deux premiers VRP, que Michel Luong, n'ont pas perçu d'indemnité de clientèle de la société WSI, dans la mesure où celle-ci n'est exigible que dans l'hypothèse de la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur;
Que dès lors, contrairement à ce qu'affirme à tort la société Hapro, la non-perception de l'indemnité de clientèle ne les autorisait pas pour autant à démarcher les clients de leur ancien employeur, qu'ils avaient antérieurement mission de visiter pour son compte;
Considérant qu'il convient de relever qu'il résulte du témoignage de Pierre Olivier Aime, dont l'attestation est versée aux débats, qu'au cours du séminaire de formation organisé des 27 au 30 août 1997 par la société Hapro :
- il s'est agi notamment de "faire une corrélation entre les produits Hapro et WSI pour déterminer les passerelles d 'application et satisfaire les clients WSI, dont les fichiers ont été échangés,"
- Maxime Lemenager y a participé, alors qu'il était toujours dans les liens de son contrat de VRP avec la société WSI, laquelle ne l'a licencié que le 3 décembre 1997, selon ce qu'indique la société Hapro elle-même dans ses écritures;
Que l'expert ayant dénombré sur les secteurs géographiques des VRP intéressés, 176 anciens clients de la société WSI, qui se retrouvaient dans le compte clients de la société Hapro pour la période du second semestre 1997, il s'en déduit que la communication frauduleuse des fichiers clients au cours du séminaire de formation des 27 au 30 août 1997, a effectivement été exploitée par le personnel de la société Hapro;
Qu'il résulte encore des constatations de l'expert, non contredites par la société Hapro, que Maxime Lemenager n'a plus effectué de vente de juillet 1997 jusqu'à son licenciement intervenu le 3 décembre suivant, alors que lors des six mois immédiatement précédents, il avait réalisé un chiffre d'affaires de 152 063 F (23 181,85 euros);
Qu'il s'en déduit:
- que Maxime Lemenager a volontairement et brutalement cessé toute activité avant de rejoindre en février 1998, la société Hapro,
- qu'il y a eu concertation entre l'intéressé et la société Hapro en vu de son réembauchage par cette dernière dès que l'ancien employeur aurait pris les mesures induites par le défaut d'activité réelle, alors que dans le même temps, il participait au séminaire de formation des représentants commerciaux d'Hapro en étant encore lié à son ancien employeur;
Considérant dès lors que la société Hapro:
- <sdc>en organisant un stage de formation, rassemblant sciemment d'anciens VRP de la société WSI qui venaient de la rejoindre, avec un VRP toujours en fonction chez sa concurrente,
- en laissant procéder à l'échange des fichiers clients de leur ancien employeur, dans le but avoué d'être en mesure de les satisfaire avec des produits distribués par la société Hapro,
- en maintenant postérieurement à la sommation interpellative du 17 décembre 1997, Michel Luong sur le secteur sud du département de Seine-et-Marne, en dépit de la clause de non-concurrence concernant la totalité de ce secteur,
- en embauchant Messieurs Saret de Vaurs et Esposito, anciens VRP de la société WSI, lesquels avaient démissionné dans un très court laps de temps,
- en embauchant aussi Maxime Lemenager après son licenciement, lequel avait participé au séminaire de formation des représentants commerciaux d'Hapro en étant encore lié à son ancien, employeur et s'est abstenu pendant la même période de toute activité réelle au bénéfice de son employeur du moment, a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société WSI, en la désorganisant sur les secteurs géographiques concernés, par le débauchage concerté des VRP ayant en charge la prospection des départements sur lesquels elle envisageait de se développer et en se faisant complice, au plus tard à compter de la sommation interpellative du 17 décembre 1997, de la violation de la clause de non-concurrence par Michel Luong;</sdc>
Sur le quantum du préjudice :
Considérant que l'expert a indiqué avoir vérifié selon la technique du sondage, les chiffres d'affaires transmis par la société WSI pour la période litigieuse;
Que la société Hapro n'explique pas en quoi cette méthode de vérification, au demeurant classique, ne serait pas suffisante pour valider les informations transmises à l'expert par l'intimée;
Considérant qu'il ressort des constatations et vérifications de l'expert:
- que la société WSI a réalisé au cours du premier semestre 1997, 1 229 694,70 F (187 465,74 euros) de chiffre d'affaires sur les secteurs géographiques concernés par les quatre VRP ayant ultérieurement rejoint la société Hapro,
- qu'elle ne prétend pas, ni à fortiori ne démontre, que les intéressés n'auraient pas développé une activité normale pendant cette période, les critiques sur l'attitude de Maxime Lemenager portant sur la période suivante, de sorte qu'elle ne justifie pas le retraitement qu'elle préconise pour porter à 2,5 MF le chiffre d'affaires théoriquement perdu au cours du second semestre 1997, du fait des agissements dolosifs de sa concurrente,
- qu'en revanche, nonobstant la progression annuelle de son chiffre d'affaires réalisé sur l'ensemble du territoire national, la société WSI a vu significativement décroître le volume de son activité sur les départements initialement prospectés par les VRP ayant rejoint la société Hapro;
Considérant par ailleurs que la comparaison, par l'intimée, du chiffre d'affaires perdu avec les critères habituels d'évaluation des fonds de commerce dans son secteur professionnel, n'est pas pertinente en ce qu'il ne résulte pas des agissements frauduleux incriminés, la perte ou la disparition de son fonds de commerce, lequel est toujours exploité par la société WSI, y compris sur les départements concernés;
Qu'en conséquence, c'est par une appréciation pertinente des faits et circonstances de la cause, que le tribunal a forfaitairement évalué à 830 000 F, soit 126 532,68 euros, le montant de l'indemnisation de la société WST;
Qu'il serait par ailleurs, inéquitable de laisser à l'intimée la charge définitive des frais irrépétibles supplémentaires qu'elle a dû exposer en cause d'appel;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la SARL Hapro aux dépens d'appel et à verser à la société WSI, 3 000 euros de frais irrépétibles ; Admet la SCP Hardouin au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.