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Décisions

CA Lyon, 3e ch. civ., 15 mai 2003, n° 02-00175

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Argaud Pompes Funèbres (SARL)

Défendeur :

Pompes Funèbres Denis Lièvre (SA), Funeris (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Santelli, Kerraudren

Avoués :

SCP Junillon-Wicky, Me de Fourcroy

Avocats :

Mes Lenzi, Storelli.

T. com. Saint-Etienne, du 27 sept. 2001

27 septembre 2001

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par jugement rendu le 27 septembre 2001, le Tribunal de commerce de Saint-Etienne, constatant que certaines "anomalies" au regard de la réglementation applicable aux chambres funéraires avaient été relevées dans les locaux où la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres exploite une activité de chambre funéraire, a condamné la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres et la SARL Funeris qui a concédé à la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres l'exploitation d'une marque pour sa chambre funéraire, à "supprimer tous éléments de nature à semer la confusion dans l'esprit de la clientèle entre ces deux sociétés" sous astreinte provisoire de 152,45 euros par jour de retard - énumération étant faite des éléments incriminés tels que, entre autres éléments: "toute publicité semant la confusion entre la société commerciale la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres et la chambre funéraire", a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par la SARL Paul Argaud Pompes Funèbres, ainsi que sa demande en parution de la décision dans un quotidien de la presse régionale et a condamné in solidum la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres et la SARL Funeris à payer à la SARL Paul Argaud Pompes Funèbres la somme de 7 500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SARL Paul Argaud Pompes Funèbres a régulièrement formé appel de cette décision dans les formes et délai légaux.

Vu l'article 455 alinéa premier du nouveau Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 ;

Vu les prétentions et les moyens développés par la SARL Paul Argaud Pompes Funèbres dans ses conclusions récapitulatives et complémentaires en date du 20 mars 2003 tendant à faire juger que la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres et la SARL Funeris ne respectent pas le "principe de neutralité" voulu par le législateur imposant de ne pas créer un amalgame entre deux activités voisines (pompes funèbres et chambre mortuaire) au détriment des opérateurs n'exerçant pas une double activité réglementée, que notamment une publicité contredisant cette neutralité est réalisée par l'insertion dans les avis nécrologiques du nom commercial Denis Lièvre Funeris suivant l'adresse de la chambre funéraire, que d'autres violations du principe de "neutralité" sont réalisées au sein de sa chambre funéraire située 66-68 rue Marengo à Saint-Etienne par apposition de placards ou documents publicitaires ou la mise à disposition de dépliants publicitaires en faveur de la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres, que différents artifices organisent "une approche piégeuse de la clientèle qui se fait phagocyter par de nombreux signes commerciaux répandus à loisir dans la chambre funéraire", que ces agissements constitutifs d'actes de concurrence déloyale en ce que la clientèle est induite en erreur sur le caractère réglementairement distinct des activités exercées par la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres, que le préjudice en résultant doit s'apprécier après instauration d'une mesure d'instruction et, dans l'attente du résultat d'une telle expertise, une provision de 200 000 F doit être versée à l'appelante à valoir sur les dommages et intérêts réparant son préjudice et qu'enfin la publication de la décision à intervenir assurera encore la réparation du préjudice subi ;

Vu les prétentions et les moyens développés par la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres et la SARL Funeris dans leurs conclusions en date du 17 septembre 2002 tendant à faire juger que la SARL Funeris doit être mise hors de la cause, que la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres exerce son activité de chambre funéraire dans le respect absolu des prescriptions réglementaires, que la jurisprudence invoquée par la SARL Paul Argaud Pompes Funèbres est inadéquate, que son analyse faite par la SARL Paul Argaud Pompes Funèbres procède d'une grossière confusion et démontre "l'impudeur" de son dirigeant faisant fi des "principes de confraternité et de déontologie de la fédération professionnelle" et qu'enfin, aucune faute dans l'exercice de l'activité globale de pompes funèbres par la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres n'est caractérisée et, a fortiori, aucun préjudice n'est subi par la SARL Paul Argaud Pompes Funèbres qui doit être déboutée de l'intégralité de ses demandes ;

MOTIFS ET DÉCISION

Attendu que la SARL Paul Argaud Pompes Funèbres n'impute aucun manquement précis à la SARL Funeris ; qu'il lui est seulement reproché de ne pas avoir veillé à l'utilisation que l'un de ses adhérents, la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres, a fait de sa marque Funeris désignant une activité de chambre funéraire ; que la SARL Funeris ne peut être responsable des éventuels manquements imputables à la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres dès lors qu'elle n'intervient nullement dans l'agencement des locaux de son "adhérent" et dans sa démarche commerciale affectée éventuellement d'excès ; qu'il n'est pas démontré que la SARL Funeris a été informée de tels "excès" et n'a pas tenté d'y mettre fin ; que la SARL Funeris sera mise hors de la cause ;

Attendu que le service extérieur des pompes funèbres comprend notamment la gestion et l'utilisation des chambres funéraires, élément de l'activité générale de pompes funèbres pour lequel l'opérateur de pompes funèbres doit être spécialement habilité ;

Attendu que l'article L. 361-19 du Code des communes dispose que les locaux où l'entreprise gestionnaire d'une chambre funéraire offre les autres prestations du service des pompes funèbres, doivent être distincts de ceux abritant la chambre funéraire ; que cette distinction voulue par la loi afin d'assurer la libre concurrence entre les opérateurs de pompes funèbres habilités à gérer une chambre funéraire et ceux non habilités à le faire, s'étend à d'autres éléments que la séparation purement physique des locaux ; que l'unicité d'exploitation des différentes activités de pompes funèbres entraîne un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle qui ne doit pas être privée de la possibilité de choisir, en toute connaissance de cause, un opérateur déterminé éventuellement non gestionnaire d'une chambre funéraire si elle recourt au service d'une chambre funéraire exploitée par un gestionnaire également opérateur de pompes funèbres ;

Attendu qu'il convient pour assurer le "principe de neutralité" énoncé par le législateur que l'opérateur de pompes funèbres gestionnaire d'une chambre funéraire ne se livre pas à des agencements, à des amalgames, à des pratiques publicitaires ou à des démarches commerciales créant dans l'esprit peu informé de la clientèle des familles en deuil, une confusion préjudiciable au jeu de la libre concurrence et à d'autres opérateurs de pompes funèbres ;

Attendu qu'en l'espèce, il ressort d'un procès-verbal d'huissier en date du 11 mars 1999, que dans les locaux de la chambre funéraire de la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres, installée 66-68, rue Marengo à Saint-Etienne, sont apposées très visiblement dans le salon d'accueil des publicités pour l'entreprise de Monsieur Denis Lièvre (dépliants publicitaires, photographie en pied de Monsieur Lièvre, calendrier, cartes de visite professionnelles ...) ; que des articles funéraires (cercueils, urnes, crucifix ...) sont exposés avec indication de leur prix dans une pièce adjacente ; qu'un panonceau sur la porte d'entrée renvoie, en cas de fermeture de la chambre funéraire, au local voisin où la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres exerce son activité ; que toutes les indications écrites se trouvant dans ce local ("livre d'Or", affiche mentionnant le numéro d'appel téléphonique de la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres dans le local voisin ...) réalisent un amalgame entre les deux activités différenciées exercées par la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres ;

Attendu qu'<sdc>il ressort amplement de ce constat que la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres a eu en vue, par un agencement particulier des lieux et un affichage informatif tendancieux, de créer une confusion pour capter la clientèle qui venait dans sa chambre funéraire ;</sdc>que la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres était si consciente des dévoiements auxquels elle s'était livrée, qu'elle a fait établir, ensuite de la régularisation à laquelle elle a procédé, un procès-verbal d'huissier en date du 9 octobre 2002 qui constitue "l'envers", point par point, du précédent et dans lequel il est relaté "l'absence" de tous "les éléments à charge" relevés dans le premier procès-verbal ;

Attendu qu'au surplus, dans les avis nécrologiques que la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres fait insérer dans la presse locale à la demande des familles, la mention même de la raison sociale de la chambre funéraire soit, Denis Lièvre, soit Funeris, soit même Funeris Denis Lièvre y figure à la suite de l'adresse permettant la localisation de la chambre sociale ; que cette indication outre qu'elle est sans intérêt pour les lecteurs des avis nécrologiques renseignés suffisamment par la mention d'une adresse, est contraire au principe élargi de "neutralité"; qu'elle contredit également la "délicatesse" de mise dans des circonstances de deuil, dont se targue la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres dans ses dépliants publicitaires ;

Attendu que le préjudice découlant nécessairement de ces violations diverses constitutives d'agissements de concurrence déloyale, mais difficilement appréciable, sera évalué, sans recourir à une expertise comptable, à la somme de 3 500 euros au vu des éléments fournis par les parties ;

Attendu que la publication de la présente décision dans la revue professionnelle Funéraire Magazine ou dans des quotidiens locaux n'apparaît pas opportune pour assurer un complément de réparation ;

Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire ; Reçoit l'appel de la SARL Paul Argaud Pompes Funèbres comme régulier en la forme ; Au fond, confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres, seule, à supprimer toutes mentions Funeris et Denis Lièvre et à supprimer tous éléments de nature à semer la confusion dans l'esprit de la clientèle entre la SARL Denis Lièvre Pompes Funèbres et la chambre funéraire, sous l'astreinte provisoire qu'il a fixée et en ce qu'il a condamné la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres, seule, à payer à la SARL Paul Argaud Pompes Funèbres la somme de 7 500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Le complétant et le précisant, dit que la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres ne devra pas faire insérer dans les avis nécrologiques une quelconque raison sociale accolée à l'adresse de sa chambre funéraire ; Condamne la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres à porter et à payer la somme de 3 500 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et celle de 1 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Met hors de la cause la SARL Funeris ; Condamne la SA Denis Lièvre Pompes Funèbres aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP d'Avoués Junillon & Wicky sur son affirmation de droit, en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.